Chocs du monde avec Pierre Conesa - Algérie : la France encore désignée ennemie
Vignette : Macron tente-t-il d’esquiver le rapport de force avec Tebboune ?
Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", le magazine des crises et de la prospective internationales de TVL, Edouard Chanot reçoit Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère français de la défense et essayiste. Il a récemment publié "Vendre la guerre, le complexe militaro-industriel", et travaille actuellement sur le poids des diasporas dans les choix géopolitiques, mais aussi sur la victimisation et la repentance à l’œuvre en Occident.
La crise entre Paris et Alger s’enlise et s’envenime tout à tour. Les tensions entre les deux pays relèvent du temps long et de l’intime, à leur histoire tragique et bien sûr à la présence en France d’une forte immigration d’origine algérienne. Alger accuse le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, de "barbouzeries", ce dernier envisage une "montée en puissance" face au gouvernement algérien. La diplomatie française, elle, tempère. Au risque d’apparaître faible ?
Vignette : Macron tente-t-il d’esquiver le rapport de force avec Tebboune ?
Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", le magazine des crises et de la prospective internationales de TVL, Edouard Chanot reçoit Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère français de la défense et essayiste. Il a récemment publié "Vendre la guerre, le complexe militaro-industriel", et travaille actuellement sur le poids des diasporas dans les choix géopolitiques, mais aussi sur la victimisation et la repentance à l’œuvre en Occident.
La crise entre Paris et Alger s’enlise et s’envenime tout à tour. Les tensions entre les deux pays relèvent du temps long et de l’intime, à leur histoire tragique et bien sûr à la présence en France d’une forte immigration d’origine algérienne. Alger accuse le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, de "barbouzeries", ce dernier envisage une "montée en puissance" face au gouvernement algérien. La diplomatie française, elle, tempère. Au risque d’apparaître faible ?
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00:00Bonsoir à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises de la prospective internationale de TVL.
00:28« Pouvons-nous résoudre la crise entre la France et l'Algérie qui dure, qui s'enlise, qui s'éternise et s'envenime ? »
00:34Les tensions entre les deux pays relèvent bien sûr du temps long et de l'intime, à leur histoire tragique,
00:39et bien sûr à la présence en France d'une forte immigration d'origine algérienne.
00:43Alors pour en parler, je reçois Pierre Conezza, ancien haut fonctionnaire de la Défense, essayiste aussi.
00:49Pierre Conezza, bonsoir.
00:50Bonsoir.
00:50Merci d'avoir répondu présent à l'appel de Choc du Monde.
00:53Vous avez récemment publié « Vendre la guerre, le complexe militaro-intellectuel »
00:57et vous travaillez actuellement sur le poids des diasporas dans les choix géopolitiques,
01:02mais aussi sur la victimisation et la repentance occidentale, ce qui devrait beaucoup nous intéresser aujourd'hui.
01:07Alors, c'est l'arrestation d'un agent consulaire algérien accusé de l'enlèvement d'un influenceur,
01:13lui aussi algérien exilé en France,
01:15qui a remis le 14 avril dernier le feu aux poudres entre Paris et Alger.
01:1912 diplomates français ont été en représailles, expulsés par Alger,
01:23puis 12 agents consulaires algériens par Paris.
01:26Alors Pierre Conezza, question en apparence simple pour commencer,
01:29à qui la faute selon vous ?
01:32La France et l'Algérie sont comme un vieux couple,
01:34c'est-à-dire qu'ils passent leur temps à se disputer.
01:37Ils ne se séparent pas d'ailleurs, vous avez remarqué,
01:39c'est-à-dire qu'il y a des montées de fièvre et puis ensuite il y a des réconciliations
01:42parce que les intérêts réciproques sont tellement importants.
01:45Bon, cela dit, effectivement, je crois que du côté algérien au moins,
01:51l'idée d'une crise avec la France est une ressource politique.
01:56C'est-à-dire qu'effectivement, quand un gouvernement algérien décide de taper sur la table contre la France,
02:00quel qu'en soit le motif d'ailleurs, on en reparlera,
02:03on a l'impression qu'ils recherchent une espèce de supplément de légitimité.
02:07Ce n'est pas le cas du côté français.
02:08C'est-à-dire pas le cas du côté français, ne veut pas jouer l'escalade ?
02:15Non, ce n'est pas ça.
