Deux mois après, que reste-t-il du Sommet de l’IA ? Président de l’Institut polytechnique de Paris, Thierry Coulhon est l’invité du Grand Entretien pour parler des enjeux de la formation des élites françaises à l’usage de l’intelligence artificielle générative.
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00:00Générique
00:12Le grand entretien aujourd'hui avec une personnalité du monde de l'IA, du monde de la recherche, on accueille Thierry Coulon.
00:20Bonjour Thierry. Bonjour. Très heureux de vous accueillir.
00:22Président de l'Institut Polytechnique de Paris, vous allez présenter l'Institut parce qu'il n'y a aucune confusion, c'est pas que Polytechnique.
00:28C'est beaucoup plus large que cela. Je voudrais simplement vous présenter rapidement, au-delà de vos fonctions à la fois en cabinet auprès du Président de la République,
00:37auprès du Premier ministre, vous avez une double formation, je voulais le préciser, à la fois polytechnicien, bon, mais en même temps philosophe.
00:46C'est un peu plus compliqué que ça parce que je suis rentré à Polytechnique mais je n'y suis pas resté.
00:50C'est ça. Voilà. Donc vous avez bifurqué. Vers les maths. D'accord. Je suis resté dans la même idée mais je voulais aussi faire de la philosophie.
00:57Oui. Et donc vous avez bien ces deux versions. A la fin j'ai fait plus de maths que de philosophie. C'est ça. Mais j'ai gardé des livres et des amis en philosophie.
01:05C'est beaucoup. Et bien c'est une très bonne chose puisqu'on a aussi une petite rubrique sur la chaîne Smart Job et Be Smart autour des philosophes.
01:12Revenons à l'Institut Polytechnique de Paris. Qu'est-ce que c'est ? Quelle est son utilité et qu'est-ce qu'elle englobe ?
01:18Alors l'idée c'est d'allier six écoles d'ingénieurs. L'école Polytechnique et l'ENSTA qui sont l'École Nationale Supérieure des Techniques Avancées qui sont toutes les deux sous tutelle.
01:30Défense. Trois écoles qui sont sous tutelle. Bercy, l'ENSAE qui forme les statisticiens de la statistique publique. Télécom Paris. Télécom Sud Paris.
01:41Et puis une petite nouvelle qui est l'École Nationale des Ponts et Chaussées. Célèbres. Oui tout à fait. Alors ce sont des institutions prestigieuses, souvent anciennes.
01:53Enfin les plus anciennes sont ancrées. La plus ancienne c'est l'ENSTA 1741. Ils construisaient des bateaux de guerre pour le roi de France.
01:58Ou du moins ils formaient les gens qui savaient les construire. Ancrées dans la fin du XVIIIe siècle français. Très françaises.
02:06Et il faut les transformer, ces écoles prestigieuses et remarquables, en les alliant en un objet du XXIe siècle et qui soit international.
02:13Qui puisse jouer avec nos grands benchmarks qui sont le MIT, Caltech, le PFL, le Technion, etc.
02:19Alors ma question va peut-être vous sembler incongrue mais est-ce qu'on a déjà perdu la partie ?
02:24Parce que quand on voit la puissance américaine sur ces outils, quand on voit la manière dont l'outil s'est déployé puisqu'il est déjà déployé,
02:31est-ce qu'on a perdu la bataille ou est-ce que, vous dites, on peut encore relever la tête par la formation, par la pédagogie ?
02:38Alors il y a une question d'abord plus globale. Est-ce qu'on a perdu la bataille des cerveaux en général ?
02:43Et si on regarde par exemple ce qui se passe sur l'IA ou ce qui se passe sur le coup d'après, c'est-à-dire le quantique, non on n'a pas perdu la partie.
02:50Parce que précisément dans cette tradition très ancienne de science à très haut niveau dans les écoles d'ingénieurs,
02:57on aime bien à Harvard, au MIT et ailleurs avoir des étudiants qui sont issus de nos écoles, ça c'est la première chose.
03:07La deuxième chose c'est que l'économie française, avec ses difficultés mais aussi avec sa créativité, elle puise aussi largement chez nous.
03:15Qu'il s'agisse des grands groupes, un certain nombre de groupes du CAC 40 sont présidés par des alumnis d'écoles polytechniques,
03:21mais de Télécom, mais de Télécom Sud Paris, vous n'échappez pas que d'Asso Aviation, c'est un ancien de TSP si je ne me trompe pas.
03:29Mais nouveau modèle, ils créent des startups.
03:33Et vous savez que Mistral c'est deux anciens de l'IX et on pourrait multiplier les exemples.
