• l’année dernière
Daphné Roulier reçoit l'avocat pénaliste Frank Berton. Reconnu pour avoir été l'avocat de plusieurs des acquittés d'Outreau, du Carlton, de l'artificier des attentats de 1995 à Paris ou encore de Florence Cassez, rien ne prédestinait pourtant Frank Berton à devenir une star du barreau. Celui qui a été ouvrier à la chaîne, serveur, livreur de pizza, prof de gestion, DJ en Belgique, et fêtard assumé n'a décroché l'examen du barreau qu'à 27 ans. Il exprime ici sa vision du métier d'avocat, se remémore ses plaidoiries délivrées dans de graves affaires d'infanticides, et confie son ressenti en tant qu'ancien avocat du terroriste Salah Abdeslam, défense qui lui a valu un flot d'injures et d'incompréhensions.La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ? Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5Suivez-nous sur les réseaux !Twitter : https://twitter.com/lcpFacebook : https://fr-fr.facebook.com/LCPInstagram : https://www.instagram.com/lcp_an/Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/#LCP #LesGrandsEntretiens

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Transcription
00:00 Musique douce
00:02 ...
00:18 -Franck Barton, Eric Dupond-Moretti prétend
00:21 que vous n'avez peur de rien. Rien de rien, c'est vrai ?
00:24 -Bah, j'ai envie de dire,
00:25 si le garde des Sceaux le dit, non, je sais pas.
00:29 J'ai pas peur de grand-chose,
00:31 parce que je considère qu'il faut être habité
00:34 d'une force et d'une envie de conviction
00:37 qui, parfois, gênent, dérangent,
00:40 et qui laissent penser que vous n'avez pas peur de grand-chose
00:44 pour exercer ce métier.
00:45 Bon, mais il faut être raisonnable, quand même.
00:48 Il faut savoir respecter d'abord ceux qui vous écoutent,
00:52 ceux qui vous jugent, et puis ceux que vous défendez.
00:55 -On serait tentés de le croire,
00:57 car défendre Salah Abdeslam, l'homme le plus haï de France,
01:00 l'incarnation spectrale de l'horreur absolue,
01:04 c'était un choix courageux.
01:06 Il n'y avait que des coups à prendre.
01:08 Vous êtes maso.
01:09 -Non, je suis pas maso, je suis avocat.
01:12 Une fois que vous avez dit ça, les gens disent
01:15 que ça ne justifie pas tout,
01:17 qu'ils avaient véritablement besoin d'une défense.
01:20 Du coup, j'en ai pris. -Beaucoup.
01:22 -Oui, beaucoup, parce qu'en réalité,
01:25 c'était pas simple.
01:26 Lorsque vous annoncez sur le moment
01:28 qu'il va arriver de Belgique en France pour être jugé,
01:32 que vous apparaissez aux yeux de tous
01:35 comme étant son avocat,
01:37 "on m'a proposé de m'escorter,
01:39 "on m'a proposé de conduire mes enfants sous escorte à l'école",
01:43 toutes ces choses-là étaient compliquées à gérer,
01:46 à envisager, et puis d'un seul coup,
01:49 vous prenez conscience qu'en réalité,
01:51 c'est une autre défense, mais qui n'est pas si éloignée
01:55 d'une défense que vous avez tous les jours pour tout un chacun.
01:59 Ce qui change, c'est le crime.
02:01 -Qu'est-ce qui vous a d'abord décidé à accepter ce dossier ?
02:04 Vous n'aviez plus rien à prouver.
02:06 Pardon, mais qu'êtes-vous allé faire dans cette galère ?
02:10 -Daphné, je vais vous dire, j'aime pas beaucoup parler
02:14 de sa lab d'islam. Pourquoi ?
02:16 Parce que, en réalité, cette histoire et ce dossier m'appartient,
02:20 mais lui appartient également, c'est-à-dire qu'on a échangé
02:24 beaucoup de choses, et beaucoup de choses font partie
02:26 et sont sous le secret professionnel
02:29 qui nous lie l'un à l'autre.
02:30 Mais l'état d'esprit qui était le mien à l'époque,
02:33 pour tenter de répondre à votre question,
02:36 c'était de dire qu'il y avait pas de raison que je n'y aille pas.
02:39 Quelle était la raison ? Cet homme était au nid de tout,
02:43 tout le monde lui crachait au visage
02:45 après le crime odieux qu'il lui était reproché,
02:48 mais il comparaît seul, sans avocat.
02:50 C'est la noblesse de notre métier.
