La proposition de loi “anti fast-fasion” a été votée en mars 2024 à l’Assemblée nationale. L’examen au Sénat est, lui, reporté. Elle prévoit notamment la sensibilisation des consommateurs, la création d’un malus écologique et l’interdiction de la publicité. Yann Rivoallan nous explique dans quelle mesure cette loi est une arme pour combattre la concurrence déloyale que subit le prêt-à-porter français.
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00:00Générique
00:06L'invité de ce Smart Impact, c'est Yann Rivoallant, bonjour.
00:09Bienvenue, vous êtes le président de la fédération du prêt-à-porter féminin.
00:13On va évidemment parler de la lutte contre la fast fashion.
00:17Il y a une loi qui est un peu dans les limbes de la navette parlementaire.
00:21On va pouvoir détailler ça.
00:22Mais d'abord, peut-être une question très générale.
00:24Comment va le secteur ? Toujours difficile ?
00:27C'est toujours difficile avec un effet plancher qu'on voit pour un certain nombre de marques.
00:33Parce que la météo a joué de façon très favorable ces derniers mois.
00:37Il a plu, il a fait froid.
00:39Donc bon an, mal an, les derniers mois ont été assez corrects pour un certain nombre d'acteurs.
00:45Mais ce n'est quand même pas la fête, loin de là.
00:47Et surtout structurellement, on voit quand même les casas qui tombent.
00:52C'est ce que je voulais vous dire, il y a des marques qui continuent de fermer ou quasiment.
00:55De toute façon, on voit la complexité.
00:57Et il y a aussi des transformations majeures, ne serait-ce qu'avec des incertitudes aussi que le sont tout autant.
01:03Évidemment, les taxes aux Etats-Unis qui sont mises en place nous posent beaucoup de questions sur les adaptations nécessaires à mettre en place.
01:11Et donc il y a cette concurrence de l'ultra fast fashion.
01:15On va parler de la loi, mais est-ce que vous pourriez la combattre sans une loi ?
01:19Vous voyez ce que je veux dire ?
01:20Parce qu'il y a les questions que le secteur se pose.
01:22C'est posé depuis longtemps.
01:24Sa capacité à anticiper sur ce modèle shine qui s'est imposé.
01:30Est-ce que vous pourriez combattre ce modèle sans la loi ?
01:32En fait, le point c'est, est-ce qu'on peut combattre des mafieux sans la loi ?
01:37La réponse est non.
01:38Voilà.
01:39Alors sur la chaîne de valeur intégrale de Chine et de Tému en partie.
01:43En fait, chaque fois, on a des comportements qui sont au moins des loyaux.
01:48C'est au moins.
01:49C'est-à-dire que la contrefaçon, elle est massive.
01:52Toutes les semaines, j'ai des marques qui me remontent des contrefaçons.
01:56Il y a un procès en ce moment entre Lacoste et Chine qui montre comment Chine, depuis des mois, fait de la contrefaçon sur justement Lacoste.
02:06Et c'est aussi des petits créateurs.
02:08Et leur capacité à faire 10 000 nouveaux produits par jour est liée justement à cette contrefaçon massive.
02:14Donc il y a déjà ce premier point.
02:16Alors technologiquement, ce n'est pas possible pour l'instant de le refléter, de remonter cette contrefaçon,
02:22parce qu'on se retrouve dans la même ambiguïté que celle qu'on peut avoir dans les médias.
02:26Si on prend votre image et qu'on la fout sur TikTok, pour que vous remontiez dessus,
02:31ça vous demanderait un boulot démentiel pour remonter sur l'algorithme de TikTok.
02:35Et donc c'est pour vous impossible, ou presque, de le faire.
02:38Et c'est à cette impossibilité-là que vous vous êtes confrontés.
02:40C'est cela, justement, qu'ils ont.
02:41Donc il y a ce premier point de la contrefaçon.
