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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11À la nuit tombante, le 6 décembre 1928, un jeudi, Alexandre Guibal, chef de la 9e brigade mobile, quitte Marseille pour parcourir en auto les 100 km qui le séparent de Valençol,
00:25où le parquet de Ding lui ordonne de se rendre de toute urgence à la suite de la découverte de cinq cadavres.
00:33Taille moyenne, solide, visage énergique, vêtu d'un par-dessus beige, toute sa vie, Alexandre Guibal sera ému à l'évocation du spectacle effroyable qu'il attend à son arrivée sur les lieux en pleine nuit.
00:45Au bout d'un chemin de terre battue, on imagine une rustique demeure campagnarde, constituée par un assez grand bâtiment, avec des dépendances vétustes et s'élevant en pleine solitude.
00:59C'est la ferme des Courlis, à 4 km de Valençol.
01:04Une vision d'épouvante, éclairée seulement par des phares d'automobile.
01:10La suite de notre dossier, pour être appréciée, en nécessite une sommaire description.
01:14Dès la porte, le commissaire Guibal manque se heurter à un corps étendu sur le plancher.
01:21Replié sur lui-même, les bras, comme dans un geste de défense, cachant une partie du crâne à moitié défoncé,
01:27c'est le cadavre du domestique, Amodric, reconnu par les cultivateurs des environs.
01:33Un peu plus loin, couché sur le dos, la face tuméfiée, mais conservant une expression d'épouvante,
01:41la fermière, Madame Richaud.
01:44Tout à côté, sa tête éclatée comme une grenade trop mûre, le plus jeune fils.
01:50Il n'avait pas encore 4 ans.
01:52L'aîné, disant, était tendu sur le ventre.
01:55Le crâne ouvert également.
01:57Un désordre qui dénote la violence des attaques et des tentatives de défense.
02:00Chaises brisées, dont celles du bébé, hautes et transformables.
02:04Des ustensiles divers éparpillés à terre, de gros cailloux ensanglantés près des cadavres.
02:08Partout du sang, les murs eux-mêmes en sont maculés.
02:10Une horreur !
02:12C'est à peine si le commissaire échange quelques mots avec les gendarmes en quittant ce charnier
02:17pour se rendre derrière le bâtiment sur le fouloir à grains où le père a été découvert.
02:22Une barge soulevée laisse apparaître le corps du fermier, Monsieur Richaud.
02:26La tête couverte de sang montre un énorme trou à la nuque.
02:32Il tient encore dans sa main une lampe tempête.
02:35Un chien grogne.
02:37Apeuré par la présence de tant de monde, il revient auprès du cadavre dès qu'on s'en éloigne,
02:41se refuse aux caresses et semble désirer qu'on le laisse pleurer en paix.
02:47C'est un petit ami du garçonné de la famille de 10 ans qui, ce jeudi,
02:51ayant vainement appelé son camarade et guidé par les hurlements du chien,
02:54a découvert le cadavre du père sous la bâche.
02:58Les premiers médecins venus sur les lieux concluent, après un rapide examen,
03:02que les cinq victimes ont succombé à la suite de coups portés avec des bâtons,
03:07des pierres et des objets en fer.
03:11Ils estiment que le ou les assassins ont dû s'acharner avec une férocité inimaginable
03:16pour exterminer tous ces malheureux.
03:19Enfin, ils sont d'avis que la mort doit remonter à trois jours au moins.
03:24L'horrible besoigne accompli, on a pillé la maison,
03:29vidé les meubles de leur contenu, éventré les matelas, tout répandu par terre.
03:35La vaisselle n'est pas lavée, une marmite est encore à demi remplie de potage,
03:39donc c'est à peine le repas terminé que les victimes ont été surprises.
03:44Le nombre de couverts correspond à celui des habitants.
03:47Un verre en plus, cependant.
03:48Repas du soir, certainement, puisque le père avait la lampe tempête pour se rendre sans doute à la grange
03:54lorsqu'il a été surpris par son meurtrier.
03:57Le fermier a ses habits du dimanche, donc le massacre a été accompli le dimanche,
04:01si tôt après le repas du soir, entre 19 et 20 heures.
04:05En fait, le ou les assassins doivent avoir quatre jours d'avance sur le commissaire Ghibal.
04:11Un redoutable handicap en l'occurrence.
04:14Mais je vous le dis tout de suite, la police pourra remonter ce handicap.
