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00:27 *Musique*
00:30 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:34 Marguerite Caton, bonjour.
00:35 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:37 Une note d'espoir ce matin.
00:38 Une note d'espoir sur un sujet terrible qui percute la société depuis quelques années déjà, l'inceste.
00:43 Et ses 5 500 000 victimes dont les témoignages ont progressivement percé le silence.
00:48 Des survivants comme ils se nomment eux-mêmes.
00:50 Mais survivre est-ce suffisant ? Ne peut-on pas revivre ?
00:54 C'est l'objectif des thérapies que vous mettez en oeuvre Coraline Ingrès, bonjour.
00:57 Bonjour.
00:58 Vous êtes professeure de psychiatrie, responsable du centre du psychotraumatisme de Lorraine Sud à Nancy.
01:04 Autrice avec Ouissa Mélage de l'ouvrage "Le trauma, comment s'en sortir" paru aux éditions de Boeck supérieure en 2020.
01:11 Pouvez-vous pour commencer nous expliquer la manière dont l'inceste se traduit psychiquement ?
01:15 Quelles sont ses conséquences sur le développement de l'enfant et sur sa vie d'adulte ?
01:19 Oui, alors effectivement l'inceste va avoir des conséquences, va avoir déjà des conséquences cérébrales.
01:24 Tous les traumas ont des conséquences cérébrales et d'autant plus sur un cerveau en cours de développement.
01:31 Et donc il va y avoir des symptômes en lien avec ces modifications d'activation, de connectivité cérébrale.
01:38 Des symptômes classiques du trouble de stress post-traumatique tout d'abord.
01:41 Quels sont-ils ? Des intrusions, c'est-à-dire le souvenir qui revient sous forme de cauchemar, sous forme de flash, de reviviscence.
01:48 Ça c'est l'image un petit peu que le grand public a du syndrome de stress post-traumatique, mais cela va bien au-delà.
01:54 Il y a aussi une hyper-vigilance. Je suis en permanence en alerte. Je n'ai confiance en personne. Je me méfie.
02:03 Il y a le syndrome d'évitement. Je me retrouve de plus en plus à éviter, à éviter mon agresseur, à éviter des lieux.
02:10 Mais cela se diffuse et se propage.
02:13 Évidemment dans le cas de l'inceste, il va y avoir des grandes difficultés avec un évitement de la sexualité la plupart du temps.
02:20 Et puis on va retrouver des modifications de l'humeur, des connitions, c'est-à-dire très souvent de la dévalorisation, de la honte, de la culpabilité.
02:29 Ça c'est les symptômes les plus classiques du trouble de stress post-traumatique.
02:33 Mais il y a aussi des symptômes, qu'on parle de trouble de stress post-traumatique complexe, qui sont des symptômes plus caméléons.
02:39 Des troubles du comportement alimentaire, des troubles du sommeil, des scarifications, des automutilations, des troubles de l'humeur,
02:46 que l'on retrouve aussi dans les tableaux post-inceste.
02:51 Et il y a aussi des éléments sur la santé physique.
02:55 On a des patients qui vont développer des paralysies, des crises qui ressemblent à de l'épilepsie, des douleurs chroniques.
03:00 Et tout ça sont des symptômes post-traumatiques.
03:02 On observe aussi bien souvent des cas d'amnésie qui ne contredisent pas ces symptômes, au contraire.
03:07 Exactement Marguerite, l'amnésie dissociative, dite traumatique, est une marque finalement de ce vécu traumatique.
03:15 La dissociation, qu'est-ce que c'est ?
03:17 C'est la capacité à un moment de s'extraire de l'ici et maintenant pour survivre.
03:21 Et quand on traverse l'horreur, et en particulier quand on n'est pas entendu, pas protégé, pour survivre,
03:28 la personne n'a pas d'autre choix que de se déconnecter de ses souvenirs.
03:32 Ce n'est pas vraiment un oubli.
03:34 C'est plus que le souvenir n'est plus accessible, comme dans un coffre-fort,
03:37 et va réapparaître par petite bride, par petite image.
03:41 Et cette amnésie signe réellement aussi ces vécus traumatiques.
03:45 Et votre message, Coraline Ingrès, c'est que cette souffrance, la souffrance n'est pas une fatalité.
03:50 On peut guérir de l'inceste ?
03:52 Oui, on peut réellement se reconstruire, on peut se soigner.
03:55 Bien évidemment, c'est une blessure intense, avec très souvent une destruction très importante, très douloureuse.
04:02 Mais on peut se soigner au sens d'apaiser et avoir une cicatrice que l'on peut regarder sans être activé émotionnellement.
04:10 Et c'est tout le principe des thérapies.
04:12 Venons-en aux soins, à ces thérapies. La première dont je voudrais que vous nous parliez, c'est le MDR.
04:16 Un sigle anglais qu'on peut traduire par "désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires".
04:22 De quoi s'agit-il ?
04:24 Alors, effectivement, c'est une des thérapies les plus validées scientifiquement à l'heure actuelle
04:29 dans les traitements des troubles de stress post-traumatiques.