02:15C'est que, si vous voulez, 1962, quand se fait la fin de la guerre d'Algérie,
02:20et c'était une période très douloureuse, etc.,
02:22avec tous les massacres et tout ce qu'on peut imaginer,
02:26pour l'Algérie, c'est un fait constitutif.
02:28C'est-à-dire que c'est la date de naissance de la République algérienne.
02:30Pour la France, De Gaulle, à ce moment-là, décide que c'est la construction de l'Europe qui devient la priorité.
02:35C'est-à-dire que, non seulement la France n'a plus envie de parler de la guerre d'Algérie,
02:38n'oubliez pas que le contingent y était allé, quand même.
02:41Et puis, si vous voulez, la nouvelle perspective de la France, c'est la construction de l'Europe,
02:45la réconciliation franco-allemande, etc.
02:46Donc, si vous voulez, on détourne le regard.
02:49Et ça, ce décalage-là, si vous voulez, fait que ça n'est pas une ressource que de ressortir une crise d'Algérie,
02:54et avec l'Algérie, il y a beaucoup de faits, si vous voulez, dans la construction de l'Europe,
02:59qui vont poser des difficultés, l'adhésion de la Grande-Bretagne, tout ce qu'on veut,
03:02mais on n'est plus du tout tourné vers l'Algérie.
03:05Et ce que vous dites, c'est que pour l'État algérien, pour le gouvernement algérien,
03:10les crises avec la France sont une source de légitimité ?
03:14C'est une ressource.
03:16C'est-à-dire, quand on ne sait pas quoi faire, si on déclenche une crise avec la France,
03:18c'est toujours bon, parce que c'est censé montrer, comment dire,
03:22la responsabilité des dirigeants algériens,
03:27il faut rappeler à vos auditeurs qu'en 1962, il y avait l'armée de l'intérieur et l'armée de l'extérieur.
03:33Rappelez-vous, il y avait l'île Maurice, donc en fait, l'armée de l'extérieur était complètement coupée,
03:37quasiment, de ce qui se passait sur le territoire.
03:39La guerre est gagnée, pratiquement, à l'intérieur.
03:42Et donc, en 1962, quand l'indépendance est accordée, c'est l'armée de l'extérieur qui arrive,
03:46et cette armée de l'extérieur ne peut pas se prévaloir, si vous voulez, du même passé combattant.
03:52Et donc, ils vont d'autant plus insister sur le caractère martyrologue, si vous voulez,
03:57qu'évidemment, ils ne peuvent pas s'en prévaloir.
03:59Et donc, en fait, les militaires n'ont jamais quitté le pouvoir en Algérie.
04:03Ils ont de temps en temps fait une espèce de façade civile,
04:07mais cette façade civile fait que, de toute façon, on n'a pas véritablement construit,
04:12enfin, ils n'ont pas véritablement construit en Algérie quelque chose qui fasse qu'une véritable démocratie existe.
04:18Donc, quand on a au pouvoir des gens qui se crispent,
04:20et qui n'ont comme légitimité qu'éventuellement, soit de créer la crise avec l'ex-Sahara espagnol,
04:28soit éventuellement une crise avec la France, bon, c'est une mécanique, quoi.
04:32Ce n'est pas de la politique.
04:33Une mécanique de crise.
04:35Alors, en l'occurrence, le gouvernement algérien, Alger, pointe surtout du doigt le ministre français de l'Intérieur, Bruno Retailleau.
04:43Alors, je vous propose, pour que tout soit clair, de revenir là-dessus.
04:46« Je fais la une des médias qui sont à la botte du pouvoir des médias algériens.
04:51Je suis la grande cible », a dénoncé Bruno Retailleau sur RTL.
04:56Alger accuse le ministre français de l'Intérieur d'avoir voulu torpiller la relance de la relation bilatérale
05:02depuis l'appel téléphonique le 31 mars entre Déboune et Macron,
05:07y voyant des barbouseries à des fins purement personnelles.
05:10« Dans le monde dans lequel on vit, le nouveau langage, c'est le langage du rapport de force », a rétorqué Retailleau.
05:17Soulignant que la France est une grande nation,
05:19le ministre y voit une question de fierté du peuple français
05:23qui ne veut plus que l'Algérie puisse nous humilier.
05:26« Il faudra monter en puissance », a-t-il plaidé.
05:29On a de nombreux instruments qui sont les visas, les accords.