04:19Mais, quelle stupeur au bout de l'enquête.
04:24Encore un type de criminel inattendu,
04:26qui manquait dans nos dossiers extraordinaires et que Jacques-Antoine nous propose aujourd'hui.
04:31Deux heures de repos et à sept heures,
04:51le commissaire Ghibal commence ses recherches en très étroite collaboration avec les gendarmes de l'endroit.
04:56Oh, tout le monde a vu des suspects.
04:57Qui un ? Qui deux ? Un grand et un petit ?
05:00Pour les uns, le plus âgé pourrait avoir 30 ans, pour d'autres 50.
05:04Pour les uns, il a l'accent étranger, pour d'autres, il parle le patois de la région,
05:09ils sont blonds, ils sont bruns, portent par-dessus, n'emportent point, etc.
05:14Il convient d'envisager toutes les hypothèses,
05:15même celles d'une sorte de folie colérique,
05:19à la suite d'une simple dispute pour de banales questions de fermage ou de clôture.
05:23Les traces de pillage peuvent ne constituer dans ce cas
05:26qu'une mise en scène pour égarer les soupçons.
05:29D'autant que des malfaiteurs venus avec la nette intention de voler
05:33seraient venus armer et n'auraient pas tué avec des bâtons et des cailloux.
05:38D'autre part, pourquoi se serait-il acharné à tuer à coups de cailloux
05:41un bébé de moins de 4 ans et un gosse d'une dizaine d'années,
05:46sinon parce qu'ils étaient connus des enfants
05:49et qu'ils se sont cru obligés de les supprimer de peur qu'ils les dénoncent ?
05:54Cependant, le lendemain, le médecin légiste retire des corps
05:58de M. et Mme Richaud et de leur domestique à Modric
06:01des balles de 7,65.
06:05Les enfants, eux, ont été assommés avec les gros cailloux
06:08trouvés ensanglantés à leur côté sur le plancher.
06:13Cette découverte laisse supposer qu'on est venus voler,
06:16mais bien décider à ne pas reculer devant le meurtre pour y parvenir.
06:18Et l'assassinat des enfants indique bien que les jeunes victimes
06:22connaissaient le ou les meurtriers.
06:24Il faut donc localiser les recherches parmi les gens
06:27ayant fréquenté la ferme et ses habitants.
06:30S'il n'est pas possible d'établir le montant du vol
06:32ni la nature des objets qu'on a pu emporter,
06:35le domestique à Modric possédait une bicyclette
06:37qu'on ne retrouve nulle part.
06:40Le criblage opéré parmi les relations des victimes
06:43ne donne aucun indice.
06:44En ce qui concerne les employés à la ferme durant les dernières années,
06:47quatre noms sont retenus,
06:49mais l'examen au fichier ne révèle aucun antécédent les concernant.
06:54Pourtant, Guibale, le commissaire,
06:57est très intrigué par la personnalité éventuelle du ou des assassins.
07:01Qui peut être ce monstre ou ces monstres ?
07:06Chers amis, il est bien loin d'imaginer la vérité.
07:09Alors commence une chasse effrénée.
07:11Le commissaire retrouve un changeur, terrifié,
07:16qui finit par donner le signalement de deux garçons
07:18qui ont échangé quelques pièces d'argent
07:20et une de 10 francs en or lundi matin 3 décembre.
07:25Ils avaient des pantoufles usagés
07:26et l'un d'eux devait s'appeler Amodric Louis,
07:30c'est ce qui était marqué sur sa bicyclette.
07:33Or c'est la bicyclette volée au malheureux Amodric,
07:35le domestique assassiné.
07:36Les inspecteurs, mettant le village sans dessus-dessous,
07:40finissent par découvrir, dans une grange ouverte à tout venant,
07:44des papiers déchirés au nom de Richaud
07:46et enfin la bicyclette.
07:48Les deux bandits ont certainement passé la nuit de dimanche à lundi
07:51dans cette grange.
07:53Cette fois, le signalement est suffisamment précis
07:54pour que Guibale ne retienne qu'un seul des suspects
07:58figurant sur sa liste.
07:59Mais comment se procurer une photographie
08:02qui permettrait de le retrouver plus vite ?
08:05À la gare de Volks,
08:07les enquêteurs découvrent la trace des suspects.
08:09Là, ils ont pris un petit déjeuner.
