Marine Le Pen est désormais fixée sur son sort : peine d’inégibilité avec exécution provisoire. On réagit au verdict et à ses conséquences, du procès des assistants parlementaires d’eurodéputés RN avec Thomas Legrand, éditorialiste à Libération.
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00:00Marine Le Pen est reconnue coupable de détournement de fonds publics dans le procès des assistants parlementaires du RN.
00:09Elle est donc condamnée à 4 ans de prison, dont 2 fermes, et à 5 ans d'inégalité avec exécution provisoire, ce qui la disqualifie de la course à la présidentielle 2027.
00:19Thomas, toi en tant qu'éditorialiste politique, notamment à Libé, quelle est ta première réaction ?
00:25Ma première réaction, c'est qu'elle est multiple. Comme l'élection présidentielle dans notre vie politique est centrale, et dans nos commentaires politiques c'est un peu la matrice,
00:40je le déplore souvent, mais c'est comme ça. Le roman de l'élection présidentielle change. Les personnages vont changer, très certainement.
00:47Et du coup, les rapports de force, là il y a une tectonique des plaques qui est en action accélérée aujourd'hui.
00:57Il va falloir faire un peu de perspective et deviner ce qui peut se passer dans un contexte mondial où les autoritaires sont en force et où il y a une pression pour des solutions autoritaires, aussi en France.
01:13Avec comme moteur souvent la victimisation de ces mêmes autoritaires qui mettent en balance la volonté populaire et l'état de droit, c'est-à-dire l'état du droit qui limite le pouvoir de ceux qui veulent ou qui ont le pouvoir.
01:35Et qui est la base, l'état de droit c'est la base de ce qu'on appelle les démocraties libérales dans lesquelles nous vivons en Europe et qui sont attaquées de partout.
01:45C'est-à-dire on est le dernier endroit au monde, avec l'Australie peut-être et la Nouvelle-Zélande et quelques rares pays en Asie, où la démocratie libérale se défend et défend son modèle.
02:01Tu parlais d'un changement de personnage au premier plan de l'échiquier politique français. Il y a déjà des réactions dans le chat aussi qui forcément parlent des conséquences que peut avoir cette condamnation sur Jordan Bardella.
02:13Quelqu'un nous dit dans le chat que Bardella va devenir le numéro 1 du parti et comme il ne traîne pas toutes les casseroles des Le Pen, il va avoir plus de chances de se faire réélire que Marine Le Pen en 2027.
02:22C'est une analyse, on peut la partager ou pas. Bardella, on peut considérer aussi que ce n'est pas non plus un cadeau. Il n'a absolument aucune expérience en rien et il est beaucoup moins aguerri que Marine Le Pen pour traverser une campagne présidentielle avec ses débats.
02:41On sait à quel point on choisit une personnalité et les débats sont importants. Marine Le Pen a échoué deux fois la première fois, enfin plusieurs fois, mais la première fois c'était à cause du débat. Il y a quand même une certaine fragilité.
02:57Et puis, il va y avoir une concurrence à droite et à l'extrême droite accrue parce que le principal personnage, celui qui était donné en tête au premier tour de l'élection présidentielle, ne peut plus être candidat. Enfin, ne peut plus être candidat.
03:14Je ne suis pas le spécialiste juridique de la maison, mais ils sont tous en train de préparer des papiers, donc on n'a pas pu trop les déranger. Mais il y a une possibilité d'appel. Normalement, l'appel, ça dure plus de deux ans. Mais là, on peut considérer que le premier président de la Cour d'appel va tenter, si Marine Le Pen fait appel et on sait qu'elle fera appel, va tenter d'accélérer un petit peu la procédure.
03:40Mais enfin, il faut monter le dossier. C'est un peu long. Imaginons qu'en 2026, l'appel ait lieu. Et là, il y a une possibilité, effectivement, comme toujours en second instant, de retour de Marine Le Pen.
03:55Marine Le Pen, ça paraît assez improbable. J'ai eu un juriste constitutionnaliste au téléphone. Ça lui paraît possible, mais assez improbable. Donc, ce n'est pas forcément mort. Mais c'est très mal barré, en tout cas, pour que Marine Le Pen puisse se présenter à l'élection présidentielle.
04:13Mais ce que je voulais dire, c'est qu'on a une réaction très Ve République et très française, c'est-à-dire un parti, une personne. La démocratie, beaucoup de gens vont dire que la démocratie est atteinte et attaquée, mais d'abord, elle pourra faire campagne. Pas pour elle, mais elle pourra parler.