02:52 C'est notre prestation de serment,
02:54 et dans notre prestation de serment,
02:56 il y a l'humanité. Il faut y aller.
02:59 -Bien sûr. Je vais poser la question autrement.
03:02 Assumer une défense en contre avec un accusé
03:05 qui revendique ses actes au nom d'une conviction religieuse,
03:08 est-ce que vous diriez que ça a été le plus gros défi
03:11 de votre carrière ?
03:12 -Je sais pas si ça a été le plus gros défi,
03:15 parce qu'il y a eu des procès auxquels j'ai participé
03:18 qui étaient compliqués.
03:19 Je me souviens de l'affaire Doutrot,
03:21 on était seuls contre tous.
03:23 Ils étaient aussi présentés les uns et les autres...
03:26 -Comme des monstres. -Des monstres.
03:28 La presse titrait ça, les monstres Doutrot.
03:31 Là, en réalité, c'était un peu plus compliqué,
03:33 parce qu'il ne revendiquait pas non plus son crime.
03:36 Donc, il était face à des accusations,
03:38 face à une instruction qui se déroulait
03:41 sur le territoire français, et il fallait l'accompagner
03:44 et le défendre dans ce dossier.
03:46 -Est-ce que votre silhouette de tueur à gages
03:48 et de gueule de film noir,
03:50 avec ça, est-ce qu'on vous confond encore plus
03:52 avec votre client ? -Ca peut arriver.
03:54 -Ca vous atteint ou ça vous amuse ?
03:56 -Quand j'étais jeune avocat, ça me gênait.
03:59 C'est quand même moi, l'avocat.
04:01 Bon, maintenant, ça me fait rire, j'en souris.
04:04 Bon, alors, on n'ose moins me le dire.
04:06 C'est vrai qu'on me l'a dit.
04:07 On m'a dit des fois, alors que j'étais accompagné
04:10 de mon client, les services de l'ordre disaient
04:13 "Qui est l'avocat, qui est le client ?"
04:15 -A l'ère des réseaux sociaux,
04:17 c'est difficile de défendre. Est-ce un métier
04:19 qui devient plus dangereux ?
04:21 Votre confrère belge, Sven Marie,
04:23 il s'est vu accusé sur les réseaux sociaux
04:25 de se faire du fric sur le dos des morts,
04:28 il a été agressé physiquement, il a dû fermer son cabinet.
04:31 -Oui, mais je crois que les réseaux sociaux
04:34 entraînent des réactions en chaîne
04:36 qui sont parfois très dangereuses.
04:38 Il y a pas que les réseaux sociaux,
04:40 il y a aussi le traitement de l'information.
04:42 -Les médias, on leur parle de responsabilité
04:45 par exemple ? -Bien sûr.
04:46 Vous êtes présenté aux yeux de tous
04:50 comme étant finalement assimilable à celui que vous défendez.
04:54 Moi, j'ai entendu, et je vous le dis,
04:56 Gilbert Collard, lorsque je défendais Salah Abdeslam,
04:59 dire qu'on pouvait pas défendre cet homme-là
05:01 si on n'épousait pas ses thèses.
05:03 C'est de la folie.
05:04 -Vous ne pensez pas qu'il y a un malentendu ontologique
05:07 sur le rôle de l'avocat ?
05:09 Encore aujourd'hui, on ne comprend pas
05:11 ce qu'est le rôle de l'avocat.
05:13 L'avocat est son client et on oublie ce que c'est
05:16 d'être avocat, c'est de défendre.
05:18 -Oui, mais on confond les deux.
05:20 Je l'aurais dit, on confond l'avocat et le client
05:23 et finalement, on a du mal à les séparer.
05:26 D'abord, ils sont géographiquement séparés
05:29 dans la salle d'audience, mais finalement assez proches.
05:32 Dans le traitement de l'information,
05:34 dans le traitement des réseaux sociaux,
05:36 on est confondus avec celui qu'on assiste
05:38 ou celui qu'on défend.
05:40 Tous les jours, on est obligés de faire de la pédagogie,
05:43 d'expliquer aux gens que ce n'est pas parce que je défends
05:46 un violeur que je viole des enfants.
05:48 Mais c'est le fondement même de notre démocratie
05:52 d'assurer, par le respect des droits de l'homme,
05:55 une défense à un individu.
05:57 Si vous ne vous gommez ça,
06:00 vous êtes dans un pays totalitaire,
06:02 dans une dictature, il n'y a plus besoin de droits,
06:05 il n'y a plus besoin de codes, il n'y a plus besoin de défense
06:09 et chacun, finalement, rendra sa justice
06:11 sans finalement présenter le pourquoi.