08:12Là, ils ont déjeuné.
08:13Ici, ils ont pris le train.
08:15Là, ils sont descendus.
08:16Ailleurs, ils sont remontés dans un autre train.
08:18Ainsi, le commissaire les suit-il pas à pas pendant trois jours,
08:21apprenant en cours de route
08:22l'état civil de l'un d'eux, le plus grand,
08:24l'ancien domestique des Richauds,
08:26a dénommé Ougueto Jules-Baptiste,
08:29né à Loris, dans le Vaucluse,
08:31le 6 décembre 1910.
08:33Il n'aurait donc que 19 ans.
08:36Voilà donc le commissaire,
08:37après trois jours de poursuite,
08:38vers 9h, sur la place de Loris,
08:40sous une pluie battante.
08:42Le maire du village, catastrophé à l'idée
08:44qu'un enfant du pays pourrait être le monstre,
08:46que toute la France recherche
08:47pour le quintuple assassinat de Valençol,
08:50se met en quatre pour les aider.
08:51Hélas,
08:53la famille Ougueto a quitté le pays
08:54et les recherches à l'état civil
08:56ne donnent rien.
08:58Cette fois,
08:59la trace est perdue.
09:01Les policiers font vraiment pitié.
09:02et harassés après deux nuits sans sommeil
09:04ou presque,
09:06l'esprit continuellement tendu,
09:07nourri de quelques sandwiches
09:08à valer en vitesse,
09:10couverts de boue,
09:10trempés, gelés
09:11et à tout point de vue
09:12dans un état lamentable.
09:15Il leur faut absolument
09:15se reposer et manger.
09:17Toujours sous une pluie battante,
09:19Alexandre Guibal rentre dans la boulangerie
09:21pour acheter un pain.
09:23Le boulanger le reconnaît
09:24car il a été boulanger à Marseille.
09:25« Tiens,
09:26je suis Guibal ! »
09:27« Et alors ? »
09:28« Alors comme ça,
09:29vous recherchez
09:29les bandits de Valençol ? »
09:31« Ah oui ! »
09:32« Bien un témoin
09:33qui serait intéressant à entendre.
09:35Vous le connaissez peut-être,
09:36il était né ici,
09:36un certain Ougueto. »
09:38« Jules ! »
09:39« Ah, diable si je le connais,
09:40mais il y a longtemps
09:41qu'il n'habite plus ici. »
09:43« Cependant,
09:44je l'ai rencontré,
09:44oh,
09:45il peut y avoir quinze jours.
09:47Bon oui,
09:47quinze jours à peine dans le train.
09:49Il allait,
09:50attendez,
09:50il allait,
09:51il allait,
09:51il allait... »
09:52« Ah, je ne me souviens plus du nom. »
09:55« Il m'a dit
09:55qu'il travaillait dans les mines. »
09:57« À la Grande Combe ? »
09:59« Ma voix ? »
10:00« Je n'ai pas porté attention.
10:02C'est un endroit
10:03où il y a des mines,
10:03c'est tout. »
10:05Guibal retourne
10:06à la gendarmerie
10:06porteur d'un pain.
10:08Les gendarmes apportent
10:08du fromage,
10:09du saucisson
10:09et une bouteille de bon vin.
10:12Le commissaire téléphone alors
10:13à la gendarmerie
10:14de la Grande Combe
10:15et demande le brigadier.
10:17« Voilà, » dit-il,
10:18« Il s'agit d'une affaire grave.
10:21Nous pensons
10:21que les auteurs
10:22de la boucherie de Valençol
10:23sont chez vous.
10:25Ils doivent travailler
10:26dans les mines.
10:27Vous devez les trouver
10:28soit dans un hôtel,
10:29soit chez un logeur.
10:30Peut-être
10:31sont-ils logés
10:32par l'organisation minière,
10:33mais ça m'étonnerait.
10:35Ils sont peut-être même
10:36encore dans un restaurant
10:37ou dans un bistrot.
10:38S'ils vous voient,
10:39ils vont se méfier.
10:41Je sais que ce que je vous demande
10:42est presque impossible,
10:43mais essayez quand même.
10:44Il faudrait,
10:45comme par hasard,
10:46par le plus grand des hasards,
10:49emmener l'un d'eux
10:49pour une vérification.
10:51Le plus grand
10:52pour une vérification
10:54de sa situation militaire.