04:34Et puis, si le Front National, le Rassemblement National est si puissant que ça et si implanté dans la société, il va trouver une autre incarnation. Et effectivement, là, c'est sans doute Jordan Bardella. Alors là, on parle du principe démocratique.
04:51Selon moi, le principe démocratique n'est pas du tout atteint aujourd'hui. Au contraire, l'exemplarité qu'on demande depuis des années, elle s'applique. Enfin, elle s'applique parce que c'est l'application d'une loi qui a été votée à l'unanimité. Et donc, je rappelle, Marine Le Pen n'était pas députée à l'époque, mais le parti de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen.
05:11À l'époque, c'était en 2016, quand cette loi a été votée après l'affaire Cahuzac, la loi dite Sapin 2, le Front National demandait l'inégibilité immédiate, éternelle pour la vie entière.
05:30Et aujourd'hui, ça se retourne un petit peu contre.
05:32Quand on est assez vert, quand on veut des peines automatiques, des peines planchers, ce que veut le Front National, le Rassemblement National pour tout, une peine quasiment automatique, il se la prend.
05:43Alors, tu faisais bien aussi de préciser juste avant qu'il y a beaucoup de questions technico-techniques autour des peines à l'encontre de Marine Le Pen. Comme tu le disais, on prépare à Libération et tous les spécialistes des questions de justice préparent des papiers pour répondre à toutes vos questions très précises. C'est évidemment pas simple.
06:01On peut quand même essayer d'en parler, oui.
06:03Parce qu'il y a notamment une question sur, tu parlais du bracelet électronique de Marine Le Pen, quelqu'un qui nous demande et le maintient à domicile de Marine Le Pen. Est-ce que ça implique quoi par rapport à l'Assemblée Nationale, par exemple ?
06:13Alors, j'ai demandé à un spécialiste qui attend de voir les conditions d'application parce qu'il y a un jugement. Et puis après, il y a les conditions d'application qui sont précisées. On va voir ça. En fait, c'est une peine d'emprisonnement ferme qui est commuée en bracelet électronique.
06:34Et donc, pour se déplacer, il faut des autorisations. On va voir quelles seront ces autorisations. Mais normalement, à partir du moment où c'est pour exercer son métier, elle sera autorisée d'aller à l'Assemblée.
06:54Là, je parle un petit peu en l'air, mais d'après ce qu'on m'a expliqué, elle serait autorisée. Elle pourrait s'exprimer. La liberté d'expression ne peut pas être atteinte. Donc, elle pourrait s'exprimer. Elle pourrait faire des visios. Est-ce qu'elle pourrait aller tous les soirs à BFM ? Je ne sais pas.
07:12Mais on va attendre de voir le détail. Là, on a juste les communiqués des trois juges qui nous sont parvenus comme ça. On a quelqu'un dans la salle, évidemment, mais ce n'est pas en direct. On ne peut pas communiquer directement comme ça.
07:34On ne peut pas être en direct et savoir exactement ce qu'il y a dans le jugement, dans les attendus. On va les recevoir et ça sera publié rapidement.
07:43Il y a aussi une question concernant Louis Alliot. Parce que c'est vrai qu'on rappelle que Marine Le Pen n'était pas la seule concernée lors de ce procès des assistants parlementaires d'eurodéputés du Rassemblement national.
07:52Louis Alliot, lui, dans sa condamnation, ne perd pas son maire de Perpignan puisqu'il n'y a pas d'exécution provisoire. La question ensuite, c'était ne peut pas se présenter au municipal de Perpignan, du coup aux prochaines municipales. Est-ce que tu as la réponse, Thomas, ou pas ?
08:05Oui, normalement, il ne peut pas se présenter aux prochaines municipales, mais il ne perd pas son mandat. Parce qu'en fait, le juge, dans ces cas-là, doit arbitrer entre deux exigences démocratiques et constitutionnelles.
08:18La première, qui est l'exigence de la probité des élus. Et cette exigence a été rappelée par la loi, cette loi de 2016. Elle a été rappelée par le législateur lui-même, qui va venir pleurer, vous savez, largement.
08:30Le législateur l'a rappelée dans cette loi, dans les attendus de cette loi et dans le débat. C'était une loi qui réclamait de l'exemplarité et qui réclamait une peine quasiment automatique.
08:43Il faut savoir que les peines automatiques, ça peut poser un problème d'ordre. Moi, je trouve que ça pose un problème juridique et quasiment de droit de l'homme. C'est-à-dire que, normalement, on juge une personne, un cas, des faits.