02:43Est-ce qu'il y a eu un peu de retard à l'allumage quand même ?
02:49Parce que ce modèle-là, il existe depuis le début.
02:51Il s'est créé là-dessus.
02:52Il y a ce retard à l'allumage classique dans toute l'innovation digitale.
02:57C'est-à-dire qu'il y a un retard à l'allumage dans le vol des images, dans le vol des musiques.
03:01Souvenez-vous, avec Tapster, il y a maintenant près de 20 ans.
03:04Donc chaque fois, oui, il y a un retard.
03:06Et il est lié aussi à cette croissance exponentielle qu'ils peuvent avoir.
03:09Parce que quand une société fait 100 % de croissance tous les ans,
03:12au bout de 5 ans, c'est près de 5000 % de croissance.
03:15Donc on ne l'avait pas vu il y a 5 ans.
03:17Le temps qu'on fasse des lois, que ça passe à l'Europe et que ça soit appliqué,
03:20les 5 ans sont passés.
03:21Et la société est passée de 3 milliards à 45 milliards.
03:25Donc ça, c'est le deuxième aspect qui explique.
03:28Parce que vous disiez, il y a la lutte contre la contrefaçon.
03:30Il y a la contrefaçon, il y a l'exploitation des salariés.
03:33Là aussi, parvêtement, c'est un centime de versé.
03:37Donc les gens sont obligés de faire 100 vêtements par jour pour des salaires de misère,
03:42de travailler jusqu'à 100 heures par semaine,
03:44de n'avoir qu'un jour de congé par mois.
03:46Donc là aussi, on est quasiment proche de l'esclavagisme.
03:49C'est la baisse de la qualité des produits dans la mode.
03:51Où là aussi, les clients ne se rendent pas nécessairement compte,
03:54mais ils achètent du poulestère à plus de 80 %.
03:57Et c'est mal taillé, c'est mal fait, c'est de mauvaise qualité.
04:00Mais en effet, quand on a acheté 3 €, comme ce n'est pas cher, on s'en fiche un peu.
04:05On va le porter 2 fois ou 3 fois et puis voilà.
04:07Et je reprends ce qu'on peut voir aussi sur certains réseaux sociaux.
04:10En fait, c'est gratuit.
04:11Donc comme c'est gratuit, on passe le contenu.
04:14Ce n'est pas très grave non plus.
04:15Et enfin, il y a l'exploitation justement de la faille des taxes.
04:20C'est-à-dire quel est le vrai chiffre d'achat d'air de Chine
04:23et quel est la véritable TVA qu'ils font semblant de payer.
04:26Parce que pour l'instant, ils échappent à une grande partie de la TVA, c'est ça ?
04:29Alors ils déclarent une espèce de TVA sur un chiffre d'affaires
04:32qui, des sources que je peux avoir, est tellement ridicule
04:35versus le véritable chiffre d'affaires qu'ils font
04:37que là aussi, il y a une fraude massive.
04:39Donc comme sur toute la chaîne de valeur, il y a la fraude du début à la fin.
04:44En effet, personne ne peut les concurrencer.
04:47Et c'est pour ça que vous parliez de système mafieux et de la nécessité d'une loi.
04:51Que contient cette loi ? Ensuite, on parlera du fait qu'elle ait été reportée.
04:56Alors la loi a 3 points majeurs.
04:59Le premier, c'est de déterminer ce qu'est l'ultra-fast fashion.
05:02C'est-à-dire combien de nombres de références par jour on peut avoir.
05:05Un ordre d'idée, une marque française, c'est 2-3 références nouvelles par jour.
05:10Zara, c'est 100, donc c'est énorme.
05:13Chine, c'est 10 000.
05:15Donc on est dans un ratio par jour.
05:18Par jour, Chine fait ce qu'une marque française va faire toute sa vie.
05:23Donc on est dans un volume astronomique.
05:25On retrouve les volumes, évidemment, des plateformes digitales
05:28qui sont aussi capables d'avoir des millions de vidéos tous les jours.