10:55Le plus petit,
10:57il paraît qu'il a un accent.
10:58C'est peut-être un étranger.
10:59Alors,
11:00vérification de ses papiers
11:01d'étrangers.
11:03« Ayez l'air
11:04de vous en prendre
11:04qu'à l'un d'eux
11:06et faites un cercle terrible
11:08pour qu'ils finissent
11:09par croire que vous n'en voulez
11:09réellement qu'à leur papier.
11:11Ah, pour vous aider
11:12un détail.
11:13Ils ont des pantoufles.
11:14Il faut les garder
11:16chez vous
11:16jusqu'à ce que j'arrive.
11:18Mais quand ?
11:19Bien,
11:20j'espère être là
11:21vers 3 heures du matin. »
11:24Au bout du fil,
11:26le brigadier stoïque,
11:27bien qu'éberlué
11:27et inquiet
11:28de la difficulté
11:29et de l'importance
11:29de la mission,
11:30dit simplement
11:30« Parfait.
11:33Enfin,
11:34le commissaire Guibal
11:35va peut-être se trouver
11:35face à face
11:36avec les deux monstres. »
11:37Les récits extraordinaires
11:46de Pierre Belmar
11:47Un podcast européen
11:49Au milieu de la nuit,
11:51le commissaire Guibal
11:52accompagné
11:52de quelques inspecteurs
11:53entre à la grande combe.
11:55Le calme le plus complet
11:56règne dans la rue déserte.
11:58Devant la gendarmerie,
11:59un gendarme leur dit simplement
12:00« Ils sont là. »
12:03Qui pourrait se douter
12:04à voir la grande bâtisse tranquille
12:06que les abominables criminels
12:09qui ont soulevé
12:09un mouvement d'horreur général
12:11dont toute la presse française
12:12réclame l'arrestation
12:14et le châtiment
12:14se trouvent là.
12:19Lorsque le commissaire
12:20rentre dans la caserne,
12:20le brigadier lui explique
12:21qu'il a dû se livrer
12:23à une comédie incroyable
12:24pour faire croire
12:25aux deux jeunes gens
12:26qu'il voulait simplement
12:27interroger Ouguetto
12:28sur sa situation militaire.
12:30Au départ,
12:30ils ne l'ont pas cru,
12:32bien qu'ils aient été obligés
12:33de faire semblant d'y croire.
12:34Puis, là,
12:35il a fait le simulat
12:36qu'on a téléphoné
12:37au bureau du recrutement militaire
12:38où le responsable
12:39était soi-disant absent.
12:41Il fallait attendre
12:41qu'il rappelle.
12:43Alors, en attendant,
12:43il a fait semblant
12:44de découvrir
12:44que les papiers du plus jeune
12:45n'étaient pas en règle.
12:47En effet,
12:48c'est un jeune Polonais
12:48de 15 ans et demi.
12:50Alors, il a fait semblant
12:51d'appeler l'ambassade de Pologne.
12:52Heureusement que le commissaire
12:53est là
12:53et il ne sait plus quoi faire
12:55pour les retenir maintenant.
12:57Est-ce qu'il se méfie ?
12:59Au début, oui,
13:00mais maintenant,
13:01j'ai fait un tel cercle
13:02que le plus vieux
13:03a l'air de tomber
13:03dans le panneau,
13:04mais le plus jeune
13:06n'a pas l'air rassuré.
13:09Il ne suffit pas,
13:10chers amis,
13:10pour un policier
13:11de mettre la main
13:11sur le coupable.
13:12Il faut des preuves
13:13et surtout des aveux.
13:15Or, obtenir des aveux,
13:17autrement que par la force brutale,
13:19c'est tout un art.
13:21Certes, le commissaire
13:21a sous la main
13:22les deux coupables,
13:24mais alors que
13:24s'il s'y prend bien,
13:26il peut obtenir
13:27leurs aveux
13:28en quelques instants,
13:29s'il s'y prend mal,
13:31ils peuvent nier
13:31et s'enfermer
13:32dans des dénégations
13:33qui peuvent durer
13:34des heures,
13:35des jours et même,
13:36comme cela arrive souvent
13:37toute la vie.
13:39Dans le premier cas,
13:40au procès,
13:40tout sera net.
13:41Les jurés n'auront qu'à débattre
13:42de la peine à leur infliger.