09:02Mais on ne juge pas une infraction en elle-même qui, automatiquement, donnerait lieu à une peine. On se demande toujours les circonstances atténuantes, la vie de la victime et la vie de l'accusé, etc.
09:19On examine les circonstances et c'est ça la justice. Mais la droite et les sécuritaires demandent toujours, dans tous les domaines, des peines automatiques, des peines planchers. Ils les obtiennent.
09:34Et là, c'est le cas. On a considéré qu'il y avait un devoir d'exemplarité et ça, le juge devait arbitrer en fonction de cette exigence-là. Mais il y a une autre exigence qui est aussi démocratique et d'ordre constitutionnel.
09:49C'est offrir le libre choix aux électeurs. Parce qu'au-dessus de ces trois pouvoirs judiciaires, législatifs et exécutifs, qui doivent être séparés dans le cadre d'une démocratie libérale, et qui ne sont pas hiérarchisés, aucun n'est au-dessus de l'autre, mais au-dessus de ces trois pouvoirs, il y a le peuple souverain.
10:14Et c'est en son nom que tous ces gens agissent, tous ces pouvoirs agissent, notamment la justice. Donc, au nom du peuple souverain, le juge répond à l'exigence d'exemplarité.
10:25Et là, il dit que les enquêtes ont montré que Marine Le Pen était au cœur du système, c'est le mot utilisé par les enquêteurs et le jugement, au cœur de ce système. Et que donc, c'est elle qui a la plus grosse condamnation du fait de ce devoir d'exemplarité rappelé par le législateur en 2016.
10:48Et en même temps, il y a la liberté de choix. Et les juges ont considéré que la liberté de choix demeurait, parce qu'il y aura un candidat à Rassemblement national. Le Rassemblement national est un parti qui peut présenter des candidats dans 577 circonscriptions et être le premier parti représenté à l'Assemblée, ce qui prouve qu'il n'y a pas que Marine Le Pen.
11:11C'est même une reconnaissance, la reconnaissance d'une tendance et d'un mouvement de fond qui peut être incarné de diverses façons, mais qui ne doit pas être incarné par quelqu'un qui était au cœur d'un système de prévarication.
11:31Voilà l'équilibre qui me paraît tout à fait respectable qu'a tenté le juge.
11:38Et concernant les conséquences de cette condamnation et de ces condamnations, se pose notamment la question du narratif que va un petit peu construire le Rassemblement national autour de tout cela. Il y a notamment Jordan Bardella qui a déjà réagi en disant, je cite,
11:51« Aujourd'hui, ce n'est pas seulement Marine Le Pen qui est injustement condamnée, c'est la démocratie française qui est exécutée. » Sous l'entendant qu'il pourrait s'agir d'une décision plus politique que juridique.
12:03Moi, je pense que c'est une décision juridique. Alors, une décision juridique, on ne peut pas dire qu'il ne faut rien que la loi et puis affirmer que, comme La Fontaine, les puissants et les miséreux doivent être au même niveau.
12:21On peut toujours l'affirmer, il le faut, mais ce n'est pas rien que la loi et que la loi. Parce que quand je vous parlais de ces deux exigences concurrentes, c'est rien que la loi et que la loi.
12:29Mais c'est quand même deux exigences concurrentes, l'exemplarité d'un côté et la possibilité du choix de l'autre.
12:34Donc, pour rendre une décision de justice, le juge doit aussi faire une analyse politique.
12:41Ce qui permet à certains après, c'est une analyse politique, mais ce n'est pas un jugement politique.
12:46Ce qui permet à certains après de dire, c'est un jugement politique et on exécute la démocratie.
12:51Quand on considère que la démocratie, c'est uniquement choisir son chef et puis c'est tout.
12:57Alors là, effectivement, on peut avoir l'impression que la démocratie est assassinée.
13:04Quand on considère, comme c'est le cas normalement de la France, selon sa constitution qui est basée sur la déclaration des droits de l'homme.
13:13La déclaration des droits de l'homme est au préambule de la constitution française depuis 1946.
13:17Et puis la libération, ce n'est pas rien la déclaration des droits de l'homme.
13:20La déclaration des droits de l'homme explique que la démocratie, ce n'est pas simplement d'élire des gens,
13:26c'est aussi de respecter la société civile, c'est aussi de respecter les corps intermédiaires, c'est aussi de faire vivre la justice.
13:37Évidemment, la droite, l'extrême droite vont aller dans le sens du vent mondial en ce moment de ce qu'on appelle l'illibéralisme.