06:14 Le rôle de l'avocat, c'est de savoir pourquoi il a commis ce crime.
06:18 C'est déjà la première démarche, à un moment donné,
06:21 vers une réhabilitation et vers un repenti,
06:24 vers quelque chose qui laisse une porte,
06:26 une lueur d'espoir.
06:28 -Vous avez été l'avocat du diable,
06:30 c'est comme ça qu'on vous a présenté.
06:33 Défendre le diable sans pour autant devenir son instrument,
06:36 c'est pour cela, entre autres, que vous avez finalement décidé
06:39 de jeter l'éponge avec Salah Abdeslam.
06:43 -Vous voyez, vous employez le terme "jeter l'éponge".
06:47 -Vous avez décidé de vous retirer...
06:50 -En fait, je me suis retiré de la défense de Salah Abdeslam
06:54 parce qu'on ne pouvait plus, l'un et l'autre,
06:57 être sur la même longueur d'onde.
07:00 Et donc, je ne peux pas apporter une défense à quelqu'un...
07:03 -Ou porter sa parole. -Ou porter sa parole
07:06 s'il ne souhaite pas que je le fasse.
07:08 Je refuse, par exemple, d'être un avocat assis
07:10 au banc de la défense, taisant et silencieux.
07:14 C'est pas possible, c'est pas la conviction
07:17 que j'ai de l'exercice de mon métier.
07:19 Et à partir du moment où mon client me demande de me taire,
07:22 je peux plus l'assister, je peux plus l'accompagner.
07:26 Et c'est l'une des raisons pour lesquelles
07:29 on sait de concert, c'est pareil,
07:31 et qu'il a fait sa route avec d'autres avocats
07:34 et avec de très bons avocats qui l'ont assisté
07:37 devant la cour d'assises de Paris.
07:39 Mais voilà, c'est à un moment, on est capable aussi de dire,
07:42 et moi, je suis capable aussi de dire "j'arrête".
07:45 Ou alors "je ne défends pas" ou "je ne veux pas défendre".
07:48 Il y a des dossiers dans lesquels je ne veux pas intervenir
07:51 et je ne veux pas plaider. -Pourquoi ?
07:54 -Parce que ça ne correspond pas, par exemple,
07:56 à une conviction profonde où je sais que je ne pourrais pas le faire,
08:00 où je sais que j'aurais pas envie de le faire.
08:03 Ce qu'il faut aussi avoir envie, c'est d'avoir une conviction.
08:06 Vous pouvez pas convaincre si vous n'êtes pas vous-même.
08:09 Ou alors vous êtes un acteur, mais moi, je ne suis pas un acteur.
08:13 C'est parce qu'on est convaincu d'une vérité, d'une histoire
08:16 qu'on pourrait présenter de telle ou telle manière
08:19 devant une cour d'assises qu'on arrive, je le pense,
08:22 à convaincre et à amener les jurés d'une cour d'assises
08:25 à épouser votre thèse. -Vous avez été touché par lui ?
08:31 -Je ne répondrai pas à cette question.
08:33 C'est quelque chose qui m'est propre et qui nous appartient.
08:37 Et je vais vous dire, si je dis oui,
08:40 les gens vont pas comprendre comment être touché
08:42 par Salah Abdeslam.
08:44 Si je dis non, les gens vont dire "mais comment ?"
08:47 "A pouvoir le défendre alors qu'on n'est pas touché par lui ?"
08:50 C'est plus compliqué. Vous savez, les sentiments
08:53 qui animent un avocat avec son client
08:55 sont des sentiments qui appartiennent aux deux.
08:58 Et je vous dis aussi dans le secret de la confiance qui les unit.
09:02 La chose la plus importante entre un client et son avocat,
09:06 c'est la confiance.
09:07 Il faut avoir énormément de confiance.
09:09 Il faut dire à quelqu'un "je vous remets ma vie,
09:12 "je vous remets mon avenir, je vous remets mon futur,
09:15 "et débrouillez-vous avec ça pour que vous puissiez me défendre."
09:19 Donc, voilà, ça nous appartient.
09:23 -Vous parliez de futur. La vraie question,
09:25 disiez-vous, à l'époque, pour Salah,
09:27 et même pour les victimes et leur famille,
09:30 c'est de savoir si cet homme de 26 ans a droit à une vie après.
09:33 Mais elle est inaudible, inacceptable, disiez-vous.
09:36 La justice a tranché. Vous avez suivi, j'imagine,
09:39 de très près le procès des attendants du 13 novembre.