13:44Dans le second cas,
13:45les mêmes jurés
13:45devront d'abord essayer
13:47de savoir
13:47s'ils sont,
13:48oui ou non,
13:49coupables,
13:49s'ils ont droit
13:50au bénéfice du doute,
13:51etc.,
13:52alors que pour le commissaire,
13:53il n'y a aucun doute.
13:57Quel genre de type
13:58demande le commissaire ?
14:00C'est un petit couple.
14:01Pardon ?
14:03Ben oui,
14:03c'est un petit couple.
14:06C'est-à-dire ?
14:07Vous m'avez bien compris.
14:08C'est un couple.
14:10Le plus grand
14:11est costaud,
14:11brutal,
14:13le plus petit,
14:13le polonais,
14:15un blondinet
14:15avec l'air doux.
14:17Vous voyez le genre ?
14:19Je vois.
14:22Un policier
14:23peut parfois
14:24se comparer
14:24à un comédien.
14:25Il doit jouer
14:26la comédie,
14:26se transformer,
14:27adopter des attitudes,
14:28s'adapter,
14:29savoir travestir
14:30sa pensée.
14:30Il lui faut de l'aplomb
14:32car la timidité
14:33est une sérieuse entrave.
14:34Il lui faut savoir
14:35organiser une mise en scène.
14:37Il n'est pas exclu
14:37qu'il y ait,
14:38chez un bon policier,
14:39comme chez un comédien,
14:40une certaine dose
14:41d'exhibitionnisme.
14:43Le commissaire Guibald
14:44décide de s'occuper
14:45d'abord du plus grand,
14:46l'ancien valet de ferme.
14:48Pour cela,
14:49il choisit
14:49d'utiliser
14:50une certaine mise en scène
14:51pour tenter
14:52d'obtenir ses aveux.
14:53car il doit songer
14:55que le criminel
14:56se méfie,
14:57qu'il s'est préparé,
14:58qu'il attend de pied ferme
14:59la suite des événements.
15:01La façon de l'aborder
15:02est donc capitale.
15:04Il faut le surprendre,
15:05le désarçonner.
15:07Mais la brutalité
15:08ne suffirait pas.
15:09Il faut trouver
15:10des mots logiques
15:10et simples,
15:11mais auxquels
15:12il ne s'attend pas,
15:13qui vont le mettre
15:13en état d'infériorité
15:15et si possible,
15:16le culpabiliser
15:17à tel point
15:17que le rôle
15:18qu'il a certainement
15:18prévu de jouer
15:19soit intenable.
15:20Alors le commissaire Guébal
15:22se fait expliquer
15:24exactement la position
15:25d'Oguéto
15:25dans le bureau
15:26où il attend.
15:28Il se tient,
15:28paraît-il,
15:29assis sur une chaise
15:29juste au milieu
15:30de la pièce,
15:31mais il y a un fauteuil
15:32entre lui et la porte.
15:34Alors le commissaire
15:35demande que sous un prétexte
15:36de lui proposer du café,
15:37par exemple,
15:38on écarte le fauteuil.
15:40Lorsque c'est fait,
15:41comment est-il habillé ?
15:43Avec un genre de treillis.
15:45A-t-il une casquette ?
15:46Il la retirait,
15:47il a les cheveux très longs.
15:50Alors le commissaire
15:51prend une respiration,
15:54ouvre brusquement la porte,
15:55en quelques enjambées,
15:56il est sur la silhouette
15:57figée de stupeur.
15:59Il saisit au guéto
15:59par ses cheveux longs
16:00et dru et ses cris
16:01« À genoux, misérable ! »
16:03Puis,
16:03le secouant fortement
16:04pour le forcer
16:05à se mettre à genoux
16:05« Demande pardon pour les gosses !
16:07Pour les gosses, vite !
16:08Où je t'emmène un valensole ! »
16:10La foule t'attend
16:10pour t'étrangler !
16:11Allons !
16:12Demande pardon, vite ! »
16:15Alors là,
16:15chers amis,
16:16suit un court dialogue
16:17dont vous apprécierez,
16:18« J'espère la monstrueuse saveur ! »
16:21« Tu vas dire la vérité ! »
16:22hurle le commissaire !
