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Guillaume Bordier est né pendant la guerre du Vietnam, d'une mère vietnamienne et d'un père soldat afro-américain. Adopté par une famille française, il a grandi sans savoir d'où il venait, rejetant une couleur de peau dont il ignorait l'origine. Un trouble identitaire qui a marqué sa vie, jusqu'au jour où il a décidé de partir à la recherche de sa famille biologique, grâce à des tests ADN... Jusqu'à retrouver sa mère, et bien plus encore. Un témoignage bouleversant, que nous publions à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la guerre du Vietnam, un conflit qui a séparé d'innombrables familles.

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Transcription
00:00On était ce qu'on appelait un peu les enfants du diable, les enfants de la honte.
00:03Je suis né en 1969, en pleine guerre du Vietnam,
00:06d'une mère vietnamienne et d'un soldat GI afro-américain.
00:10Et j'ai été adopté par une famille française à l'âge de 14 mois.
00:20J'ai su par la suite qu'on nous appelait les Bui Doi.
00:22Bui Doi, ça veut dire poussière de vie.
00:24C'est-à-dire des enfants qui étaient ni du Vietnam,
00:27ni des États-Unis.
00:30Donc on était ce qu'on appelait un peu les enfants du diable,
00:32les enfants de la honte et les poussières de vie.
00:34C'est des enfants qu'on ne voulait pas forcément à cette époque
00:38et qu'on mettait, qu'on parquait, j'ai envie de dire,
00:40dans des orphelinats à je ne sais pas combien d'enfants.
00:43Et savoir ça, ça a été assez difficile par rapport à l'acceptation de soi-même.
00:47Quand on grandit, on a besoin de savoir d'où on vient
00:49et ce n'était pas du tout mon cas.
00:57Ma mère adoptive a adopté trois enfants, deux filles et moi.
01:03Moi, je suis arrivé en deuxième.
01:04La première, Emmanuelle, une Vietnamienne.
01:06Elle est en 68, Annabelle en 72 et moi en 69.
01:09On était vraiment en pleine guerre.
01:11Et mes parents, quand j'ai eu 5 ans, ont divorcé.
01:14Mon père s'est remarié avec ma belle-mère que j'aime énormément
01:17et qui a eu deux enfants blancs, Clémence et Valentin.
01:20Donc, j'ai grandi dans deux familles, du côté de ma mère avec deux sœurs asiatiques
01:24et du côté de mon père, enfant blanc biologique.
01:27Donc, moi, à ma place, elle était où ? Nulle part.
01:29Je me sentais nulle part.
01:30Alors, je ne parle pas d'amour et d'affection, je parlais du côté identitaire.
01:33Moi, je ne me sentais pas asiatique.
01:34Je me ressemblais plus à un enfant noir qu'un enfant asiatique.
01:38Mais très, on est énormément changé aujourd'hui.
01:39Mais grandir dans une famille de blancs, ça a été très compliqué.
01:42Je passais des heures devant le miroir.
01:44Pas pour me trouver beau, loin de là, loin de là.
01:46Mais justement, pour me demander par rapport à mes parents, mais à qui je ressemble, à qui je ressemble ?
01:50Et je voulais ressembler à ma mère.
01:52Ma mère qui était blonde aux yeux bleus, qui était magnifique.
01:54Je voulais avoir ces yeux-là.
01:55Je me sentais blanc.
01:56Je me sentais totalement blanc.
01:57C'est-à-dire que je ne me voyais pas du tout de couleur.
01:59Et encore moins noir.
02:00À l'âge de 12, 13, presque 14 quand même, je dormais avec une pince à linge sur le nez.
02:05Voilà, en imaginant que le lendemain, j'aurais un nez moins épaté, plus fin.
02:08J'avais une détestation de ce nez.
02:10Ça me trahissait.
02:11Ça trahissait mon côté afro.
02:13Quand on me disait « Ah, t'es un petit noir », je rejetais.
02:16Mais je rejetais quoi ?
02:17Je me rejetais moi, parce que je ne me trouvais nulle part dans aucune identité qui était dans ma famille.
02:21Je faisais un rejet de moi-même qui était presque honteux, j'ai envie de dire.
02:24J'étais devenu limite raciste avec moi-même.
02:26Je n'aime pas dire avec les autres, mais avec moi-même.
02:31Je suis devenu danseur classique.
02:34Ça aussi, par rapport à l'identité, c'est très compliqué.
02:36Parce qu'un danseur classique, forcément, il est blanc aux yeux bleus.
02:39Il est blanc.
02:40Il n'est pas du tout de couleur.
02:42Encore moins de la guerre du Vietnam.
02:42Et donc, on apprend à se taire, on apprend à subir.
02:46La danse a été salvatrice, vraiment, pour moi, au niveau identitaire.
02:51Dans ce spectacle, il y a eu un moment où je me masque.
02:54Je mets un masque asiatique, une perruque noire, et je m'habille en femme.
02:57Je voulais représenter mes soeurs asiatiques et aussi ma mère biologique que je ne connaissais pas.
