Dans son édito du 23/04/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00En fait, il y a deux manières d'aborder la question de Lampedusa.
00:02Il y a par l'angle François et par l'angle Mélanie.
00:05Et on verra qu'il faut embarrasser ces deux angles pour comprendre de quelle manière
00:08c'est-il devenu un peu le symbole du mauvais sort fait à l'Europe.
00:13Alors, point de départ, on était pendant 48 heures et c'est normal,
00:17on rappelait les qualités indéniables du pape François,
00:20autant on parlait du plan spirituel.
00:22Dès lors qu'on s'intéresse aux questions plus politiques,
00:24notamment ses positions sur l'immigration,
00:27certains points d'interrogation se sont mis à pleuvoir.
00:30Il y en a eu beaucoup, une averse de points d'interrogation.
00:32Et on s'est rappelé, on a dit plusieurs,
00:36on disait que la grande cause humaine de son pontificat, c'était le climat,
00:40mais c'était aussi la migration.
00:41Il s'est voulu l'homme qui accompagnait ce mouvement
00:44en le présentant fondamentalement de manière positive.
00:47Et l'acte de départ, en quelque sorte,
00:49le geste fondateur de François sur l'immigration,
00:52c'est le 8 juillet 2013 à Lampedusa.
00:55Et où il nous dit que c'est son premier grand déplacement
00:57et c'est un appel à l'accueil,
00:59un appel à l'accueil sous le signe d'éthique qui se veut généreuse,
01:04mais qui a été considéré par plusieurs en Europe
01:07comme un appel à l'accueil inconsidéré,
01:10ne tenant pas compte de la capacité d'accueil des sociétés devant accueillir.
01:15Donc là, c'était, pour plusieurs,
01:18c'est peut-être le début d'un divorce politique,
01:21non pas spirituel, avec lui.
01:23Alors, il s'est présenté un peu comme l'accélérateur de l'immigration,
01:26c'est-à-dire qu'il légitimait le mouvement.
01:27Et en 2015, on le sait,
01:30la remontée du sud vers le nord s'accélère avec les événements en Syrie.
01:35Eh bien, encore une fois,
01:36le propos est un appel sans cesse reconduit à ouvrez-vous, accueillez,
01:40et d'autant que c'est presque un devoir à l'échelle de l'histoire
01:43pour l'Europe d'accueillir. Pourquoi ?
01:44Parce que l'Europe, par la colonisation,
01:46se serait déployée partout,
01:48se serait enrichie au détriment des peuples du monde
01:50et devrait aujourd'hui partager sa richesse
01:53en ouvrant les portes,
01:54presque en abolissant les portes, en quelque sorte,
01:56pour que les populations qui arrivent puissent y vivre.
01:59Alors, on comprend le raisonnement.
02:00Il y avait un grand attachement de la part du pape François,
02:02on le disait souvent,
02:03à l'identité des peuples originels,
02:06des peuples, par exemple, en Amérique latine,
02:08ça le touchait beaucoup, à l'identité des migrants.
02:10Certains considéraient qu'ils n'avaient pas
02:12la même attention, n'avaient pas la même considération
02:14pour l'identité des peuples d'Europe,
02:17comme si ces identités avaient moins vocation
02:19à s'inscrire dans la continuité historique.
02:22Et de même, on disait qu'il avait le grand souci,
02:24et tous le reconnaissent, pour la misère du monde.
02:26La misère du monde le hantait,
02:28mais la misère engendrée par l'immigration massive en Europe,
02:31donc les miséreux d'Europe,
02:32n'étaient peut-être pas au sommet de ses préoccupations
02:35en la matière.
02:37Alors, une fois que c'est dit,
02:38on est avec un pape qui, finalement, avait une logique.
02:40Donc, Eugénie Bassi disait cette seconde, cette semaine,
02:42« tiers-mondiste ».
02:43Laurent Dandrieu a dit,
02:45on est dans une logique un peu mondialiste.
