Pour la 2e édition de “l’info et vous” franceinfo s’associe à La Voix du Nord pour créer une opportunité d’échange libre et ouvert avec le grand public sur l’information et les pratiques journalistiques. Journalistes, reporters, responsables de rédaction viennent à la rencontre des lillois pour expliquer la fabrication de l’information, les valeurs qui les guident.
Dans cette dernière séquence dédiée au journalisme de guerre, retrouvez Nicolas Teillard, journaliste à la Rédaction internationale de Radio France et Agnès Vahramian, directrice de franceinfo et ancienne reporter de guerre.
Dans cette dernière séquence dédiée au journalisme de guerre, retrouvez Nicolas Teillard, journaliste à la Rédaction internationale de Radio France et Agnès Vahramian, directrice de franceinfo et ancienne reporter de guerre.
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00:00Pour cette nouvelle séquence, nous allons vous intéresser donc au journalisme de guerre,
00:08celui qui se pratique sous les bombes, au plus près des conflits, sur le terrain, comment
00:13rapporter l'information, comment raconter la réalité lorsqu'on est en terrain hostile.
00:17Pour en parler, Agnès Varamian et Nicolas Teilhard.
00:25Agnès, on en parlait tout à l'heure, je crois que les gens vous connaissent.
00:33Nicolas Teilhard, en revanche, c'est The Voice, une voix que vous entendez tous les
00:37matins, 6h53, 8h23.
00:40Quelle voix ?
00:41Sur France Info, mais pas seulement, moi j'ai la particularité pour le coup de travailler
00:45aussi sur France Inter et France Culture de temps en temps, puisque le service international
00:49de Radio France est ce qu'on appelle une transverse qui travaille dans toutes les radios
00:53internationales, même si on m'entend plus sur France Info et j'en profite juste pour
00:56vous dire mon plaisir d'être ici et de vous rencontrer, qui est un moment à la fois
01:01plaisant et douloureux pour un journaliste radio, puisque plaisant, c'est de voir des
01:04visages qui nous changent de l'aspect feutré du studio.
01:07Douloureux, c'est que d'habitude on s'invite dans votre salle de bain, ou pendant que vous
01:12êtes en train de cuisiner et qu'on imagine qu'on vous perturbe, mais qu'on n'a pas des
01:16visages fixés sur soi dans notre studio, et que c'est parfois plus impressionnant de
01:20parler à 500 personnes qui vous regardent en direct qu'à 2 millions qui vous écoutent,
01:25mais de loin.
01:26Donc c'est un exercice un peu particulier, d'autant que moi, à la différence de Célia,
01:29je parle devant la chef qui est à côté de moi.
01:31Et puis nous avons également une invitée qui n'a malheureusement pas pu être là ce
01:38soir avec nous, mais qui est à distance, Maryse Burgo, elle a tenu à nous laisser
01:42un petit message.
01:43Bonsoir à tous, je suis bien désolée de ne pas être avec vous ce soir comme c'était
01:49prévu, mais voilà, je suis reporter, et c'est ça le métier, de voir partir au dernier
01:55moment quand il se passe quelque chose, et là je suis en Ukraine en fait, je suis partie
02:00parce qu'on a pensé qu'il y aurait peut-être un cessez-le-feu de 30 jours entre les Ukrainiens
02:06et les Russes.
02:07Vous savez, ce sont ces négociations entre Donald Trump et Vladimir Poutine, et bien
02:11finalement il n'y a pour l'instant aucun cessez-le-feu, pas plus maritime qu'autre,
02:17et c'est une grande déception bien sûr pour les deux camps, qu'est-ce que ce soit
02:20pour les civils ou pour les combattants.
02:22Alors moi, mon métier consiste à venir dans ces pays qui sont souvent en guerre pour que
02:28vous, vous puissiez vous forger votre propre opinion sur ce qui s'y passe, mon métier
02:34n'est pas de donner mon avis, on se moque bien de mon avis, mon métier consiste à
02:40évoquer les faits, donner les faits, recueillir les témoignages pour que vous, après, vous
02:45puissiez vous forger votre propre opinion.
02:49Cela fait, je pense, 14 ou 15 fois que je viens en Ukraine en reportage depuis le début
02:54de la guerre, c'est, on peut dire, d'une certaine manière, une passion, non pas que
02:59j'ai le goût de la guerre ou des conflits, mais on a toujours envie de revenir couvrir
03:04un conflit quand on a commencé, ce qui est notre cas, je suis ici avec un GRI, journaliste
03:10reporter d'images, un caméraman qui s'appelle Régis Maté, avec une monteuse, Lucille
03:15Feuillebois, et ensemble, on a essayé, plutôt essentiellement à l'est de ce pays, de
03:20raconter ce qu'est la guerre au quotidien, nous avons été, par exemple, dans un village
03:24qui s'appelle Nadia, ça veut dire espoir en ukrainien, c'est sur la ligne de front
03:29et c'est un petit village de 3 km² que les ukrainiens viennent juste de reprendre,
03:34c'est assez rare pour le mentionner parce que, essentiellement, les russes avancent
03:38et reprennent du terrain, 3 petits km² gagnés au prix de nombreuses pertes, de nombreuses
03:44morts, nous avons pu parler avec les chirurgiens qui ont opéré, les soldats qui ont été
03:49tués sur cette ligne de front, nous avons fait aussi un témoignage très puissant,
03:54un reportage très puissant hier, c'était dans une ville qui s'appelle Ouma, au centre
03:59du pays, maintenant, à chaque fois qu'il y a des soldats qui sont tués, il y a un
04:05corridor d'honneur qui est organisé, c'est-à-dire que les gens se rassemblent et s'agenouillent
04:10tous au passage du convoi funéraire, c'était très puissant de vivre cela et ce sera diffusé
04:16ce soir normalement dans le journal de 20h, je vous souhaite une excellente soirée et
04:21je vous dis à très bientôt.