03:39Et en France et en même temps implanté aux Etats-Unis.
03:41Oui, mais même si le monde est un peu moins mondialisé par les temps qui courent, il y a un certain nombre de tensions qui ressurgissent,
03:47les gens circulent et c'est très bien.
03:49C'est très bien qu'ils partent s'ils reviennent, et beaucoup reviennent.
03:51Et vont revenir d'ailleurs par les temps qui courent.
03:53Donc globalement, non, on n'a pas perdu la partie.
03:57Oui, avec notre histoire qui est parfois une histoire un peu compliquée, on a réussi à former des cervelles remarquables et entreprenantes.
04:03S'agissant de l'IA, on n'a particulièrement pas perdu la partie.
04:07Si Internet, effectivement, on a été un peu en avance à un moment donné et ensuite on a décroché, là on y est.
04:15On est dans la partie, on est dans la bataille.
04:17Il n'y a aucun doute.
04:19Parler de la France ou parler de l'Europe ?
04:21Alors évidemment, il ne faut pas parler de la France seul, sinon on n'y arrivera pas.
04:23Vous savez, pour faire de l'IA, vous savez ce qu'il faut.
04:25Il faut des données structurées dans un pays centralisé, on a des données structurées.
04:29Il faut des talents, il faut de l'énergie pas trop chère et il faut de l'investissement.
04:35L'investissement, lui, viendra de l'Europe, c'est clair.
04:37Mais une question, là je me tourne vers le pédagogue, celui qui depuis longtemps s'intéresse aux innovations.
04:41Est-ce que nos écoles d'ingénieurs, on reçoive les bonnes formations sur ces sujets d'IA générative ?
04:47Est-ce qu'on est en train aussi, là, de raccrocher les wagons ?
04:49Alors absolument, là vous me parlez d'un sujet qui vient d'émerger, tout le monde est ignorant d'une certaine manière.
04:57Tout le monde est surpris, tout le monde doit s'adapter.
04:59Maintenant, vous savez qu'on a longtemps finalement moqué la formation à l'école polytechnique en disant
05:05ils sont un petit peu dans la lune parce qu'ils en font trop de maths.
05:07Eh bien, oui, il y avait cette tension entre faut-il une école de haute science avec des mathématiques très abstraites
05:15ou faut-il aller vers les applications.
05:17Aujourd'hui, cette question n'existe plus.
05:19C'est précisément avec des maths, avec des stats, avec de l'informatique, avec du travail sur les données
05:25qu'on est à la pointe du sujet.
05:29Donc ça, c'est une première difficulté pour laquelle on est particulièrement bien placé.
05:33C'est qu'en matière d'adaptation, s'adapter aux révolutions scientifiques, excusez-nous, mais c'est notre boulot et depuis longtemps.
05:39Donc ça va aller.
05:41Ensuite, il faut le faire. Je vous expliquerai comment on peut le faire.
05:45Comment vous le faites ? On va parler d'emploi parce qu'il y a un gros sujet là aujourd'hui, les Français qui nous regardent.
05:49Certains ont peur de l'outil, c'est-à-dire physiquement ont peur de l'utiliser.
05:53Et d'autres disent j'en ai pas peur, mais si je l'utilise, en fait je tue mon emploi.
05:57C'est quand même un sujet un peu copernicien.
06:01Quel regard, le chercheur que vous êtes et aussi le président de l'Institut, vous avez ?
06:05Est-ce qu'il faut nous rassurer ? Est-ce qu'il faut faire preuve d'une vérité absolue en disant
06:09oui, il y aura une destruction d'emplois, mais une création de nouveaux emplois ?
06:13Qu'est-ce que vous dites sur ces sujets ?
06:15Je pense qu'il faut être scientifique en la matière et dans l'incertitude douter, mais être prêt.
06:19C'est ce qu'il faut faire en la matière.
06:23Il est clair que la disruption est très forte.
06:27Dans l'administration, dans le travail quotidien, je vous disais en préparant l'émission
06:31que j'avais fait faire une note sur une rencontre extrêmement technique.
06:35La note était d'un détail, d'une précision.
06:37Vous avez été bluffé ?
06:39Oui, mon direcab a été bluffé, on a été ensemble bluffés.
06:43Vous connaissez la maxime, le type qui va te piquer ton emploi,
06:47ce n'est pas l'intelligence artificielle qui va te piquer ton emploi.
06:51Ce qui va te piquer ton emploi, c'est un humain qui saura l'utiliser, qui saura se combiner avec elle.
