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Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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Transcription
00:00 face aux nouvelles têtes avec vous Mathilde ce matin dans notre studio une autrice qui
00:04 veut désempoisonner la langue.
00:07 Portrait sonore !
00:08 Si elle était un bruit ce serait les litres de café qu'elle a absorbé ce matin tout
00:13 simplement pour pouvoir nous parler.
00:15 Merci.
00:16 Si elle était un langage ce serait celui des mathématiques.
00:20 Un jour, qu'elle ne trouvait plus de solution à l'existence, elle a mis en équation les
00:24 difficultés de « je ». Sa narratrice a atteint le bonheur.
00:28 Si elle était une chanson ce serait du France Gall parce qu'elle en chante très fort avec
00:43 ses amis dans les karaokés.
00:44 Parce que pour elle, il n'y a que le chant, l'écrit ou l'écriture qui peuvent faire
00:49 parler ses douleurs muettes.
00:51 On est comme un archéologue qui essaye de reconstituer une histoire fabuleuse.
00:56 Si elle avait un refuge ce serait les livres de l'écrivain Georges Pérec qu'on vient
01:00 d'entendre parce qu'il l'accompagne et l'apaise.
01:02 Si elle avait une flamme ce serait celle de la rappeuse Diam's à ses débuts.
01:05 Génération nanan à la 34 ans, enfin nous sommes en l'an 34 de sa vie.
01:18 Pour reprendre l'unité de mesure de son premier roman, « Tu meurs ou tu tues » aux éditions
01:22 Verticales, une prouesse d'inventivité sortie du fameux Master de création littéraire
01:27 de l'Université Paris VIII dont on parlait hier et où elle est entrée dans l'espoir
01:30 je cite « de sortir de sa camisole lexicale ».
01:34 Bonjour Léna Gare, ça va vous reconnaissez ?
01:38 Léna Gare, « Oui, très bien, merci beaucoup, j'ai bien aimé ».
01:41 Longtemps vous avez fait du rewriting, c'est-à-dire que vous travaillez les textes des autres
01:45 pour différentes maisons d'édition.
01:47 Là dans ce portrait, qu'est-ce que vous re-writeriez en bon français ?
01:51 Non, j'ai tout aimé, France Gall, merci beaucoup, je suis contente, je l'ai en tête
01:56 maintenant.
01:57 Vous avez eu envie de chanter ?
01:58 Oui, à fond.
01:59 Alors il y a 6 ans, à 28 ans, vous avez repris les études parce que vous aviez l'impression
02:03 d'avoir un vocabulaire empoisonné.
02:05 C'est quoi cette impression et d'où vient le poison ?
02:08 Alors ça c'est l'impression de la narratrice de ce livre.
02:12 Oui, je voulais travailler sur l'oralité que j'appelle malade, c'est-à-dire tous
02:20 les stigmates de violences qu'on peut entendre dans les manières de parler des gens.
02:23 Donc la violence, le mutisme, je mets là-dedans aussi, la raciocination, tout ce qui fait
02:28 qu'on ne parle pas directement.
02:29 C'est quoi exactement, si vous preniez des exemples, de cette violence dans la langue,
02:35 de cette maladie de la langue ?
02:36 L'agressivité verbale, les insultes, le silence, une manière de ne pas réussir à
02:45 dialoguer avec l'autre en fait.
02:47 Vous avez fait de la linguistique et ce master de création littéraire de Paris 8 qui a
02:51 créé il y a 10 ans sur le modèle anglo-saxon.
02:53 Depuis, de nombreux talents en sont sortis.
02:56 Dupré du livre Inter, Anne Pauly, David Lopez, mais aussi Fatima Das, Lucie Rico,
03:00 Diatty Diallo, Elisa Georgheva, les cosonautes ne font que passer, je vous recommande vraiment
03:04 ce livre.
03:05 Que des voix d'une modernité tranchante et toutes avec quand même l'ambition d'inventer
03:10 une nouvelle langue.
03:11 Vous êtes quand même arrivée avec cette envie ?
03:12 Oui, moi le problème que j'ai eu à l'écriture c'est que j'étais empêchée
03:17 par les mots.
03:18 Parce que justement c'est ça mon problème à moi et le problème de ma narratrice, c'est
03:22 d'être coincée dans un lexique, dans un vocabulaire qui contient un sens pour les
03:27 lecteurs qui n'est pas celui que je veux y mettre.
03:30 Donc j'ai été plutôt obligée d'inventer je dirais.
03:33 Et est-ce que pour vous, au sein de ce master, il y a un certain style Paris 8 qu'on retrouve,
03:37 dans l'oralité notamment ?
03:38 Non, je ne pense pas du tout.
03:40 En revanche, on est très poussé dans notre liberté.
03:44 Donc je crois que tous en revanche on essaie de créer quelque chose de neuf.
03:49 Mais il n'y a pas du tout de marque.
03:53 Ce n'est pas ce que je ressens.
03:54 C'est bien en tout cas de le dire.
03:55 Vous dites que ceux et celles qui sont là viennent parce qu'ils n'ont pas le choix
03:59 parfois.
04:00 Il faut qu'ils écrivent ou qu'elles écrivent.
04:02 Mais ce n'est pas nécessairement pour devenir écrivain qu'on franchit cette porte-là.
04:06 Non, après je ne veux pas parler pour mes amis mais dans ma classe on était 18 et
04:10 clairement c'est à peu près 50/50 des personnes qui ont toujours écrit, qui ont
04:14 toujours rêvé de faire ça et d'autres qui étaient plutôt dans un passe de vie.