05:31Le deuxième point, c'est qu'il y a un système avec l'affichage environnemental
05:36qui permet de déterminer si un produit est bon ou mauvais.
05:39Il est mauvais, je paye un malus de 5 euros.
05:42Il est bon, je touche un bonus de 5 euros.
05:44Donc un bonus-malus, comme prévu dans la loi.
05:46Oui, et cet affichage environnemental est travaillé avec des polytechniciens,
05:50des ingénieurs et des experts du textile depuis maintenant des années.
05:54On aboutit à cet algorithme.
05:57Grâce à cela, on va pouvoir dire que c'est un bon et un mauvais produit.
06:00Un peu comme le Nutri-Score, mais sous une autre forme très intéressante.
06:04C'est qu'on va avoir un nombre de points.
06:06Et ce nombre de points, c'est le nombre de points de vie qu'on va prendre à la planète.
06:10C'est-à-dire que quand on achètera un produit avec 150 points,
06:14on prendra 150 points à la planète.
06:17Oui, donc on intègre le coût environnemental au prix d'achat du produit.
06:21Et là, grâce à ce malus et ce bonus,
06:23on se dira que oui, on prend un peu à la planète,
06:25mais il faut bien qu'on s'habille tous les jours.
06:27Donc quand je mange aussi, je prends aussi un peu à la planète,
06:30mais je peux lui rendre d'une autre façon.
06:32Et donc cet affichage est assez intéressant, justement,
06:35dans cette perspective de je vais consommer ou non,
06:38beaucoup ou pas, la planète.
06:40Et quand je l'achète pour chez SHEIN,
06:42pour un t-shirt en polyester,
06:45qui va détériorer à vie la planète,
06:48parce que le plastique ne se détériore pas,
06:50et bien là, je vais avoir un gros affichage environnemental.
06:52Et en plus, ça va me coûter 5 euros de plus.
06:55Donc ça limite, justement, l'achat.
06:57Donc ça, c'est pour le bonus-menus.
06:59Ensuite, il y avait une question de publicité.
07:00L'interdiction de la publicité.
07:01Alors là, c'est une vision très intéressante
07:04de pourquoi est-ce qu'on a le droit ou non,
07:06ou pas, de faire de la publicité.
07:08Pour l'instant, l'interdiction de la publicité
07:10se fait avant tout avec des produits qui sont très dangereux pour la santé,
07:13du type le tabac ou l'alcool.
07:15Et donc là aussi, on a cette vision qui est
07:17quand on sait que ces produits sont clairement,
07:19parce que c'est l'ultra fast fashion,
07:21dangereux pour la santé de la planète,
07:23et donc pour nous,
07:24parce que quand un t-shirt en plastique va dans les océans,
07:26à la fin, cette dégradation, les microfibres,
07:29finissent aussi dans notre corps.
07:31Et bien, on peut se poser la question de
07:32est-ce qu'on a le droit ou non d'autoriser cette publicité.
07:34Et donc là, c'est une vraie question de société.
07:36Parce que pour l'instant, le droit européen
07:38interdit de faire ceci.
07:40Donc est-ce qu'il faut aussi que le droit européen change, ou pas ?
07:44Oui, vous dites que c'est un combat qui dépasse la filière textile,
07:46d'une certaine façon.
07:47Et c'est pour ça que, et si on retrouve la base d'ailleurs de la mode,
07:50depuis des années,
07:51c'est qu'on est souvent à l'avant-garde
07:53de beaucoup de transformations.
07:54Dans le digital, les marques de mode sont depuis maintenant
07:57plus de 15 ans en e-commerce,
07:59alors qu'encore, quelques industries n'y sont pas encore.
08:01Et donc il y a toujours ce côté avant-gardiste,
08:03évidemment dans les tendances,
08:05mais aussi dans l'innovation,
08:06et aussi dans la responsabilité.