13:48L'illibéralisme qui va à l'encontre du libéralisme.
13:52Je précise bien que là, c'est du libéralisme politique, on ne parle pas de libéralisme économique.
13:57Le libéralisme politique, il faut l'entendre un peu à l'anglo-saxonne, c'est plus les libertés individuelles et les libertés politiques.
14:05La liberté de la presse, une justice indépendante, une justice qui n'est pas aux ordres de l'exécutif, c'est tout ça.
14:15Et ça, ce n'est pas la mode en ce moment.
14:18Et le moteur principal des populistes, c'est la victimisation.
14:24Et là, c'est vrai que cette décision offre aux populistes des litres de kérosène de victimisation pour leur grand voyage vers les visées.
14:36– Surtout que moi, j'écoutais tout à l'heure BFMTV qui faisait un petit peu la préface de cette condamnation
14:43et qui disait de source ministérielle qu'une condamnation de Marine Le Pen et une inégalibilité prononcée immédiatement
14:54renforceraient encore plus l'ORN et offraient au ORN, à coup sûr, une place au second tour
15:00et encore mieux placée qu'avant lors de la présidentielle 2027.
15:03Qu'est-ce que tu en penses, toi ? Est-ce que tu penses que ça va renforcer encore plus, à coup sûr, l'ORN ?
15:07– Je ne sais pas. Oui, sans doute, parce que la mode est à ça.
15:14Alors, pendant que tu me posais la question, je recevais un SMS du juriste dont je te parlais tout à l'heure
15:23et qui me dit que dans les scénarios, il y a la grâce présidentielle.
15:27Ah oui, il y a la grâce présidentielle possible. On pourra en parler, ça peut être intéressant.
15:32– Mais on peut s'y arrêter d'un instant, si tu veux bien. Ça signifierait quoi, du coup ?
15:38– Le président décide que le jugement a été rendu, que les Français savent à quoi s'en tenir,
15:46les juges ont dit, mais que lui considère, peut-être par une sorte de magnanimité,
15:52qu'il faut que tout le monde puisse s'exprimer et lui donnerait plus de poids
15:58à la deuxième exigence démocratique et constitutionnelle dont je te parlais, celle du libre choix.
16:04Moi, ça m'embête, ça, parce que ça veut dire que le libre choix n'est qu'entre les hommes,
16:10et c'est vraiment les hommes et les femmes, c'est l'individualisation de la politique
16:15et ça va dans le sens de l'idéologie autoritaire. Non, le RN n'est pas crucifié,
16:23il y a plein de gens au RN et ils peuvent toujours s'exprimer,
16:28ils ont le premier groupe parlementaire et ils l'auront toujours jusqu'à la prochaine législative
16:33et ils ont de quoi se présenter partout.
16:36Bref, le moteur de la victimisation va jouer à plein et dans ta question
16:46qui est de savoir qu'est-ce que ça peut donner, qui est la question de tout le monde,
16:49est-ce que ça va l'arranger ou pas, Aimé ne s'est pas au juge de se poser cette question,
16:54il ne s'est pas posé cette question. Nous, là, ayant vu ce qu'ont fait les juges,
17:01qui ont finalement appliqué la volonté du législateur, il faut toujours rappeler ça,
17:05le législateur, c'est-à-dire les politiciens, à l'unanimité ont voté cette loi, après l'affaire Cahuzac.
17:10Ils ont voulu ça...
17:12Pour rappel, Cahuzac, c'était déjà une affaire de détournement de fonds.
17:16Non, ce n'est pas une affaire de détournement de fonds, c'est une affaire de mensonge.
17:19Cahuzac n'avait pas détourné des fonds, mais il avait substitué au fisc des fonds
17:25et il les avait placés en Suisse. Il avait une fortune qu'il n'a pas déclarée au fisc
17:30parce qu'elle s'est déplacée en Suisse et il a juré devant l'Assemblée nationale
17:34qu'il n'y avait pas de compte en Suisse.
17:37Et quand on a pu prouver qu'il y avait un compte en Suisse,
17:41on s'est dit qu'il faut que ce gars-là ait une peine d'inéligibilité.
17:47Donc, il a été jugé selon les anciennes lois, évidemment,
17:50parce qu'on ne juge pas des gens selon des lois qui ont été faites sur la base d'un délit.
18:01Donc, il a eu une forme d'inéligibilité, mais maintenant il peut être élu.
18:05Il s'est d'ailleurs présenté aux dernières élections.
18:09Mais ça a fait un choc dans l'opinion, cette affaire, avec le mensonge.