05:33Mais pour l'heure, Paris s'est borné à l'exacte réciprocité,
05:36expulsant 12 diplomates algériens après celles des 12 fonctionnaires français par Alger,
05:42tout en plaidant pour un retour à l'apaisement.
05:48Alors, du côté français, nous comprenons donc que Retailleau est partisan, au moins en parole, de la fermeté.
05:56Mais en attendant, c'est une ligne très modérée qui semble jouer par le Quai d'Orsay.
06:00Pierre Conezza, a-t-on besoin de plus de fermeté, plus d'apaisement avec l'Algérie
06:05qui, si l'on en croit certains, et vous y compris, joue la crise ?
06:10C'est-à-dire que Retailleau n'a pas pris la parole comme ça, exabrupto.
06:14Il a quand même eu l'affaire Boalem Sansal.
06:16C'est quand même sur cette arrestation d'un franco-algérien que la crise a commencé à monter.
06:21Et effectivement, ce qui est reproché à Boalem Sansal, c'est d'avoir critiqué son propre pays.
06:26Ce serait donc, avec la Corée du Nord, le seul pays dans lequel on ne pourrait pas critiquer le pays ou le régime
06:31sinon à être arrêté, emprisonné.
06:35Donc, on est dans une situation complètement ridicule.
06:37Il n'y a rien à reprocher à Boalem Sansal, encore une fois.
06:40Si l'Algérie se prétend, comme elle le dit, être une démocratie,
06:45si un intellectuel qui critique est mis en prison...
06:48Alors, comme il est franco-algérien, on est dans toute l'ambiguïté, si vous voulez, des binationaux.
06:52Il est considéré comme algérien en Algérie, il est considéré comme français en France.
06:54Donc, vous avez deux incompréhensions qui sont celles des Algériens qui disent
06:58« c'est à nous de le juger » et les Français qui disent
07:00« oui, mais c'est aussi un citoyen français et d'un intellectuel, donc il faut le défendre ».
07:04Alors, la crise aussi remonte à l'été 2024
07:08avec le soutien de la France au plan d'autonomie sous souveraineté marocaine du Sahara dit occidental.
07:13Mais depuis, c'est peut-être surtout le refus d'Alger de récupérer ses ressortissants dangereux,
07:18jugés dangereux, sous OQTF, qui n'a rien à ranger.
07:21On évoque surtout les influenceurs algériens, suivis quelquefois d'ailleurs par un demi-million de personnes sur TikTok,
07:27c'est-à-dire l'influence potentielle qu'ils peuvent avoir.
07:30Ces derniers appellent de surcroît au meurtre, à égorger, à violer les opposants au gouvernement algérien.
07:35Il y a donc deux problèmes en un.
07:36La mauvaise volonté d'Alger, que vous avez potentiellement déjà esquissée,
07:40et l'incapacité d'intégration de ses ressortissants, peut-être en France aussi.
07:45Peut-on sortir de cette impasse, selon vous, Pierre Connaisant ?
07:47La capacité d'abord, sur le point de l'intégration,
07:52on n'a pas que les agitateurs, si vous voulez, qui ont été emprisonnés par la France.
07:57Il y a quand même tous les Algériens qui vivent en France, qui sont parfois des binationaux,
08:00qui ont des enfants qui sont scolarisés, etc., qui ne posent pas problème.
08:03Donc évidemment, ce sont les points de crispation qui sont les plus intéressants.
08:07Sur le sujet, effectivement, je reviens en arrière.
08:12L'Algérie, si vous voulez, en 1962, décide de rompre une grande partie avec son histoire française,
08:18et donc il va y avoir un processus d'islamisation de la société algérienne.
08:23Ce processus d'islamisation, vous en connaissez finalement le caractère paroxystique,
08:27puisque finalement, ils vont avoir dix années de guerre civile,
08:30après les élections, le FIS et puis les GIA.
08:33Ce qui est intéressant, c'est que pour nous, avec notre droit d'asile,
08:38on accueille des islamistes parce qu'ils sont persécutés par leur régime,
08:42et donc les Algériens l'ont un peu mauvaise,
08:44puisqu'ils estiment qu'effectivement, nous protégeons des gens
08:47qui sont par eux considérés comme des terroristes.
08:50Donc on reviendra sur le droit d'asile, si vous voulez,
08:52mais le seul fait de considérer qu'un individu persécuté par son régime
08:55a droit à l'asile en France, on a connu quelques ratés dans ce domaine-là.
