La famille Chardon travaille le bois en Chartreuse depuis 140 ans. D’abord tourneurs sur bois, ils ont évolué vers les métiers de charpentiers et de zinguerie au fil du temps.
Aujourd’hui, les frères jumeaux Laurent et Eric représentent la cinquième génération. Ils accompagnent leurs quatre enfants dans la reprise de l’entreprise. Mais ce qui se joue ici représente beaucoup plus qu’une simple histoire économique. C’est la transmission d’un vaste patrimoine matériel et immatériel : Un patrimoine bâti, notamment la plus ancienne tournerie hydraulique encore en fonctionnement en région Rhône-Alpes (1905).
Un patrimoine foncier composée de forêts entretenues avec soin pour les générations futures.
Et des savoirs-faire traditionnels hautement spécialisés qui font la réputation de l’entreprise dans le domaine de la restauration du patrimoine.
À l’heure de l’industrialisation et de la normalisation des savoirs-faire, de la sur-mobilité des jeunes salariés qui ne permet pas l’apprentissage de longue durée des anciennes techniques, la famille Chardon présente un modèle alternatif, étonnamment désuet et pourtant profondément actuel. Avec son exigence du travail bien fait et sa préoccupation pour le temps long, elle rend possible la conservation et la transmission d’un patrimoine essentiel.
Aujourd’hui, les frères jumeaux Laurent et Eric représentent la cinquième génération. Ils accompagnent leurs quatre enfants dans la reprise de l’entreprise. Mais ce qui se joue ici représente beaucoup plus qu’une simple histoire économique. C’est la transmission d’un vaste patrimoine matériel et immatériel : Un patrimoine bâti, notamment la plus ancienne tournerie hydraulique encore en fonctionnement en région Rhône-Alpes (1905).
Un patrimoine foncier composée de forêts entretenues avec soin pour les générations futures.
Et des savoirs-faire traditionnels hautement spécialisés qui font la réputation de l’entreprise dans le domaine de la restauration du patrimoine.
À l’heure de l’industrialisation et de la normalisation des savoirs-faire, de la sur-mobilité des jeunes salariés qui ne permet pas l’apprentissage de longue durée des anciennes techniques, la famille Chardon présente un modèle alternatif, étonnamment désuet et pourtant profondément actuel. Avec son exigence du travail bien fait et sa préoccupation pour le temps long, elle rend possible la conservation et la transmission d’un patrimoine essentiel.
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00:00Le cirque de Saint-Même, une merveille naturelle du massif de la Chartreuse.
00:08C'est ici, à 900 mètres d'altitude, que le guévif prend sa source.
00:16La rivière traverse les villages de Saint-Même-le-Haut et Saint-Même-le-Bas,
00:24puis Saint-Pierre-d'Entremont avant de creuser son sillon à travers les majestueuses gorges du Frou,
00:31pour rejoindre la vallée et plus loin le Rhône.
00:35La vallée du Guier fut longtemps une région isolée et pauvre.
00:40Mais au XIXe siècle, la force motrice de l'eau de la rivière permet l'émergence d'une activité florissante,
00:46celle de la tournerie sur bois.
00:49Quatre enfants du pays, les frères Francillon se lancent dans le métier.
00:54En 1882, ils bâtissent une première tournerie à Saint-Même-le-Haut, puis une seconde à Saint-Même-le-Bas en 1905.
01:02Ils y fabriquent alors des gourdes en bois et de petits étuis destinés à contenir des parfums et des drogues.
01:09Ces boîtes servent notamment d'emballage pour transporter les liqueurs des Pères Chartreux,
01:14un ordre religieux installé dans le massif depuis l'an 1084.
01:18Plus d'un siècle après sa construction, la tournerie de Saint-Même-le-Bas est toujours en fonctionnement.
01:24Y pénétrer, c'est découvrir un sanctuaire bien vivant, où les outils passent de main en main, de génération en génération.
01:32Où les savoir-faire ancestraux se perpétuent dans les mêmes bruits de courroie en cuir sur les poulies,
01:38dans la même atmosphère chargée de sciure.
01:41Ce lieu, c'est le cœur battant d'une famille qui a fait du travail du bois sa raison d'être,
01:47qui perpétue le rythme lent de l'ouvrage minutieux.
01:49Voici l'histoire de la famille Chardon.
01:53Au début du XXe siècle, l'arrivée des emballages plastiques porte un coup d'arrêt à la tournerie.
02:16Aristide Rey, qui représente la troisième génération familiale, débute l'activité de charpente dans les années 20.
02:23Il parcourt le massif à pied, armé de sa hache à écarir.
02:27Son fils, Paul Rey, reprend l'entreprise en 1963.
02:33Il reste dans la vallée des Entremonts toute sa vie et ne se marie pas.
02:37Il passe beaucoup de temps avec ses neveux, les frères jumeaux Laurent et Éric Chardon,
02:42qui découvrent le métier à son contact.
02:44Donc déjà, dès qu'on a pu marcher, on était ici, dans la tournerie.
02:48Après bricoler un morceau de broc ou une pointe, à partir de 8-10 ans,
02:54Paul nous emmenait déjà sur les chantiers et on commençait déjà à grimper une échelle et puis sur le toit.
02:59C'est ce qui nous a décidé. De toute façon, on n'a jamais eu de doute sur notre avenir.
03:03Nous, notre choix a été vite fait.
03:06Dès notre plus jeune âge, on savait déjà ce qu'on voulait faire.
03:11Si Paul ne développe pas l'entreprise et limite son activité de charpentier au territoire de la Chartreuse,
03:17il conserve le patrimoine familial bâti et les savoir-faire ancestraux
03:21tout droit hérités des bâtisseurs du Moyen-Âge.
03:24Un trésor culturel qu'il transmet à ses neveux.
03:27Paul travaillait à l'ancienne encore, avec pas beaucoup de matériel.
03:31Donc les charpentes, on levait tout à la corde avec des chèvres.
03:35C'était vraiment le métier comme il se faisait avant.
03:38Donc on a eu la chance de travailler encore avec lui de cette façon-là.
03:42C'est pour ça qu'aujourd'hui, on maîtrise toutes ces techniques anciennes parfaitement
03:47et qu'on peut les transmettre à nos enfants.
03:50Les frères reprennent l'activité familiale en 1994.
03:53L'évolution rapide des techniques de charpente les pousse à se spécialiser en restauration du patrimoine.
03:59Il nous fallait donc faire de la charpente traditionnelle pour conserver ses savoir-faire.
04:03Autrement, les outils, comme je vous dis, au bout d'un moment, vous les raccrochez et ça devient un musée.
04:08Et nous, cette activité, on l'a retrouvée en restauration, en monument historique.
04:13Peu à peu, la réputation grandit et les chantiers affluent, du plus humble au plus prestigieux.
04:18Sur le domaine du château de Vizil, par exemple, l'un des trésors architecturaux du Dauphiné,
04:24édifié entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle par le duc de Lédiguière,
04:29la famille intervient sur la rénovation de la cabane de chasse René Coty,
04:34sur le remplacement de la charpente du bâtiment de l'ancienne pisciculture,
04:38ou encore sur la restauration complète de l'impressionnante charpente du château entre 2013 et 2014.