04:22Voilà, Maryse nous parlait de passion, merci pour elle.
04:26Maryse nous parlait de passion, c'est une vraie passion partir sur le front ?
04:34Eh bien, je connais bien Maryse parce qu'on a accompagnonné, vous savez, c'est un
04:41métier de compagnonnage en fait, le journalisme, on a compagnonné pendant 30 ans à la télévision
04:47et oui, comme elle, moi, j'ai toujours, même si j'ai changé de fonction, j'ai toujours
04:56la passion effectivement du terrain, je me souviens, j'ai commencé la première fois,
05:01j'avais 24 ans, il y avait une espèce d'appel du voyage mais je suis partie pour la première
05:08fois, la guerre en Yougoslavie venait d'éclater, ça ne dira rien aux plus jeunes et c'est
05:15Hervé Guéquier, un nom du pays d'ailleurs, qui est un ami, qui était un ami, qui est
05:20toujours un ami de cœur et à son âme et qui m'a dit, viens, on y va, il faut y aller,
05:25c'est une guerre aux portes de l'Europe et on est monté dans sa 206, il avait cette
05:31petite voiture à l'époque et on est parti direction Zagreb et c'est là que j'ai commencé
05:36en fait ce métier, je n'avais quasiment jamais fait de pige ou travaillé et je suis
05:43passée à l'hôtel où on résidait devant la réception et il y a quelqu'un qui essayait
05:49de parler en français au téléphone, j'ai pris le téléphone et c'était en fait la
05:55rédaction de la radio suisse Normande et du Nouvelle Obs qui cherchaient désespérément
06:03leur correspondant et en fait j'ai grappillé quelques informations et j'ai fini par leur
06:09annoncer que leur correspondant venait d'être tué et ils m'ont rappelé quelques heures
06:13plus tard pour me dire on est traumatisé, on ne va renvoyer personne mais est-ce que
06:16vous ne pourriez pas nous faire quelques piges ? C'est comme ça que j'ai commencé en ex-Yougoslavie
06:20à travailler, j'y suis allée plusieurs fois ensuite et puis la longue route du reportage,
06:26du reportage de guerre mais pas que, a commencé.
06:28Et moi, au risque de vous décevoir, j'ai fait plus de terrain de guerre en vacances
06:33avec mes parents quand j'étais enfant que professionnellement à la radio puisque je
06:37suis allé en Yougoslavie pendant la guerre et en Roumanie sous Ceausescu et pourtant
06:41pour la radio moins, je dis simplement ça pour tuer un mythe qu'on peut percevoir à
06:47la fois dans ton anecdote et dans ce que vient de dire Maryse, c'est qu'aller sur un terrain
06:52de conflit, aller sur un terrain de guerre pour être journaliste, ce n'est pas faire
06:55le héros, c'est vous raconter des histoires et aller à un endroit où a priori vous ne
07:02pouvez pas aller et où ce qui va vous être raconté quand des images vous parviennent
07:08parce qu'aujourd'hui, on a quasiment des images en instantané qui nous viennent des
07:12terrains de guerre, c'était beaucoup moins le cas il y a encore 10 ans, 20 ans et encore
07:16moins il y a 30 ans, va faire l'objet d'une propagande.
07:19On a aujourd'hui nous, dans le cadre politique, quelle que soit la situation, de la communication.
07:26Dans le cas d'une guerre, ça prend une dimension extrêmement importante parce qu'on joue
07:31sur l'opinion, on joue sur le moral à la fois de ses soldats, de sa population et
07:36donc la moindre information devient aussi quelque chose qu'on dit à sa population
07:42et à la population des pays adverses ou des pays alentours.
07:47Donc il y a un enjeu autour de ça qui devient très important et l'idée de pouvoir aller
07:53sur le terrain, être le témoin neutre même si c'est un très grand mot, en tout cas objectif
08:00de vérifier ce qu'il se passe et d'être tout simplement des yeux et des oreilles à
08:05un endroit où il est impossible d'aller autrement qu'en étant un habitant et donc un acteur
08:11impliqué qui a ses émotions, qui a son regard sur la chose ou avec des images qui peuvent
08:17vous montrer un seul aspect de la chose et ne pas vous montrer ce qui est à quelques
08:20mètres à côté, c'est déjà une mission qui est très importante et pour ça il n'y
08:24a pas besoin d'être un héros, il n'y a pas besoin d'aller sous les balles, il n'y a pas
08:27besoin de se rouler forcément dans les tranchées mais tout simplement de travailler en allant
08:34au plus près de ses gens et en étant en sécurité, je dis ça encore une fois parce
08:38que c'est important parce qu'un journaliste qui est blessé ou qui est mort c'est un journaliste
08:41qui ne vous raconte plus d'histoire et donc ça ne sert plus à rien.
08:44Justement là-dessus, Nicolas, Agnès, comment on prépare finalement l'inattendu ?
08:51Le risque.
08:53Le risque, les problématiques comme on pouvait le voir sur les photos, rencontrer des militants
08:58d'un camp ou d'un autre, être emmené possiblement aussi en reportage puisqu'on le sait, Nicolas
09:04peut-être que tu peux nous en parler tout à l'heure, il y a certains terrains de guerre,
09:09certains terrains hostiles où on est embarqué avec des gouvernements, des groupes terroristes
09:16qui nous emmènent voir leur propre réalité, tu l'évoquais, comment on fait pour ça ? Ça
09:21se prépare longtemps en avance, ça se prépare dans l'avion au moment du départ ?
09:24Non, alors le risque d'abord, on a chacun un rapport très intime à la prise de risque.