08:59Donc si vous voulez, les Algériens ont ça en passif, si vous voulez,
09:03et évidemment, ils sortent de cette crise meurtrie.
09:06Et d'autre part, quand les Français vont avoir des attentats commis sur leur territoire,
09:10y compris par des citoyens algériens, et qu'on veut les expulser, les OQTF,
09:14les Algériens ne veulent pas les récupérer.
09:15Vous pensez bien qu'ils ne vont pas récupérer des islamistes.
09:18Donc on est dans ces situations ridicules,
09:20où effectivement, pour des raisons de droit européen,
09:23on ne peut pas expulser des gens, quelle que soit leur nationalité,
09:26si on n'est pas en mesure de vérifier qu'ils seront bien traités chez eux.
09:29Vous imaginez bien qu'en Algérie, quand ils ont des chances d'être bien traités.
09:31Donc on est dans une absurdité juridique, qui est proprement européenne,
09:35qui concerne de quoi ?
09:36Alors après, effectivement, il y a le cas des agitateurs, des influenceurs,
09:40si vous voulez, qui menacent des Algériens vivants en France,
09:45et qui, eux, ne sont même pas dans la situation de terroristes.
09:47Simplement, ils sont dans la situation de gens qui viennent ici,
09:50et qu'on peut expulser, parce qu'après tout,
09:52il n'y a pas de raison de faire régner une ambiance dans un pays
09:54en accusant des opposants étant là et des étrangers.
09:57Et donc, on va essayer de les expulser,
10:00et c'est cela que l'Algérie refuse.
10:02C'est-à-dire, même ces citoyens algériens
10:04qui ne présentent aucune difficulté
10:06sont refusés par le gouvernement algérien.
10:08Donc on est dans une absurdité absolue.
10:11Je ne sais pas ce qu'il faut faire maintenant, j'avoue.
10:12Je vais revenir sur ce que vous avez évoqué
10:16sur le système politique algérien,
10:18sur le fait que les militaires ne tenaient encore le pays.
10:23Est-ce que le fond du problème
10:25est le fait que le système politique algérien
10:28semble, à certains égards, en fin de vie ?
10:31C'est une bonne question, parce que, justement,
10:34on a pensé, quand ont été organisés les élections en 88,
10:38et qu'effectivement, le fils a gagné ses élections,
10:41on pensait que le système était, effectivement,
10:44en fin de course, et qu'on allait passer
10:45un processus un peu plus normé.
10:48Bon, il se trouve que ça a été le fils,
10:50qu'ils ont décidé d'arrêter politiquement
10:52toutes les têtes politiques du fils,
10:55et ça a laissé la place au GIA,
10:56le groupe islamique armé.
10:57Ces groupes islamiques armés étaient, en fait,
10:59des groupes d'une extrême violence,
11:00qui, évidemment, ont beaucoup agi sur la société algérienne.
11:05Et donc, à ce moment-là, les militaires
11:06y ont trouvé une nouvelle légitimité,
11:08puisqu'il fallait se battre contre, encore une fois,
11:10ces types qui étaient capables de massacrer
11:12des villages entiers, etc.
11:14Et donc, ils ont eu cette ressource de légitimité
11:17qui fait qu'ils sont restés au pouvoir,
11:18et que depuis, la seule façade civile
11:21qu'ils ont réussi à trouver,
11:22c'était de ressortir Bouteflika.
11:25Bouteflika était un ancien, effectivement,
11:27de la guerre d'indépendance,
11:28mais quand on l'a vu, effectivement,
11:30voloir voter,
11:32et qu'il était complètement grabaté,
11:33porté sur une chaise roulante,
11:34et qu'il avait du mal à trouver l'urne,
11:36on se rend compte du mépris
11:37que les militaires algériens ont
11:38pour leur propre population,
11:40c'est-à-dire qu'ils n'ont même pas laissé naître,
11:41si vous voulez,
11:41une espèce d'opposition civile
11:43qui aurait permis de faire la mutation.
11:47Alors, à l'heure actuelle,
11:48côté population, en tout cas,
11:50diaspora algérienne en France,
11:53il semble y avoir quand même
11:54un peu d'inquiétude,
11:55si l'on en croit les médias centraux,
11:57face au renouvellement des visas,
11:59évidemment,
12:02Rotailleau, comme nous l'avons entendu,
12:04évoque cela,
12:05la possibilité de monter en puissance,
12:07comme il dit,
12:08mais en tout cas,
12:09pour l'heure,
12:09les chiffres de 2024
12:10ne semblent pas encore menaçants
12:12à leur égard.