03:04Ma mère, mon père biologique, je les imaginais ensemble.
03:08Je les imaginais en train de me chercher.
03:09Jusqu'au moment où je me suis dit, c'est illusoire, encore une fois, ils sont sûrement morts.
03:13Et après, j'ai vite fait un trait dessus en disant, au moins, j'ai envie de savoir d'où je viens au niveau identitaire.
03:18Donc, je me suis mis à faire ce test ADN.
03:20Et c'est là que j'ai découvert que j'avais un frère biologique qui avait fait le même test ADN que moi sur le même laboratoire, ce qui était incroyable.
03:27Et là, on a matché.
03:28Il avait marqué demi-frère, 26%, ce qui est énorme.
03:32Quand j'ai découvert Joe, il a pris l'avion tout seul.
03:35Et là, à l'aéroport, je suis allé chercher.
03:37On a pleuré.
03:37Ça a été très, très, très, très fort.
03:39Alors, ce qui a été incroyable, c'est qu'au début, je pensais que la filiation biologique était par le père.
03:44Parce qu'effectivement, c'est un test ADN que j'ai fait aux États-Unis dans un laboratoire.
03:49Et il me dit, mais en fait, tu sais, Guillaume, on n'est pas du tout frère par notre père, mais on est frère par notre mère, qui est vivante, qui habite à la Nouvelle-Orléans.
03:57Et on est sept frères et sœurs avec toi.
03:59Et là, je suis tombé, voilà, je n'avais plus quoi dire.
04:02J'étais complètement abasourdi, choqué.
04:05Enfin, à la totale, quoi.
04:06Vous imaginez, vous imaginez une bordel.
04:08L'histoire profondément émouvante pour moi, c'est que j'ai pu réussir à rencontrer ma mère, que je croyais déjà morte.
04:15Et surtout, je n'aurais aucunement pensé qu'elle pourrait m'accepter, m'accueillir.
04:20Et en fait, quand elle a su que j'étais vivant, j'ai su qu'elle avait fait un malaise.
04:24Elle a dit, mais c'est mon fils.
04:26Donc du coup, on a réussi à se rencontrer à la Nouvelle-Orléans.
04:30Elle m'a serré dans ses bras.
04:31Il y a eu beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup d'émotions.
04:39Et ce qui a été incroyable en plus, c'était surtout de savoir que ma mère biologique m'avait perdu pendant la guerre.
04:44Parce que n'étant pas en capacité de s'occuper de moi, après avoir vécu cinq mois dans la jungle,
04:49elle m'a confié à une famille riche.
04:51Elle revient six mois plus tard.
04:52Et la famille riche, ayant tout perdu en remettant ça dans le contexte de la guerre du Vietnam,
04:56je m'a mis à l'orphelinat sans le dire à ma mère.
04:58Ma mère biologique qui revient pour me chercher, où est mon fils ?
05:01Ah ben, on l'a mis à l'orphelinat, qui a été bombardé.
05:03On ne sait pas où il est.
05:04Elle m'a cherché pendant deux ans avec un petit vélo, il paraît.
05:07J'étais déjà, hop, envolé pour la France.
05:09Ce que j'ai su plus tard, c'est que c'est une femme qui avait eu sept enfants de cinq soldats différents.
05:14C'est une fille de bar et j'ai presque envie de dire que je suis très fier d'elle.
05:18Parce que ça ne devait pas être facile pour une femme pendant cette période de guerre.
05:21Je pense qu'elle a dû faire ce qu'elle a pu.
05:24Après avoir rencontré ma mère biologique, je ne lâche pas l'affaire.
05:26Je me suis dit, je vais en savoir plus quand même sur mon père biologique.
05:30Je me suis inscrit dans un autre laboratoire et j'ai découvert une tante.
05:35La soeur de mon père, que j'ai rencontrée à Paris, avec énormément d'émotions,
05:39m'a appris que mon père était effectivement afro-américain
05:43et qu'il avait été officier de police à Chicago,
05:46qu'il n'était pas mort pendant la guerre du Vietnam
05:47et qu'il est mort d'un cancer de l'estomac à 45 ans.
05:51Elle m'a envoyé des photos de lui, ça a été très fort.
05:54Il fait très afro-américain, très africain.
05:56Et je suis très fier.
05:57Il paraît qu'on se ressemble et aujourd'hui, s'il avait été vivant,
06:00j'aurais serré dans mes bras et j'aurais presque dit pardon
06:03de m'être rejeté moi-même par rapport à cette identité.
06:09Aujourd'hui, mon ignorance par rapport à mes origines, il n'y a plus.
06:13Je me suis beaucoup plus apaisé.
06:14Ça, c'est pour moi très important de pouvoir le partager.
06:17Après, c'est des fois exceptionnel ou pas de retrouver quelqu'un,
06:20mais en fait, c'est surtout de savoir d'où l'on vient.
06:22Des poussières de vie, des enfants de la guerre,
06:24des enfants de la honte et des enfants heureux aujourd'hui.
06:27Sous-titrage Société Radio-Canada
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