09:42 Qu'en pensez-vous de cette condamnation en perpétuité ?
09:45 -Cette condamnation est une condamnation d'élimination.
09:48 A raison d'une déclaration de culpabilité
09:52 qui m'appartient pas de critiquer...
09:55 Voilà, la cour d'assises est rentrée en voie de condamnation.
09:58 Je note quand même que Salah al-Desslam
10:00 n'a pas fait appel. Il aurait pu faire appel,
10:03 c'était son droit. Il aurait pu ramener tout le monde
10:06 dans un nouveau procès avec son cortège de malheur,
10:10 de souffrance, de larmes pour toutes les victimes
10:13 du Bataclan et du Stade de France.
10:15 Pas du tout, il l'a pas fait.
10:17 Donc, il a accepté, quelque part, cette décision.
10:19 Alors, on peut y voir un symbole, une prise de conscience,
10:23 on peut y voir plein de choses.
10:25 Je crois qu'il y a que lui qui peut répondre à cette question.
10:28 Moi, je peux pas répondre, même s'il y a un temps,
10:31 j'ai partagé avec lui un moment,
10:33 mais je peux pas répondre à la question
10:35 de savoir comment il vit cette peine perpétuelle,
10:38 comment il va la vivre.
10:39 Je crois qu'on peut dire que, malheureusement,
10:42 je crois qu'elle est pour l'éternité, cette peine.
10:45 Ca serait très compliqué qu'un jour, Salah al-Desslam
10:48 puisse être libéré de prison malgré son jeune âge.
10:51 -Franck Berton, j'aimerais clore le chapitre Salah al-Desslam
10:54 avec un mail que vous avez reçu un jour d'un père.
10:59 J'aimerais vous la lire.
11:02 "Bonsoir, maître.
11:03 "Depuis sa soirée au Bataclan,
11:05 "ma belle-fille est sous surveillance vidéo à l'hôpital.
11:08 "Cette situation ne la perturbe pas, elle est dans un coma profond.
11:12 "Cela ne perturbe pas non plus mon fils,
11:14 "qui repose au cimetière.
11:15 "Pour mon petit-fils de 5 ans, les perturbations sont à venir.
11:19 "Je sais votre travail et vos convictions,
11:21 "mais il y a des limites face aux gens qui souffrent.
11:24 "Que peut-on répondre face à une telle douleur ?
11:27 "La justice doit-elle renoncer au droit,
11:29 "qui vaut aussi pour Salah al-Desslam,
11:32 "au nom de la douleur des familles ?
11:34 "Et est-ce que ce n'est pas prendre le risque
11:36 "d'une justice d'exception, précisément ?"
11:39 Est-ce que vous avez bataillé
11:41 pour que Salah al-Desslam ne soit pas sous surveillance vidéo
11:45 24 heures sur 24 et vous avez reçu ce mail ?
11:48 -Voilà. À l'époque, des procédures étaient engagées
11:51 parce qu'il faisait l'objet d'un traitement d'exception.
11:54 Il était le seul, et a toujours été le seul,
11:56 à être surveillé 24 heures sur 24 dans sa cellule.
11:59 Et donc, j'avais...
12:02 Je m'en étais ému et je reçois ce mail,
12:04 mais on ne peut rien répondre à ce mail.
12:07 Ce mail est emprunt d'une très grande dignité
12:10 et d'une souffrance éternelle.
12:12 Et j'ai envie de dire, il n'y a même rien à répondre
12:15 à ce papa qui m'envoie ce mail,
12:19 que je découvre un soir, chez moi,
12:21 je suis comme tout le monde.
12:24 Je ne suis pas insensible à la douleur
12:27 des autres et des victimes.
12:30 Il faut que je fasse quoi ?
12:32 Que je renonce à mon métier, à la défense ?
12:35 Non !
12:36 Je le redis avec force et conviction,
12:39 on ne peut pas vivre dans une société telle que la nôtre,
12:43 avec des droits, des obligations,
12:45 des valeurs essentielles qui permettent de le vivre ensemble,
12:49 si n'importe quelle personne qui se trouve
12:52 devant un tribunal, devant une cour d'assises,
12:54 même pour le pire des crimes,
12:56 sans l'assistance d'un avocat,
12:58 c'est pas possible.
12:59 C'est la garantie de la démocratie.
13:03 Les droits de l'homme ont été constitués
13:05 justement pour ça, non pas pour faire échapper à des peines,
13:09 non pas pour qu'on puisse échapper à une culpabilité.
