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Léa Salamé reçoit Jean-Baptiste Del Amo pour son roman "La nuit ravagée" (Gallimard). Une exploration des peurs adolescentes dans une maison hantée, entre une atmosphère à la Stephen King et désillusions.

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Transcription
00:00Et Léa, ce matin, vous recevez un écrivain.
00:03Bonjour Jean-Baptiste Dalamau.
00:05Bonjour Léa Salamé.
00:06Et bienvenue sur France Enterre.
00:08Si vous étiez un film, un insecte et une odeur.
00:11Une odeur parce que vous avez un odorat ultra développé.
00:17C'est vrai.
00:18Alors un film, je sais que vous attendez sans doute à ce que je cite un film d'horreur,
00:21mais je dirais Mélancolia de Lars von Trier.
00:23Ah oui ?
00:24Oui.
00:25Pourquoi ?
00:26C'est un film qui m'a énormément impressionné, que je revois toujours avec la même…
00:30sensation de bouleversement et qui dit beaucoup, je crois, de notre humanité aujourd'hui.
00:36Un insecte ?
00:37Un insecte, pas évident, un insecte, je dirais un luchanus cervolans.
00:44Luchanus cervus, qui était le plus gros de nos coléoptères, que j'attendais toujours
00:49impatiemment en gamin de voir sortir à la tombée de la nuit, à l'approche de l'été.
00:53Oui, parce qu'il faut dire aux auditeurs que vous avez une passion insecte.
00:56Aussi, oui.
00:57Aussi, parce que vous avez beaucoup de passion.
00:58Et une odeur ?
00:59Et une odeur, je dirais le pétricor, qui est l'odeur de la terre après la pluie.
01:05Ah, c'est beau ça.
01:07J'écrirais un jour quelque chose là-dessus, pense-t-il, sachant qu'il ne s'agit là
01:12que d'un songe nocturne, d'une pensée née d'un rêve.
01:15C'est ce qu'écrivait Stephen King dans Ça, qui est aussi la citation en exergue
01:19de votre nouveau livre, Jean-Baptiste Delamaux.
01:21Vous aussi, vous écrivez à partir d'un songe nocturne, à partir de vos rêves.
01:26Oui, surtout pour ce livre-là, en réalité, c'est un texte pour lequel j'ai beaucoup
01:32puisé dans cette question de l'onirisme, de la manière dont nos désirs, nos fantasmes,
01:39nos peurs peuvent prendre diverses formes.
01:41Maintes fois récompensées pour vos précédents ouvrages, d'une éducation libertine au
01:45règne animal, prix Goncourt du premier roman, prix du livre FNAC, prix du livre Inter, La
01:51Nuit ravagée est votre sixième roman, et quel roman ! Quel roman ! Virtuose, il vous
01:57prend, il vous happe, on ne peut plus le lâcher, même quand on est comme moi, pas du tout
02:01cliente des livres horrifiques et des films d'horreur.
02:04Mais c'est simple, c'est terrifiant, c'est glaçant, c'est précis et c'est vraiment
02:09un livre génial.
02:10Toute l'équipe de La Matinale a adoré.
02:12On est dans les années 90, à Saint-Och, une petite bourgade dans la banlieue de Toulouse,
02:16et un groupe d'adolescents s'ennuie dans cette vie de lycéen dans la campagne urbanisée
02:21Saint-Och.
02:22Il y a dans cette banlieue une maison abandonnée, une maison qui a l'air hantée, qui les
02:28fascine, qui les attire à ses gamins.
02:29Vont-ils avoir le courage d'y entrer ? Que vont-ils découvrir derrière les murs de
02:34cette maison ? Que vont-ils découvrir sur eux, sur leur famille, sur leurs désirs
02:40secrets, sur leurs rêves, sur leur fantasme, sur la vie ? Que représente cette maison
02:46hantée, cette maison abandonnée ?
02:48Alors déjà, elle représente une partie de mon adolescence, parce qu'avec ce texte-là,
02:53je reviens là où j'ai grandi, donc en banlieue toulousaine et dans un lotissement.
02:59C'est là que j'ai vécu toute une partie de mon enfance et de mon adolescence.
03:02Et dans ce lotissement, il y avait effectivement une maison abandonnée.
03:04Il y avait une maison abandonnée, c'est le point de départ du livre.