12:13Je cite,
12:13En 2024,
12:14le nombre de titres de séjour
12:16accordés pour la première fois
12:17à des ressortissants algériens
12:18était en baisse de 9,1%,
12:20mais les renouvellements
12:22sont en forte hausse
12:23à près de 25%,
12:2424,3% pour être plus précis.
12:27Y a-t-il la possibilité
12:28pour la France
12:29de taper du poing sur la table
12:30et de sortir cette,
12:31que dire,
12:31arme nucléaire,
12:33des visas
12:33pour résoudre cette crise ?
12:37De toute façon,
12:38on a toute la palette
12:39des actions.
12:40N'oubliez pas
12:41qu'il y a des négociations
12:42qui sont avec le Quai d'Orsay,
12:43que les présidents
12:45se soient rencontrés
12:45et qu'en même temps,
12:47si vous voulez,
12:47c'est comme dans
12:48la comédia de l'art
12:49et il faut que tous les rôles
12:50soient distribués.
12:52Effectivement,
12:53Retailleau est dans
12:53la position de l'homme
12:55de la dure.
12:57Explication en politique intérieure,
12:58en politique extérieure,
12:59peu importe.
13:00Ce qui est certain,
13:01c'est qu'il personnalise,
13:02si vous voulez,
13:03l'idée d'une ligne dure.
13:04La ligne dure étant évidemment
13:06d'agir sur les visas,
13:07puisqu'il y a tellement de familles,
13:09si vous voulez,
13:09qui sont à cheval
13:10sur la Méditerranée
13:11que c'est sûr
13:12que ce serait le point extrême,
13:14si vous voulez,
13:14qui provoquerait
13:15la crise absolue.
13:16Maintenant,
13:17si on continue
13:18dans cette espèce
13:19de pantomime
13:20qui fait qu'on passe son temps
13:22à s'accuser mutuellement,
13:25je ne sais pas
13:25comment on va en sortir.
13:27Parce que si,
13:27rappelez-vous quand même
13:28qu'en arrière-fond,
13:29il y a l'affaire Boalem-Sansal,
13:31c'est-à-dire un intellectuel
13:32franco-algérien
13:34qui s'est permis
13:35de critiquer l'Algérie
13:35et qui est arrêté
13:36dès qu'il débarque à Alger.
13:37Ça veut dire que la France
13:38est l'Algérie
13:39le seul pays du monde
13:40dans lequel une critique
13:41contre le pays
13:41vous vaut la prison.
13:44Non,
13:44il y a la Corée du Nord aussi,
13:45pardon.
13:46Alors,
13:46vous évoquez une nouvelle fois
13:48Boalem-Sansal,
13:49mais tout cela aussi
13:50rentre dans ce que vous évoquez
13:52entre la victimisation,
13:54la repentance d'un côté,
13:55c'est le cycle infernal.
13:57Peut-on sortir
13:57de ce cycle infernal ?
13:59C'est-à-dire que,
14:00pour ce qui concerne
14:01l'Occident en tout cas,
14:03la repentance,
14:03si vous voulez,
14:04est un phénomène
14:04très général.
14:05C'est-à-dire
14:05la fin des deux guerres mondiales,
14:08la fin des guerres
14:10de décolonisation,
14:11etc.
14:12Donc,
14:13que l'Occident
14:13qui était triomphant
14:14au début du XXe,
14:15à la fin du XXe,
14:16se sente moins sûr
14:17de lui-même
14:18et si vous voulez,
14:18beaucoup plus prêt
14:19à accepter,
14:20si vous voulez,
14:20les discours
14:21d'anciennes victimes
14:22est un phénomène
14:24qui est très important.
14:25Dans ce phénomène
14:25de repentance,
14:26évidemment,
14:27le rôle joué
14:27par les intellectuels
14:28est très important
14:29puisque vous aviez là
14:30des gens qui ont construit,
14:32si vous voulez,
14:32ce discours
14:33de mise en accusation
14:34en considérant que,
14:36par exemple,
14:36après la guerre de 1914,
14:37la thématique,
14:38c'était le capitalisme
14:39assoiffé de gains
14:39aux fauteurs de guerre.
14:42Après la guerre de 1940,
14:43ça devenait plus compliqué
14:44puisqu'on avait en face
14:45de soi un régime nazi.