09:31En tous les cas, c'est la leçon que j'ai apprise au cours de ma carrière.
09:35On est avec une équipe, moi j'ai fait de la télé sur des terrains de guerre.
09:41On n'est jamais seul.
09:42On n'est jamais seul, on est avec des fixeurs et c'est très important en fait de leur faire
09:49confiance et de trouver des gens de confiance qui vont, parce qu'on ne parle souvent pas
09:53la langue, qui vont nous permettre de grappiller des informations.
09:56On est beaucoup sur les routes quand on est sur un terrain de guerre, donc il faut apprendre
10:03d'abord sa géographie, il faut savoir très bien se repérer, il faut savoir poser des
10:08questions, il faut avoir des réflexes qui sont, s'il n'y a plus personne devant moi
10:13sur cette route, pourquoi ? Donc il faut savoir s'arrêter, il faut savoir prendre son temps,
10:17il faut savoir questionner, il faut savoir faire quelques kilomètres et reculer, il
10:21faut savoir ne jamais franchir une ligne de front et parfois, j'ai été pendant un an
10:28très régulièrement en Ukraine, parfois vous vous approchez de zones où la ligne de front
10:33elle est flottante, il n'y a pas un panneau qui vous dit à partir de là, la guerre,
10:39c'est dangereux.
10:40Donc on a forgé aussi à travers nos expériences des réflexes, de beaucoup se questionner,
10:48mais à un moment donné, parfois pour arriver, moi je suis allée dans des endroits où je
10:55me suis retrouvée effectivement dans des endroits très reculés et près de la ligne
10:59de front, il faut prendre un risque.
11:01Avec beaucoup de sang froid, on sait qu'on n'y reste pas longtemps, donc il y a des
11:05règles, on y va, on ne reste pas longtemps, on sait ce qu'on va y faire, on n'est pas
11:09des casse-coups, on ne va pas là-bas juste pour frimer ensuite et se dire tiens, je suis
11:14allée là-bas.
11:15Non, nous, quand j'étais avec une équipe de télé, on y allait pour raconter une histoire.
11:20Un jour, je suis allée à Roubyzhné dans un petit village de la frontière sur la ligne
11:26de front ukrainienne parce que je savais qu'il y avait des gens qui étaient enfermés dans
11:30un théâtre et qui cherchaient désespérément à évacuer.
11:33J'ai réussi à aller jusqu'à eux et j'ai raconté une histoire dingue de ces gens
11:39qui étaient au fond, dans la cave du théâtre, dans un décor complètement dingo de théâtre
11:49en ruine et qui attendaient de se faire évacuer et qui ne sont jamais partis.
11:56Nous, on est partis et d'ailleurs, on a ramené deux personnes avec nous à ce moment-là.
12:00Mais voilà, on y va pour raconter une histoire, on y reste le minimum de temps et puis ensuite,
12:05on rentre.
12:06On n'est pas des héros, ce n'est pas nous qui faisons la guerre, ce n'est pas nous qui...
12:09Nous, on raconte des histoires de guerre.
12:11C'est très différent que de la faire, évidemment.
12:14Et de ce point de vue-là, il y a une question même de respect d'essence vis-à-vis des
12:19gens qu'on rencontre.
12:20C'est-à-dire que les gens qu'on rencontre sur un terrain de guerre, quand on va rentrer
12:23chez nous dix jours ou quinze jours plus tard, eux vont rester.
12:27Donc, l'idée d'être bravache aussi et peut-être de ne pas écouter les conseils qu'on vous
12:31donne à ce moment-là, c'est aussi, d'une certaine manière, manquer de respect à des
12:36gens pour qui ça va être la réalité.
12:38Et en plus, on est chez eux, on est dans leur monde et c'est un monde qui se transforme.
12:42Donc déjà, il y a aussi, je pense, cette notion-là d'être très respectueux de l'endroit
12:47où on pose les pieds, des gens qu'on rencontre, qui sont dans des moments difficiles et qui,
12:52en même temps, bien souvent, paradoxalement, ont besoin de vous.
12:56Parce que le message qu'ils vont faire passer, ça a été le cas, moi, quand je suis allé
13:01en Ukraine plusieurs fois, le simple fait de dire Francesca Radio, qui veut dire radio
13:07française, était un laissé-passer par rapport à des soldats qui faisaient des checkpoints
13:13sur la route, par exemple, parce qu'il y avait l'idée de dire, si vous, vous ne venez pas
13:17à cet endroit raconter ce qui est en train de se passer, eh bien, notre voix, elle n'existera
13:23pas.
13:24Donc, il y a aussi une forme de laissé-passer, mais il y a évidemment cette prudence, respect
13:29à avoir, encore une fois, par rapport aux gens qui sont là et je voudrais juste préciser
13:32parce que ça peut nous nous paraître quelque chose de tout à fait normal, un reporter
13:37qui ne veut pas aller sur un terrain difficile, personne ne l'obligera.
13:40Une question par ici.
13:44Bonsoir, merci d'être là.
13:46Moi, je voulais vous demander, est-ce que pour vous, être une femme, ça implique des
13:52freins quand on veut être reporter de guerre ?
13:55Je ne pense pas.
13:56Non, non, je ne pense pas.
13:59Moi, j'ai commencé ma carrière il y a 35 ans maintenant.
14:03Il y avait beaucoup de pionnières, de femmes journalistes qui allaient sur des terrains
14:10difficiles.
14:11Elles ont ouvert la voie.
14:15Moi, j'ai été plutôt dans la génération suivante.
14:20Évidemment, être une femme, moi j'ai été beaucoup en Afghanistan, au Pakistan, dans
14:28des régions où les femmes ne sont pas toujours extrêmement bienvenues sur la place publique
14:37et évidemment, on ne se comporte pas comme les femmes locales, mais ça ne m'a jamais
14:41empêchée de faire mon travail.