04:19 Ce premier roman, c'est le cas, il arrive dans un passe de vie.
04:22 C'est un monologue chapitré très court, comme des chansons sur un album.
04:26 Ça aurait pu être une forme pour vous, la libération, par la musique ?
04:30 Oui, je pense que c'est mon prochain projet d'ailleurs.
04:32 D'écrire des chansons.
04:33 D'ailleurs peut-être avec l'énergie de James qu'on entendait tout à l'heure ?
04:37 Alors, je n'ai pas du tout son flow malheureusement mais oui, j'admire plus que tout son sens de la formule.
04:44 Ce sera un roman donc, finalement pour cette première entrée dans une nouvelle langue,
04:49 les nagars en y suent la narratrice et cette tumeur muette, cette monstre comme elle l'appelle,
04:55 qui la bouffe depuis son enfance toxique, elle l'invente une langue.
04:58 Le père c'est Swayze, la mère c'est Novachok, la maison c'est la prison, les humains du dehors c'est des spartiates.
05:05 Comment vous l'avez construite cette langue ?
05:08 Je n'ai pas eu l'impression de la construire, c'est plutôt que comme ma narratrice est enfermée
05:13 dans cette impossibilité de parler directement, elle crée des groupes de personnes dans sa tête.
05:19 Il y a ceux de la prison, donc son foyer, sa famille, et puis il y a ceux du dehors
05:23 et qui parlent tous d'une manière semblable, identifiable.
05:28 Et donc elle fait des groupes de gens qui parlent un type de langue.
05:32 Et au fur et à mesure du livre, elle évolue dans de nouveaux univers qui l'aident à affiner sa quête.
05:39 À affiner sa quête et aussi à se rendre compte de ce qu'elle porte dans sa langue et dans sa vie de ce poison.
05:46 Du coup là arrive une autre dimension stylistique ou formelle, vous allez convoquer les mathématiques.
05:51 Donc votre narratrice, cette monstre qu'elle a en elle, c'est l'inconnu d'une équation qui l'empêche de vivre et d'aimer.
05:59 Et là dans le roman, vous vous mettez vraiment à faire des maths avec un nouveau coefficient,
06:02 comme K, le coefficient de vitalité, la fonction de bonheur réel.
06:07 Pourquoi les maths ? Racontez-nous une de ces équations peut-être.
06:11 - Moi les maths c'est une discipline qui m'apaise énormément parce qu'il y a une seule réponse vraie par question,
06:17 contrairement au langage qui est vertigineux.
06:20 Et donc si on pouvait tous parler en maths, je pense que ça irait beaucoup mieux.
06:23 Et donc cette narratrice qui n'arrive pas à se débrouiller avec ce gros problème quotidien qu'il y a de parler et d'être avec autrui,
06:32 va trouver refuge dans le fait de faire des équations, de problématiser sa quête,
06:37 qui est celle d'un mot qui nommerait son mal-être et qu'elle ne connaît pas.
06:41 Et pour essayer justement de trouver la réponse à sa quête.
06:48 - Le mal-être c'est cette mère toxique, on peut en parler, Nova Choc ? C'est aussi la vôtre, les nagars ?
06:54 - Je pense que c'est libre interprétation, je ne sais pas, son mal-être c'est de ne pas réussir à trouver quelqu'un avec qui parler.
07:02 - Alors vous parlez à quelqu'un dans ce livre, à nous notamment, et vous avez sujet libre, les nagars.
07:07 Pour conclure cette rencontre, vous nous avez emmenés dans vos carnets.
07:11 [Musique]
07:19 Paris, rue Saint-Martin, 7 juin 2023, 19h.
07:24 Gabrielle est une sale petite garce qui a bloqué le portail de sa mère exprès pour attirer l'attention de tous les gens qui boivent tranquillement l'apéro en terrasse, comme mes amis et moi.
07:33 "T'as réussi Gabrielle", hurle la mère. "Tout le monde me regarde comme une dépravée maintenant, ferme ta gueule putain, va me chercher un verre de blanc et magne-toi le cul, connasse !"
07:40 [Musique]
07:42 Gabrielle court chercher un verre au bar, caresse l'épaule de sa mère, lui sourit dans sa jolie robe bleue, la couvre d'un regard doux et protecteur.
07:51 Sa mère n'a pourtant pas à s'inquiéter de nous, la terrasse est pétrifiée.
07:56 Quand plusieurs verres et des rafales d'insultes plus tard, quelqu'un ose enfin intervenir, Gabrielle s'embrase.
08:02 "De quoi tu te mêles ? Ma maman est trop gentille, elle est juste fatiguée, laisse-la tranquille, elle t'a rien fait. N'appelle pas la police, je t'en supplie."
08:09 [Musique]
08:11 Un français sur quatre déclare avoir été victime de maltraitances graves au cours de son enfance.
08:16 [Musique]
08:18 En l'absence de prise en charge, Gabrielle adulte sera jusqu'à 15 fois plus exposée qu'un enfant issu de foyers non violents,
08:24 au risque de dépression, anxiété, troubles somatiques et alimentaires, toxicomanie, addiction, agressivité, inhibition, pathologie cardiovasculaire, cancer, suicide.
08:33 [Musique]
08:35 - Lila Gare, merci et merci pour tous les autres. "Tu meurs ou tu tues" votre premier roman par UG Vertical. Bonne route.