03:07Elle a vraiment existé, cette maison abandonnée ?
03:09Oui, et nous y étions entrés parce que nous étions, nous aussi, fascinés par cet
03:12endroit.
03:13On ne comprenait pas pourquoi est-ce qu'elle avait été délaissée, où étaient passés
03:16ses propriétaires.
03:17Donc, on avait fini par forcer la porte.
03:19Et qu'est-ce que vous y aviez trouvé dans la vraie vie ?
03:21En réalité, on y avait trouvé simplement une maison figée dans les années 70, mais
03:24qui avait été laissée du jour au lendemain en l'état, c'est-à-dire que la table était
03:27encore mise, les brosses à dents étaient dans la salle de bain, les vêtements dans
03:32les armoires.
03:33Donc, le mystère avait subsisté pour nous.
03:34On s'est dit, mais où sont passés ces gens ? Pourquoi ils semblent s'être évaporés
03:38d'un instant à l'autre ? Et 30 ans plus tard, j'ai eu envie de revenir à la fois
03:45à cette histoire-là comme point de départ de la nuit ravagée, mais aussi d'explorer
03:49ce qu'ont pu être pour moi et pour ceux de ma génération les années 90, la manière
03:55dont on a grandi dans cet environnement, en province, dans un lotissement, comment notre
04:00génération a été finalement frappée par une forme de désillusion.
04:05Oui, c'est ça aussi que vous écrivez à travers, c'est les désillusions d'une époque,
04:09des années 90.
04:10Une époque pourtant, vous dites, plutôt protégée au fond, quand on voit ce qu'on
04:14vit aujourd'hui.
04:15Mais les désillusions, il y a quelque chose aussi, vous dites des choses sur l'ennui.
04:20Je me demandais s'il fallait s'ennuyer enfant pour créer des imaginaires, pour avoir
04:26envie de raconter comme vous des histoires.
04:28Absolument.
04:29Je crois que l'ennui est vraiment une composante très importante de l'enfance.
04:32C'est ce qui m'a poussé à la lecture, c'est ce qui pousse les enfants au jeu, à créer
04:37des histoires, à inventer.
04:38Et pour ce livre-là, en effet, je voulais parler de cette jeunesse qui, d'une certaine
04:45façon, comme vous le disiez, était assez protégée puisque les conflits guerriers
04:48nous semblaient lointains, les questions, les préoccupations climatiques étaient quasiment
04:53absentes du débat.
04:54Mais cependant, on sentait quand même une forme de longueur, une forme de menace qui
05:00couvait et qui nous atteignait, je crois, nous, adolescents, de façon assez souterraine.
05:05Il y a aussi dans le livre, je ne sais pas si c'était votre cas ou celui des gens qui
05:09vous entouraient, ces gamins, ces cinq gamins, c'est le club des cinq, sont dans des familles
05:15dysfonctionnelles.
05:16Et là aussi, ça pousse à vouloir quitter la famille, à aller vers l'aventure, à aller
05:20découvrir les maisons hantées, etc.
05:22C'est-à-dire tout converge pour sortir de chez soi, en fait, et aller se confronter
05:28au monde.
05:29Oui, alors c'est vrai que moi, je n'ai pas grandi dans une famille dysfonctionnelle,
05:33mais en revanche, je crois que les adolescents qui ont grandi dans ces années-là, dans
05:37ce contexte social-là, ils étaient plus ou moins destinés à reproduire le schéma
05:42de vie de leurs parents.
05:44Et ces gamins, pourtant, ils ont des aspirations, ils ont des désirs, ils ont envie de partir,
05:49ils ont envie de voyager, ils ont envie de s'inventer une vie.
05:52Il y a quelque chose qui les enferme, il y a quelque chose qui les retient.
05:54Et finalement, en passant la porte de cette maison, ils vont découvrir une sorte de réalité
05:59alternative qui va leur offrir ça, cette possibilité de voir s'incarner leurs désirs
06:03les plus profonds, leurs peurs, leurs fantasmes.
06:05Et puis, ce que vous montrez très bien aussi, c'est l'intensité des sentiments de l'adolescence,
06:09ce qu'on ne retrouve jamais plus tard quand on grandit, cette période où tout est si
06:13violemment ressenti, tout est intense, tout est passionnel, les amours, les émois sexuels,
06:17les désirs, l'amitié aussi, tout est up, tout est high.