14:43Je n'ai jamais ressenti plus de danger que mes collègues hommes.
14:49Non, c'est vraiment une question d'avoir un moteur intérieur.
14:55Moi, j'ai eu la chance de commencer très tôt sur des terrains difficiles.
15:00Après, j'ai fait plein d'autres choses.
15:01J'ai fait des portraits, j'ai fait du magazine, j'ai fait des longs formats, j'ai fait complètement
15:07autre chose.
15:08D'ailleurs, quand je suis rentrée de plusieurs missions au début en ex-Yougoslavie, j'ai
15:12un autre ami à moi qui m'a dit, en fait, tu commences à être addicte.
15:17Il y avait trop d'adrénaline et il faut connaître ses limites.
15:21Et moi, je me suis dit, je ne vais pas y retourner encore une fois.
15:25Il faut que je connaisse autre chose, que je fasse un journalisme aussi différent.
15:28Et c'est très important de aussi mesurer.
15:32Et je vous le dis franchement, j'ai connu des collègues sur les terrains de conflit
15:37qui étaient, qui ne pouvaient pas faire autre chose, en fait, qui ne s'imaginaient pas faire
15:42autre chose que ça parce que ça procure une forme d'adrénaline.
15:46C'est très loin de la mission du journaliste, j'en conviens, mais je vous en parle parce
15:51que c'est une dimension qui est humaine, qui est très importante et qui, pour France
15:58Télévisions, les dernières choses que j'ai faites, c'est l'Ukraine et c'est après Gaza.
16:04Et c'est des choses qui sont impactantes aussi, qui peuvent l'être en tous les cas.
16:10Vous avez l'impression que, finalement, tous les conflits que vous avez pu traiter
16:15allaient directement sur place depuis ces années.
16:18Est-ce que le journalisme de guerre, le reporter de guerre, est-ce que c'est devenu
16:23plus dangereux aujourd'hui encore qu'avant ?
16:26Plus dangereux, je ne sais pas, pour le coup, ça demande aussi une expérience que d'avoir
16:31sans doute ce comparatif.
16:33Ou à l'inverse, est-ce que c'est plus, justement, c'est plus facile ?
16:36Je vois un défi, par exemple, qui est celui de l'immédiateté, puisque c'est un débat
16:41qui a eu lieu tout à l'heure.
16:43Aujourd'hui, quand il y a une révolution en Syrie, qui était un terrain de guerre,
16:47qu'on peut considérer en tout cas comme une zone difficile à avoir, si on le considère
16:51encore comme un terrain de guerre, peu importe.
16:54Aujourd'hui, quand il y a une révolution en Syrie, vous avez pratiquement, au moment
16:58où elle se passe, cette révolution qui a lieu en direct sur vos téléphones.
17:03Et donc, l'idée, à la différence de ce qui se passait il y a 10 ans, il y a 20 ans et
17:08encore plus il y a 30 ans, où effectivement, les images mettaient peut-être plus de temps
17:11à arriver, aujourd'hui, nous, le moment où on arrive sur le terrain, ça fait peut-être
17:1624 ou 48 heures que vous avez déjà ces images qui vous parviennent.
17:21Ces images, elles sont le fait d'habitants qui sont leurs propres médias.
17:26Parce qu'aujourd'hui, effectivement, on a vu dans la capitale, à Damas, soit des
17:31combattants qui descendaient et qui se filmaient, soit des habitants de la capitale
17:35qui filmaient ce qui se passait autour d'eux.
17:37On a vu des images de cette prison avant même d'y être.
17:39Et donc, il y a l'idée aussi qu'on n'est peut-être plus là, forcément, pour vous
17:44donner la première information et vous dire, tiens, cette ville est tombée parce que vous
17:47le voyez, mais pour aller un petit peu au-delà.
17:50C'est-à-dire, quelle est la plus-value de ce qu'on apporte ?
17:52Qu'est-ce qu'on va apporter, nous, comme regard ?
17:56Peut-être de mettre de la chair ?
17:57Quand on disait tout à l'heure, raconter une histoire, ce n'est pas simplement parce
18:00qu'on va dire, tiens, pendant la guerre, il se passe plein de choses et ça se raconte.
18:04C'est aussi une façon d'humaniser une situation qui peut vite se résumer par des
18:09chiffres. Quand on dit, il y a tant de morts, il y a tant de blessés, c'est d'essayer
18:13de vous dire que derrière, c'est des histoires, c'est des gens, qu'un enfant qui
18:16soit à Gaza, au Liban, en Afghanistan, en Ukraine, en Russie, c'est peut-être un
18:21enfant comme le vôtre, comme ceux que vous connaissez.
18:24Et que derrière, la question des armes, la question de la violence, il y a aussi
18:30des histoires humaines et des questions qui se posent à chacune et chacun d'entre nous.
18:35J'avais une question également ici.
18:37Bonsoir, moi, j'avais une question sur, vous parliez tout à l'heure de cette histoire
18:40dans le théâtre et vous aviez ramené deux personnes.
18:42À quel point est-ce que vous vous impliquez dans vos reportages et quelles questions
18:47vous vous posez à ce moment-là, notamment dans cette question-là de à quel point
18:51journaliste et acteur ?
18:53C'est une excellente question.
18:54Peut-être que ça va vous étonner, mais moi, souvent, en fait, je suis tellement sur
19:07le terrain omnibulée par le fait de ramener le reportage, de, est-ce qu'il y a suffisamment
19:13d'images ? Est-ce que cette situation, on va la comprendre ? Est-ce que l'interview,
19:18etc., que j'ai bien assez vite compris que je n'étais qu'un, j'allais dire qu'un petit
19:26reporter au sein d'un océan de misère et de dévastation.