13:12 Ils ont été construits, les droits de l'homme existent
13:15 dans nos tribunaux, nos enceintes judiciaires,
13:17 avec des avocats, des magistrats qui jugent,
13:20 pour qu'on puisse vivre ensemble.
13:22 C'est ce que j'avais vu de dire, mais j'ai pas pu répondre à cet homme.
13:26 Je sais pas s'il m'aurait entendu ou écouté.
13:28 Comme tous ceux qui nous disent
13:30 "mais comment vous faites pour défendre des criminels,
13:33 "pour aller tous les jours en audience de cour d'assises ?"
13:36 Parce que je fais ce métier, que je respecte,
13:39 mais parce que je respecte avant tout l'institution judiciaire.
13:42 Si on ne respecte pas l'institution judiciaire
13:45 et ses rouages et ses principes,
13:47 nous sommes en dictature, il n'y a plus de démocratie,
13:50 de république, ce que constitue finalement
13:52 ce que j'appelle le vivre ensemble.
13:55 -Alors, vous êtes devenu l'un des avocats pénalistes
13:58 les plus connus en France, vous appartenez à ce club très fermé,
14:02 des meilleurs pénalistes français,
14:04 mais on peut le dire, rien, absolument rien,
14:07 ne vous prédestinait à ce métier.
14:09 Vous avez été successivement ouvrier à la chaîne,
14:12 serveur, livreur de pizzas,
14:14 prof de gestion, DJ en Belgique,
14:16 fête à rassumer, avant de décrocher le barreau à 27 ans.
14:20 Comment le droit vous a percuté, si j'ose dire ?
14:24 -Le droit m'a peut-être remis dans le droit chemin, déjà.
14:27 C'est une première chose, mais...
14:29 -Est-ce que c'est une posture ? Vous dites que si vous n'aviez pas
14:33 été avocat, vous seriez devenu bandit.
14:35 -Ah, j'aurais pu.
14:37 J'aurais pu mal tourner. -C'est une posture, oui.
14:40 Je suis persuadé que dans la vie, il faut des concours de circonstances,
14:44 un peu de chance pour se remettre dans le droit chemin.
14:47 La fac de droit, pour moi, était, à un moment donné...
14:50 J'ai toujours voulu être attiré par ce métier,
14:52 même très jeune, mais mon père ne voulait pas
14:55 que je fasse d'études de droit, il préférait du commerce.
14:58 J'y suis essayé, ça n'a jamais marché,
15:00 donc j'ai réintégré la fac de droit.
15:02 Mais en réalité, j'ai appris en fac de droit...
15:06 Ca me passionnait.
15:08 Et puis après, je me suis passionné pour ce métier,
15:11 que j'ai toujours voulu exercer. J'ai raté une première fois
15:14 l'examen d'entrée, puis une seconde fois, j'ai persévéré.
15:17 Je suis persuadé qu'il faut toujours un peu de chance
15:20 pour y arriver, et je mesure tous les jours la chance
15:23 et le bonheur de faire ce métier, même s'il est fatigant,
15:27 même s'il a rassemble, même si psychologiquement,
15:29 c'est pas simple, parce que vous côtoyez un monde
15:32 qui est parfois parallèle, dans lequel il faut s'extirper
15:36 pour revenir dans le vrai monde.
15:38 -Vous avez écrit "Trois ans de votre vie"
15:40 à la journaliste Elsa Vigoreux, et ça donne ça,
15:43 le journal de Franck Berton.
15:44 Qu'est-ce que ça fait de se voir coincé pour l'éternité
15:48 dans les pages d'un livre ?
15:49 -Je voulais pas du tout de ça. -Oui, je sais.
15:52 -J'avais refusé ça. J'ai dit, non, c'est pas une bonne idée.
15:55 Et puis, voilà, elle a insisté,
15:57 et je pensais jamais que ça durerait trois ans.
16:00 Je pensais pas qu'elle pourrait, pendant trois ans...
16:03 -Elle vous a collé au mocassin pendant trois ans,
16:06 d'ailleurs, de mai 2015 à juillet 2018,
16:08 et suivit toutes les affaires en cours,
16:11 les visites à Salah Abdeslam,
16:12 notre plaidoirie mémorable en faveur de Dominique Cotteret,
16:16 condamnée pour avoir tué huit de ses nouveaux-nés,
16:19 celle en faveur de Fabienne Cabou,
16:21 cette mère infanticide qui a noyé sa fille sur une plage de Berck.
16:24 Quand les magistrats voient en elle des monstres,
16:28 vous, vous y voyez de l'amour ?