02:46Donc, de nombreuses critiques se sont faites entendre.
02:49Mais d'autant que la question de l'immigration,
02:51justement, n'est pas qu'une question éthique
02:53d'accueil universel sous le signe de la charité chrétienne.
02:56L'immigration est aussi une question éminemment politique.
03:00À partir d'un certain moment,
03:01elle peut déstabiliser profondément une société.
03:03Elle peut déstabiliser cette société
03:05au point de créer des tensions civiles,
03:07d'engendrer un effondrement des services qu'elle peut offrir,
03:09d'avoir une perte d'identité,
03:11de créer des tensions, des violences.
03:13Nous le voyons en Europe,
03:13nous le voyons en Amérique du Nord.
03:15Et c'est à ce moment que, parlant de Lampedusa,
03:17qui est en Italie,
03:18surgit un autre personnage,
03:20Giorgia Meloni,
03:21qui, elle,
03:22qui a un autre...
03:23Ah, qui se veut chrétienne, hein.
03:25Il ne faut pas l'oublier.
03:26Qui est ?
03:26Mais qui est chrétienne.
03:28Je sais bien si on se veut chrétienne ou on l'est,
03:30j'en sais rien.
03:31Mais elle se veut chrétienne, assurément.
03:32Elle le disait.
03:33C'était même un élément d'identité politique chez elle.
03:36Et pour elle, elle a dit un instant,
03:37Lampedusa, ça ne doit pas être le symbole
03:38l'inconsidéré de l'accueil.
03:40Ça doit redevenir, en quelque sorte, une frontière.
03:42Parce qu'aujourd'hui, c'est devenu le pont, en fait,
03:44qui permet de se rendre vers l'Europe.
03:46Et on était dans un contexte...
03:47Quand elle a pris la direction des affaires italiennes,
03:50on était dans un contexte, en fait,
03:51où l'Italie était la porte d'entrée
03:53d'une immigration clandestine,
03:55d'une immigration massive,
03:56d'une immigration irrégulière,
03:58portée à la fois par les associations humanitaires,
04:01par les passeurs,
04:02et qui déstabilisait l'Italie,
04:04mais l'ensemble de l'Europe aussi.
04:06Alors, Giorgio Méloni a dit,
04:07il faut que ça cesse.
04:08Il faut que ça cesse.
04:09Nous ne pouvons plus accueillir autant
04:11parce que nous en payons tous le prix, finalement.
04:14Et qu'est-ce qu'elle a fait?
04:15À l'espace de quelques années,
04:17elle a voulu refaire...
04:18Vous savez, on a dit quelquefois,
04:19la Méditerranée était devenue un cimetière.
04:20Et c'est évidemment terrible, cette idée.
04:22Mais elle a dit,
04:23on va plutôt en faire une frontière.
04:24On va prendre au sérieux cette chose de base
04:27qui consiste à ne pas laisser entrer
04:29les gens qui n'ont pas le droit d'entrer.
04:31Donc, on ne va pas leur laisser chacun entrer
04:33pour leur demander ensuite de repartir.
04:34On dit, vous ne passerez pas,
04:37comme disait Gandalf.
04:39Donc, disant, vous ne passerez pas,
04:41qu'est-ce que ça veut dire?
04:41Elle a fait des accords,
04:42notamment avec la Tunisie,
04:44disant, vous allez défendre la frontière.
04:46Et défendant la frontière,
04:47qu'est-ce que ça donne?
04:48Eh bien, on est passé,
04:50il y a deux ans,
04:5118 000 migrants qui avaient traversé
04:53à 432 depuis le début,
04:55depuis janvier.
04:56Il y en aura peut-être plus
04:56à la fin de l'année.
04:57Mais ce qui est intéressant,
04:59c'est qu'elle a été capable de prouver
05:00qu'on peut reconstruire
05:02politiquement une frontière.