19:31En revanche, voilà, ce jour-là, précisément, c'est un de nos, c'est le fixeur ukrainien
19:37qui m'a dit, il faut qu'on ramène ces gens.
19:39Au début, j'ai refusé. Au début, j'ai dit non, ce n'est pas notre mission.
19:43Moi, si on va devoir faire un aller-retour, si la voiture, elle explose alors que moi,
19:50je suis en train d'attendre, ou que, voilà, comment on fait, quoi ?
19:53Donc, on n'est pas des casse-coups, on n'est pas là.
19:56Mais voilà, moi, je me suis toujours essayé de me blinder.
20:00Il y a une fois, et c'est des images qui ont été, que le tribunal pénal international,
20:06sur justement l'ex-Yougoslavie, nous a demandé et qui ont servi à faire condamner des
20:11officiers serbes, parce qu'on est, à ce moment-là, une petite équipe.
20:15On est deux, moi et un caméraman, qui sommes rentrés dans l'hôpital de Vukovar,
20:19dans lequel 300 personnes étaient rassemblées, dont un Français, d'ailleurs,
20:22qui était venu combattre aux côtés des Croates.
20:25Et j'ai eu juste le temps de lui dire, mais attends, je comprends que tu es Français,
20:30je suis dans l'hôpital, il faut que je sorte.
20:32Les Serbes sont en train d'entourer l'hôpital, etc.
20:36Et il m'a juste dit, dis à ma mère que je suis vivant.
20:38Il m'a donné le numéro de téléphone sur un bout de papier.
20:41Quand j'ai réussi à sortir de ce cafarnaum, j'ai appelé sa mère.
20:44Je lui ai dit, Madame, ne vous inquiétez pas, votre fils, il va revenir.
20:47Il va être fait prisonnier, etc.
20:49Son fils n'est jamais revenu.
20:50Ils ont tous été exécutés d'une balle dans la tête, les 300.
20:53On les a retrouvés, on a retrouvé leur cadavre des années, des années plus tard.
20:57La seule chose que je me dis, à quoi j'ai servi, à quoi le journalisme peut servir aussi,
21:01c'est de témoigner.
21:02Ces gens-là, ils étaient vivants devant notre caméra.
21:04On a leurs images.
21:06Le tribunal pénal s'en est servi pour démontrer que ces gens étaient vivants
21:12avant l'arrivée des Serbes et a fait condamner.
21:14Je crois que c'est le summum de ce que j'ai pu faire.
21:21Bonsoir, alors moi, j'avais une question.
21:23C'était sur le traitement de l'information.
21:26Ce n'est pas toujours évident, justement, de faire votre travail à certains endroits.
21:31Et justement, comment vous arrivez, on va dire, à gérer ça?
21:36Et parfois même, parfois même, je ne sais pas si on peut dire,
21:40vous subissez des pressions, même jusqu'à ceux qui font la rédaction en France.
21:48Puisque, par exemple, il y a eu une polémique il y a quelques semaines
21:51sur l'un de vos titres lié à la guerre Israël-Gaza.
21:56Alors, la polémique a effectivement concerné la télévision
22:05et qui a fait une très grosse erreur, qui s'en est excusée.
22:12Ça ne concernait pas directement la radio,
22:14mais c'est la marque France Info qui, évidemment, a été impactée.
22:19La télévision a revu ces process, puisque, je ne sais pas si vous parlez du titre
22:28ou de l'émission et de l'interview, je ne sais pas exactement, du titre,
22:32les 200 otages, et voilà, ce que je peux vous en dire,
22:37c'est que c'était une erreur de la télévision
22:41et qu'ils sont en train de rectifier leur process pour ça.
22:44Mais subir des pressions, je ne sais pas si on subit des pressions,
22:47Gaza, par exemple, moi, j'ai été une des journalistes
22:51qui a été emmenée par l'armée israélienne à l'intérieur de Gaza.
22:54Évidemment, quand vous partez avec une armée comme ça,
22:57qui vous emmène voir un tout petit bout de la réalité,
23:03vous savez parfaitement que vous accompagnez une armée en état de guerre,
23:07en guerre.
23:07Donc, il ne faut pas être dupe et il ne faut pas surtout dire
23:11aux téléspectateurs, lui cacher toutes les conditions du reportage.
23:16En même temps, si on refuse d'y aller, on ne verra même pas
23:19un tout petit bout, tout petit bout, tout petit bout de la réalité.
23:22Donc, ce n'est pas des pressions, c'est un dilemme qui se pose aux journalistes.
23:25– Tout à l'heure, il y avait le mot d'honnêteté qui était inscrit
23:28tout en haut des valeurs à donner et je crois qu'elle est essentielle
23:31sur cette question parce qu'en fait, ça se pose sur tous les terrains difficiles.
23:35Il n'y en a aucun où on peut aller totalement librement.
23:39C'est-à-dire qu'aujourd'hui, aller en Afghanistan,
23:41ça participe notamment de discuter avec les talibans.
23:45Pendant un moment, aller à Gaza, ça participait de discuter
23:47avec le Hamas qui avait un ministère de l'information.
23:50Aujourd'hui, si vous allez à Beyrouth et que vous voulez aller
23:53dans le quartier rencontrer des militants du Hezbollah,
23:55vous passez par le service de communication du Hezbollah
23:58qui est aussi un parti politique, qui a des structures très organisées.
24:02L'essentiel, c'est de savoir ce qu'on fait.
24:05L'idée, c'est notamment de savoir que pour avoir accès à cette parole,
24:09il faut passer par là, mais de ne pas en être prisonnier.
