Avec Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités, président de l’iReMMO - Institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient.
On décrypte le monde, tous les samedi matin à 8h16.
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##ON_DECRYPTE_LE_MONDE-2023-10-21##
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00:00 Sur Sud Radio, on décrypte le monde.
00:02 Parce qu'on en parlait avec notre invité précédent, évidemment, le contexte international est particulièrement anxiogène.
00:09 On accueille notre invité, Jean-Paul Chagnolo. Bonjour à vous.
00:12 Bonjour.
00:13 Soyez le bienvenu sur Sud Radio, professeur émérite des universités, président de l'IREMO, l'Institut de recherche des études méditerranéens,
00:21 Moyen-Orient. L'info de la nuit qui nous est parvenue, qui est une bonne nouvelle, c'est la libération de deux otages américaines par le Hamas
00:29 grâce à une médiation manifestement du Qatar. Ça m'amène à cette première question.
00:33 Quel est le rôle et l'influence du Qatar sur ce conflit entre Israël et le Hamas ?
00:40 Écoutez, le Qatar, depuis très longtemps, est assez proche des frères musulmans de manière générale,
00:49 et donc du Hamas, qui vient, comme vous le savez, des frères musulmans.
00:54 Et très concrètement, il a à plusieurs reprises pris des initiatives importantes,
01:01 et notamment c'est le Qatar qui, au fond, envoie des dizaines de millions de dollars chaque mois à Gaza et au Hamas,
01:14 avec l'accord d'Israël. L'idée pour Israël, depuis maintenant plusieurs années,
01:20 c'est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de catastrophe humanitaire dans un espace qui est extraordinairement pauvre
01:27 et qui est étouffé à tous égards. Et donc il fallait un minimum de soupape, de respiration.
01:34 Et donc, par conséquent, c'est avec l'accord d'Israël que le Qatar déversait cet argent.
01:41 Et bien entendu, ça signifie qu'il y a des relations très privilégiées avec le Hamas,
01:44 et que par conséquent, dans la situation terrible dans laquelle nous sommes, c'est un canal, un médiateur absolument privilégié.
01:51 C'est probablement le plus proche à tous égards du Hamas, et c'est celui qui est le plus efficace, la preuve avec ce qui vient de se passer.
01:59 - Alors, ça c'est aussi pour le bon côté des choses, mais c'est important d'en parler aussi pour tous ceux qui nous écoutent,
02:03 qui peuvent être surpris, puisque lorsque le Hamas a déclenché son attaque en Israël, le 7 octobre,
02:08 plus de 1000 victimes, évidemment côté israélien, et notamment 30 Français qui ont été tués.
02:12 Ce qui fait de ce massacre l'attentat le plus sanglant pour la France depuis le massacre de la promenade des Anglais à Nice,
02:18 c'est pas anodin, et malgré tout, les relations entre la France et le Qatar n'en ont jamais pâti.
02:23 - Alors, vous savez, nous sommes dans l'aréal politique. Nous sommes d'abord, en ce qui concerne le Qatar, dans des relations très privilégiées.
02:32 Il y a des intérêts financiers très importants, chacun connaît la puissance militaire,
02:36 la puissance financière, pardon, c'est un beau lapsus, financière du Qatar. Il ne faut pas oublier que le Qatar, c'est un tout petit pays.
02:43 En termes de population, c'est de l'ordre de moins d'un million d'habitants, sans compter les étrangers, évidemment,
02:49 mais en termes d'autochtones, c'est vraiment tout petit, sauf qu'ils sont assis sur des réserves de gaz considérables,
02:56 et ils sont une puissance financière depuis une bonne trentaine d'années maintenant, et ils savent l'utiliser.
03:01 Donc, la France, comme tous les autres grands pays, joue l'aréal politique.
03:06 Et c'est utile, puisque dans des situations comme celles-là, ça permet aussi d'avoir des canaux de médiation très importants.
03:13 - Donc, le Qatar est proche du Hamas, en tout cas idéologiquement, même s'il continue à discuter avec Israël, c'est un canal de discussion important.
