Béatrice Brugère et Arnaud de Saint-Rémy sont les invités de ce mardi. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mardi-06-mai-2025-6614992
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00:00Débat ce matin sur la justice des mineurs.
00:03Gabriel Attal porte une proposition de loi entendant la réformer.
00:07Une commission mixte paritaire va plancher sur le sujet.
00:11Sur la table, la mise en place d'une procédure de comparution immédiate
00:16pour les mineurs déjà connus de la justice, âgés d'au moins 15 ans
00:20et qui consente à être jugés de cette manière-là.
00:25Également en discussion, la possible suppression de l'excuse de minorité.
00:29Je m'arrête là pour ajouter que cette proposition de loi
00:33a conduit les avocats à manifester et à de vives protestations
00:37chez les professionnels de l'enfance.
00:40Un mineur est-il injusticiable comme un autre ?
00:44On va en débattre avec Béatrice Brugère.
00:46Bonjour.
00:47Vous êtes magistrate et secrétaire générale du syndicat Unité Magistrat.
00:53Arnaud de Saint-Rémy, bonjour.
00:55Bonjour Nicolas.
00:55Bonjour maître, avocat spécialiste du droit des enfants.
00:59responsable de la commission droit des enfants au Conseil national des barreaux.
01:05Bienvenue à vous, bienvenue dans ce studio.
01:08Et commençons par cette phrase qu'on entend beaucoup dans le débat public.
01:13Dès qu'un drame touche ou implique un mineur,
01:17les jeunes de 2025 ne sont pas les jeunes de 1945.
01:21sous-entendu, l'ordonnance de 1945 qui régit la justice des mineurs n'a plus cours aujourd'hui
01:29dans un monde devenu autrement plus violent.
01:33Qu'en pensez-vous Béatrice Brugère ?
01:35Bonjour, merci encore de votre invitation.
01:37Je vous en prie.
01:38C'est une tautologie que les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes que de 1945.
01:43Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Vous avez raison.
01:44C'est quoi le sous-entendu dessous ?
01:46Ce qui est sûr, c'est que l'écosystème ou l'environnement dans lequel ils évoluent est très différent.
01:51Ça, c'est une évidence.
01:53Ne serait-ce que tout ce qui est écran, nouvelles technologies, accès à l'information, etc.
02:00font que même les addictions...
02:03L'écosystème est différent.
02:06Pour autant, une fois qu'on a dit ça, la nature humaine a des constantes
02:10qui font que je pense qu'il faut relativiser le propos.
02:13Et moi, ce qui m'intéresse surtout, c'est de comprendre les nouvelles formes de violence.
02:19Parce qu'il y a des nouvelles formes de violence qui peuvent être, justement, déduites de ce nouvel écosystème.
02:25Ça ne veut pas dire que tous les jeunes sont là-dedans.
02:27Ça veut dire que comment on peut comprendre que certains jeunes...
02:30On parle d'ultra-violence, d'ailleurs.
02:32C'est des termes qu'il faudrait définir parce qu'ils sont toujours un peu stigmatisants.
02:36Mais en fait, ce que ça veut dire, c'est surtout que, et je crois peut-être que d'ailleurs
02:42Maître de Saint-Rémy sera d'accord avec ça, qu'il est difficile aujourd'hui de partir sur des positions
02:47telles que les jeunes sont plus violents qu'hier, ou il y en a beaucoup plus qu'hier, etc.
02:53Pourtant, ça semble être le constat fait.
02:58En fait, ce que nous on constate, et avec humilité...
03:00Derrière cette proposition de loi, il y a une évolution des formes de violence.
03:05C'est exactement ça.
03:06C'est-à-dire que ce n'est pas tant un problème de quantité qu'un problème de changement de nature
03:11de certaines formes de violence.
03:13Et je m'arrête juste là, après, je donne deux exemples.
03:16Par exemple, on peut constater beaucoup plus d'agressions et de violences sexuelles de mineurs sur mineurs.
03:23Là, en tout cas, les chiffres nous montrent que là, il y a quelque chose qui est assez différent.
03:28Beaucoup plus de violences dites gratuites, qu'il faudrait aussi peut-être parfois déterminer,
03:33avec des passages à l'acte qui parfois laissent perplexe sur aussi une forme d'empathie inexistante, etc.