24:12Et ensuite, c'est d'être transparent et honnête quand on fait un reportage
24:17et quand on raconte ce qui s'est passé, de dire de l'endroit où l'on parle,
24:21comment est-ce qu'on a pu accéder à ces informations
24:23et qui sont les gens à qui on donne la parole ?
24:26Après, il y a évidemment une part, je ne vais pas utiliser le mot entourloupe
24:30parce que ce n'est pas ça, mais il y a une part de libre arbitre,
24:32c'est-à-dire que passer par ces créneaux-là,
24:35c'est une nécessité pour avoir accès à la parole,
24:38se sentir ensuite obligé de poser des questions
24:43ou en tout cas de s'en interdire, c'est un autre problème.
24:46Et on peut estimer, quand on va faire un reportage,
24:49que si les conditions n'étaient pas réunies
24:51pour aussi avoir des images libres et une parole libre,
24:53c'est un reportage qu'on ne va pas diffuser.
24:56Parce qu'en fait, ça n'apporte rien,
24:59parce qu'on va avoir aussi besoin d'une sincérité.
25:02Et si la sincérité n'est pas au rendez-vous parce que c'est trop organisé,
25:05parce que c'est que de la propagande,
25:08ça n'a pas d'intérêt.
25:09En revanche, expliquer à des gens qu'un groupe,
25:13quel qu'il soit et où qu'il soit dans le monde,
25:15organise ce message, veut faire passer ce message,
25:18ça peut faire partie aussi d'une manière de vous informer
25:21à partir du moment où c'est précisé
25:24et que ce n'est pas quelque chose qui vous est présenté tel quel.
25:28Une autre question par ici.
25:30Vous avez évoqué tout à l'heure le rôle des fixeurs
25:33qui vous aident une fois que vous êtes sur le terrain.
25:35Et je me demandais comment vous faisiez pour entrer en contact avec eux.
25:38Et aussi, une fois que vous êtes arrivés là-bas,
25:41leur accorder votre confiance.
25:43Au final, ça reste des inconnus en zone de guerre.
25:46Ah oui, je vous confirme.
25:48Surtout au début, moi, je me souviens,
25:50la première fois que je suis arrivée en Ukraine,
25:52il y avait une équipe qui me précédait et je leur ai dit
25:55ben moi aussi, j'ai besoin d'un fixeur.
25:57Et le fixeur de l'équipe a appelé un copain
26:00qui s'est trouvé être un metteur en scène de théâtre,
26:03qui ne parlait pas trop mal l'anglais.
26:05Et je lui ai dit bon, ok, on va travailler ensemble,
26:08on va voir, on travaille une première journée.
26:10Puis si ça va, ça va, si ça ne va pas, ça ne va pas.
26:12Avec l'expérience, on sait ce qu'on attend d'un fixeur.
26:16Et ben voilà, je l'ai rencontré.
26:19On devait se rencontrer à 9 heures.
26:20Finalement, la rencontre a lieu à 6 heures
26:22parce qu'il y avait un obus qui était tombé sur une usine d'armement
26:25et que je me suis précipité là-bas.
26:27Et voilà, on s'est rencontrés au milieu du bazar.
26:32Et j'ai très vite vu que je pouvais lui faire confiance
26:36parce que, vous savez, avec l'expérience,
26:39les gens posés qui raisonnent,
26:42qui ne vous promettent pas la lune,
26:46que vous allez tester sur un premier terrain en disant
26:49on parle de nos process, comment on fait ?
26:52Ok, tu montes devant dans la voiture, comment on va avancer ?
26:55On va s'arrêter au premier barrage.
26:57Sur les terrains de guerre, il y a toujours des checkpoints de partout.
27:00On s'arrête au premier barrage, on pose des questions, l'attitude,
27:03et puis on construit la confiance.
27:04Et ce garçon avec lequel j'ai travaillé pendant un an,
27:08voilà, on a fait des choses importantes ensemble
27:12parce que lui avait l'impression, avec son très bon anglais,
27:16de participer à nous montrer la guerre et ses ravages dans son pays.
27:24Et puis nous, on a eu confiance en lui
27:26et on vit des moments intenses aussi avec les fixeurs.
27:30Je préciserai juste une chose parce que c'était sur une photo,
27:32je n'ai pas aperçu si elle était passée tout à l'heure,
27:34qui était sur une plage.
27:37Et ça se passe à Beyrouth.
27:38La personne que vous voyez juste à droite,
27:39c'est le technicien avec qui j'étais parti à ce moment-là.
27:42Et c'est aussi pour vous dire qu'on travaille toujours en équipe
27:44et que chez nous, les équipes techniques sont essentielles à un reportage.
27:49La voix que vous entendez, c'est souvent celle du journaliste,
27:51mais son technicien qui fait de la prise de son,
27:55qui permet qu'on se concentre sur un reportage
27:57et qui va assurer une transmission.
27:59Des reportages, il n'y en a pas.
28:00Donc déjà, c'est à la fois essentiel.
28:03Et la troisième personne que vous voyez à gauche,
28:05et que là, j'interviewais parce qu'en fait,
28:08il habitait Beyrouth depuis 15 ans et qu'à ce moment-là,
28:10il était un témoin de la situation qui se passait dans cette ville.
28:13On était au lendemain de la mort d'Assad Nasrallah
28:15et des bombardements qu'il y a eu sur Beyrouth.
28:18C'est un journaliste qui travaille aujourd'hui pour nous en pige
28:23et qui est journaliste et qui avait un début d'expérience.
28:27Et bien, par exemple, il a pu aussi nous servir de fixeur
28:30parce qu'il réalisait des traductions,
28:33parce qu'il avait un certain nombre de contacts.
28:35Et on peut aussi parfois utiliser des journalistes
28:39qui travaillent au départ dans un pays comme des relais
28:43pour nous permettre ensuite de parler à un public français, par exemple.