16:24« C'est la seule façon
16:24dont tu peux te racheter ! »
16:26À genoux,
16:27les mains jointes
16:27d'un ton larmoyant,
16:28le monstre dit alors
16:29« Je voulais pas, monsieur ! »
16:32« Oh oui, je vais tout vous dire ! »
16:34« Je suis un malheureux ! »
16:36« Nous allons voir
16:37si tu vas dire la vérité
16:38comme vient de le faire
16:38ton petit ami ! »
16:40« Je vous assure
16:41que je voulais pas, monsieur ! »
16:42« Je voulais pas tuer les petits ! »
16:44« Je voulais seulement
16:45un peu d'argent
16:46pour des habits ! »
16:47« Pour que le petit polonais
16:49soit plus joli ! »
16:52Un commissaire de police
16:54en entend des vertes
16:55et des pas mûres,
16:56mais le commissaire Guibald
16:57reste tout de même
16:57pantois pendant quelques secondes.
17:00Ainsi,
17:02ces cinq malheureux
17:03ont été horriblement massacrés
17:05pour que le petit polonais
17:08soit plus joli.
17:12Mais le commissaire Guibald
17:13n'est pas au bout
17:14de ses étonnements.
17:14Les récits extraordinaires
17:23de Pierre Delmar
17:24Un podcast européen
17:26Ougeto a signé ses aveux
17:28le petit polonais
17:29admet qu'il était
17:29à Valençois
17:30au moment du crime
17:31mais prétend
17:32n'y avoir pas participé.
17:34Alors,
17:34quelques jours plus tard,
17:36dans la maison même
17:37où a eu lieu
17:38l'horrible carnage,
17:39il est procédé
17:40à une reconstitution.
17:42Inutile de s'apesantir
17:43sur les détails,
17:44imaginez simplement
17:45les deux monstres
17:46ergotants
17:47sur les dix détails.
17:49C'est le polonais
17:49qui a tué les deux petits
17:50qui criaient fort
17:51en pleurant
17:52et en appelant leur mère.
17:53Il les a tués
17:54à coups de bâton de chaise.
17:55Après,
17:56il les a finis
17:57avec une grosse pierre
17:58qu'on fait chauffer l'hiver
17:59pour placer dans le lit.
18:00Moi,
18:01je n'aurais pas eu le cœur
18:01de les tuer,
18:02surtout que Clément,
18:02le plus grand,
18:03il me disait
18:03« Jules,
18:04pourquoi t'as fait ça,
18:05maman ? »
18:06« Vous comprenez,
18:07M. Guibald ?
18:07Je n'osais pas.
18:09Ça m'aurait fait
18:09trop de peine. »
18:11Et puis,
18:11le polonais a pris
18:12un rasoir
18:12en disant qu'en descendant,
18:14si les petits
18:14respiraient encore,
18:16ça servirait
18:17à leur couper
18:17la gargamelle.
18:19C'est au tour
18:20du petit polonais.
18:21Il ergote aussi
18:21sur les détails.
18:23Il a fini
18:23le domestique
18:24et les enfants
18:24que son camarade
18:25avait cru tués
18:26mais qui respiraient encore.
18:27Il voulait
18:27les empêcher de souffrir.
18:29L'histoire du rasoir,
18:30oui,
18:30c'est exact,
18:31mais pas dans le sens
18:31donné par Jules
18:32et sans l'expression
18:33la gargamelle
18:34qu'il ne connaît même pas.
18:34Non,
18:35seulement pour empêcher
18:36les malheureux
18:36de souffrir.
18:37D'ailleurs,
18:38il n'a pas touché
18:38aux enfants.
18:40Alors,
18:40Ugetto hurle
18:41en le désignant du doigt
18:42« C'est toi !
18:43Tu le sais bien !
18:44On l'avait décidé
18:45d'avance
18:45la nuit précédente !
18:46Dans le cabanon,
18:47on a dormi ! »
18:49« Tu m'as obligé
18:49d'accepter de le faire,
18:50répond l'autre.
18:51Et après,
18:52tu l'as fait avec moi ! »
18:54Le regard de Ugetto
18:55devient alors mauvais
18:56et il murmure
18:58entre ses dents
18:58« Si nous n'étions pas
19:02avec tant de monde,
19:02tu verrais. »
19:05Quelques instants plus tard,
19:06seul avec le commissaire,
19:07Ugetto font en larmes.
19:09« Que voulez-vous,
19:10monsieur le commissaire ?
19:12Je l'aimais beaucoup,
19:13ce petit Polonais.
19:15Maintenant,
19:15je me rends compte
19:16que c'est pour lui
19:16que j'en suis arrivé là.