18:18C'est une affaire simple. D'habitude, les affaires politico-financières sont très compliquées.
18:22Chacun se défend et puis on dit, il y a des transferts d'argent.
18:26Il y a eu deux affaires très simples récemment.
18:29Il y a François Fillon qui a gagné plein de sous.
18:35C'est du détournement d'argent,
18:37puisque c'est de l'argent public qui a été payé à sa femme pour un emploi fictif.
18:41Alors là, tout le monde comprend.
18:43Tout le monde comprend ça, c'est très simple.
18:45Et puis, il y a Cahuzac qui a mis son argent en Suisse pour ne pas le déclarer au fixe.
18:50Tout le monde comprend.
18:52Après ça, avant Fillon,
18:54puisque Fillon, lui, a dû subir les foules du parquet national financier
18:59qui a été créé en 2016 après l'affaire Cahuzac.
19:02Disons qu'après ces deux affaires-là,
19:04il y a un besoin d'exemplarité.
19:06Et il se trouve que le besoin d'exemplarité tombe sur Marine Le Pen
19:10parce que c'est le premier gros dossier.
19:13Ce qui a changé concrètement, c'est l'inéligibilité.
19:16Oui, c'est l'inéligibilité quasi automatique.
19:18Le juge n'a pas le choix.
19:20Il avait le choix de le rendre...
19:25De toute façon, il y avait inéligibilité.
19:27Mais est-ce que ça devait être suspensif ?
19:29Est-ce que ça devait attendre l'appel ?
19:31Ou est-ce que ça devait être dès maintenant ?
19:34Comme le cœur de la loi, c'est l'exemplarité,
19:40il est apparu logique au juge
19:43de la faire appliquer dès maintenant.
19:46Oui, parce qu'on rappelle aussi, là où on parle d'exemplarité,
19:49c'est peut-être aussi le moment de rappeler rapidement
19:52ce pour quoi Marine Le Pen était jugée,
19:55ainsi que d'autres assistants parlementaires du RN.
19:57On parle quand même de détournement de fonds publics européens
20:00qui devaient être alloués justement à des parlementaires
20:02dans l'exercice de leurs fonctions d'assistants parlementaires européens,
20:05qui ont finalement été détournés pour l'usage du parti du RN.
20:10On parle de plus de 4 millions d'euros.
20:12C'est-à-dire que les salaires des assistants parlementaires,
20:15les indemnités d'assistants parlementaires,
20:18chaque parlementaire a droit à quelques assistants parlementaires,
20:22je ne sais pas très bien, 4 ou 5 dans le cadre d'un député européen.
20:26Ils sont payés par le...
20:28Les assistants parlementaires sont censés, c'est leur boulot,
20:32travailler sur les dossiers européens,
20:40être les aides des parlementaires européens
20:43pour le travail d'un parlementaire européen qui est...
20:49Il y a un travail législatif, il y a un travail de contrôle,
20:51il y a des missions.
20:52Et on s'est aperçu que tous ces assistants parlementaires,
20:55en fait, ils ne mettaient jamais les pieds ni à Bruxelles ni à Strasbourg,
20:59Strasbourg, lieu du Parlement,
21:03et qu'ils travaillaient pour le RN,
21:05mais directement pour le RN.
21:08Et beaucoup de ces assistants parlementaires payés par le RN
21:12qui passaient leur vie au siège du RN
21:14n'avaient jamais envoyé un mail, ni reçu un mail,
21:17de leur, c'est ce dont on s'est aperçu,
21:20de leur député européen.
21:25Certains n'avaient même pas de dossier à Bruxelles.
21:28Le truc est évident.
21:32Il n'y a pas de doute là-dessus.
21:34Donc si il y a un appel, ça ne sera pas sur...
21:36Les faits sont établis, ça ne sera pas sur l'établissement des faits,
21:38ça sera sur, effectivement, les peines,
21:41la gravité et la sévérité des peines.
21:43Sur les conséquences aussi, il y a une question dans le chat.
21:46Pensez-vous que l'électorat du RN se rangera derrière Bardella
21:49ou une dispersion de l'électorat en question est probable ?
21:53Je ne sais pas.
21:54C'est des dynamiques qui sont très compliquées à voir.
21:57Moi, je pense qu'une partie de la droite
22:01qui est déjà très tentée de s'allier au Rassemblement national,
22:07je vous rappelle que Laurent Wauquiez, LR,
22:09dit la seule chose qui me sépare maintenant du RN,
22:12c'est l'économie.