16:30 -Non, mais ces femmes...
16:33 Ces femmes sont meurtries
16:36 par le crime qu'elles ont commis.
16:39 Prenons Dominique Cotteret.
16:41 Comment imaginer alors qu'elle a deux enfants,
16:44 qu'elle va tuer huit de ses nouveaux-nés ?
16:47 Mais rien ne prédestine... Elle est assistante de vie.
16:50 Rien ne prédestine cette femme à tuer des enfants.
16:55 Il y a une explication, une raison.
16:57 Et pour la juger, il faut comprendre,
16:59 savoir pourquoi ça existe, ça.
17:01 Sinon, c'est pas la peine.
17:03 Ne faisons pas de procès.
17:05 Il nous reste... On l'a expliqué,
17:07 et elle a été jugée, et bien jugée.
17:10 Elle est sortie de prison.
17:12 -Vous le disiez, vous avez été l'avocat
17:15 de quelques acquittés d'outreau.
17:16 Vous avez été l'avocat du Carleton, de Robert Rue
17:19 et de Florence Cassez, condamnée à 96 ans de prison au Mexique,
17:23 et que vous avez réussi à libérer.
17:25 Qu'est-ce qui dicte vos choix ?
17:26 -Les gens qui viennent me saisir.
17:28 Les gens qui me font confiance.
17:31 Je veux dire, si vous me demandez demain
17:34 de venir vous défendre, je vous défendrai,
17:36 sous quelques réserves, mais qui sont assez minimes.
17:40 Mais sinon, voilà, c'est la confiance
17:43 de mes futurs clients, ou de mes clients,
17:45 qui font que j'accepte de les défendre,
17:48 même parfois jusqu'au bout du monde.
17:50 Un mot sur Florence Cassez.
17:52 Florence, c'était une défense très difficile,
17:54 pendant cinq ans.
17:55 En plus, on se parlait la nuit,
17:57 car avec le décalage horaire, il fallait que j'intervienne
18:00 pour que ça soit le jour.
18:02 C'était compliqué, car c'est dans un pays
18:04 que je ne connais pas, avec un système judiciaire
18:07 que je ne connaissais pas, avec un combat de tous les jours.
18:10 Quand vous êtes condamnée à 96 ans de prison,
18:13 c'est l'éternité.
18:14 On nous avait annoncé, on a gagné en appel,
18:17 parce qu'elle est passée de 96 à 60,
18:19 36 ans de moins, c'était énorme,
18:21 mais c'était encore une fois l'éternité,
18:23 jusqu'à enfin cette décision de la Cour suprême
18:26 qui a fait qu'elle a été libérée.
18:29 Mais je me souviens que quand je partais,
18:31 quand je prenais l'avion en quittant Mexico,
18:34 ce qui est arrivé de nombreuses fois,
18:36 je regardais en bas, elle était sûrement là,
18:38 dans une prison que je n'arrivais pas à distinguer,
18:41 vous avez toujours un sentiment,
18:43 vous êtes comptable de la vie des autres.
18:46 Et dans les procès criminels, c'est pareil,
18:49 je me sens comptable de la vie des gens que je défends.
18:53 Très souvent, je dis "je",
18:55 parce que c'est moi, c'est moi qui compare,
18:57 c'est moi qui me défend, même si je parle pour un autre.
19:01 -Vous avez également défendu David Da Costa,
19:03 meurtrier et bourreau de son fils de 5 ans,
19:06 mort sous ses coups et ses vices.
19:08 Vous saviez que vous ne pourriez pas lui éviter la perpétuité,
19:11 pourtant, vous avez tenu à le défendre. Pourquoi ?
19:14 -Vous savez, c'est souvent le pire des crimes
19:17 qu'on vous met en exergue en disant "mais là,
19:20 "est-ce que c'était nécessaire de le défendre ?
19:22 "Est-ce que là, vous auriez pas pu passer la main ?
19:25 "Est-ce que là, c'était pas à ce point horrible
19:28 "qu'il n'était pas nécessaire de se lever
19:30 "pour un homme qui n'en valait pas la peine ?"
19:33 Si. Moi, je suis convaincu,
19:35 même au détour du pire des crimes,
19:38 de la chose la plus horrible avec des victimes
19:42 qu'on ne peut pas consoler,
19:44 que l'homme derrière vous doit être défendu.
19:47 C'est compliqué de dire "qu'est-ce que ça veut dire,
19:50 "finalement, de défendre un homme ?
19:52 "Est-ce que c'est défendable ?"