04:45Les diocèses de l'Isère et de Savoie figurent parmi les clients réguliers de l'entreprise.
04:51Ils rénove de nombreux clochers comme celui d'Entremont le Vieux, des monastères,
04:55comme Piquetière à Saint-Laurent-du-Pont ou encore Notre-Dame-de-Chalet à Vorep.
05:00La famille Chardon entretient des rapports amicaux avec les Pères Chartreux,
05:04dont ils rénove le monastère par chantier successif depuis des années.
05:08Début 2000, les frères sont obligés de se réorganiser suite à deux accidents
05:13au cours desquels Laurent se fracture la colonne.
05:16Donc là, la première partie de ma trentaine d'années, ça n'a pas été des années un peu foutues.
05:24Alors je me suis retrouvé après un peu plus au bureau à faire des devis.
05:30Et puis Eric, depuis ces années-là, il a un petit peu laissé tomber le bureau
05:35pour se consacrer uniquement au chantier.
05:37Bon, ça l'arrange bien aussi dans un sens.
05:40L'entreprise est majoritairement consacrée à la charpente,
05:43qui représente 70% de l'activité, et à la couverture zinguerie pour 30%.
05:49Mais opérer en restauration du patrimoine implique de maîtriser de nombreuses techniques parallèles.
05:55Autour de ça, on a quand même la partie tournerie qui se rajoute.
05:59Et aujourd'hui, on fait des pièces tournées pour nos chantiers.
06:02Et puis à côté de ça, avec un patrimoine et un monument historique, on a toujours des petits à côté.
06:07Donc on fait un petit peu de maçonnerie traditionnelle et puis un petit peu de forge.
06:13C'est pour faire toutes nos pièces de liaison en monument.
06:16On refait des croches, on peut refaire des peintures, on fait pour des portes.
06:21Et puis aussi bien pour faire un outil particulier.
06:23Un jour, si pour un chantier, on a besoin d'un outil particulier, on fabrique.
06:29Ça permet d'être toujours autonome et d'avoir rien à demander à personne.
06:34L'entreprise compte une vingtaine de salariés et la relève est déjà là.
06:38Les enfants de Laurent, Baptiste et Léonore et les fils d'Éric, Adrien et Clément.
06:44Ils représentent la sixième génération destinée à reprendre le flambeau.
06:49Ouais, et puis mettre tous les rayons pour pouvoir ranger et mettre en place le matériel.
06:54Un petit bout d'apprenti, Clément, ça fait peut-être bien six mois ou un an que je te dis de le tracer.
06:59Ah, on avait dit qu'on y ferait peut-être faire...
07:02Surbouclier par le boulot.
07:05Le boulot, c'est-à-dire ?
07:07Le boulot, c'est-à-dire ?
07:09À la place de pousser la chansonnette toutes les semaines.
07:12Comme je l'expliquais au photographe là tout à l'heure, je lui disais, la chansonnette, ça fait partie des traditions.
07:17Si on enlève la chansonnette, c'est plus pareil.
07:23Chez nous le cochon, il a le cul noir.
07:27Chez nous le cochon, c'est du...
07:29Clément, c'est la bille comme on dit ici.
07:31Celui qui aime chanter donc et amuser la galerie.
07:34Baptiste, c'est le calme, la force tranquille.
07:37Adrien, le dur à la tâche, le lève tôt.
07:40Et Léonore, l'oreille attentive.
07:44Depuis que les enfants sont petits, la famille se réunit le samedi pour traiter les affaires en cours.
07:50Ouais, on a toujours fait un peu des petites réunions.
07:53Alors on s'assoyait là dans la tournerie à côté du poêle et puis pour discuter des chantiers à venir.
07:58Et puis des choses vraiment ce qui concerne la famille.
08:02Pour l'évolution de l'entreprise.
08:05Donc après, on leur a demandé quand même depuis assez tôt.
08:11Déjà savoir la tendance, savoir ce qu'ils pensaient faire à l'avenir.
08:16S'ils pensaient rester dans l'entreprise pour continuer ou pas.
08:21Tout comme leurs pères, les enfants baignent dans l'univers de l'entreprise dès le plus jeune âge.
08:25Alors le choix semble naturel.
08:27Baptiste ouvre la voie.
08:29Passionné de charpente, il endossera la responsabilité de ce pôle de l'activité.
08:34En plus du métier de charpentier, Adrien se spécialise en couverture zingrie.
08:38Il assumera cette compétence.
08:40Clément, le troisième, fait preuve de talent pour la tournerie.
08:43Il prendra en charge cet aspect et aidera Baptiste à la charpente.
08:47Pour Léonore, c'est plus compliqué.
08:50Difficile de trouver sa place au milieu des garçons qui sont déjà très décidés.
08:54Les réunions, moi, ça m'énervait vite parce que tout le monde savait ce qu'ils voulaient faire, sauf moi.
09:01J'étais plus partie dans les enfants.
09:04Donc j'ai fait mon stage de troisième en observation chez une nourrice.
09:11Et en fait, je me suis rendu compte que ça ne me plaisait pas.
09:16Alors que la fin de sa classe de troisième approche, Léonore reste indécise.
09:21C'est alors que Laurent a une idée.
09:23Au printemps, je crois que c'était courant avril, donc j'avais invité l'agence RLA.
09:27C'est une agence d'architecture de Lyon.
09:30Et donc, ils sont venus sur une journée en semaine pour visiter l'entreprise.
09:36Et donc, j'ai proposé à Léonore de lui faire sauter une journée d'école, de cours, pour venir passer la journée avec nous.
09:45Le métier s'est féminisé au cours des dernières décennies.
09:48Et Léonore échange avec des femmes architectes.
09:51Et c'est une révélation.
09:52Suite à cette journée, dans les quinze jours qui ont suivi, Léonore avait fait son choix.
09:57La jeune femme se forme dans le management et l'économie de la construction en alternance à l'entreprise.
10:03Sors-moi le prix, donc déjà depuis la fourniture bois, pour un ventail.
10:10Donc là, on est au mètre cube.
10:12On est à 1750 euros pour un mètre cube de bois.
10:16Donc toi, t'as combien de mètres cubes, Léonore ?
10:180,355.
10:20Allez.
10:21Léonore apprend le métier avec son père.
10:27Bah oui, Léonore.
10:28Oui, mais je suis pas sûre.
10:29T'es pas sûre.
10:30On l'a fait des dizaines de fois.
10:31Oui, mais bon.
10:37621.
10:38Allez marque, écris à mesure.
10:40Faut tout écrire.
10:41Je marque, je marque.
10:43Chiffrage, esquisse, métrage, plan, suivi de chantier.
10:48Et Léonore apprend le métier avec son père pour un jour prendre sa place en tant que gérante.
10:53A l'entreprise Chardon, le grand chantier du moment, c'est la buvette Cacha à Evian-les-Bains.