04:32 Le principe repose sur des stimulations bilatérales.
04:35 La plupart du temps, un mouvement oculaire qui fait bouger les yeux de droite à gauche,
04:40 mais ça peut être des sonorités dans l'oreille droite, dans l'oreille gauche, ou des tapotements.
04:44 Ces stimulations bilatérales, on a plusieurs hypothèses sur les mécanismes d'action,
04:48 mais globalement, ce qu'on pense à l'heure actuelle, c'est que ça vient permettre
04:53 au cerveau cognitif qui traite l'information et à la partie plus émotionnelle de survie du cerveau
04:59 de se reconnecter ensemble.
05:01 Plus je vais faire ces stimulations, plus je vais permettre à ce souvenir très enclavé,
05:06 très fort émotionnellement, à récupérer des informations cognitives, de pensée d'extérieur
05:13 et à venir s'apaiser.
05:14 Et on va forcer le traitement de l'information traumatique par cette technique de MDR.
05:21 L'idée c'est de lever la barrière entre le registre des émotions et le logos, la raison.
05:28 Et du coup, concrètement, sur le moment, on demande au patient de se ressouvenir de son trauma.
05:34 Exactement.
05:35 Et en même temps, on lui fait travailler les zones informatives et cognitives du cerveau
05:39 par les petites stimulations.
05:40 C'est ça. Ce qui amène aussi une tâche en double attention, et puis on vient aussi le réexposer
05:46 à ce souvenir traumatique.
05:48 Voilà, donc aussi extravagant, pardon, que ça puisse paraître pour des néophytes.
05:53 Depuis que cette théorie a émergé dans les années 80, on est capable d'en mesurer l'efficacité.
05:57 Je renvoie les auditeurs sceptiques à la synthase réalisée par l'Inserm.
06:00 On mettra le lien sur la page de l'émission.
06:02 D'autres thérapies existent, des thérapies cognitives et comportementales.
06:06 Elles peuvent être pratiquées aussi.
06:09 Est-ce qu'il est nécessaire à chaque fois de faire revivre au patient le calvaire de ses agressions ?
06:13 On ne peut pas faire l'économie de la remémoration ?
06:15 Actuellement, en effet, s'exposer à son souvenir traumatique est l'un des fondamentaux des thérapies du trauma.
06:23 C'est ce qui est validé actuellement scientifiquement.
06:25 Mais il y a beaucoup de pistes de recherche différentes qui ouvrent de l'espoir.
06:28 Il faut concevoir cette exposition un peu comme la métaphore d'un film d'horreur.
06:34 L'horreur, ils l'ont vécue au moment des événements.
06:37 Donc, repenser à l'horreur, c'est déjà différent de le vivre.
06:41 Et comme un film d'horreur, quand vous le voyez pour la première fois, c'est extrêmement compliqué émotionnellement.
06:47 Mais si vous imaginez avoir réentendu, avoir relu votre scénario traumatique à la 15e, la 20e, la 50e fois,
06:54 évidemment qu'il y a une désensibilisation, qu'au fur et à mesure vous êtes beaucoup moins activé émotionnellement.
06:59 Et c'est ça, effectivement, le principe des thérapies cognitives et comportementales d'exposition.
07:04 Il y a aussi des soins dispensés au corps qui est autant traumatisé que l'esprit.
07:09 Mais pour en rester aux psychothérapies, ce que je comprends, c'est qu'elles visent à réintégrer l'information de l'agression sexuelle et de la trahison d'un proche.
07:17 Parce que l'inceste, c'est vraiment ces deux aspects en même temps.
07:19 Les réintégrer dans le cours biographique de la personne. Les intégrer à la conscience.
07:23 On peut le dire comme ça.
07:24 C'est exactement ça. Vraiment, un trauma, qu'est-ce que c'est ?
07:27 C'est un événement du passé qui vient pourrir, perturber, faire souffrir dans le présent et qui vient boucher l'avenir.
07:34 Et qui vient réapparaître dans le présent de manière involontaire à travers tous les symptômes dont on a parlé tout à l'heure.
07:40 Et donc l'idée par ces thérapies va pouvoir être de le mettre dans sa mémoire comme un événement autobiographique.
07:46 Et le plus dur dans l'inceste, vous l'avez vraiment souligné Marguerite, c'est cette dimension de trahison.
07:50 La personne qui doit prendre soin de moi et qui, au contraire, me fait du mal.
07:55 Avec vraiment, dans les cibles psychothérapeutiques, parce que c'est de ça dont on parle, on ne va pas uniquement traiter les faits.
08:02 On va aussi traiter la personne qui aurait dû me protéger et qui ne m'a pas cru, qui a minimisé.
08:07 Et le poids du silence est souvent extrêmement important et très traumatisant.
08:11 On parle de surtraumatisme ou de traumatisme relationnel.
08:14 Merci beaucoup Coraline Ingrès. Je rappelle que vous êtes professeure de psychiatrie, responsable du Centre du psychotraumatisme de Nancy.
08:20 Merci.