22:13Donc là, l'économie, c'est ce qui est négociable en plus,
22:16ce ne sont pas les valeurs.
22:17Donc là, la droite qui voit que dans le monde entier,
22:23ce sont les autoritaires et l'extrême droite qui gagnent,
22:26elle va se dire, il y avait Marine Le Pen,
22:30elle tenait un peu la route.
22:31Il faut qu'on pique ce segment idéologique
22:35et ils vont se durcir.
22:36Ils vont se durcir.
22:38C'est là qu'il peut y avoir tout un mouvement de tectonique des plaques
22:46beaucoup plus large.
22:47Si la droite LR se durcit et essaye d'empiéter encore plus qu'avant
22:53et avec plus d'efficacité, parce qu'il n'y aura pas Marine Le Pen,
22:56il y aura Bardella, mais on pourra parler de Bardella après.
22:59Ça va donner plus d'espace aussi peut-être à un bloc central,
23:05ou bien le bloc central lui-même va se dériver
23:09et donc la gauche aura aussi un peu plus d'espace.
23:11Mais en même temps, l'idée autoritaire,
23:16l'idée qu'on nous vole nos candidats,
23:18l'idée qu'on n'écoute plus le peuple,
23:20que le système, c'est-à-dire les journalistes, les juges,
23:23pensent pour nous, agissent pour nous, etc.
23:26Cette idée-là, elle va prospérer, ça c'est sûr.
23:30Alors est-ce que le peuple français,
23:32qui est un peuple un peu plus politique et civiquement éduqué
23:37que le peuple américain et qui n'a pas le même rapport d'ailleurs à l'État,
23:40est-ce qu'il va y avoir un mouvement d'antisystème aussi puissant
23:51que ce qui a amené Trump au pouvoir ?
23:53Ça je ne sais pas, je ne sais pas.
23:55Il faut rappeler que du point de vue du RN lui-même,
24:01la tendance était à la banalisation, à rassurer.
24:06Il progressait en rassurant,
24:10alors qu'aux États-Unis, il progressait en se radicalisant.
24:13Là, cette mécanique, elle est un petit peu grippée.
24:18Mais dans un écosystème fait de réseaux sociaux et de chaînes tout-info et de TikTok, etc.,
24:25la popularité, qui est difficile à appréhender pour un vieux journaliste politique comme moi,
24:34de Bardella qui est très TikTokueuse.
24:37Bardella, il n'a jamais fait un petit boulot,
24:42il n'a pas fini sa première année de géo.
24:46Je ne suis pas spécialement accroché à l'idée que nos élus doivent avoir fait des études,
24:52mais au moins qu'ils aient bossé, qu'ils aient été dans un syndicat, dans une asso, dans quelque chose.
24:59Là, rien du tout, il a été assistant parlementaire toute sa vie.
25:02Enfin, son début de vie.
25:07Et puis maintenant, je pense qu'il est fragile, en fait.
25:12Il est rarement impressionnant.
25:14Non, il y a plein de TikTokers qu'ils trouvent très beaux et qui se repèsent de ces quelques secondes
25:25où on le voit manger des bonbons ou répondre très bien à un journaliste,
25:30mais on ne voit pas la réponse de la réponse où il se fait bâcher après.
25:34Il y a aussi une question dans le chat par rapport à Eric Ciotti.
25:38Le verdict est-il une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle pour Eric Ciotti ?
25:42Les gens qui se soucient, est-ce que Eric Ciotti va bien ?
25:46Je ne sais pas.
25:49Eric Ciotti, c'est une bonne nouvelle pour tous les concurrents,
25:54c'est une bonne nouvelle pour tous ceux qui chassent sur ce genre de terre.
25:57Ça libère de l'espace, comme tu le disais.
25:58Oui, ça libère de l'espace et du carburant.
26:04Le carburant va renforcer cet espace,
26:07mais il va y avoir beaucoup de gens qui vont arriver dans cet espace avec leurs petites allumettes.
26:13Et ça peut aussi merder.
26:16Mais là, franchement, je sens bien que nos internautes veulent que je prédise quelque chose.
26:25Je dis souvent ça, ce qui est bien en politique,
26:28c'est que moi, je peux expliquer un peu ce qui se passe.
26:31Je peux expliquer ce qui s'est passé avec l'histoire.
26:34C'est mon métier d'essayer de savoir.
26:36Mais sachant tout ça, je ne peux pas mieux que n'importe lequel de nos internautes prévoir l'avenir.
26:44C'est la magie et la beauté des élections.
26:48Une voix est une voix et une impression est une impression.