11:03Un bâtiment art nouveau exceptionnel, bâti en 1904 par les eaux d'Evian pour accueillir les curistes à deux pas de la source Cacha.
11:11Le point d'origine de l'eau la plus vendue au monde.
11:15Alors ici, on se trouve dans ce qu'on appelle la buvette Cacha.
11:19Une buvette qui accueillait au début des années 1900 une clientèle assez aisée qui venait se soigner.
11:29Puisqu'on a découvert dès 1808 les vertus curatives de cette eau.
11:34Et là, on est dans le lieu où ils recevaient leur dose d'eau, si je peux dire comme ça, pour faire leur cure.
11:40Se soigner. Ils étaient tous malades à l'époque en grande partie dans ce qu'on appelle la gravelle, les calculs rénaux.
11:45Et en fin de compte, l'eau d'Evian était très bonne pour soigner ce type de maladie.
11:51La buvette Cacha, c'est un héritage de la grande époque du thermalisme évianais.
11:56Dans ce tiers-lieu avant l'heure, on pouvait faire son courrier, acheter le journal, prendre ses tickets pour le train, jouer aux cartes.
12:03Lorsqu'il parcourt ce lieu, Jean-Pierre Amadio, adjoint à l'urbanisme à la mairie d'Evian,
12:08n'a de cesse de s'émerveiller.
12:11Alors, ce site, il est exceptionnel par sa beauté.
12:16Déjà, on a un bâtiment qui est construit sur un soubassement en pierre.
12:23Et toute la structure, tout ce qu'on voit où on est actuellement, que ce soit le clos couvert, qui est la grande coupole, le grand promenoir,
12:32est totalement fabriqué en bois et d'une finesse incroyable.
12:37Elle aurait pu être faite en chaîne, mais non, là, elle est faite uniquement avec du sapin et du mélèze.
12:43En 2021, la mairie d'Evian, désormais propriétaire du site, lance un chantier pharaonique pour la restauration du bâtiment.
12:50Conçu par l'architecte Albert Ebrard, c'est un chef-d'œuvre de l'art nouveau tout en courbe et contre-courbe.
12:56La charpente du Grand Hall est inscrite au monument historique, et pour cause, sa coupole culminant à 17 mètres de hauteur défie les lois de la gravité.
13:05D'habitude, ce type d'ouvrage est conçu en métal, pour des questions de portance.
13:10Ici, les compagnons suisses-allemands qui ont conçu le bâtiment ont poussé l'art de la charpente aux limites du réalisable,
13:17ce qui en fait un site unique en France.
13:19Peu d'entreprises ont le degré de qualification nécessaire pour mener un chantier d'une telle envergure.
13:24C'est l'entreprise Chardon qui obtient les lots charpente et couverture, soit deux années de travail.
13:30Là, on est sur une restauration, c'est-à-dire qu'on conserve le maximum de bois, tous les bois qui sont sains.
13:39Là, on a repris le dessin de charpente de pratiquement la totalité de la buvette.
13:46Et vous voyez, toutes les pièces qui sont plus sombres, c'est toutes les pièces qui ont été changées.
13:50Les pièces qui sont plus claires, donc ça, c'est les pièces qui sont conservées.
13:55Et on retrouve aussi, à certains endroits, des pièces qui sont d'une autre couleur,
13:59qui sont légèrement marron.
14:01Donc ça, c'est toutes les pièces qui ont été restaurées.
14:04Et on peut voir après sur les poteaux, voilà, les poteaux qui servent au dessin de charge.
14:09Voilà, toutes les pièces qui ont été remplacées.
14:12Les principaux dégâts sur le bâtiment sont dus à des infiltrations d'eau au fil du temps,
14:17particulièrement visibles sur les poteaux.
14:20Eric supervise ses équipes sur le chantier depuis un an et demi.
14:24Une part importante du travail a consisté à remplacer les pièces abîmées.
14:29Donc vous voyez un poteau comme ça qui était pourri entre pieds, là.
14:32On a commencé par faire un étaiement pour pas que la charpente baisse.
14:36C'est-à-dire qu'on a mis un poteau provisoire à côté.
14:39On a relevé un petit peu pour soulager un peu le poteau.
14:43Et puis après on a coupé tout ce qui était mauvais.
14:46Voilà, tout ce qui était pourri.
14:48Donc vous voyez, là on a remis des petites pièces.
14:51Vous voyez le joint ici.
14:53Donc sur ce poteau, on a changé juste une pièce de 1 mètre de long.
14:57La partie pourrie, dessus le bois était sain, donc on touche pas.
15:01Le bois employé à l'époque de la construction était de première qualité.
15:05Pour le remplacer, Eric utilise exclusivement de la première bille, c'est-à-dire le bois de la partie basse de l'arbre.
15:13Plus dur, plus droit et moins susceptible d'avoir des nœuds.
15:17Revenu à l'entreprise il y a moins d'un an après trois années en tant qu'apprenti chez les compagnons,
15:22Clément, le cadet des garçons, se mesure à son premier chantier en autonomie.
15:27Restaurer la tour de l'horloge de la buvette Cacha.
15:30Donc le clocheton quand je suis arrivé, il était affaissé, il avait descendu d'environ 3-4 cm dans les angles,
15:38à cause d'une erreur de conception qui avait été faite auparavant.
15:42Donc les efforts de la charpente étaient renvoyés là sur les décors.
15:45Et ça au niveau reprise de charge, ça marche pas.
15:51Donc il faut renvoyer les efforts sur les murs, ce que je vais faire en changeant un peu la conception de la charpente.
15:57Clément relève le clocheton à l'aide de cris et met en place des poteaux temporaires,
16:02remplacés à terme par des renforts de charpente refaits à neuf.
16:05Une fois le bâtiment redressé, il retire les pièces pourries et peut entamer la restauration des pièces abîmées.
16:12Donc ce qui se passe, c'est que cette pièce, comme on peut voir, elle a bien pourri.
16:17Donc pour la changer, au lieu de changer la totalité de la pièce,
16:23j'ai utilisé cet assemblage à trait de Jupiter pour conserver au maximum et ne changer que la partie pourrie de la pièce.
16:33Donc le trait de Jupiter, c'est un assemblage à crochets, comme on peut le voir ici.
16:37Donc là, j'ai fait le gabarit et j'ai fait l'entaille à crochets sur la pièce neuve,
16:43qui va revenir au bout à cet emplacement-là.
16:46Et là, du coup, le crochet, il faut que je reproduise le même, mais sur la pièce qui est déjà existante.
16:52Donc la pièce va venir assemblée comme ça, à crochet, dedans.
16:57Et puis le jour qui est au milieu va être comblé par une clé en chaîne, ça va tenir l'assemblage.
17:03Alors là, j'ai fini de tailler le trait de Jupiter sur la pièce existante.
17:30Donc là, j'ai ajusté l'autre dessus.
17:33Donc elle est déjà taillée, mais j'avais laissé un peu de bois justement,
17:36parce qu'il y a toujours une retouche ou du bois en trop ou à laisser.