06:22Oui, c'était très important pour moi de prendre le temps.
06:25Vous savez, souvent en littérature horrifique, il faut le reconnaître, les personnages sont
06:28relativement esquissés et on laisse certains pans de leur élaboration dans l'ombre au
06:34détriment, je crois souvent, de la portée du roman.
06:38Là, je voulais vraiment prendre le temps de planter chacun de ces ados avec ses difficultés,
06:45avec son intériorité, avec sa sentimentalité, parce que finalement, c'est ce qui va servir
06:50dans la dernière partie qui devait être un tour de train fantôme, c'est ce qui va servir
06:54dans cette maison à incarner leurs peurs et leurs désirs en allant puiser justement
06:58dans tout ce que le lecteur a découvert d'eux.
07:00Et puis ce moment terrible où vous comprenez, enfant, adolescent, que parfois les parents
07:03ne peuvent plus rien pour vous, ce moment où vous comprenez que vous êtes seul.
07:07Et c'est ça la grande désillusion, la grande sortie de l'adolescence.
07:11Et c'est très beau quand une de vos personnages se rend compte que sa mère, elle ne peut plus
07:17rien pour elle.
07:18Les parents ne peuvent plus, il y a des fois les parents ne peuvent plus en fait.
07:21Oui, absolument, je crois qu'il y a toujours un instant, un moment dans l'adolescence où
07:27on prend conscience de ça, du fait qu'on a basculé dans l'âge adulte face à une
07:31réalité qu'on va devoir être seul à affronter.
07:33C'était important d'écrire sur ce décor-là, sur ce lotissement dans lequel vous avez grandi,
07:39de la banlieue périurbaine.
07:41Vous dites, ce décor-là a été un peu snobé par la littérature, il l'est un peu plus,
07:47aujourd'hui on en parle un peu plus avec notamment Nicolas Mathieu, mais le cinéma américain,
07:52a-t-il vu le potentiel des banlieues périurbaines pour développer les imaginaires, pour développer
07:59le danger qui rôde, etc. et notamment avec ce film-là ?
08:01Oui, absolument, c'est vrai que le cinéma américain, je crois, a très tôt compris
08:12que les suburbs, les banlieues américaines étaient le théâtre idéal pour dénoncer
08:17quelque chose de l'American way of life et je crois qu'en France, dans l'imaginaire
08:22français, pendant longtemps, on s'est surtout focalisé sur soit les grandes villes, soit
08:26les campagnes et que ces zones un peu intermédiaires, ces zones liminaires, à proximité des villes,
08:32sont restées longtemps dans l'ombre, donc effectivement aujourd'hui il y a de plus
08:36en plus de romanciers qui les explorent et je crois que souvent aussi ce sont des romanciers
08:39qui ont eux aussi, comme moi, grandi dans les années 90 et dans ces architectures-là.
08:43Elles sont romanesques ces zones-là ?
08:45Oui, je crois qu'elles sont très romanesques parce que finalement ce sont aussi des concentrations
08:49de vies humaines, il y a cette question du vivre ensemble qui est toujours malmenée
08:54par une réalité sociale ou politique ou économique et ça fourmille en réalité d'histoire
09:01et de vie.
09:02Et puis Jean-Baptiste Dalamau, c'est un livre qui rend hommage à vos maîtres, vos maîtres
09:06du cinéma d'horreur, du cinéma de genre que vous avez aimé très tôt, comme ces
09:09gamins, comme ce club dessin que vous regardiez tous les films, ils sont tous cités d'ailleurs
09:13au fur et à mesure.
09:14La littérature horrifique, Stéphane King, Wes Craven, David Cronenberg.
09:19Stéphane King justement, on l'écoute à la Grande Librairie.
09:21Je crois que la chose la plus importante sur la création du suspense, c'est de créer
09:27des personnages que le lecteur va aimer de façon positive et je crois que c'est possible
09:35que les gens aiment même les méchants parce que même les mauvais dans la vie de tous
09:39les jours se voient comme étant des gens bien, qu'ils ont dit ah ouais, j'ai tué
09:45ce gars, ouais, je l'ai volé, mais j'avais besoin de le faire, j'avais besoin de la
09:52drogue, ma femme avait besoin de ceci ou cela.