06:55Alors comment on va faire ?
06:57D'abord, il y a une première chose, c'est qu'on a un peu de chance.
07:01On a un peu de chance, on a bien travaillé.
07:03On a constitué un ensemble de centres interdisciplinaires,
07:07c'est-à-dire qu'on a notre recherche de base avec les organismes de recherche,
07:11le CNRS, l'INSERM, etc.
07:13On a un grand nombre d'équipes dans les sciences fondamentales,
07:15les maths, la biologie, la physique, la chimie, etc.
07:19Mais on a constitué des centres interdisciplinaires pour adresser des défis sociétaux.
07:23L'un d'entre eux, c'est l'intelligence artificielle,
07:25mais on pourrait parler du climat, on pourrait parler de la défense et de la sécurité,
07:28évidemment, étant donné notre histoire et notre identité, etc.
07:32Le centre interdisciplinaire sur l'intelligence artificielle, il s'appelle HiParis,
07:36il a été fait avec HEC.
07:38Ce n'est pas nouveau, il y a des diplômes communs à la Polytechnique HEC,
07:42il y a des relations entre d'autres écoles de la Société Polytechnique de Paris et HEC.
07:46On a fait ce projet ensemble.
07:47L'histoire compte deux faits.
07:49Sept grandes entreprises françaises ont mis un million d'euros par an pendant trois ans, chacune.
07:56Pour accompagner la recherche ?
07:58Voilà.
07:59Du mécénat en se disant, on met un ticket là-dessus parce que c'est du bien commun,
08:04il y a quelque chose qui nous bénéficiera à nous aussi à la fin d'être associés à cette histoire.
08:10La deuxième partie, c'est que l'État a fait un appel à candidature,
08:16intitulée IA Cluster,
08:19et qu'on a gagné 70 millions d'euros sur cinq ans pour développer la chose.
08:26Pour la développer de manière très originale sur recherche, formation, innovation.
08:30En matière de formation, qu'est-ce qu'on va faire ?
08:32On va faire un institut qui s'appelle HiPace,
08:35où on va multiplier par 10 le nombre d'undergrads qu'on formait.
08:41C'est en gros Bac plus 3.
08:43Vous allez me dire, on multiplie par 10, c'est pas trop difficile parce qu'on partait de très bas.
08:46Il empêche que c'est quand même x10 sur le marché.
08:49Un bachelor avec l'université de technologie de 3, un bachelor de HEC, le bachelor de l'Ix.
08:55Donc c'est concret ça, c'est des diplômes et des diplômés.
08:58Maintenant, on va multiplier par 3 le nombre de graduates qu'on sort,
09:03c'est-à-dire de doctorat, de master, avec une double ligne.
09:09D'une part, les gens qui vont créer l'IA de demain,
09:13qui vont être spécialisés en IA, qui auront une formation très exigeante.
09:17Qui auront la tête dans le moteur.
09:18Et puis ceux qui iront faire autre chose, peut-être travailleront-ils justement sur le climat, sur la santé.
09:23Mais en utilisant l'IA.
09:24Mais il faut qu'ils soient un peu plus qu'utilisateurs, il faut qu'ils soient informés.
09:28C'est-à-dire qu'on parle quand même d'ingénieurs de très haut niveau,
09:31il faut donc que dans leur panel de compétences, ils aient la connaissance.
09:35Donc on transforme et on améliore la situation avec le climat grâce à l'IA.
09:40On va améliorer beaucoup de choses si vous voulez.
09:42Comme tout le monde, je découvre.
09:45Récemment, j'ai été à plusieurs présentations scientifiques faites par des labos.
09:50La ministre de l'Éducation, Elisabeth Borne et Philippe Baptiste,
09:54le ministre de l'Enseignement supérieur, sont venus.
09:56Clara Chappaz est venue.
09:57On a eu, comme vous savez, on a organisé les journées scientifiques.
10:00Vous étiez à l'origine ?
10:01En introduction, en levée de rideau de l'EI Summit, à chaque fois, il y a des présentations scientifiques.
10:08Mettons de biologie.
10:09Vous avez un type qui vient vous expliquer les techniques d'imagerie incroyables qu'ils ont mis en œuvre
10:13pour voir les connexions neuronales au sein du cerveau de la souris.
10:17D'accord ? C'est bluffant là aussi.
10:20Et puis vous avez quelqu'un qui arrive dans la présentation qui dit
10:22« Moi, je ne suis pas le biologiste, je suis le spécialiste des données.
10:25C'est moi qui leur ai permis de concaténer cet ensemble de données incroyables.