03:21 Parlons maintenant du reste du monde. Je posais la question il y a quelques minutes.
03:25 Lorsqu'on lit la presse internationale, c'est la première impression qu'on peut avoir.
03:29 Est-ce qu'il est vrai que tous les Occidentaux, ou presque, sont plutôt favorables à Israël,
03:33 et que tout le reste du monde est plutôt favorable à la Palestine ?
03:36 - Écoutez, répondre à cette question en 30 secondes, c'est beaucoup, mais c'est plus compliqué que ça.
03:42 Il y a une vraie dialectique dans cette affaire.
03:44 Je pense que les Européens, effectivement, sont pros d'Israël.
03:48 Je ne dirais pas qu'ils sont pros d'Israël, parce que c'est l'inverse.
03:50 C'est Israël qui fait partie de l'Occident, c'est très clair.
03:53 La formation historique d'Israël, ça vient d'où ? Ça vient de l'Europe.
03:57 Donc les liens ont toujours été extraordinairement...
03:59 Ce ne sont même pas des liens, c'est un rapport qui est consubstantiel de l'Europe à tous les égards.
04:04 - C'est un pays occidental, et plus qu'oriental ?
04:07 - Bien sûr, c'est un pays oriental à certains égards, bien entendu.
04:10 Il y a des Juifs séfarades, mais fondamentalement, dans sa création, dans ses relations,
04:15 on peut le considérer comme une part de l'Occident, et c'est bien ça.
04:18 En plus, évidemment, il y a le lien terrible, le poids terrible, notamment en Allemagne, de la Shoah.
04:24 Donc tout ceci fait qu'Israël fait partie de l'Occident, en tout cas de l'Europe, pour être plus précis.
04:30 C'est très clair.
04:31 Et en même temps, ça empêche l'Europe de voir qu'Israël est à la fois une démocratie,
04:36 et aussi une puissance occupante.
04:38 Elle occupe la Cisjordanie, elle occupe Gaza, et c'est un pays qui est en guerre,
04:41 qui occupe et qui veut coloniser et annexer la Cisjordanie depuis très longtemps.
04:46 Donc on est dans cet espèce de contradiction, où finalement, là, Israël a été agressé,
04:52 et aussi, il ne faut jamais oublier qu'Israël est la puissance occupante de la Palestine.
04:56 Donc on est dans cette contradiction, et dans une affaire aussi terrible,
04:58 avec des attentats terroristes si horribles, si effroyables,
05:02 évidemment, l'émotion fait qu'on ne voit qu'un aspect des choses, et c'est normal.
05:07 Et en un mot, le reste du monde, en revanche, la voit cette contradiction.
05:10 Ce qu'on appelle maintenant, on appelait ça autrefois le Tiers-Monde,
05:13 aujourd'hui on appelle ça le Sud Global, il est bien évident qu'on a un regard complètement différent,
05:18 et pour le coup, on voit d'abord les Palestiniens, et on voit d'abord Israël,
05:21 comme puissance occupante, puisque je prenais ce terme tout à l'heure,
05:23 qui est un terme de droit international qu'on trouve dans les résolutions du Conseil de Sécurité.
05:27 Et c'est assez grave que l'Europe soit si focalisée de cette façon,
05:31 parce que du coup, elle se coupe davantage encore du rapport au Sud Global,
05:35 notamment par rapport à la situation en Ukraine.
05:39 Ce n'est pas par hasard si une bonne partie du Sud Global ne soutient pas,
05:43 ou en tout cas s'abstient de ce qu'on peut faire en soutien à l'Ukraine,
05:48 en réponse à l'agression aux Russes.
05:50 Donc là nous sommes dans des contradictions importantes au niveau global,
05:53 et ça peut avoir des conséquences graves dans les temps qui viennent.
05:55 - Et des conséquences qu'on continuera à analyser, avec vous avec plaisir d'ailleurs.
05:59 Merci beaucoup Jean-Paul Chagnolo, professeur émérite des universités,
06:02 président de l'IREMO, l'Institut de Recherche et d'Études Méditerranéennes et Moyen-Orient.