19:53 C'est ça que les gens ont du mal à comprendre.
19:56 "Est-ce qu'il est défendable au détour du crime le plus odieux
20:00 "qu'il s'agit d'un père maltraitant ?"
20:02 Vous avez été, vous, un enfant maltraité.
20:04 L'un de vos confrères et amis, Maître de la Rudi,
20:07 "un adulte est un enfant couvert de cicatrices",
20:10 ajoutant "c'est très vrai pour Franck".
20:13 Quel lien y a-t-il entre vous et cet infanticide ?
20:17 Qu'est-ce que vous avez cherché à, finalement, sauver ?
20:21 -Je ne sais pas si... -La figure du père ?
20:26 -Oui, c'est vrai que moi, j'étais un enfant
20:29 fort battu, ou Hubert a raison,
20:31 mais on se construit aussi
20:33 au détour de cicatrices et de nos malheurs.
20:36 C'est pas là pour tout un chacun. -A travers cette affaire,
20:39 est-ce que vous avez pas cherché à défendre
20:41 la part d'humanité de votre père ? -Si.
20:44 Si, parce que, encore une fois,
20:46 on peut dire que mon père n'avait pas d'excuses.
20:48 Il n'y a pas de raison de frapper ces deux enfants,
20:51 ces trois enfants. C'est pas...
20:53 Bon, mais, encore une fois, je suis très attaché à ça.
20:57 Il y a toujours une explication,
20:59 un comportement déviant,
21:01 qui va même jusqu'au crime et au pire des crimes.
21:04 Et c'est vrai que je suis assez attiré
21:06 dans cette recherche d'explication ou de défense,
21:09 alors que c'est parfois pas défendable.
21:12 Mais c'est la noblesse aussi du métier d'avocat.
21:15 Vous savez, on se demande pas toujours aussi
21:17 pourquoi faire ça ou pourquoi ou que dire.
21:19 Non, non, on le fait.
21:21 On le fait parce que c'est notre serment.
21:23 -Vous dites une chose intéressante,
21:25 quand on plaide pour quelqu'un, on plaide aussi pour soi.
21:28 -Oui, je crois que quand on plaide pour les autres,
21:31 on plaide aussi pour soi.
21:33 Vous savez, on dit souvent que les avocats
21:35 sont aussi un peu mégalos.
21:37 Moi, je le crois.
21:38 Je crois qu'on peut pas se lever dans une enceinte judiciaire
21:41 avec des gens qu'on connaît pas qui vont vous juger,
21:44 avec des gens derrière qui vous regardent,
21:47 si on n'est pas un peu mégalos,
21:48 mais aussi on va chercher au plus profond de soi-même
21:51 ces souffrances, si on raconte ces souffrances.
21:54 Ça peut servir de thérapie,
21:56 mais quelque part, on a des choses à dire,
21:58 on a des choses à raconter.
22:00 Et je crois que vous ne les racontez pas
22:02 aussi bien que finalement quand vous les avez vécues.
22:05 Et alors, je dis pas que j'ai vécu tout ce que mes clients
22:08 ont pu faire, mais avec l'expérience,
22:11 avec le temps, j'ai des réponses à beaucoup de questions
22:14 que d'autres peuvent se poser.
22:16 Et je peux tenter de donner des explications
22:19 qui rassurent... Vous savez, les jurés d'une cour d'assises,
22:22 que ce soit des magistrats ou des jurys populaires,
22:25 la cohésion de ces hommes et de ces femmes
22:27 faut qu'on rend une bonne décision,
22:29 une bonne justice, quand on a le sentiment
22:32 de ne pas s'être trompé.
22:33 Nous, on est là aussi pour éviter qu'on se trompe
22:37 et qu'on condamne, par exemple, des gens qui sont innocents
22:41 ou qu'on condamne mal des coupables
22:44 ou qu'on décide de leur infliger des peines
22:46 qui sont des peines d'élimination,
22:49 alors qu'on pourrait peut-être faire autrement.
22:51 Je crois qu'on est plus dans un souci d'être un guide
22:55 pour que l'institution judiciaire fonctionne.
22:58 -Plaider, c'est rendre avant tout sa part d'humanité
23:01 à celui qu'il a perdu.
23:03 C'est finalement montrer ce que personne n'a vu,
23:06 éclairer les angles morts, expliquer l'inexplicable ?
23:09 -Oui, plaider et défendre, c'est un tout.