14:46Mais par contre,
14:47vous avez eu
14:48une espèce de tentation
14:49des intellectuels français
14:50vis-à-vis des grandes
14:51utopies laïques
14:52du XXe siècle.
14:53Il y a ceux
14:53qui sont devenus fascistes,
14:54ceux qui sont devenus nazis,
14:55ceux qui sont devenus communistes.
14:57Simplement,
14:57après la Seconde Guerre mondiale,
14:59l'URSS faisant partie
15:00des vainqueurs,
15:00il était hors de question
15:01de critiquer.
15:02Donc,
15:02on avait des gens
15:02qui étaient totalement aveugles
15:04sur ce qui se passait
15:04de l'autre côté
15:05et qui étaient d'autant plus
15:06intransigeants
15:07sur ce qui se passait ici
15:07et y compris avec l'appui
15:09des guerres de décolonisation.
15:10Donc,
15:11il y avait une crise de conscience
15:12et une repentance
15:13que l'Occident a accepté,
15:15mais le rôle joué
15:16par les intellectuels
15:16est extrêmement ambigu.
15:18Il a fallu attendre
15:19les grandes crises.
15:19Rappelez-vous qu'un personnage
15:20comme Sartre,
15:21il a quand même réussi
15:22à être stalinien,
15:23maoïste,
15:24avec mer rouge.
15:25Enfin,
15:25je veux dire,
15:25c'était considéré
15:26comme le grand penseur.
15:28Donc,
15:28vous voyez ce bilan critique,
15:30il faut le faire entre nous
15:31et évidemment,
15:32le rapport à l'Algérie
15:33fait partie de notre domaine
15:34puisque c'était quand même
15:35la guerre de décolonisation
15:37qui a mobilisé le contingent,
15:38donc qui a touché
15:39la totalité
15:39de la société française.
15:41Et ça,
15:41évidemment,
15:42c'est dur à revivre.
15:44C'est un grand tabou français
15:45en réalité
15:46que nous n'avons jamais résolu.
15:47Oui,
15:48c'est ça.
15:48C'est-à-dire que,
15:49si vous voulez,
15:49après en 1962,
15:50on n'avait plus du tout
15:51envie d'en parler.
15:52Or,
15:52il y avait eu pendant la guerre
15:54effectivement des horreurs
15:55qui ont été commises.
15:56Il y en a eu
15:56parce qu'encore une fois,
15:57c'était,
15:58il fallait gagner cette guerre.
15:59Rappelez-vous
15:59qu'on est dans une situation
16:00où on venait de perdre
16:01l'Indochine,
16:03bien de bien de fou en 1954
16:04et tout de suite commence
16:05la guerre d'Algérie.
16:07Et donc,
16:07une partie de l'armée de métiers,
16:09si vous voulez,
16:09qui vont estimer que
16:10si De Gaulle arrive au pouvoir,
16:11c'est justement pour enfin
16:12pouvoir l'emporter
16:13parce que la Quatrième République
16:14était faible,
16:16divisée,
16:16etc.
16:17Or,
16:17c'est De Gaulle
16:17qui va finalement
16:18solutionner la question.
16:20Vous connaissez la suite,
16:21l'infirrendum,
16:22etc.
16:24Autodétermination.
16:25Et donc,
16:25si vous voulez,
16:26il y avait cette déchirure profonde
16:28dans l'armée
16:29et effectivement,
16:30ça a donné naissance à l'Ouest
16:31avec des attentats là-bas et ici.
16:33C'est une profonde déchirure
16:34de la société française
16:35mais c'est vrai qu'après,
16:36en 1962,
16:37De Gaulle devait proposer
16:37une perspective politique
16:38et ça a été la construction
16:39de l'Europe.
16:41Et donc,
16:41justement,
16:41si vous en venez à l'Europe,
16:43des horreurs
16:44ont malheureusement eu lieu
16:46en Algérie,
16:47des horreurs ont aussi eu lieu
16:48pendant la Seconde Guerre mondiale
16:49en Europe,
16:50ça ne nous a pas empêché
16:50de construire l'Union Européenne
16:51petit à petit,
16:53en tout cas à ses débuts
16:54qui étaient un projet
16:55qu'on peut dire optimiste
16:56si vous voulez,
16:57et avec nos anciens ennemis.
16:59Pourquoi cela est-il impossible
17:00avec l'Algérie ?