17:50Il commence à faire chaud là.
18:00Là, il est presque fini.
18:04J'ai un coup de scie à repasser dans la coupe dessous là et un coup dessus.
18:08Il va aller à plaquer comme il faut et après, je rentre les clés en chaîne et l'assemblage est bridé.
18:15Pendant que Clément travaille, Eric n'est jamais loin pour donner un conseil ou deux.
18:19Doucement là, tu en as pas trop envie.
18:23Ça va, tu veux les bouchoirs aussi ?
18:27Non, non, je te laisse faire.
18:28Allez, je m'en vais.
18:29Tu sais que t'as plus besoin de moi.
18:31Et même si le fils renvoie parfois le père à sa tâche, il n'oublie pas la chance de bénéficier de ses conseils.
18:39C'est très enrichissant de travailler avec mon père parce que j'apprends énormément.
18:42Moi, j'essaye de me débrouiller au maximum, mais il y a toujours un moment où je vais être bloqué et je vais avoir besoin du patron.
18:51L'autre grand pan du chantier, c'est la restauration de la toiture de la buvette.
18:55Et ici, c'est Adrien, l'aîné d'Eric, qui est à la manœuvre.
18:59Adrien, tu viendras nous aider après ?
19:03Il a fallu retirer 30 000 tuiles du toit et l'ensemble de la couverture en cuivre d'origine
19:08pour entamer son remplacement avec les mêmes matériaux et les mêmes méthodes traditionnelles.
19:15Aujourd'hui, Adrien s'occupe du lanterneau, c'est-à-dire le sommet de la buvette.
19:20Là, je suis en train de couvrir le lanterneau de la buvette Cacha.
19:24C'est plein de petits versants qui font un peu la demi-lune, qui se rencontrent en un seul point.
19:29Du coup, j'ai 12 petits versants qui part conique et qui se rencontrent en point fixe.
19:37Le travail consiste à recouvrir toute la toiture de feuilles de cuivre.
19:41La difficulté de l'opération réside dans la forme du lanterneau, tout en courbe.
19:46Pour que les pièces s'adaptent à la forme du toit, Adrien doit cintrer les feuilles parfois dans deux sens.
19:54Ce qui rend la forme indéveloppable, c'est-à-dire qu'on ne peut pas la dessiner sur papier.
19:58Ce travail de précision commence par la prise de côte.
20:03J'ai ma prise de côte suivant où je suis, que ce soit sur des bagues, des moulures.
20:08Je prends ma prise de côte.
20:09Je descends tout dans notre petit atelier qu'on s'est fait en bas au rez-de-chaussée du chantier.
20:16Et c'est là que j'ai attaqué.
20:17Je vais prendre ma feuille de cuivre et j'allais façonner mon morceau qu'il me faut pour aller sur le toit.
20:21Pour aller sur le toit.
20:51À la place de découper et souder, je vais faire ce qu'on appelle en pliant au coin de mouchoir.
20:57Tout simplement, j'ai mes deux angles.
20:59J'ai tracé la bisectrice et je suis en pliant à ma bisectrice.
21:03Ça me fait comme quand on plie en mouchoir.
21:06Ça évite une soudure et c'est totalement étanche.
21:21Et voilà, ça fait le pliant au coin de mouchoir qui est totalement étanche et ça évite d'avoir une soudure apparente qui est tout aussi jolie.
21:31Ensuite vient l'étape du cintrage à l'aide d'un outil mécanique.
21:36Il ne restera plus qu'à poser la pièce.
21:39La nouvelle couverture devrait faire son travail pour les 120 à 140 prochaines années.
21:45Un chantier d'une telle richesse technique ne se présente qu'une seule fois dans la vie d'un couvreur.
21:49Une chance pour Adrien donc de s'y atteler en début de carrière.
21:54Voilà, ça fait un an et demi que je suis sur le chantier.
21:57Et franchement, par rapport au niveau de j'avais quand je suis arrivé, en un an et demi, j'ai beaucoup progressé.
22:02Au départ, on appréhende toujours un petit peu avant d'attaquer.
22:05Une fois qu'on a les petites combines, on attaque doucement, on découvre comment faire.
22:10Et petit à petit, après, on y arrive et c'est toujours satisfaisant de se dire,
22:13tiens, ça au départ, je pensais que jamais j'allais réussir.
22:16Et qu'à la fin, on voit qu'on a réussi l'ouvrage.
22:19Si Eric et ses fils sont à pied d'œuvre à la buvette Cacha, à l'entreprise, Baptiste n'est pas en reste.
22:32Après avoir restauré et façonné de nombreuses pièces de charpente pour le chantier,
22:36il travaille à recréer un clocheton totalement disparu à partir de quelques plans grossiers et de photographies anciennes.
22:42Voilà, donc ça, c'est les photos, par exemple, d'archives qu'on a trouvées.
22:47Le premier clocheton qu'on est en train de faire, c'est celui-ci, qui est vraiment aligné dans la façade du bâtiment.
22:52Le deuxième, qui est identique, donc celui-ci sortira à la deuxième tranche.
23:00Donc l'appel d'œuvre n'est pas sorti encore.
23:02C'est à partir de ces photos-là et de ces petits détails qu'on devine même presque à des endroits,
23:06où on peut retranscrire sur le dessin.
23:11Il aura fallu une semaine de travail pour parvenir à recréer le plan du clocheton
23:16et sa fabrication s'annonce au moins aussi complexe.
23:19Toute la beauté, mais aussi la difficulté de l'ouvrage Evianney tient dans la profusion de ses volumes courbes.
23:26Le clocheton est un assemblage raffiné qui tient plus de la menuiserie que de la charpente.
23:30Aujourd'hui, on va s'occuper des arrêtiers. On va au moins essayer d'en sortir un.
23:38Les arrêtiers, c'est ces pièces-là.
23:42C'est les pièces d'angle qui font raccord entre les versants.
23:45Situé à la jonction entre deux versants du toit du clocheton, l'arrêtier présente deux faces différentes.
23:51Celle de droite est courbe, mais sur un seul plan, donc facilement traçable à la machine.
23:55Celle de gauche, par contre, raccorde avec un versant en cuillère. Elle est de forme hélicoïdale.
24:02Pour parvenir à tracer cette face, Baptiste prend les côtes à partir du logiciel et trace ce qu'on appelle des rameneraies sur la pièce.
24:11Alors tout d'abord, j'ai tracé des rameneraies. Donc un rameneraie, c'est un plan de niveau que j'ai reproduit ici tous les 5 cm.
24:18Donc tous les 5 cm, j'aurai un plan de niveau jusqu'au sommet.
24:22Et sur ces plans de niveau, j'ai trouvé mes côtes et chaque côte est différente.
24:27En fait, ces côtes vont me servir à tracer ma courbe hélicoïdale.
24:31Donc jusqu'en bas, sur chaque rameneraie, j'ai une côte différente qui s'agrandit.
24:36Plus je descends, plus ma côte s'agrandit, car en bas, la pente est moins importante.
24:39Une fois les pièces de bois taillées, on va relier nos deux traits en enlevant la partie de bois en trop.