23:14 C'est à la fois dire des choses
23:16 qui n'ont jamais été dites jusqu'à présent,
23:19 même s'il y a eu une instruction
23:21 qui a été fouillée, approfondie,
23:23 mais c'est révéler des choses qui n'ont pas été dites.
23:26 C'est parfois reconnaître une culpabilité en audience
23:29 qui n'avait toujours été contestée.
23:32 C'est démontrer une innocence à l'audience
23:34 qui avait été pourtant contestée, battue en brèche
23:37 avec un avocat général qui refuse de l'admettre
23:40 mais qui, à un moment donné, face à ses certitudes,
23:43 se dit "bon, j'abandonne l'accusation".
23:46 C'est tout ça, plaider et défendre.
23:48 C'est à la fois montrer l'homme
23:50 dans sa personnalité, montrer l'homme
23:52 dans le crime qu'il a pu commettre ou qu'il n'a pas commis.
23:55 Et c'est...
23:57 C'est tout montrer.
23:59 Il faut rien cacher.
24:00 Vous savez, la justice a horreur du mensonge, par exemple.
24:05 Elle a horreur aussi des excuses.
24:07 Elle a horreur, finalement, de l'erreur.
24:10 Donc il faut tout dire.
24:12 Je crois, et je suis partisan de ça,
24:14 qu'à l'audience, il ne faut rien cacher.
24:16 -Vous vous donnez jusqu'à l'épuisement,
24:19 à tel point que vous avez failli mourir au lendemain d'une audience.
24:22 C'est votre côté James Dean, cette fureur de plaider ?
24:25 -Je fais attention.
24:27 Je me protège, je fais attention, je...
24:30 Vous savez, la cour d'assises, quand vous y êtes,
24:33 ça peut durer deux semaines, trois,
24:35 les gens ne se rendent pas compte de ça.
24:37 Un procès, c'est jamais ou c'est rarement une journée ou deux.
24:41 C'est harassant, c'est long, ça démarre tôt le matin,
24:44 ça finit tard le soir.
24:45 Donc soit vous y êtes et puis vous vous donnez,
24:48 soit vous prenez du recul et vous faites autre chose.
24:51 Un jour, je partirai à la campagne,
24:53 j'abandonnerai les prétoires et les salles d'audience
24:57 et puis j'irai me reposer à la campagne.
25:01 Pas encore maintenant, j'attends un peu.
25:03 -Comme Dupond-Moretti, vous venez du barreau lillois.
25:06 Comme lui, vous n'êtes pas né avec une cuillère d'argent
25:09 dans la bouche, comme lui, vous êtes connu
25:12 pour vos plaidoiries et vos incidents d'audience,
25:14 comme lui, vous avez été victime d'un coup monté,
25:17 vous avez été blanchi. Est-ce que, comme lui,
25:20 vous aimeriez devenir garde des Sceaux ?
25:22 -Alors, comme lui l'a dit à d'autres,
25:24 en son temps et à son époque, non, jamais.
25:27 Mais moi, c'est non, jamais. Jamais,
25:29 je pense que je ne pourrais faire ce métier.
25:32 -Pourquoi ? -Parce qu'il l'a dit lui-même,
25:34 il faut avaler des coups l'oeuvre, il faut...
25:37 Voilà, moi, je peux pas, je pourrais pas faire ça.
25:40 Je crois que la politique et le barreau,
25:42 ça fait pas bon ménage. La preuve, il est fortement critiqué,
25:46 alors que c'était un avocat... Oui, c'était,
25:48 parce qu'il l'est plus, mais c'était un avocat de talent.
25:52 J'ai toujours dit que c'était le plus grand avocat
25:54 de cour d'assises que j'ai entendu plaider.
25:57 Mais pas garde des Sceaux. Et ça m'arrive de le critiquer,
26:00 parce que ce qu'il peut mettre en place,
26:02 je ne partage pas du tout sa vision de la justice,
26:05 en tout cas, ce qu'il est en train d'en faire,
26:08 mais je respecte énormément l'homme et le camarade
26:11 qu'il a été. C'est vrai qu'on vient,
26:13 tous les deux de Lille, on a vécu 25 ans
26:15 ensemble dans les tribunaux et dans les prétoires,
26:18 et non, je crois qu'il faut pas être ministre de la justice,
26:23 en tout cas, moi, je vous le dis,
26:25 vous pourrez repasser l'extrait, parce que ça n'arrivera pas,
26:28 mais jamais je ne serai garde des Sceaux.
26:31 De toute façon, on me le proposera pas.
26:33 -Merci, Franck Berton. -Merci, Daphné Rouillet.
26:36 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:38 ...

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