28:50Une question dans l'autre zone du public.
28:53Bonsoir, moi, j'ai une question sur tout l'aspect santé mentale
28:56autour de ces questions.
28:57Ça vous concerne premièrement, mais je pense aussi aux faits diversifiés.
29:02Est-ce que au long de votre carrière,
29:03vous avez senti l'accompagnement des journalistes
29:05du point de vue psychologique, psychique s'améliorer ?
29:08Et est-ce que vous pensez qu'il y a encore des travaux à faire là-dessus en France ?
29:11Et je me posais aussi la question sur le terrain de guerre.
29:14Si vous côtoyez des collègues internationaux,
29:16est-ce que de leur côté, dans leur pays,
29:19cette question de la santé mentale des journalistes
29:21qui voient des choses, qui vivent des choses très dures,
29:23est prise au sérieux ?
29:24À quel point ? Et qu'est-ce qui est mis en place par rapport à la France ?
29:27Merci.
29:30Sur la santé mentale des journalistes,
29:34je pense à une discussion que j'ai eue en tant que directrice
29:38avec une journaliste qui avait couvert le fait divers l'un des derniers.
29:48Ah, cette fameuse affaire de ce monsieur qui a abusé le Squarnec.
29:56Margot Steve, qui a révélé l'affaire en partie,
29:59enfin qui a énormément couvert et qui a entendu au procès des choses,
30:03évidemment, qu'elle n'a d'ailleurs pas retranscrite dans ses comptes rendus,
30:07tellement c'était difficile.
30:08Et évidemment, on s'est inquiétés, enfin pas inquiétés,
30:12mais on a discuté avec son chef de service de l'impact et de la lourdeur
30:16que pouvait représenter le fait d'assister tous les jours, tous les jours,
30:19tous les jours à ce procès et ce que ça pouvait faire peser aussi sur son...
30:26Ce qui est arrivé, on en a beaucoup parlé au moment du procès des viols de Mazan, aussi.
30:30Aussi, aussi, avec Mathilde Lemaire sur France Info,
30:33qui a fait un travail assez incroyable.
30:37Et effectivement, que c'est impactant.
30:39L'important, je pense que c'est surtout de montrer aux journalistes,
30:43et j'essaye de le faire modestement dans le cadre de mes fonctions de directrice,
30:47que quelques jours après, 10 jours, 15 jours après,
30:52on s'intéresse à la personne en tant que cadre, qu'encadrant.
30:58C'est-à-dire qu'il m'est arrivé aussi toujours de demander aux reporters
31:03qui étaient partis en Ukraine, je pense au jeune Valentin Dunat,
31:06quand il est parti en Syrie aussi.
31:08C'est quelqu'un qui était plus jeune que nous.
31:13Et de lui dire, est-ce que ça va ? Comment ça s'est passé ?
31:17Et le fait de raconter et de sentir que...
31:21Et je l'ai prouvé moi-même de mon côté en tant que reporter,
31:24que votre hiérarchie, que votre entreprise vous prend en considération,
31:28s'inquiète de savoir si vous avez bien atterri.
31:31Parce que généralement, le trou de l'anxiété qui peut revenir,
31:36ou de choses un peu perturbantes qui peuvent se passer dans notre tête quand on revient,
31:41c'est pas tout de suite tout de suite, c'est dix jours, quinze jours,
31:44trois semaines après que des fois c'est difficile.
31:47Et le fait de le considérer ça, rien que ça,
31:50c'est vraiment, je pense, très important pour les journalistes.
31:53Je fais juste une précision là-dessus.
31:54D'abord, je pense que c'est au même niveau que la société.
31:58C'est-à-dire que la prise en compte de la santé mentale aujourd'hui
32:01dans les débats et dans plein de secteurs différents,
32:06elle se retrouve aussi dans le journalisme.
32:08Et je pense que ça a été un vrai défaut.
32:10Moi, je le dis assez librement et quitte à ce qu'on soit pas d'accord,
32:14mais je pense qu'il y a un gap de génération aussi dans la prise en compte de ces questions-là.
32:19Et je parlais d'héroïsme au tout début,
32:22je pense, et puis ça dépend des personnes, des rédactions aussi,
32:25voilà, on va pas faire des généralités,
32:27mais je pense qu'il y a pu y avoir à un moment donné une forme de mythe aussi
32:31du reporter qui va prendre des risques et qui est insubmersible.
32:35Et il y a eu aussi des catastrophes psychologiques là-dessus
32:38parce qu'on voit des choses difficiles et pas seulement d'ailleurs sur les terrains de guerre.
32:42Je pense qu'en fait, c'est balbutiant.
32:45C'est beaucoup mieux qu'avant.
32:47Je ne suis pas sûr que ça soit encore partout.
32:48Et surtout, je vous dis ça du haut d'une entreprise très structurée,
32:53qui a des moyens, qui a beaucoup de gens,
32:55qui a du temps pour peut-être avoir des structures permettant ça.
32:59Il y a énormément de gens aujourd'hui sur les terrains de guerre qui sont des freelancers,
33:03qui n'ont pas forcément de rédaction, qui travaillent un peu comme ils peuvent,
33:06qui travaillent parfois avec deux, trois, quatre, cinq médias différents,
33:10qui s'en occupent quand ils rentrent.
33:13Pour le coup, c'est un vrai sujet.
33:15Et tout le monde n'a pas la chance aussi d'avoir une rédaction
33:19qui vous appelle tous les jours, tous les deux jours, toutes les semaines,
33:23qui prend des nouvelles avec un chef de service, une chef de service, peu importe.
33:27Mais cette structure-là, elle joue aussi.
33:29Je sais qu'il y a des associations qui s'organisent.
33:32Il y a Frog of War, par exemple, il y en a d'autres.