24:48Baptiste coupe l'épaisseur de la tranche au niveau de chaque point de repère.
24:52Puis, à l'aide d'un ciseau à bois, il va délarder, c'est-à-dire enlever cette épaisseur.
24:57Quand on trace une pièce de bois, les coupes sont déjà dessinées dans nos têtes, c'est-à-dire que l'orientation de la pièce est déjà faite.
25:09Et on sait où on va, on sait ce qu'on trace et à quoi ça va ressembler dans le futur.
25:14A seulement 23 ans, Baptiste s'est constitué une solide expérience de la charpente.
25:20Enfant, son père l'emmène déjà sur les chantiers.
25:22Alors là, dans cette pièce, j'ai fait un trou.
25:27Oui, j'ai fait une mortaise.
25:29A 12 ans, il pose une pièce qu'il a entièrement fabriquée dans la charpente du château de Vizil.
25:35A 14 ans, il part en apprentissage.
25:38A 18, il obtient le prix du meilleur apprenti charpentier de France.
25:42De retour dans l'entreprise depuis 3 ans, il gère ses propres chantiers en autonomie.
25:46Voilà, on a notre arrêtier, la courbe est bonne, notre délarmement en hélice est fait.
25:58Encore 7 dans le même genre et puis après, direction le levage à Hélien.
26:02Dans les lots attribués à la famille Chardon pour la buvette Cacha, il y a également celui de la menuiserie.
26:15Rentré du chantier pour le week-end, Clément tourne une pièce qui viendra agrémenter la façade de la buvette.
26:20Donc là, ce que je suis en train de faire, c'est une boule tournée qui va...
26:25La buvette Cacha et vient les bains.
26:27Donc là-bas sur le chantier, il y en a des boules comme ça, il y en a énormément.
26:32Donc il y en a certaines qui avaient pourri avec le temps et d'autres qui avaient disparu même, on ne sait pas où elles sont passées.
26:38Donc là, j'en ai 3 à refaire comme celle-là.
26:41Donc il y en a déjà 2 qui sont tournées là-bas et là, c'est la dernière qui me reste à faire.
26:46Donc je vais la faire aujourd'hui avec vous.
26:47Il commence par dégrossir la pièce de sapin, ce qui s'appelle tirer au rond, c'est-à-dire la réduire à son diamètre maximal pour ensuite pouvoir la travailler.
26:58La gouge, on sent qu'elle tape encore, donc ça veut dire qu'il me reste un petit carré.
27:05Une fois égalisé, il mesure les différentes parties du modèle et les marques sur la pièce.
27:10Puis, à l'aide de compas, il prend les profondeurs et les diamètres des gorges et des arêtes.
27:17Là, je vais faire une petite passe de dégrossi.
27:18Là, je vais faire une petite passe de dégrossi.
27:29C'est tous ces mouvements-là qu'il faut apprendre dès le début pour faire des belles courbes.
27:44Donc là, j'attaque droit, je prends le copeau et après, le but, c'est d'amener le copeau jusqu'au bout de sa forme.
27:51Et là, c'est ça le plus dur. Là, c'est qu'il faut faire suivre la gouge.
27:56La tournerie représente une petite partie de l'activité de l'entreprise. Pourtant, elle revêt une grande importance au sein de la famille.
28:08Garder ce savoir-faire vivant, c'est entretenir le lien avec les anciens.
28:11La tournerie, je l'ai découvert depuis tout jeune. Déjà, je viens là-dedans. Je vois le tonton qui venait tourner là. Je le vois faire. Donc déjà, rien que de regarder, ça m'a donné cette envie d'essayer.
28:24Après un moment, jusqu'à la fin, ils descendaient tous les jours à la tournerie. Ils nous disaient, allez, viens petit, mettez le tabouret.
28:33Puis ils se mettaient derrière nous, ils nous disaient comment faire. Du coup, on avait déjà eu tourner quelques verres, des machins comme ça.
28:40Et puis, du coup, on a tous commencé sur le tabouret qu'il y a là-bas. C'était déjà le tabouret que mon arrière-grand-père avait fait pour mon grand-oncle.
28:47C'est des bons moments partagés avec lui. Moi, je me souviens aussi qu'il gueulait beaucoup. Moi, je me prenais pas mal de savonnées.
28:52Mais bon, c'est tous des bons souvenirs qu'on garde dans la tournerie.
28:57Clément commence à tourner à l'âge de 7 ou 8 ans.
29:00Verts, bols, maquettes, il se retire souvent dans la tournerie pour laisser aller ses mains sur le bois.
29:06En fait, tu te vides la tête. T'es tout seul dans ton travail. Il n'y a personne qui est là de dire quoi faire.
29:12C'est vraiment ton œil et ton ressenti. En fait, c'est ce qui fait ton objet.
29:17C'est bon. La boule est terminée. Je vais la mettre avec les autres.
29:32Et puis après, il y aura du travail du coup de sculpture un peu à la gouge et aux ciseaux pour faire les facettes là et puis dans la gorge.
29:42Les boules pourront rejoindre Evian où elles participeront à rendre à la buvette Cacha son visage d'antan.
29:48Aujourd'hui, les entreprises capables de réaliser un chantier de la complexité de la buvette Cacha se comptent sur les doigts d'une main.
29:57Dans la grande majorité des entreprises de charpente, les technologies ont pris le pas sur les savoir-faire ancestraux,
30:03la construction neuve sur la rénovation de l'ancien.
30:06Ils ont une facilité et puis ils ont un rendement qui est bien meilleur parce que c'est taillé, bon c'est déjà tracé sur le logiciel.
30:15Après, les logiciels sont transmis sur une machine de taille et c'est une machine qui taille, une machine numérique.
30:20Les assemblages traditionnels sont tous supprimés. On est dans un monde où tout va vite.
30:24Donc les entreprises, elles sont là-dedans, elles sont dans un engrenage où elles ne peuvent plus s'arrêter.
30:30C'est que chaque année, il faut faire un temps de chiffre d'affaires, il faut dégager du bénéfice.
30:35Tandis que nous, qui ont fait un travail, il est fait pour certaines choses pour des centaines d'années,
30:41trois, quatre cents ans ou cinq cents. Donc on n'est pas un mois prêt pour le finir.
30:47Donc on a souvent des petits problèmes de délai quand même.
30:49Mais pour faire des belles choses, on ne peut pas faire des belles choses en allant vite.
30:54Il faut un temps pour façonner des pièces. Il faut un temps pour tailler du bois.
30:59Donc voilà, ce n'est pas des entreprises où on va leur dire, vous commencez le 1er janvier, le 31 décembre, c'est fini.
31:04Parce qu'il y a toujours une part d'acconnu et puis en fonction de ça et en fonction des techniques qu'ils doivent mettre,
31:09ça travaille plus lentement. Mais par contre, à aucun moment, à aucun moment, il y a une baisse de qualité dans le travail.
31:16Prendre le temps du travail bien fait, une logique à contre-courant qui se traduit par des coûts forcément plus élevés.