08:08Et donc de ce fait,
08:10la transformation qu'on voit avec Shein,
08:12c'est qu'on voit comment une marque comme Shein
08:14est le pire du pire,
08:16dans l'innovation et dans la responsabilité,
08:19et quand même, les marques françaises sont l'inverse.
08:21C'est-à-dire, elles essaient aussi de se transformer dans l'innovation,
08:23mais avec les contraintes légales que nous on a,
08:25que eux n'ont pas,
08:26et évidemment dans la responsabilité,
08:28dans vouloir bien faire les choses.
08:29Et alors, cette loi qui avait été votée à l'Assemblée,
08:31qui devait passer au Sénat,
08:33bon, il y a eu la décision de report de l'examen,
08:37est-ce que vous faites le lien avec l'embauche par Shein
08:41d'un certain nombre de personnalités politiques,
08:44d'anciennes personnalités politiques,
08:46c'était quoi, une stratégie d'influence, en fait ?
08:48Alors, il y a des raisons légitimes.
08:50Les raisons légitimes sont évidemment la dissolution,
08:52les changements de gouvernement,
08:54et donc, c'est compliqué, en effet,
08:56de faire passer des lois dans ces contextes.
08:58Le deuxième, c'est qu'en effet,
09:00il y a un lobby, un lobby massif de Shein,
09:02qui s'adresse, je le vois aussi, aux écoles.
09:05Il va aller dans les écoles pour expliquer
09:07à quel point ils sont bien dans des écoles de mode, évidemment.
09:09Ils feront du lobby vis-à-vis des parlementaires.
09:12Je prends évidemment Castaner,
09:14qui a fait beaucoup d'images, beaucoup de bruit.
09:16Christophe Castaner, ancien ministre de l'Intérieur,
09:18qui a été embauché, effectivement.
09:20Mais il y a aussi Bernard Splitz,
09:22qui a demandé à rencontrer la présidente de l'Assemblée,
09:24ce qu'il n'avait pas fait depuis maintenant près de 5 ans.
09:26Alors, Bernard Splitz, il était...
09:28C'est un des fondateurs des GRAC,
09:30qui est un mouvement qui a été aussi à l'initiative
09:32de l'élection d'Emmanuel Macron.
09:34Donc, c'est quelqu'un qui a été très important,
09:36qui faisait aussi partie du MEDEF,
09:38et donc, il y avait une stature et un réseau,
09:40et donc, il utilise clairement ce réseau,
09:42aussi, pour s'adresser à de nombreux parlementaires.
09:44Et donc, il y a aussi Négole Getsch,
09:46une ancienne secrétaire d'État,
09:48qui avait une très belle réputation,
09:50malheureusement, elle aussi, embauchée par Chine.
09:52Donc, on le voit, c'est un investissement
09:54en lobby, par Castaner,
09:56qui est très visible, mais aussi sur d'autres,
09:58qui, bien sûr, influencent les parlementaires.
10:00– Vous espérez quand même que cette loi
10:02soit votée rapidement ?
10:04– Alors, on a une première étape,
10:06on verra, début avril,
10:08si ou non, elle va être à l'agenda.
10:10Si elle est à l'agenda,
10:12comment est-ce que la loi va être transformée,
10:14aussi, par les sénateurs ?
10:16Donc, on va voir s'il y a des modifications positives ou pas.
10:18Et, de ces transformations,
10:20elle sera votée ou pas.
10:22Donc, il y a beaucoup d'incertitudes,
10:24d'ici, peut-être, mi-mai,
10:26où elle passera, peut-être, justement, au Sénat.
10:28– Merci beaucoup, Yann Rivaud-Halland.
10:30Évidemment, on va soutenir ce combat
10:32et continuer d'en parler ici.
10:34Je vous dis à bientôt sur Bismarck for Change.
10:36C'était notre débat,
10:38comment parler d'économie sociale et solidaire aux jeunes.