33:35Mais il y a un vrai enjeu tout de même autour de ça,
33:39parce que ça a aussi donné envie à beaucoup de jeunes,
33:42par exemple l'Ukraine ou le Proche-Orient, depuis trois, quatre ans,
33:45de dire, eh bien tiens, j'y vais.
33:46C'est aussi une manière d'entrer dans le métier, parce qu'on se dit,
33:48oh là là, c'est quand même très fermé, c'est dur d'avoir un poste.
33:53Et aujourd'hui, il y a quand même un...
33:54En tout cas, c'est important de l'avoir en tête parce que c'est un vrai sujet.
33:58Alors tout à l'heure, quand vous parliez, vous disiez que le fait de vous présenter
34:01en tant que radio française était une forme de laisser passer, on va dire.
34:06– Ça dépend où.
34:07– Oui, justement, c'est ça ma question.
34:08Est-ce que votre présence n'est pas des fois gênante sur des terrains particuliers,
34:13comme peuvent l'être les terrains de guerre ?
34:16Est-ce que la présence du journaliste n'est pas gênante, n'est pas pesante, je veux dire ?
34:21– Si, elle est gênante au point que tout a changé, enfin, tout a changé.
34:26Le danger s'est accentué au moment où les journalistes
34:29ont commencé à être pris en otage parce qu'ils ont été vus à la fois
34:33comme des personnages gênants et comme des monnaies d'échange possibles.
34:38Il y avait eu le cas de nos confrères au Liban.
34:41Maryse a été prise en otage à Jolo.
34:44Hervé Guéquerre a été pris en otage en Afghanistan.
34:48Et là, évidemment, quand Hervé a été pris en otage,
34:53c'était parce qu'il n'était pas au bon endroit au bon moment
34:57et que les talibans, à ce moment-là, ont vu à la fois l'occasion d'éviter
35:04qu'il y ait un témoin et, en même temps, de pouvoir l'échanger
35:08contre quelque chose dont ils avaient intérêt.
35:11Voilà, donc, évidemment que les journalistes ont toujours une présence
35:15et tant mieux, je veux dire, mais vous savez, ils le sont au bout du monde,
35:17dans un terrain de guerre, dans la politique, partout.
35:21Ils doivent être quand même, on le dit, c'est le couteau dans la plaie.
35:25Et ça me permet juste d'évoquer un terrain de guerre qui est peut-être nouveau,
35:28c'est le terrain de guerre idéologique.
35:30C'est-à-dire qu'être à Washington, il y a deux mois après la victoire de Donald Trump,
35:36était sans doute plus facile qu'être dans un meeting de Donald Trump
35:40il y a quelques années, où il y avait un discours profondément violent
35:43à l'encontre des médias.
35:44Or, c'est important d'y être.
35:45Cheat Donald Trump, il y en a d'autres et il y a beaucoup d'endroits
35:50où la question aussi de se frotter, désormais, parfois, à certains militants,
35:56parfois, d'aller aussi dans certaines villes, dans certains endroits,
36:03devient compliquée.
36:04Mais ça fait...
36:05Alors, il y a peut-être aussi une critique qu'on peut se faire.
36:09Est-ce que c'est parce qu'une partie de ces gens,
36:12on ne les a pas assez côtoyés, on ne les a pas assez rencontrés
36:14avant qu'on a aussi une forme de défiance qui est celle-là ?
36:18Chacun peut aussi faire son éthocritique ou son explication.
36:22Mais cette partie-là, j'allais dire, de moments gênants,
36:26elle n'arrive pas forcément que sur le terrain de guerre
36:29qu'on imagine dans la discussion qu'on a là.
36:32– Moi, juste pour conclure, je voulais dire une chose.
36:36Il y a beaucoup d'intérêt, je le vois, autour du journalisme de guerre.
36:42Ok, très bien.
36:44Mais il y a beaucoup de journalistes qui font leur job,
36:47leur travail sur des domaines très différents
36:50et sur des terrains aussi compliqués.
36:52Je trouve que s'il y a cet intérêt, moi, ce que ça me raconte,
36:55c'est parce que c'est un peu le paroxysme de notre métier,
36:59c'est d'être là où ça se passe.
37:01Et l'idée qu'il y a du risque est un halo, peut-être,
37:05qui sublime cette fonction.
37:08En tous les cas, ça donne de la valeur à notre métier.
37:11C'est-à-dire que dans cet océan de désinformation ou d'approximation,
37:16où les contours de la vérité sont très flous,
37:18il y a quand même une chose qui a de la valeur dans ce qu'on fait
37:21en tant que journaliste, c'est d'être là où ça se passe
37:24pour essayer de le raconter.
37:27– Et moi, je voulais juste vous demander de continuer à vous énerver
37:29parce que tant que vous serez énervé ou agacé par ce qu'on fait,
37:32ça veut dire qu'on ne sera pas des robots
37:33et que l'IA ne nous aura pas encore remplacés.
37:36– Je préfère des auditeurs agacés par des personnes humaines qui leur parlent
37:39qu'un robot et une IA qui, peut-être, n'ira pas dans les inondations
37:44du Pas-de-Calais, mais qui trouvera une vidéo faite par un habitant
37:47du Pas-de-Calais les pieds dans l'eau et qui la transformera
37:49en un reportage dans quelques années.
37:50Donc, continuez en tout cas, parce que c'est précieux pour nous.
37:54– Et pour vous montrer que ce n'est pas des IA,
37:56je vous propose de continuer la discussion,
37:58cette fois un peu plus de manière informelle,
38:01du côté de Dupart pour vous offrir un verre de l'amitié.
38:06Merci encore, merci de votre participation,
38:08merci à La Voix du Nord de nous avoir accueillis et merci à tous.