17:01Le cas de la réconciliation
17:03franco-allemande,
17:04quand j'ai écrit
17:04La fabrication de l'ennemi,
17:05je me suis posé la question
17:06à l'affaire,
17:07est-ce que finalement
17:07il est possible
17:08de déconstruire l'ennemi ?
17:09Le seul exemple que j'ai trouvé,
17:11c'est le franco-allemand.
17:12Ce franco-allemand,
17:13il a eu lieu
17:14pour plusieurs raisons,
17:15d'abord parce que
17:15c'était deux hommes d'État,
17:17phénomène rare,
17:18c'est difficile
17:19à trouver un homme d'État.
17:20En l'occurrence,
17:21De Gaulle,
17:21on connaît son histoire,
17:22mais Adenauer avait fait
17:23la guerre dans l'armée danoise.
17:25Et donc,
17:25ce sont deux hommes
17:26qui décident d'arrêter le match.
17:28Mais vous savez que
17:28quand De Gaulle invite Adenauer
17:29pour parler du traité de l'Élysée,
17:31il l'invite à colomber
17:32les deux églises
17:32parce qu'il a trop peur
17:33s'il invite à Paris
17:34qu'il y ait des manifestations.
17:36Finalement,
17:36vous connaissez la suite.
17:38C'est parce qu'on fait
17:38la réconciliation franco-allemande
17:39qu'on veut pouvoir faire l'Europe.
17:41Donc, si vous voulez,
17:42vous avez un pays
17:42qui a dorénavant
17:43complètement tourné
17:44vers la construction européenne
17:45et qui se désintéresse
17:46de l'Algérie.
17:47Par contre,
17:48la situation algérienne,
17:50ça va être la construction
17:50d'une mythologie
17:51qui va être enseignée
17:52dans toutes les écoles.
17:53Et dans toutes les écoles,
17:54vous avez effectivement
17:55des jeunes gens
17:55qui vont vivre
17:56dans le souvenir des martyrs,
17:57de l'admiration
17:58des combattants, etc.
17:59Et de désignation
18:00de l'ennemi français.
18:01Pardon ?
18:02Et de désignation
18:02de l'ennemi français.
18:03Et de désignation
18:04de l'ennemi français,
18:04mais qui n'ont comme seule solution
18:05que de venir chercher
18:06du boulot en France.
18:07Vous voyez l'hypocrisie
18:09ou en tout cas
18:09la schizophrénie du système.
18:11Et donc, ça,
18:12ça n'a pas été résolu
18:13non plus du côté algérien,
18:14ni du côté français,
18:15ni du côté algérien,
18:16puisqu'évidemment,
18:17en France,
18:18la récrimination
18:20à l'encontre des Algériens
18:21était encore perfusée
18:23dans la société française.
18:24Ça ne jouait pas
18:25avec les Marocains
18:25et avec les Tunisiens.
18:27Donc, effectivement,
18:28il y a un travail
18:28d'historien
18:30qui a d'ailleurs été fait,
18:31mais enfin,
18:32bon, ça ne calme pas
18:32les politiques, ça.
18:34Et est-ce que cela peut-il
18:35calmer les populations ?
18:37Donc, vous évoquez,
18:38enfin, vous étudiez souvent
18:39les questions des diasporas.
18:40Il y a donc ce problème
18:42sociopolitique
18:44avec cette potentielle schizophrénie
18:46au sein d'une population
18:48d'origine algérienne
18:50ou en tout cas,
18:51oui, d'origine algérienne.
18:54Moi, je suis pied noir d'origine.
18:56Et donc, j'ai eu l'occasion
18:57après 1962
18:58d'y retourner peut-être
18:5910 à 15 ans plus tard.
19:00Je ne sais plus
19:00quand c'était exactement.
19:02Ce qui m'a beaucoup frappé,
19:03c'est qu'à partir du moment
19:04où vous dites à des Algériens
19:05que vous êtes pied noir,
19:06ils se disent
19:06vous êtes de chez nous.
19:08Vous voyez toute l'ambiguïté
19:09de la situation
19:10puisqu'on pourrait penser
19:11justement que le rapport
19:12aux pieds noirs
19:12soit celui qui était
19:14le plus conflictuel
19:15qu'on pouvait imaginer.
19:16Donc, si vous voulez,
19:17chacune des deux populations
19:18a des arguments
19:19pour ne passer
19:20sur ces différents.