31:24Avec un budget de plus de 10 millions d'euros pour quatre années de travaux,
31:28les sommes nécessaires à la restauration de la buvette Cacha ont d'abord fait grincer quelques dents.
31:32Lorsqu'on a soumissionné, les entreprises qui se sont senties en capacité de répondre ont répondu en fonction de leur savoir.
31:41Et donc tout ça, une fois qu'on additionne tout ça, on arrive à des montants qui, effectivement, sont des montants
31:46qui, en première lecture, nous ont paru vraiment exorbitants, mais comme on n'avait pas de référence.
31:51Donc on a re-sollicité ces mêmes entreprises de recalculer une deuxième fois et une troisième fois.
31:59Et à un moment, il y a la réalité des choses.
32:02La réalité, c'est de dire, nous, on a fait sur des estimations, on estime que, et on arrive à des montants,
32:09eux, ils ont fait leur calcul sur leur savoir.
32:12Et donc, effectivement, oui, c'était plus cher. On était, sur la première tranche, pratiquement 50% plus cher.
32:20Mais c'est quoi la réalité ? C'est quoi qu'on veut ? Qu'est-ce qu'on veut en finalité ?
32:24On veut un bâtiment, comme il est unique, on veut qu'il soit restauré dans les règles de l'art,
32:29avec des sachants qui maîtrisent tout, le savoir, qui maîtrisent leur boulot,
32:34pour que nous, on ait une garantie que ce qu'on va investir dedans, d'abord, c'est bien investi,
32:39et puis, quelque part, on repart sur la durée.
32:42Le temps de la restauration du patrimoine n'est pas celui de la course à la rentabilité.
32:47Le travail s'inscrit sur la temporalité des siècles.
32:50C'est dans ces conditions que les savoir-faire ancestraux peuvent perdurer.
32:55Je trouve qu'il y a quelque chose qui est merveilleux dans l'entreprise de Chardon,
32:58c'est qu'il est là, il y a son frère, ses enfants qui sont là, et on les voit travailler.
33:04Et on voit aussi que, déjà, il y a eu un transfert de savoir sur les enfants de M. Chardon,
33:09et aussi sur ses employés, parce que quand on les voit travailler,
33:13comment ils maîtrisent aussi bien le façonnage des cuivres, le façonnage du plomb,
33:17que ce soit aussi bien comme ils façonnent les pièces de bois,
33:20ben voilà, je veux dire, on a une chance incroyable d'avoir des entreprises comme ça.
33:24Et quand on voit qu'aujourd'hui, à la vitesse où on perd le savoir,
33:27pouvoir compter sur des entreprises comme ça, c'est pour nous un gage de sécurité et de qualité d'ouvrage.
33:32Mais il ne suffit pas de faire de la restauration du patrimoine pour garantir la préservation des savoirs.
33:39Dans les entreprises, celui-ci est souvent détenu par un noyau d'anciens
33:43qui le transmettent aux nouvelles générations au fil du temps.
33:46Problème, les jeunes ont de plus en plus la bougeotte.
33:49Les jeunes, on ne peut pas les former parce qu'ils sont là et après ils repartent.
33:54Nous, on y voit au niveau des apprentis, on forme des apprentis toutes les années.
33:58Mais aujourd'hui, des apprentis qu'on a formés qui sont restés chez nous,
34:03on en a eu combien là ? Aujourd'hui, on en a un.
34:06Ça, c'est la mort des entreprises pour les années futures.
34:10Parce que les anciens vont partir et derrière, ça sera le vide, le vide complet.
34:14Dans ce contexte, avoir quatre enfants dans l'entreprise est un gage de pérennité.
34:20Là, ils vont pouvoir poursuivre l'activité complète entre la charpente, la couverture,
34:25un petit peu de maçonnerie, la forge.
34:27Bon, après, elle travaille au bureau avec Eleonore.
34:29Donc, les quatre enfants vont pouvoir chapoter tout ça.
34:34L'entreprise, elle va pouvoir continuer avec comment l'amener aujourd'hui,
34:39avec le même savoir et la même transmission après.
34:42Transmission, génération, ancien, ces mots forment le cœur du vocabulaire des Chardons.
34:50Une obsession qui ne se limite pas au domaine du savoir-faire,
34:54mais s'étend également à celui d'un patrimoine naturel.
34:56La Chartreuse est connue pour son climat humide et rigoureux.
35:09Dans les forêts épaisses qui prospèrent sur le massif,
35:12de nombreuses essences de feuillus et de résineux cohabitent
35:15qui donnent des bois particulièrement robustes.
35:17C'est ici, dans ces sous-bois, que la famille Chardon tisse un lien indéfectible avec son environnement.
35:25Enfant déjà, Eric et Laurent y viennent avec leur oncle pour entretenir les parcelles et couper le bois nécessaire au chantier.
35:31La forêt, elle a fait vivre la famille depuis chaque génération.
35:38La forêt, elle fournit du bois pour se chauffer, du bois d'œuvre.
35:45Et puis, la forêt, c'est un endroit où on est bien.
35:47La forêt, pour moi, c'est une passion.
35:51C'est vraiment une passion.
35:53Et je me sens bien en forêt parce qu'on retrouve le calme, la sérénité.
35:58C'est vraiment important.
36:02De la famille, les frères héritent 37 hectares de forêt morcelées en une multitude de petites parcelles,
36:08à force d'avoir été divisées entre les enfants à chaque passage de génération.
36:12Laurent et Eric créent un groupement forestier pour empêcher que cela se reproduise,
36:17et depuis une vingtaine d'années, ils rachètent patiemment de nouvelles terres,
36:21ou font des échanges avec d'autres propriétaires pour reconstituer des parcelles plus grandes,
36:26et donc plus simples à gérer.
36:28Le groupement compte désormais 120 hectares de terre.
36:33Il y a vraiment des beaux sapins, là.
36:36Regarde cette pièce, là.
36:37On a un fût qui est vraiment droit, là.
36:41Et pour entretenir ce patrimoine, la famille applique la méthode des anciens.
36:47Prendre le temps de l'observer, ne prélever que le nécessaire.
36:51C'est nos anciens qui travaillent comme ça, on disait qu'ils travaillaient par jardinage,
36:55c'est-à-dire qu'une forêt, c'est un jardin.
36:57Donc on vient, alors bien sûr, ça ne pousse pas comme une salade, à la même vitesse.
37:01Donc une forêt, on travaille sur plusieurs générations.
37:03Nous, on va récolter les bois que nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents nous ont laissés.
37:10Et nous, le travail qu'on fait aujourd'hui en forêt, c'est pour nos enfants et puis petits-enfants qui arriveront derrière.
37:18Je veux dire, on travaille sur plusieurs générations, là.
37:20Aujourd'hui, on appelle cette méthode la fûtée irrégulière.
37:25La fûtée irrégulière, c'est une multitude d'essences dans une même forêt.
37:30Nous, on a des forêts mèques, c'est-à-dire qu'on a sapins épicéas souvent mélangés,
37:33et par-dedans, on a du feuillu, ce qui est très important aussi,
37:36ce qui permet de renforcer les forêts et la parcelle au niveau des maladies.