05:03Elle est dans la logique du refoulement,
05:05finalement.
05:06Le refoulement qu'on autorise en Pologne,
05:08mais qu'on ne permet pas
05:09aux nations d'Europe occidentale.
05:11Elle a dit, non, nous allons refouler,
05:12parce que nous ne pouvons plus accueillir.
05:13Donc, on reprend au sérieux nos frontières.
05:15Il ne faut pas oublier
05:16qu'elle avait aussi l'idée
05:16qu'elle a plus ou moins
05:17appliqué d'un blocus militaire
05:19pour empêcher, encore une fois,
05:21l'ensemble des navires de traverser.
05:22Donc, elle a voulu reprendre
05:23la fonction régalienne
05:24de l'État au sérieux.
05:26C'était la réponse de Georgia
05:27au pape François.
05:29Alors, devant Donald Trump,
05:31Georgia Meloni s'est réclamée
05:33du nationalisme occidental.
05:36Que comprendre de cette formule ?
05:37Alors, c'est intéressant,
05:38parce qu'en France,
05:39le mot nationalisme
05:39est très, très mal connoté,
05:41mais partout ailleurs dans le monde,
05:42on le traite plutôt bien.
05:43Alors, à peu près,
05:44c'est comme s'il y avait
05:44une forme de honte à l'idée
05:45d'avoir une politique
05:46pour défendre sa patrie.
05:48Là, on a quelquefois
05:48la fausse distinction.
05:50Le patriotisme, c'est bien.
05:51Le nationalisme, c'est mal.
05:52Mais cette distinction
05:53ne tient pas à l'extérieur
05:54des frontières de l'Hexagone.
05:55Alors, qu'est-ce que j'entends par là ?
05:56Georgia Meloni parle à Trump.
05:58Ce n'est pas la première fois
05:59qu'elle utilisait cette formule.
06:00On lui dit,
06:00« Comment définissez-vous
06:01votre doctrine ? »
06:02Elle dit « Nationalisme occidental. »
06:05« Western nationalism. »
06:06Alors, c'est intéressant.
06:07Qu'est-ce qu'elle entend par là ?
06:08Elle veut dire qu'aujourd'hui,
06:09l'ensemble des peuples occidentaux,
06:11et pas seulement des peuples européens,
06:13l'ensemble des peuples occidentaux
06:15ont une communauté
06:15de civilisation aujourd'hui.
06:17Une communauté de civilisation
06:18où nous avons en commun un intérêt,
06:20malgré la diversité
06:21de nos intérêts économiques,
06:22politiques, géopolitiques,
06:24nous avons en commun une chose.
06:25Nous voulons demeurer,
06:27persévérer dans notre être,
06:28continuer historiquement
06:30ce que nous sommes
06:30comme civilisation.
06:31Nous voulons maîtriser
06:32nos frontières.
06:33Nous voulons conserver
06:33nos identités.
06:34Et ce qui est intéressant
06:35dans le nationalisme occidental
06:37de Meloni,
06:37parce qu'à l'origine,
06:38c'est une nationaliste italienne,
06:40c'est qu'elle dit finalement
06:40que les deux nationalismes
06:41sont indissociables aujourd'hui.
06:43Il faut être nationaliste
06:44chez soi,
06:45dans le contexte italien.
06:46Je sais qu'en France,
06:46le mot n'a pas bonne presse.
06:47Donc, disons,
06:47il faut être patriote chez soi,
06:49mais pour être pleinement
06:50patriote chez soi,
06:50il faut aussi l'être
06:51au niveau de la communauté
06:52de civilisation
06:53qui est la nôtre.
06:54Est-ce que c'est l'Europe ?
06:55Est-ce que c'est l'Europe
06:55plus l'Amérique du Nord ?
06:56Ça, c'est une question
06:57qui traverse aujourd'hui
06:58les conservateurs
06:59des deux côtés de l'Atlantique.