03:40Donc ce qu'on appelle des nouvelles formes, sans doute liées à l'accès à la violence.
03:45Arnaud de Saint-Rémy, 45-2025, les jeunes et la violence des jeunes a-t-elle évolué au point qu'il faille revoir de manière assez substantielle la justice des mineurs ?
04:01Oui, alors c'est un drôle d'anniversaire, 80 ans, l'ordonnance de 1945.
04:05Il faut rappeler que l'ordonnance de 1945, ce n'est pas celle d'aujourd'hui, elle a été réformée 98 fois.
04:12Rendez-vous compte que pour l'année 2011, il y a eu exactement 55 modifications en une seule année.
04:19En réalité, il faut tordre le coup à l'idée reçue que, parce que les jeunes de 1945 ne sont pas les jeunes d'aujourd'hui,
04:28il faudrait modifier cette loi, cette ordonnance qui a déjà été modifiée et qui l'a été au terme d'une concertation pendant 4 années,
04:38qui a donné lieu au code de justice pénale des mineurs de 2021.
04:41Pendant 4 années de concertation, on a réfléchi aux différentes solutions, est-ce qu'il faut de la comparution immédiate, est-ce qu'il faut des courtes peines, etc.
04:50Et finalement, au bout de 4 années de concertation, on a un code qui enfin s'applique avec un dispositif assez innovant qui est ce qu'on appelle la césure.
04:58Et si on ne veut pas faire de césure, c'est l'audience unique, on y reviendra peut-être.
05:01En définitive, le phénomène de délinquance que nous voyons aujourd'hui, ce n'est pas propre à la France.
05:06Tous les pays d'Europe actuellement l'ont, notamment le Danemark, que je prends pour exemple parce qu'au Danemark, sur l'ultra-violence,
05:16ils ont une approche totalement différente de la France.
05:19C'est une approche éducative, alors que la France, là, avec la proposition de loi, est une approche répressive.
05:25Autrement dit, on va enfermer des mineurs pour ne plus les voir.
05:28Et on va les enfermer pendant un mois maximum.
05:31Et ce que je trouve extraordinaire dans cette proposition de loi, c'est qu'on commence par la prison, sans passer par la case éducative.
05:42Car c'est en prison qu'à ce moment-là, on va faire une évaluation psychosociologique.
05:46C'est un peu le monopoli.
05:47Vous savez, vous tombez sur la maïs carte, vous prenez la carte prison, vous allez directement en prison, et ensuite, éventuellement, vous allez pouvoir...
05:52Mais vous reconnaissez tout de même qu'il y a une évolution des formes de violences ?
05:57Alors, Nicolas Demorand, moi, je me finis au travail extraordinaire qui a été fait par le rapporteur de la commission sénatoriale,
06:03Francis Spiner, que vous connaissez, qui est un spécialiste du pénal,
06:08et qui a noté qu'il y a une diminution de 31% de la délinquance chez les mineurs entre 2017 et 2020.
06:13Je parle de la nature.
06:14Et la nature, écoutez bien, les violences aux personnes qui représentent 21% de cette criminalité ou de cette délinquance n'a augmenté que de trois points.
06:24Il n'y a pas un phénomène d'ultra-violence qui a explosé.
06:27C'est une idée reçue.
06:29Et évidemment, les défenseurs de l'idée qui consiste à dire qu'il faut être encore plus répressif vont appuyer sur cette ultra-violence.
06:36Et ce que je trouve extraordinaire aussi au Sénat, c'est qu'il y a quand même une sénatrice qui a dit
06:40qu'effectivement, nos solutions ne seront peut-être pas très constitutionnelles.
06:45Mais peu importe, au moins, on montrera à l'opinion publique que l'on a fait quelque chose.
06:48Mais la snus spinaire a répondu.
06:50Et oui, il a dit que ce n'est pas ça qu'il faut faire.
06:54Vous êtes dans le camp répressif, Béatrice Brugère ?
06:57Non, moi je suis très pragmatique en vrai.
06:59Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit, mais je peux peut-être un peu répondre.
07:07Moi, je veux sortir du schéma éducatif répressif.
07:09Ça ne m'intéresse pas parce qu'en fait, on s'enferme là-dedans et ça ne permet pas d'avancer.
07:14Nous, on constate, et après on peut dire que ça n'existe pas, mais chacun peut dire ce qu'il veut.
