Anne Fulda reçoit Yann Queffélec pour son livre «Suite armoricaine» dans #HDLivres
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00:00 - Bonjour Yann Kefelec. - Bonjour Anne Fulda.
00:02 - On n'a pas besoin de vous présenter.
00:04 Vous êtes un auteur renommé et vous venez de publier un livre qui s'appelle "Suite à Hormoréken"
00:09 et qui est originalité signée par vous-même et par Henri Kefelec.
00:13 Henri Kefelec qui est votre père.
00:15 Alors en fait c'est la réunion de deux textes sur la Bretagne.
00:19 Comment est née cette idée de superposer ce texte et celui de votre père qui est disparu en 92 ?
00:26 - La lucidité d'un éditeur qui s'appelle Jean Legal qui est à la tête des éditions du Cherchemilly
00:31 qui a retrouvé dans un tiroir de la postérité les mémoires de mon père qui aurait pu sommeiller encore longtemps dans ces tiroirs de la postérité
00:37 et qui lisant ces mémoires a constaté la jeunesse de ce texte, l'exactitude évidemment de sa vision de la Bretagne,
00:45 d'une Bretagne qui n'existe plus mais qui est à la fois dans sa tradition et dans une modernité qui renaît après la première guerre mondiale.
00:52 Il a souhaité montrer cette vision de la Bretagne qu'il y a celle de mon père et montrer celle du fils qui est la mienne 40 ans plus tard.
01:00 - Alors c'est aussi l'occasion de revisiter un peu vos relations avec votre père.
01:06 Vous écrivez joliment "il avait les yeux bleus, pas moi, cet océan nous a séparés, il était né à Brest, pas moi, encore un océan".
01:15 N'ont pas toujours été faciles les relations avec ce père à la stature écrasante il faut bien dire ?
01:21 - Pas simplement pour des raisons d'yeux bleus et de naissance, encore que j'en voyais un tout petit peu à mes parents.
01:26 On voit ma mère sur une photo en centre de moi à la fin du mois d'août 49 embarquant sur le bateau Roi Gradillon pour aller à l'île d'Ouessant.
01:32 Quelques jours plus tard je nais à Paris au mois de septembre.
01:36 Donc là je ne comprends pas, j'étais physiquement présent à Brest avant de naître à Paris.
01:41 Alors non, les relations avec mon père, écoutez, c'est un homme que j'ai admiré, que j'ai aimé,
01:46 qui était le meilleur des amis pour ses amis, le meilleur des écrivains pour les amateurs de livres.
01:51 J'admire son œuvre qui est un peu en sommeil aujourd'hui et j'admirais sa manière d'écrire
01:56 et d'écrire la langue française comme s'il la respirait, c'est étonnant.
02:00 D'ailleurs il n'y a aucune rature sur ses manuscrits, c'est un homme comme ça,
02:04 dont la pensée se retrouve immédiatement sur la feuille sans arrière-pensée justement.
02:09 Mais voilà, il avait un petit défaut qui peut être accablant pour un fils cadet,
02:13 il n'avait aucune affection pour l'enfant que j'étais.
02:16 - C'est ça oui, parce que vous écrivez comme ça assez crûment.
02:19 Alors il y avait quand même, vous n'étiez pas impressionné par cet homme qui parlait le grec,
02:25 le latin, qui était normalien, qui racontait les choses, qui était tétanisé en fait.
02:30 - Mais en fait je pense que dans mes premières années de vie,
02:33 j'aimais encore plus mon père que je n'aimais ma mère physiquement.
02:36 Lorsque mon père passait, je le trouvais beau, je le trouvais majestueux,
02:40 j'aimais le son de sa voix, j'aimais son odeur, j'essayais d'attirer son attention,
02:44 mais je ne l'intéressais absolument pas.