37:40C'est des fûtées où on a toutes les générations.
37:43Donc on va avoir les bois qui arrivent à maturité, si on peut dire qu'ils vont être prêts à récolter.
37:47Après, on a les bois qui seront récoltés dans 10 ou 15 ans, et ainsi de suite,
37:52avec vraiment la jeunesse, après les petits sapins, les petits épicéas que vous voyez dans les sous-bos qui poussent.
37:58La fûtée irrégulière, c'est un peu l'inverse de ce que préconise la sylviculture industrielle.
38:04Planter une seule essence en rang et effectuer des coupes rases lorsque le bois arrive à maturité.
38:08C'est un mode de coupe où c'est des prélèvements faibles, mais répétés plus souvent.
38:17Donc dans une forêt, on va prélever quelques pièces qui sont à maturité, qui sont bonnes à être enlevées.
38:23Et puis après, on reviendra 8 ou 10 ans après, en faisant le même type de coupe.
38:29Donc à chaque fois, on enlève quelques pièces, on ramène de la lumière, on laisse pousser les jeunes.
38:34Et voilà, dans une forêt, on retrouve toutes les générations d'arbres.
38:41Et les bois de mauvaise qualité sont tronçonnés et laissés en forêt.
38:44En se dégradant, ils nourriront les sols et serviront d'habitat à toute une biodiversité.
38:48Car une forêt vivante est terriblement précieuse pour un territoire et ses habitants.
38:55C'est un immense réservoir d'eau qui restitue son humidité sous forme de pluie, limite l'érosion et sert de refuge à la vie sous toutes ses formes.
39:02Meilleure est sa santé et mieux elle sera armée pour affronter les bouleversements climatiques déjà à l'œuvre.
39:09On a vraiment vu la différence depuis l'été 2022 qui a été très sec, où là on a vraiment des places, des bois qui ont séché sur pied.
39:18Et puis donc, derrière, pareil, la maladie, parce que le bostrich, les squelites, ils arrivent sur les bois faibles.
39:26Donc on a un été très sec, ça affaiblit les bois, et derrière, ils prennent la maladie.
39:32Voilà, parce qu'un bois qui est en pleine santé, il prendra plus difficilement le squelite.
39:39Donc là, on va abattre les trois épices à squelites, donc c'est les trois qui sont derrière nous, là.
39:43Donc on verra si on peut les verser, je pense qu'on pourra mettre deux pièces dans le chemin, là.
39:49Et puis peut-être qu'il y en a une, une fois la place dégagée, qu'on pourra peut-être verser de ce côté, là.
39:53Le squelite n'est pas à proprement parler une maladie, mais un petit insecte qui se nourrit de bois.
40:00Il fait des ravages dans de nombreuses forêts françaises.
40:03Multiplier les essences est encore la meilleure manière de lutter contre ce ravageur.
40:08Tiens, Baptiste, tu peux venir ?
40:10On va abattre cet épicéa.
40:14Donc, moi, c'est un épicéa squelité, là, donc il faut enlever.
40:18Il est sec complet, jusqu'à la tête.
40:21Et puis là, on a les écorces qui partent, on a déjà les champignons qui poussent en pied.
40:26Ça doit être bien jaune, non ?
40:28Ça veut dire qu'il est sec au moins deux ans, au moins sur la deuxième année.
40:32Donc, bon, c'est des pièces qu'il faut enlever, qui n'ont plus aucun intérêt de rester en forêt.
40:39J'espère qu'il ne va pas se briser en arrivant en bas. On verra.
40:42Tiens, tu peux me passer ma tranchonneuse, s'il te plaît ?
40:44S'il te plaît ?
40:45S'il te plaît ?
40:46S'il te plaît ?
40:48S'il te plaît ?
40:50S'il te plaît, en Tamil Nadu.
40:51S'il te plaît.
40:52Voilà !
40:53S'il te plaît.
40:55S'il te plaît.
40:56Pour entretenir ce précieux patrimoine que sont les forêts du massif et mettre en valeur
41:17la qualité de ces bois, le parc naturel régional de Chartreuse initie la création d'une appellation
41:22d'origine contrôlée. Elle réunit l'ensemble des acteurs de la filière autour de la table qui
41:28détermine un cahier des charges exigeant. Les chardons sont partie prenante de ce processus.
41:34On a mis 20 ans pour avoir une AOC, ça a été la première AOC sur un produit qui ne se mange pas
41:38ou qui ne se boit pas. Donc on a un bois qui est très résistant mécaniquement, donc c'est un très bon
41:44bois de charpente. Donc ça c'est dû au climat du massif de Chartreuse, au sol et sur au terroir.
41:50Et puis des massifs qui sont quand même très arrosés, très humides, qui font qu'on a un bois
41:57d'une très grande qualité.
41:59Épicéa et sapin AOC sont issus de forêts des montagnes de la Chartreuse gérées en futé irrégulière.
42:06Ces bois massifs, destinés à la construction, sont sciés en local. La coupe s'effectue en débit
42:11sur liste, c'est-à-dire sur mesure et non à des tailles standardisées comme c'est le cas généralement.
42:16Les Chardons utilisent toujours ce type de coupe, puisqu'en rénovation du patrimoine,
42:21rien n'est standardisé. Mais les scieries capables de travailler de cette manière sont de plus en plus rares.
42:26Quand on a commencé, on avait deux scieries, c'est dans le village. Là, sur les deux scieries, il n'en reste plus.
42:32Donc il n'en reste plus qu'une sur la vallée du Guay, où ces dernières années, elle avait un peu des difficultés
42:37à nous servir en bois. Donc cette entreprise-là, si demain il lui arrive quelque chose, nous on se retrouve,
42:45on n'a plus de fournisseurs. Donc nos chantiers s'arrêtent en même temps.
42:48Donc avant de se retrouver, disons, coincés et de ne plus pouvoir s'approvisionner en bois,
42:55c'est pour ça qu'on prend un petit peu les devas.
42:57En 2015, les Chardons rachètent la scierie-ré à Saint-Pierre-d'Entremont.
43:02Pendant plusieurs années, le bâtiment de 1600 m2 sert principalement d'entrepôt de bois,
43:07mais face à la difficulté d'approvisionnement, il décide de relancer l'activité de scierie en débit sur liste.
43:12Pour accueillir l'arrivée prochaine des machines, la famille fait des heures supplémentaires le week-end.
43:19Baptiste a déjà entamé les formations obligatoires pour travailler en scierie.
43:23Donc nous voilà à l'extérieur, et maintenant, il faut imaginer la scie, le corps principal du bâtiment,
43:31rallongé de 15 mètres, donc ça viendrait à peu près ici.
43:34L'aîné des enfants se chargera de lancer l'activité, puis il faudra recruter des salariés pour prendre le relais.
43:41A terme, la scierie permettra de sortir des pièces de 18 mètres de long contre 10 mètres chez la majorité des concurrents.