07:19Et les trois points, alors je ne sais pas ce que c'est que ces trois points,
07:21mais il y a une évolution d'ultra-violence sur certains mineurs.
07:25Nous, notre enjeu, c'est de comprendre l'origine de cette violence et d'y faire face.
07:29Et ce qui était très intéressant, c'est de dire qu'il y a plusieurs façons d'approcher les choses.
07:35Les pays ont des réponses différentes.
07:37Et nous, notre choix, c'est de donner plus de liberté aux magistrats dans les outils.
07:42Donc, ce n'est pas une question de dire, on va passer du répressif à l'éducatif.
07:45Mais ça existe déjà.
07:46Je termine.
07:47En fait, donner plus d'outils, c'était de faire le constat.
07:50Et Attal l'avait fait quand il était Premier ministre, notamment sur les émeutes de juin.
07:55Sur des mineurs qui ont déjà eu tout, j'allais dire, le rappel éducatif que l'on connaît, la question n'est pas là.
08:03Sur certains mineurs qui, justement, transgressent et sont dans une escalade de violence,
08:08comment on les stoppe à un moment donné pour que ça n'aille pas plus loin ?
08:12Et en fait, la question de la réponse rapide, très proportionnée, parce que très courte, en fait, pour mettre une butée,
08:19c'est-à-dire pour dire stop, là, il faut s'arrêter.
08:21Sinon, vous-même, vous vous mettez aussi en danger en mettant les autres en danger.
08:25Ça, c'est la prison, que je comprenne bien.
08:27Ça peut être 15 jours, un mois ?
08:28Ça peut être des ultra-courtes peines.
08:30Ça peut être, en fait, l'idée, c'est de sortir le mineur d'un environnement délinquant.
08:35Parfois, c'est des phénomènes de bande, d'ailleurs.
08:37Ça peut être aussi des familles totalement déstructurées qui ne posent pas de cadre.
08:42Or, le problème, et ça, on ne peut pas le nier de la justice, que ce soit mineur ou majeur, c'est qu'elle est trop lente.
08:48Or, chez les mineurs, ça a un impact supplémentaire.
08:51Pourquoi ? Parce que son rapport au temps n'est pas du tout le même.
08:54Et donc, un majeur peut élaborer une certaine temporalité dans la réponse.
09:00Un mineur, lui, doit avoir un cadre clair.
09:03Et donc, c'est une façon de protéger.
09:04Je dis simplement que les victimes des mineurs sont quasiment à 100% d'autres mineurs.
09:10Donc, en protégeant le mineur délinquant, vous protégez aussi d'autres victimes.
09:15Et c'est d'ailleurs l'affaire Elias qui a fait couler beaucoup d'encre.
09:20On fait tourner la parole.
09:21Pardon, on ne fait pas une loi de circonstance en fonction des faits divers.
09:27Moi, nous, en tout cas les professionnels du droit, que nous sommes, nous sommes des gens sérieux.
09:32Et nous étudions les lois pour vérifier si elles sont applicables.
09:36Là, la proposition de loi telle qu'elle est conçue, elle est inapplicable.
09:39Pourquoi ? Parce que nous avons déjà, nous constatons déjà, une situation de surpopulation carcérale chez les jeunes.
09:46Savez-vous combien il y a de mineurs détenus en France chaque année ?
09:50Oui.
09:503 000.
09:513 000 par an.
09:52Actuellement, j'ai les chiffres là sous les yeux.
09:54Vous avez 946 mineurs qui sont écroués.
09:57Alors, 946 mineurs, quand je dis 3 000 par an, vous comprenez qu'il y en a qui sortent, il y en a qui rentrent, etc.
10:01Et vous avez des taux de surpopulation carcérale.
10:04Je vous en donne quelques exemples.
10:06En Guadeloupe, le centre pénitentiaire de la baie Mao, 106,7%.
10:11Vous avez en Guyane 104,8%.
10:14Et puis, sur la métropole, Varenne-le-Grand à Dijon, 115,4%.
10:19Nous sommes déjà face à une situation de surpopulation carcérale.
10:24Donc, je viens de dire une chose.
10:27C'est-à-dire que la loi va inciter le juge à prononcer des courtes peines qui ne pourront pas être appliquées
10:34parce que, selon que le centre pénitentiaire est déjà en surpopulation carcérale, il n'y a pas de place.