02:46 Et c'est la raison je pense pour laquelle je suis devenu un vilain petit canard,
02:49 parce que c'était le seul moyen pour moi de le voir s'intéresser à moi,
02:53 mais pas pour de très bonnes raisons.
02:54 - Alors cela dit, il y a eu une époque où vous avez écrit tous les deux,
02:58 vous avez été d'une certaine façon dans une forme de rivalité ?
03:02 - Moi je n'ai jamais été en rivalité avec mon père,
03:04 moi jamais je n'ai considéré mon père comme un rival.
03:06 - Non mais deux écrivains dans une famille.
03:08 - Non mais j'ai eu le prix Goncourt et ça a été la grande erreur,
03:11 j'étais désespéré quand j'ai eu le prix Goncourt,
03:13 parce que j'ai pensé qu'il allait falloir l'annoncer à mon père,
03:15 et j'étais certain que ça allait relancer son hostilité à mon égard.
03:19 Je lui ai téléphoné, mais franchement, presque en m'excusant d'avoir obtenu le prix Goncourt.
03:24 Et d'ailleurs j'avais tout à fait raison, car il l'a très mal pris,
03:28 et ça a creusé davantage la séparation entre lui et moi pendant un certain nombre d'années.
03:34 Mais bon, c'est comme ça, j'ai découvert qu'un père pouvait être aussi un écrivain rival de son fils.
03:40 - Oui, mais alors, avec les années là, vous avez la Bretagne quand même en commun,
03:46 même si c'est beaucoup de choses, l'enfance.
03:49 Qu'est-ce qui vous a appris finalement ?
03:51 - Mon père ? - Votre père.
03:52 - Moi j'ai été élevé à l'université de mon père, c'est-à-dire que j'ai tout appris de lui.
03:55 C'était un homme comme ça, le savoir coulait de source chez lui,
03:58 c'était un homme d'une extraordinaire simplicité,
04:01 il n'était jamais pédant, il n'était jamais didactique,
04:04 mais malgré tout, il connaissait parfaitement l'histoire de France,
04:08 son français était clair, simple, teinté d'une nuance d'humour toujours,
04:12 donc je suis certain que j'ai lui volé cet espèce de ton de voix
04:16 qui permet d'aborder tous les sujets avec un tout petit sourire,
04:20 dans l'écriture et dans la parole.
04:22 Je lui ai tout pris à mon père, tout volé à mon père, et je m'en réjouis aujourd'hui.
04:25 - Et ce n'était pas qu'un intellectuel, parce qu'il chantait, il jouait du piano,
04:29 il aimait la pêche, il aimait la mer.
04:31 - Julien Gracq l'avait surnommé l'intellectuel de plein vent.
04:36 Je trouve ça magnifique, ça lui allait tout à fait.
04:39 Il jouait du piano, magnifiquement, il improvisait au piano,
04:42 lorsqu'il se mettait à improviser, on avait l'impression que Brahms habitait à la maison.
04:45 S'il sentait que l'un des siens l'écoutait, il arrêtait immédiatement de jouer,
04:49 car c'était l'humilité faite homme, mystérieusement c'était aussi l'orgueil fait homme,
04:54 mais ça va très bien d'ensemble.
04:56 Il allait à la pêche à la crevette, il marchait, il n'avait pas de voiture,
04:59 j'en ai pas non plus, et je n'ai pas le permis de conduire, mon père non plus.
05:02 Donc je suis à la fois, j'ai cherché à l'imiter, ou en tout cas je lui ressemble,
05:07 un peu à mon corps défendant.
05:09 - En tout cas vraiment je vous conseille ce livre, d'abord c'est très bien écrit,
05:13 il faut le dire, il y a des livres qui sont...
05:15 C'est une écriture magnifique, sensible, c'est à lire, ça s'appelle "Suite armo-héken",
05:20 c'est publié au Cherche Midi, merci Yann Kefelec.
05:22 - Merci Anne Fulda.
05:24 [Musique]
05:27 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]