26:51Je ne peux pas tirer des...
26:56Moi, je peux vous dire que je le trouve très léger, conceptuellement, Jordan Bardella.
27:03Mais enfin, je vous dis ça et...
27:06Et puis la montée des élections européennes...
27:08Il y a quand même un abruti comme Trump,
27:10qui a une culture générale niveau zéro,
27:15à gagner les élections.
27:16Il est très malin, il est très roublard, il est très riche.
27:21Mais voilà.
27:23Pour l'instant, Bardella, pour moi, n'a prouvé que sa plasticité sur TikTok.
27:30Je voulais aussi t'entendre sur les réactions internationales que je disais tout à l'heure.
27:35Le Kremlin, c'était même avant le prononcé des peines,
27:38qui déplorait une violation des normes démocratiques.
27:42Et puis aussi, tout à l'heure, j'ai vu la réaction de Viktor Orban,
27:44qui déclarait sur Twitter « Je suis marine », après le prononcé des peines.
27:48Tous les autoritaires,
27:51tous ceux qui sont pour cette démocratie plébiscitaire et autoritaire,
27:56et contre la démocratie libérale,
27:58et qui en ont ras-le-bol que, d'ailleurs, la démocratie libérale
28:02et les « droits de l'homiste » leur fassent la leçon en permanence,
28:05là, ils sont trop contents, ils vont s'en donner à Corjoie.
28:08C'est quand même un paradoxe.
28:11Une loi dure, faite d'ailleurs sous l'influence des autoritaires
28:21et de ceux qui sont pour toujours plus de répression,
28:27une loi dure, quand elle s'applique, les autoritaires la critiquent.
28:32C'est de bonne guerre.
28:35Est-ce que ça peut avoir aussi des conséquences de l'autre côté de l'échiquier politique ?
28:41À gauche, on a un tout petit peu brièvement parlé,
28:43mais c'est vrai qu'on peut se poser la question,
28:45est-ce que ça peut avoir des conséquences, notamment sur des figures,
28:47même comme Jean-Luc Mélenchon, qui s'est fait décaprononcé, lui,
28:49pour dire qu'il ne fallait pas condamner...
28:51Oui, Jean-Luc Mélenchon, je ne fais pas ce parallèle,
28:58extrême droite, RN, LFI, bien sûr.
29:03Les antifachos, ce n'est pas pareil, c'est même l'inverse.
29:07Et l'extrême droite et la gauche de la gauche, ce n'est pas pareil du tout.
29:13Mais Jean-Luc Mélenchon, dans sa façon de faire de la politique
29:18très personnaliste et un peu plébiscitaire,
29:21je comprends bien que ce jugement le dérange.
29:32Lui, il chasse les fâchés pas fachos,
29:36donc il n'a rien à voir avec les fâchés fachos,
29:40ce sont des termes qu'il utilise, je mets des guillemets,
29:44mais il n'est pas très démocratie libérale, lui.
29:48Et encore une fois, ça n'a rien à voir avec l'économie.
29:51Officiellement, il l'est, puisqu'il est pour une sixième république,
29:55beaucoup plus parlementariste, etc.
29:56Mais dans sa pratique quotidienne de la politique,
30:00il est un peu, je trouve, de caractère plébiscitaire.
30:09Donc ça peut être pas une mauvaise nouvelle pour lui,
30:12mais en tout cas, ça va aussi à l'encontre de ce qu'il peut défendre.
30:15Non, mais il va vouloir essayer de récupérer tous ceux qui sont outrés par le système.
30:18C'est le côté anti-système.
30:20Voilà, il a un côté anti-système.
30:22Alors lui, il n'en tire pas du tout les mêmes conclusions
30:24que Marine Le Pen et que l'extrême droite,
30:27mais il a un côté anti-système.
30:29Et donc, le système, pour lui, se protège d'un concurrent
30:36en écartant Marine Le Pen.
30:40Sur l'autre partie de la gauche aussi,
30:44c'est le Parti Socialiste, Olivier Faure, etc.
30:48Marine Tondelier, ça peut avoir des conséquences aussi sur eux.
30:51Là, on tire des lignes un peu compliquées, plus lointaines.
30:58Ils vont, en défendant la justice, apparaître comme...
31:08Surtout s'ils sont accusés par Jean-Luc Mélenchon,
31:13ils vont apparaître comme les suppôts du système.
31:17D'autres vont voir, dans cette espèce de sphère
31:23qui défend une vision politiquement libérale,
31:28faire en balance, comme disent les Américains,
31:35une cohérence entre la gauche de la Macronie, peut-être,
31:39et le PS, les Verts.
