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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, mes salutations.
00:09 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:11 Ce matin, vous allez nous parler des techniques pour ne pas réduire nos émissions de CO2.
00:15 Et oui, en pleine COP d'Oubaïotte, présidée par un patron pétrolier, la sobriété a
00:20 moins la cote que les solutions technologiques.
00:23 Les grandes entreprises énergétiques plaident pour le captage du dioxyde de carbone comme
00:27 une manière de continuer d'émettre, mais proprement.
00:30 S'agit-il d'un leurre technologique ou d'une solution utile pour décarboner les
00:35 activités industrielles et réussir à limiter le dérèglement climatique ? Nous en discutons
00:40 ce matin avec Pierre Gilbert.
00:41 Bonjour.
00:42 Vous êtes ingénieur et consultant en risques climatiques.
00:45 Commençons par expliquer ces technologies.
00:47 L'idée générale, c'est de capter le CO2, soit directement dans l'atmosphère, soit
00:52 à la sortie des usines, pour le réutiliser ou pour l'enfouir.
00:55 Comment opère-t-on concrètement ? Il faut d'abord isoler le dioxyde de carbone.
01:00 Tout à fait.
01:01 De quoi parle-t-on ? De deux grandes familles de technologies de captation artificielle
01:05 du CO2.
01:06 Vous avez ce qu'on appelle le DAC, Direct Air Carbon Capture.
01:09 Là, c'est des gros aspirateurs à CO2 dans l'air ambiant.
01:13 Et vous avez son cousin qui est le plus diffusé aujourd'hui et qui est l'objet, surtout
01:18 pendant cette COP, qui est le CCUS.
01:20 CCUS, ça veut dire Carbon Capture Use or Storage.
01:24 Capture du carbone avec utilisation ou stockage.
01:27 De quoi est-ce qu'on parle ? On parle d'un gros pot d'échappement qu'on viendrait
01:31 mettre à la sortie de cheminées de centrales fortement émissives, de centrales à charbon
01:36 ou même d'industries polluantes.
01:38 L'idée, c'est qu'avec des gros ventilateurs, vous allez pousser ce CO2 à travers un filtre.
01:44 Dans ce filtre, il y a ce qu'on appelle un sorban, c'est une colle à CO2.
01:47 Une fois que ce filtre est chargé en CO2, vous allez chauffer cette colle pour le relibérer.
01:52 Vous allez ensuite le purifier, le recompresser pour faire en sorte qu'il prenne moins de
01:57 place.
01:58 Et là, vous allez essayer de le transporter jusqu'à une zone de stockage.
02:01 Vous allez le faire avec des camions, des bateaux adaptés ou des pipelines adaptés
02:06 au CO2.
02:07 Et ensuite, vous allez essayer de l'enfouir.
02:09 On ne peut pas utiliser les mêmes moyens de transport que pour le gaz ? On ne peut pas
02:13 utiliser un gazoduc par exemple ?
02:15 Non, parce que chaque gaz est différent.
02:17 Le méthane ne se comporte pas de la même manière que le CO2.
02:20 Et alors, comme le gaz, peut-être, on le stocke.
02:23 L'idée, c'est de le stocker en sous-sol.
02:25 On peut se servir de réserve, peut-être de là où il y avait des gisements autrefois
02:30 ou alors peut-être des cavités salines.
02:33 J'ai lu ça.
02:34 Comment on fait concrètement ?
02:35 Alors concrètement, il se trouve que cette technologie-là, elle naît il y a 50 ans
02:38 en mer du Nord avec les pétroliers qui trouvent le moyen de réinjecter du CO2 de leur station
02:44 offshore norvégien, de nouveau dans la nappe pétrolière pour faire jaillir, augmenter
02:49 la pression et faire jaillir plus facilement le pétrole qui reste.
02:51 C'est ce qu'on appelle la récupération assistée de pétrole.
02:54 Et aujourd'hui, 85% des prototypes et des projets de ces CES font de la récupération
03:01 assistée de pétrole.
03:02 Donc l'idée, effectivement, c'est que vous allez cibler une ancienne poche de gaz
03:06 ou de pétrole et vous allez essayer de faire l'inverse de ce que vous avez fait, c'est-à-dire
03:10 pomper le CO2 dans l'autre sens.
03:12 Ça sonne un peu chadoc, salé, on le verra pourquoi.
03:14 Mais ça, c'est la première grande solution.
03:19 Vous pouvez aussi effectivement enfouir ce CO2 dans ce qu'on appelle des aquifères
03:23 salins, c'est des nappes phréatiques profondes dans lesquelles vous allez mélanger le CO2
03:27 à l'eau.
03:28 Ça fait de l'acide carbonique.
03:29 Quand vous mélangez les deux, c'est pour ça que nos océans se réchauffent avec l'augmentation
03:34 de la teneur en CO2 dans l'atmosphère.
03:35 Et donc là, vous espérez que tout ça reste bien dans le sol.
03:40 Vous parlez de prototypes, de projets, est-ce qu'il y a des sites déjà véritablement
03:44 opérationnels ?