07:01Mais il y a cette idée
07:01qu'on doit se projeter
07:02dans la civilisation
07:03au sens large.
07:04Et la question,
07:05c'est comment traduire
07:05ça politiquement ?
07:06Est-ce que c'est l'Union européenne
07:07qui est capable de mener
07:08cette politique de civilisation ?
07:10Est-ce qu'elle doit être portée
07:11par des nations
07:12qui se veulent chacune gardiennes
07:13de cet esprit de civilisation ?
07:15Est-ce qu'on peut réformer l'Europe
07:16pour qu'elle devienne
07:17le vecteur de cette politique
07:18de civilisation ?
07:19Certains le croient.
07:20À droite, au Parlement européen,
07:21certains croient qu'il est possible
07:23aujourd'hui d'avoir cette politique.
07:24Reste à voir, je suis sceptique.
07:25Mais ce qui est intéressant,
07:26c'est que Georgia Meloni
07:27invite aujourd'hui
07:28à développer ce patriotisme européen,
07:30ce patriotisme de civilisation
07:31et dans cette logique,
07:32être capable de stopper
07:33les vagues migratoires
07:34qui défèrent la répétition.
07:37Le Monde nous apprend
07:38que l'Organisation internationale
07:40pour les migrants,
07:41l'OIM,
07:42propose aux migrants
07:43à décourager
07:44par le blocage sécuritaire
07:46de financer le retour
07:48vers leur pays respectif.
07:50Faut-il y avoir un tournant ?
07:52Il y a beaucoup de tournants.
07:53Mais celui-là,
07:54peut-être un peu plus.
07:55Parce que là,
07:56on est devant
07:57l'Organisation internationale
07:58des migrations
07:59qui dit
07:59que les populations se présentent
08:01mais les frontières
08:02fonctionnent un peu mieux qu'avant.
08:04Donc, est-ce qu'il ne faut pas
08:05permettre aux gens
08:06qui ont traversé
08:07de retourner chez eux ?
08:08Et donc, est-ce qu'on ne doit pas
08:09financer le retour
08:11de ceux qui ont voulu
08:12entrer clandestinement
08:13sans en avoir le droit,
08:14bien évidemment ?
08:15Donc, ceux qui ont voulu
08:15entrer illégalement
08:16dans nos pays,
08:17est-ce qu'on ne doit pas
08:18organiser de manière
08:19humaniste, évidemment,
08:20humanitaire,
08:21avec le sens de la sécurité,
08:22de la générosité,
08:23leur retour chez eux ?
08:25La réponse de l'OIM,
08:26c'est un retour volontaire,
08:27mais oui,
08:28c'est quelquefois nécessaire.
08:30L'Italie, la France,
08:31d'autres pays
08:31financent aujourd'hui
08:33ce retour des populations,
08:35un par un,
08:36mais qui n'avaient peut-être
08:37pas vocation
08:38à traverser la Méditerranée
08:39s'installer.
08:40Et de ce point de vue,
08:41il y a une manière
08:42de nommer ce retour
08:44chez soi.
08:45Certains utiliseraient
08:46la formule
08:46remigration.
08:47Évidemment,
08:48je ne l'utilise pas moi-même
08:49et Georgia Meloni
08:50ne l'utilise probablement pas,
08:52mais qu'on me propose
08:52un autre terme
08:53pour décrire cette politique
08:54du retour
08:55de ceux qui n'avaient pas
08:56vocation
08:57à s'installer ici.
08:59Alors, si on voit
08:59que ça fonctionne bien
09:01en Italie,
09:02même s'il passe maintenant
09:03par l'Espagne,
09:03un chemin a été bloqué,
09:07il y en a d'autres
09:07qui s'ouvrent.
09:08Donc, c'est pour ça
09:08que chaque nation
09:09doit voir le sens
09:10de ses frontières.
09:10Sous-titrage Société Radio-Canada