43:48Elle fournira du bois pour l'activité de la famille, et au-delà.
43:53Les Chardons maîtriseront ainsi l'ensemble des étapes de la filière bois.
43:57Là oui, c'est ça, on va gérer la partie civiculture, avec l'abattage, le débardage des pièces de bois,
44:03la partie sillage, le travail de la pièce de bois niveau charpente, et puis jusqu'à la pose en fait.
44:10Ça m'étonnerait qu'il y ait beaucoup d'entreprises qui soient capables de faire ça à l'heure d'aujourd'hui.
44:14Le tout avec du bois local de Chartreuse en a haussé souvent.
44:19Difficile d'imaginer filière plus courte et meilleur argument de vente.
44:22Sur certains marchés, on passe plus facilement avec un circuit court comme ça au niveau de nos bois.
44:30Tout en étant plus cher, on a le marché.
44:32Les gens ne regardent pas forcément le prix après.
44:34Ils vont regarder un circuit court, c'est l'écologie, c'est économique.
44:38On arrive à sortir des chantiers sur des marchés publics comme ça.
44:42Plutôt que de jouer selon les règles économiques en vigueur,
44:49les Chardons tracent un chemin alternatif, loin de la grande accélération généralisée.
44:55La famille vit selon un modèle étonnamment désuet et pourtant profondément résilient.
45:01Les pieds fermement ancrés sur un territoire, le massif de la Chartreuse,
45:05ils récoltent les fruits semés par les générations qui les ont précédées
45:08et s'aiment pour celles qui suivront.
45:12Pour autant, faire grandir l'entreprise ne les intéresse pas.
45:16L'avenir de l'entreprise, moi, je le vois,
45:20je n'aimerais pas évoluer plus que ce qu'on est aujourd'hui.
45:25Je pense qu'il faut savoir rester à son niveau.
45:28De toute façon, on ne va pas monter une multinationale ici à Saint-Même.
45:34Il vaut mieux rester là, garder le site
45:36et puis continuer, je pense, à faire du bon boulot.
45:42Et ça, ça amène derrière des beaux chantiers.
45:44Ce qu'il faut faire, c'est du...
45:46Il faut continuer à faire du beau travail.
45:48Parce que c'est ce qui nous permet de se lever tous les matins,
45:52d'être heureux d'aller au travail.
45:54Parce qu'on sait qu'on va faire des belles choses derrière.
45:58Clément, Eléonore, Baptiste et Adrien héritent d'un patrimoine séculaire
46:02qui implique une lourde responsabilité.
46:04Celle de se porter garant d'un héritage.
46:07Qu'il s'agisse de savoir-faire ancestraux, de terre
46:10ou plus simplement de l'entreprise.
46:14C'est sûr que c'est un choix à faire.
46:16Il y en a certains qui n'en auraient pas fait autant, je pense.
46:19C'est un peu des sacrifices aussi.
46:21Parce que des fois, quand on fait beaucoup de déplacements,
46:24on ne voit peut-être pas beaucoup sa famille.
46:27C'est un choix de vie.
46:28C'est une fierté parce que l'entreprise Chardon s'est fait en nom à l'heure actuelle.
46:34Du coup, c'est une fierté de pouvoir essayer de continuer à transmettre ce nom.
46:39Ça met un peu la pression aussi parce qu'on se dit qu'il faut faire aussi bien que nos pères.
46:44Mais on peut y arriver, je pense.
46:46On est quatre à reprendre, mais c'est quand même pas simple.
46:48On a chacun notre place, donc c'est vrai qu'on n'empiète pas sur l'un ou l'autre.
46:55Du coup, c'est ça qui est bien aussi.
46:57Mais c'est vrai que ça fait un stress parce qu'ils ont fait tellement bien jusqu'ici leur boulot
47:02que nous, derrière, il va falloir qu'on assure aussi.
47:05L'histoire de l'entreprise, de la famille ici, est quand même assez forte.
47:10C'est trop beau pour être gâché, pour y laisser partir.
47:13Et puis c'est ce qu'on aime, tout simplement.
47:17Après, ce que je voudrais, c'est vraiment garder ce savoir-faire et puis les traditions à côté aussi.
47:25Parce que c'est ce que les anciens nous ont laissé.
47:31C'est un héritage de nos anciens et il ne faut pas les laisser partir aussi.
47:35Il reste encore une petite quinzaine d'années d'activité à Éric et Laurent avant la retraite.
47:39Alors, en attendant la passation définitive, ils observent avec joie leurs enfants prendre leur envol.
47:47De retravailler aujourd'hui avec les enfants, c'est vraiment un plaisir.
47:51Surtout qu'on n'a pas fait beaucoup de choses avec eux dans leur jeunesse.
47:55Parce que nous, on était au travail, toujours au travail.
47:58Aujourd'hui, on s'aperçoit qu'il y a certaines choses peut-être qu'on a loupées.
48:03Mais là, on a vraiment les quatre enfants à l'entreprise.
48:06Et aujourd'hui, moi, c'est vrai que de retravailler avec mon fils et ma fille, c'est une joie, c'est un plaisir.
48:12Parce qu'en fait, on rattrape un petit peu les années qui ont passé où on n'a rien fait avec eux.
48:19C'est la fierté d'une vie de travail.
48:23On se dit qu'on n'aura pas fait tout ça pour rien.
48:26Penser le temps long et assurer une continuité qui dépasse le cadre de leur propre existence.
48:34C'est la recette des chardons pour donner un sens profond à une vie de travail, certes, mais surtout de passion.
48:41On se dit qu'on vieillit, les enfants sont dans le métier, ils ont déjà un âge, ils ont déjà appris beaucoup de choses.
48:48Et puis, après, on les sent derrière.
48:53Donc, après, ça réconforte.
48:57Et puis, on peut se dire, bon, ben, encore quelques années,
49:01à leur enseigner encore, à leur transmettre notre savoir-faire.
49:04Et puis après, on pourra s'en aller tranquille.
49:07Nos anciens, ils ont fait des choses.
49:09Il y a des choses qu'ils n'ont pas finies, il y a des choses qui ne se sont jamais finies.
49:13D'autres qui ont été faites, reprises derrière par les générations qui sont arrivées.
49:18Et aujourd'hui, je me dis, nous, on a plein de choses à faire.
49:23On a beaucoup de projets, peut-être même trop.
49:26Et là, aujourd'hui, on commence à se dire, mais on ne va peut-être pas vivre assez vieux pour tout faire.
49:31Mais ce n'est pas grave.
49:33Parce que quand on sait derrière, il y a une génération qui est là et qui va continuer.
49:41Et bien, alors là, le temps, vous dites, là, cette fois, on est tranquille.
49:45Après, c'est ça, c'est ce bonheur-là de dire, après nous, ils sont là.
49:50C'est ça, c'est ça, c'est ça.
50:20C'est ça, c'est ça, c'est ça.
50:50C'est ça, c'est ça.
51:20C'est ça, c'est ça.
51:22C'est ça, c'est ça.
51:24C'est ça, c'est ça.
51:26C'est ça.