19:21Est-ce qu'il y a
19:22une dimension politique
19:24si vous voulez
19:24qui s'instrumentalise
19:26chez les politiques ?
19:28Que ce soit du côté algérien
19:29ou du côté français.
19:31Rappelez-vous quand même
19:32qu'une partie du Front National
19:33était quand même
19:34sur une thématique
19:35très anti-algérienne.
19:36Le profil du père Le Pen,
19:38etc.
19:38Donc, il y avait quand même
19:39ces souvenirs.
19:40Là, il y a un saut de génération,
19:42c'est-à-dire qu'il y a
19:42un changement d'équipe politique.
19:44Maintenant,
19:45ce qui est grave,
19:45à mon avis,
19:47c'est qu'on constate
19:47qu'il y a des attentats terroristes
19:48en France
19:49touchant à des troisièmes générations,
19:50c'est-à-dire de jeunes
19:51qui ont ce passé mythologique,
19:54si vous voulez,
19:54raconté par leurs parents
19:55et qui sont capables
19:56de faire des attentats ici.
19:58Et ça, c'est quand même grave.
19:59Ça veut dire qu'on n'a pas
19:59soldé complètement l'histoire.
20:02On n'a pas pris cette distance
20:03qui rende la chose acceptable.
20:08Et pensez-vous
20:08que le gouvernement a pris
20:09l'ampleur du phénomène en main
20:12et a pris justement
20:14ces mesures-là
20:14pour tempérer les choses
20:16de crainte d'une escalade ?
20:17Je parle d'une escalade
20:19vraiment sur les territoires français ?
20:20Écoutez,
20:21c'est tout à fait possible
20:23parce qu'effectivement,
20:24quand les Algériens
20:25refusent de récupérer
20:26soit leurs nationaux terroristes
20:29condamnés par le juge français,
20:30etc.,
20:31même leurs agitateurs,
20:32alors qu'ils n'ont même pas
20:33de passif judiciaire en France,
20:35on se demande
20:36quelle va être la solution.
20:38Il faut acheter une île
20:39quelque part
20:39au milieu de la Méditerranée.
20:40Est-ce que vous avez le sentiment
20:44que la France
20:45n'en fait pas assez
20:46face à l'Algérie ?
20:49Non,
20:49parce que...
20:49Excusez-moi,
20:50face au gouvernement algérien.
20:51Ah oui.
20:52Non,
20:52je pense que si vous voulez,
20:53le problème n'est pas pensé
20:54de la même manière
20:55des deux côtés.
20:57C'est-à-dire qu'effectivement,
20:59on voit bien
20:59que la prise de position
21:00de Retailleau,
21:01c'est la ligne dure
21:02et qu'en même temps,
21:03les diplomates
21:03continuent à discuter,
21:05que les présidents
21:05se rencontrent,
21:06etc.
21:07Par contre,
21:07du côté algérien,
21:08il y a ce phénomène identitaire,
21:10c'est-à-dire qu'encore une fois,
21:11la désignation de la France
21:12comme responsable
21:13de tous les maux
21:14reste une espèce
21:15de réservoir politique
21:16qu'aucun homme politique
21:17algérien
21:18ne se refuse de s'écrire.
21:20Surtout qu'il y a
21:20ce manque de légitimité.
21:21Encore une fois,
21:22s'il y avait des élections libres
21:23et qu'apparaissait
21:24une classe politique nouvelle
21:25qui n'était pas
21:26obligatoirement structurée
21:27autour de la guerre
21:28d'indépendance,
21:29il est évident
21:29que le discours
21:31dominant changerait.
21:33Là,
21:33on est encore une fois
21:34dans une rémanence militaire
21:35dont les Algériens
21:37n'arrivent pas à sortir.
21:38Une rémanence militaire
21:39dont les Algériens
21:40n'arrivent pas à sortir.
21:41Ce sera le mot de la fin.
21:42Pierre Coneza,
21:43merci beaucoup
21:43d'avoir répondu
21:44à l'appel,
21:45encore une fois,
21:45de Choc du Monde.
21:46Merci à tous
21:47d'avoir suivi
21:48ce nouvel épisode.
21:49Surtout,
21:49n'oubliez pas
21:50de le commenter
21:51et bien sûr,
21:51de le partager.
21:52Merci à tous
21:53et bonne soirée.
21:54Merci à vous.
21:54Sous-titrage Société Radio-Canada
21:59Sous-titrage Société Radio-Canada