31:42Franchement, sur les rapports de force, je ne saurais pas dire ce que ça peut apporter.
31:47Par contre, il y a une question dans la chatte et une réflexion aussi sur ce que tu disais,
31:50avant qu'on ouvre le stream, quelqu'un qui nous dit
31:52« Ne craintons pas que Bruno Retailleau et le monde réactionnaire reprennent les idées
31:55et la « hype » de l'extrême droite pour voler les électeurs du RN. »
31:59C'est vrai que tu disais tout à l'heure, une des conséquences aussi possibles,
32:02c'est que la droite, les LR, se droitisent encore plus,
32:06prennent ce virage un peu plus dur.
32:10C'est la différence entre les conservateurs et les réactionnaires en ce moment.
32:14Et conservateurs, réactionnaires et populistes.
32:17Les conservateurs étaient plutôt libéraux,
32:20c'était le RPR et l'UDF avant l'UMP, puis normalement LR.
32:26Et là, on voit bien que les principales figures de LR,
32:30les deux concurrents pour la présidentielle, Wauquiez et Retailleau,
32:34ne sont plus, passent du conservatisme à la réaction.
32:38Et le champ, l'espace politique qu'occupait le RN existe toujours,
32:50il est puissant et il perd sa principale incarnation.
32:53Alors évidemment, les prédateurs vont arriver et ils vont se droitiser.
32:59Il va y avoir une droitisation de la droite,
33:01une droitisation du débat aussi, du débat politique.
33:06Et puis cette question qui va être au cœur des débats,
33:08moi tout à l'heure je suis invité pour représenter Libération sur BFM
33:12et je sais que ça va y avoir plein de...
33:16Je vais devoir me battre pour défendre l'idée d'une justice qui fait son boulot,
33:24de la séparation des pouvoirs, du fait que non,
33:29dire que quelqu'un qui a triché ne peut pas se présenter,
33:32que ce n'est pas une atteinte à la démocratie,
33:34que le RN pourra toujours avoir une incarnation.
33:38Et si vous pensez que les incarnations sont plus importantes que les idées,
33:43ça va à l'encontre quand même de ce qu'on essaye de défendre
33:46en défendant l'Europe en ce moment qui est attaquée par tous les autoritaires
33:51des États-Unis, des Russes.
33:55Donc il va y avoir un grand débat de conception de la démocratie.
34:02Quelle démocratie veut-on ?
34:04Je disais notamment les réactions qui tombaient il y a quelques minutes
34:08notamment de La France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon.
34:11Mélenchon qui disait prendre acte de cette décision de justice
34:14même s'il refuse par principe que le recours soit impossible
34:17pour un justiciable quel qu'il soit.
34:20Le recours est possible donc ça va.
34:22Il est plus prudent que ce que je pensais et que ce qu'il disait avant.
34:26Donc voilà, bonne nouvelle.
34:28Et puis sur les autres réactions finalement elles sont assez attendues.
34:31Fabien Roussel, la justice c'est la justice, respectons la justice.
34:36Les autres réactions, Olivier Faure et Marine Tourdelis,
34:39c'était un petit peu dans la même veine.
34:40Donc rien de spécial à signaler là-dessus.
34:43Thomas, est-ce que toi tu vois quelque chose à ajouter ou pas ?
34:45Ou est-ce qu'on a fait le tour un petit peu de...
34:46Non, on a fait le tour, on va recommencer.
34:49On peut nous lire, on va travailler.
34:51On va faire un live de Libération tout au long de la journée.
34:53On continue de commenter évidemment cette condamnation
34:56et les conséquences et les réactions politiques.
34:58Vous pouvez suivre ça...
34:59Abonnez-vous aussi.
35:00Abonnez-vous, il y aura beaucoup de papiers
35:02notamment par nos spécialistes de l'extrême droite
35:05et puis par nos spécialistes aussi justice
35:07qui vont arriver sur le site de l'IB
35:09évidemment aussi dans le journal papier dès demain.
35:11Donc profitez-en pour vous abonner à Libération.
35:14Et puis nous on se revoit en stream bientôt, sans doute mercredi
35:18pour reparler sans doute de ce sujet ou d'autre chose.
35:21On vous tient évidemment au courant sur nos réseaux sociaux.
35:23Merci beaucoup Thomas d'avoir été avec nous.
35:25Je te remercie et à bientôt.
35:27Et salut tout le monde.
35:28Bonne journée à tous.