03:45 C'est compliqué, vous avez une trentaine de sites "opérationnels" aujourd'hui
03:53 dans le monde de CCUS, à peine cinq de DAC, gros aspirateurs ambiants.
03:58 Mais sur le CCUS, on se rend compte que la plupart de ces projets, les trois quarts,
04:03 ont périclité ou ne donnent pas satisfaction, c'est-à-dire absorbent à hauteur de 15-20%
04:08 des émissions qu'ils étaient censés absorber.
04:10 Donc on est très loin, on est plus proche du prototype effectivement que de quelque
04:15 chose qui est déployé à l'échelle industrielle.
04:16 Pourtant, on lit qu'en 2024, dans le site norvégien Northern Lights, qui est à l'ouest
04:22 de la Norvège, le cimentier Heidelberg sera le premier à envoyer par bateau le CO2 capturé
04:27 à la sortie de son usine.
04:28 800 000 tonnes de carbone qui seraient déchargées en 2024, c'est demain.
04:32 La Norvège est pionnière, ça peut marcher là-bas ?
04:35 Alors disons que ce site-là de Northern Lights, c'est historiquement celui qui fonctionne
04:39 le mieux.
04:40 Après, il faut toujours poser les ordres de grandeur, c'est-à-dire que vos 800 000
04:44 tonnes de CO2, c'est la moitié de ce qu'émettent les deux roues en France chaque année.
04:48 Donc on reste sur des petites quantités.
04:51 Effectivement, vous n'avez qu'un seul site qui fonctionne vraiment, Northern Lights,
04:55 et l'idée c'est que si tout le monde envoie ses bateaux de CO2 pour le stocker
04:59 dans ce site-là, le risque c'est qu'il soit très vite saturé.
05:02 D'autant qu'on ne sait pas comment se comporte le CO2 sous le sol.
05:06 En provenant de ce site-là et d'autres sites en Norvège, on a découvert récemment
05:11 que le CO2 qu'on envoyait sous le sol remontait 20 fois plus vite que prévu à la surface
05:16 de la nappe.
05:17 Pas forcément à la surface de l'océan, mais à la surface de la nappe.
05:21 C'est-à-dire qu'on ne sait pas modéliser, on ne sait pas imager par sonar toute la complexité
05:26 de votre sous-sol qui est constituée de différentes couches de minéraux.
05:29 Tout ça est très compliqué à comprendre et aujourd'hui on ne sait pas stocker du
05:33 CO2 sous le sol de manière pérenne ou certaine.
05:35 On comprend que ce n'est pas encore une réalité, c'est au mieux une promesse qui
05:39 nécessiterait de très gros investissements.
05:41 Alors sûrement certains industriels sont prêts à le faire pour avoir une décarbonation
05:46 de leurs activités, les pétroliers, les cimentiers, les acieristes peut-être.
05:49 Quelle est la position des pouvoirs publics de la France par exemple ?
05:53 La France a publié une stratégie CCUS cet été qui veut globalement accélérer.
05:58 Et surtout pour décarboner les 50 sites les plus émissifs en France et notamment les
06:04 sites qu'on a du mal à décarboner.
06:06 Vous avez des industries qui émettent beaucoup de CO2 et c'est compliqué de réduire ces
06:10 émissions-là.
06:11 Concrètement Dunkerque, Fossurmer ?
06:13 Exactement, Dunkerque, Fossurmer, les acieries, les cimenteries, la fabrique de chaux, d'autres
06:19 procédés chimiques émettent fatalement du CO2.
06:22 Donc l'idée c'est entre guillemets de réserver du CCUS pour ces usages-là.
06:25 Dans la pratique le risque c'est qu'on utilise ce CCUS pour à peu près n'importe
06:31 quoi sur lequel on ne veut pas faire des investissements pour décarboner le cœur de l'appareil productif.
06:36 Si je prends un exemple l'acier par exemple, aujourd'hui on commence à savoir faire
06:39 des aciers sans carbone, c'est-à-dire des aciers avec des arcs électriques et de l'hydrogène.
06:44 Arcelor maîtrise cette technologie, d'autres entreprises aussi.
06:48 L'idée c'est qu'il faut faire les investissements pour changer l'appareil productif pour pouvoir
06:52 produire un acier qui à terme sera beaucoup plus décarboné.
06:55 Ça coûte très cher.
06:56 La solution de facilité c'est effectivement le pot d'échappement.
07:00 Mais le pot d'échappement il condamne quelque part votre aciérie à faire 15-20 ans de
07:05 plus comme actuellement avec un procédé qui est très émissif.
07:09 Oui donc on comprend que la question c'est le fléchage des investissements et aussi
07:13 des subventions publiques.
07:15 On en parlera une prochaine fois.
07:16 Merci beaucoup Pierre Gilbert.
07:17 Je rappelle que vous êtes ingénieur et consultant en risques climatiques.
07:20 Et puis on verra le texte final de la COP et la part laissée à cette technologie de
07:25 de captation et d'enfouissement du CO2.
07:27 Merci.

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