10:39Alors, vous allez me dire, il y a des centres éducatifs fermés.
10:42Les centres éducatifs fermés, vous savez qu'on en avait 55, on en a 53.
10:47Pourquoi on en a fermé deux ?
10:48Parce qu'ils ne répondaient pas aux normes.
10:49Ils ne répondaient pas notamment aux normes sur les nombres d'heures de cours par semaine.
10:54Vous savez qu'en France, un collégien, c'est 26 heures de cours par semaine.
10:57Dans les centres éducatifs fermés, on est à 5 ou 6 heures par semaine selon les centres éducatifs fermés.
11:03C'est-à-dire qu'on reçoit 5 fois moins d'heures de cours.
11:06Alors que, théoriquement, un centre éducatif fermé, c'est là où on va relever un mineur qui est en conflit avec la loi.
11:12Donc, on va lui donner plus d'éducation.
11:13Alors, le temps presse.
11:14Même question à tous les deux.
11:16Si la proposition de loi est adoptée, est-ce qu'elle marquera une rupture dans l'histoire de la justice des mineurs en France ?
11:24Ou pas du tout ? Non ?
11:25Ah, clairement.
11:26C'est une rupture totale.
11:27Ah, clairement.
11:27C'est-à-dire qu'il y a Arnaud de Saint-Rémy.
11:29La primauté de l'éducatif sur le répressif, c'est la Convention internationale des droits de l'enfant.
11:34Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 29 août 2002, rappelle ce principe reconnu par les lois de la République.
11:40C'est un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
11:42Là, c'est l'inversion.
11:44L'inversion, je vous en donne un exemple très simplement, très rapidement.
11:46C'est ce que vous avez appelé l'excuse de minorité, ce que moi j'appelle la tue nation de peine.
11:51Par principe, on jugera un mineur comme un majeur et par exception comme un mineur.
11:54C'est contraire et ce n'est pas la Constitution.
11:58Donc oui, c'est une rupture de votre point de vue, Béatrice Brugère.
12:01Moi, je pense que si la loi est bien terminée, puisqu'on est en cours d'élaboration, ça peut être une liberté inavancée sur deux points.
12:08Nous, ce qu'on demande, ce n'est absolument pas la diminution de l'atténuation de responsabilité, c'est la motivation de son application.
12:14Donc ça, c'est plutôt un élément positif, d'ailleurs, dont un avocat devrait se réjouir.
12:18C'est qu'un magistrat motive pourquoi il met l'atténuation.
12:20Ce n'est pas du tout de la supprimer, mais c'est une motivation, ce qui est très intéressant d'ailleurs aussi, y compris pour les victimes.
12:27La deuxième chose, nous, ce qu'on demande, ce n'est pas de changer le système, c'est de donner la possibilité pour certains mineurs de juger plus vite.
12:35Et on confond le temps judiciaire et le temps éducatif.
12:38Le temps judiciaire, c'est simplement avoir une réponse rapide pour poser un cadre rapidement.
12:43Après, le temps éducatif prendra le temps qu'il faut, d'ailleurs, c'est vraiment la façon de le dire.
12:48Mais ça ne remet pas en question l'édifice, ça donne plus de liberté aux magistrats pour pouvoir répondre sur certains cas où il n'a pas les outils aujourd'hui.
12:56Voilà, donc rupture radicale de votre côté et des outils nouveaux pour vous.
13:00Qui existaient, qui existaient.
13:01Telle qu'elle est conçue, la comparution immédiate pour mineurs est moins favorable que la comparution immédiate pour majeurs actuellement.
13:06Mais je ne suis pas pour la manière dont elle est conçue aujourd'hui.
13:08Que les mineurs n'exerceront pas, c'est ahurissant. Moi je trouve ça ahurissant.
13:11Quand elle sera bien faite cette loi, elle pourra être intéressante.
13:13On est d'accord, elle n'est pas bien faite.
13:14Je suis d'accord avec vous qu'elle n'est pas complète.
13:19Elle n'est pas complète.
13:20Nous reprendrons la conversation.
13:23Nous reprendrons la conversation quand la loi sera complète.
13:27Merci à tous les deux.
13:28Arnaud Saint-Rémy, Béatrice Brugère, merci d'avoir été à notre micro.
13:33Merci à tous les deux.