10:30Parce qu'une fois que votre imagerie marche, évidemment, c'est des terres à côté de données.
10:34C'est extraordinaire.
10:35Mais ensuite, il faut les structurer.
10:36Mais ça, c'est sur nos médias.
10:37Donc l'IA va être partout.
10:38L'IA va être en physique, elle va être en biologie, elle va être dans toutes les disciplines.
10:41Elle transforme, je vous le disais, la manière dont on fonctionne dans l'administration au quotidien,
10:45c'est-à-dire dans la gestion des choses, mais elle transforme la recherche,
10:48elle va transformer l'enseignement évidemment.
10:50L'enseignement d'une manière extrêmement forte.
10:52Tout les enseignements.
10:53Automatiquement.
10:54Et la manière même dont on va transmettre l'information.
10:56Oui, mais il faudra le faire de manière plus ou moins intelligente, plus ou moins maîtrisée,
11:01puisque comme vous le savez, c'est aussi la meilleure et la pire des choses,
11:04puisque vous avez là un instrument à produire de la fausseté qui est incomparable.
11:09C'est vrai.
11:10C'est le débat qu'on a d'ailleurs sur Internet, avant même de parler de l'IA générative.
11:13Avant de nous quitter, Schumpeter, cette destruction,
11:16on détruit, on reconstruit, on détruit, on ne reconstruit pas l'identique.
11:20Qu'est-ce que peut provoquer l'IA ?
11:22Je dis bien peu, puisqu'on est dans l'incertitude.
11:24Écoutez, beaucoup d'amis économistes, et j'ai essayé de lire les bons auteurs,
11:28mais je ne suis pas un spécialiste.
11:30Effectivement, on peut imaginer qu'à nous...
11:32Et en tout cas, c'est la seule chose qu'on puisse faire.
11:34C'est non seulement de l'espérer, mais de tout faire pour que ça advienne.
11:38C'est-à-dire que la destruction soit une destruction créatrice.
11:42Et une fois de plus, aujourd'hui, la meilleure combinaison,
11:46c'est la combinaison de l'intelligence humaine et de l'intelligence artificielle.
11:49On le voit en matière de diagnostic, par exemple.
11:51Donc c'est un cerveau qui sait utiliser cet outil à bon escient,
11:55et qui est capable et qui pourra transformer le monde.
11:57Absolument.
11:58C'est la promesse.
11:59C'est la devise, d'ailleurs, de l'école Polytechnique,
12:03qu'on peut généraliser, vous avez le pouvoir de transformer le monde.
12:05Et donc, la responsabilité.
12:07Exact, c'est la devise de l'école que vous avez faite.
12:09Mais vous l'avez terminée, Polytechnique, on n'a pas fini notre histoire.
12:11Oh non, il se trouve que je suis allé faire des maths,
12:13mais je suis revenu, finalement, on revient toujours à la maison mère.
12:16Vous êtes un rebelle, Thierry Coulon, vous êtes un rebelle.
12:18Peut-être.
12:19Peut-être.
12:21Exactement.
12:22Merci, Président de l'Institut Polytechnique de Paris,
12:24avec des choses extrêmement concrètes, puisque vous l'avez dit,
12:27des diplômes, des diplômés qui vont arriver.
12:30Dans combien de temps ils arrivent sur le marché du travail,
12:32tous ceux qui sont en formation ?
12:33Il y en a qui sortent bientôt et qui auront déjà eu une teinture,
12:37mais on va déclencher les choses à la rentrée 25.
12:40Donc sur une durée de 3 ans, soit une durée de 4 ans ?
12:43Oui, oui.
12:44Donc on les retrouvera dans 4 ans, ces ingénieurs ou ces doctorants de très haut niveau,
12:47qui seront, quoi, intégrés dans les entreprises ?
12:49On a déjà, attendez, on a déjà des gens qui ont fondé des start-up,
12:53ils existent, ils sont déjà en train de transformer le monde sur ce sujet et sur d'autres.
12:59Merci, Thierry Coulon, d'être venu nous rendre visite,
13:01Président de l'Institut Polytechnique de Paris.
13:03C'est un vrai privilège de vous avoir sur le plateau de Smart Job.
13:06On tourne une page, on s'intéresse au livre de Smart Job,
13:09avec un titre évocateur, le concept des 25 centimètres.
13:12Les 25 centimètres, c'est la distance entre mon nombril et mon cœur.
13:16Et le vôtre aussi, d'ailleurs.
13:17On en parle et j'accueille son auteur sur le plateau, c'est le livre de Smart Job.
13:20C'est tout de suite.