19:18Je voulais qu'il soit joli,
19:20avec des beaux vêtements,
19:22qu'il mange de bonnes choses,
19:24lui acheter la motocyclette
19:26dont il rêvait.
19:27Alors,
19:28j'avais toujours peur
19:28qu'il m'abandonne
19:29pour un autre.
19:31Vous savez,
19:31je ne suis pas grand-chose
19:32à présent.
19:33Je comprends.
19:35Mais lui,
19:36avec son air doux,
19:39il est beaucoup plus terrible
19:40que moi.
19:42Vous pouvez me croire,
19:43monsieur le commissaire.
19:46On en sait assez.
19:48La préméditation est bien établie,
19:50ainsi que le rôle de chacun.
19:52Après cette reconstitution
19:53très pénible,
19:55il convient de remettre
19:55les prisonniers
19:56aux gendarmes
19:57pour qu'ils soient reconduits
19:58à la prison de Ding.
19:59Le temps est très nuageux
20:01et la pluie menace.
20:03La population de Valençol
20:04est accourue.
20:05Au début,
20:06bien contenue,
20:07elle s'est peu à peu
20:07rapprochée du sentier
20:08que les policiers
20:09ont dû emprunter
20:10pour arriver en voiture.
20:11Jusque-là,
20:12aucun cri n'a été poussé
20:14et le calme
20:15le plus complet règne.
20:17Soudain,
20:18un coup de parapluie
20:19s'abat sur Ruguetto
20:20qui, se tournant vers le commissaire,
20:21a alors ses paroles désastreuses
20:22« Mais dites,
20:23ils n'ont pas le droit
20:24de me frapper ! »
20:25Imaginez brusquement
20:26la fureur de la foule.
20:27C'est la ruée,
20:28les vociférations,
20:29les coups,
20:29la bousculade.
20:30Iba leur donne
20:31à ses deux inspecteurs
20:32enchaînés à leurs prisonniers
20:33de suivre ces derniers
20:34qui, criblés de coups,
20:36retournent vers la ferme
20:37pour se mettre à l'abri.
20:38Bientôt,
20:39la foule exerce
20:39une pression telle
20:40qu'un ordre est donné
20:41aux gendarmes à pied
20:42et à cheval,
20:42car il y a des gendarmes à cheval,
20:44de charger.
20:45L'incident
20:46a tourné à l'émeute.
20:48Le vide se fait sur la place.
20:50La foule brandit
20:51des bâtons,
20:51des fourches.
20:53Les gendarmes s'éloignent.
20:56Alors le commissaire,
20:56flanqué du maire
20:57et du procureur,
20:59doit s'avancer seul
21:00au milieu de la place
21:00pour arrêter
21:01la charge d'abord,
21:03la population ensuite.
21:06Les deux criminels
21:07ont failli
21:07ne jamais connaître
21:08la cour d'assises
21:08de Dignes
21:09où s'ouvre leur procès
21:11le 16 septembre 1929.
21:15Ce jour-là,
21:17fait rarissime,
21:19on voit un père,
21:22le père Duguetto,
21:24venir réclamer
21:25la peine capitale
21:26pour son propre fils.
21:28Le petit polonais
21:29qui n'avait pas 16 ans
21:30au moment du crime
21:31récoltera 20 ans
21:33de détention
21:34et 10 ans
21:35d'interdiction de séjour.
21:36mais le père
21:38obtiendra
21:39la tête
21:40de son fils.
21:42Duguetto
21:43aura la tête
21:43tranchée
21:44sur la place publique
21:45de Dignes
21:45par une matinée
21:47glaciale,
21:49le jour
21:49perçant à peine,
21:51après avoir maudit
21:52son père
21:53et le petit polonais
21:55qu'il voulait
21:57si joli.
21:58Vous venez d'écouter
22:19les récits extraordinaires
22:20de Pierre Bellemare,
22:22un podcast
22:23issu des archives
22:24d'Europe 1.
22:25Réalisation
22:26et composition
22:27musicale
22:28Julien Tarot
22:29Production
22:30Estelle Laffont
22:31Patrimoine sonore
22:33Sylvaine Denis
22:34Laetitia Casanova
22:36Antoine Reclus
22:37Remerciements
22:38à Roselyne Bellemare
22:39Les récits extraordinaires
22:41sont disponibles
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