09:54Bon, il y a toujours une raison, mais plus les lecteurs peuvent aimer vos personnages,
10:02plus il est possible de créer le suspense quand vous les mettez en péril.
10:05Stéphane King, évidemment.
10:08Oui, grand auteur, je crois, qui a vraiment une capacité extraordinaire à recréer des
10:15univers, des communautés, des portraits, des portraits de femmes aussi.
10:18Il a souvent écrit sur des femmes.
10:21Il a beaucoup d'héroïnes, Stéphane King.
10:23Et pour moi, ça a été une porte d'entrée aussi vers la littérature classique.
10:27Oui, vous dites ça, vous dites c'est Stéphane King qui m'a permis de lire plutôt Proust,
10:31Kafka ou Balzac.
10:32Absolument.
10:33Comment il a été votre porte d'entrée ?
10:34Je pense que simplement, il m'a fait comprendre que les livres m'étaient accessibles.
10:38Je n'ai pas forcément grandi au milieu de livres.
10:40Mes parents n'avaient pas de grande bibliothèque.
10:42On allait à la bibliothèque municipale et c'est vrai que mon premier élan s'est porté
10:46vers la littérature fantastique ou une littérature, disons, plus populaire.
10:49Et quand j'ai compris que les livres m'étaient accessibles, en réalité, tout s'offrait
10:53à moi.
10:54Et bien sûr, je pouvais lire Kafka et je pouvais découvrir moins d'autres auteurs
10:58appartenant au panthéon de la littérature.
11:00Les films de genre, pourquoi vous aimiez ça ? Pourquoi vous aimiez avoir peur ?
11:04Pourquoi on aime avoir peur ?
11:06Quand j'étais gamin, quand j'étais adolescent, je crois que je percevais que ces films disaient
11:11quelque chose de mes peurs et de ce malaise que je percevais, à la fois lié à notre
11:18époque et à mon adolescence aussi, à mon identité.
11:22Et je pense que finalement, il y a quelque chose, il y a une forme de distance aussi.
11:26Quand on regarde un film d'horreur, ses peurs, elles sont matérialisées, mais en même
11:30temps, elles ne nous atteignent pas.
11:33Elles ne nous menacent pas directement.
11:34Donc on a moins peur après, en fait, c'est ça ?
11:36Voilà, il y a quelque chose.
11:37On apprend à avoir moins peur en ayant peur avec les films d'horreur ? Vous pensez qu'il
11:40y a quelque chose de cet ordre-là ? On exorcise nos peurs en regardant l'exorciste, quoi ?
11:44En quelque sorte, on les exorcise, en tout cas, elles nous deviennent familières, elles
11:48prennent forme.
11:49Et elles disent beaucoup, les films de genre, les films d'horreur ou de cette littérature-là
11:54disent beaucoup des contradictions, des non-dits de l'humain, ça dit beaucoup sur l'humain.
12:00Ce n'est pas seulement le suspense palpitant, et c'est vraiment le cas dans votre livre,
12:04c'est ça qui le rend génial.
12:05Ce n'est pas seulement une histoire qui fait peur aux lames, ils ont abandonné.
12:08Ça dit énormément sur les adolescents, sur les émois, sur le sexe aussi, vous êtes
12:14un écrivain du sexe.
12:15Oui, je crois que le cinéma de genre a toujours été un baromètre assez fascinant des malaises
12:21des époques qu'il a traversées.
12:23Si on prend Shining, par exemple, c'est certes un film d'horreur, mais c'est avant tout
12:27un grand film de cinéma, et c'est un film qui part de la folie et de l'emprise des
12:32pères.
12:33Et je crois qu'aujourd'hui, il y a enfin une reconnaissance du genre, on le voit avec
12:37The Substance de Coralie Fargeat, avec des films de genre qui commencent à être reconnus
12:42et qui cartonnent, parce qu'ils disent véritablement quelque chose de notre époque.
12:46Vous êtes un écrivain du sexe, vous avez souvent écrit le sexe, vous êtes un écrivain
12:51de la mort aussi, il y a souvent des morts dans vos livres.
12:56La découverte de la mort, la découverte pour ces adolescents que c'est, qu'on crée, que
13:00ça existe, vous dites que la mort est toujours extraordinaire quand elle surgit dans l'enfance,
13:04elle est vertigineuse car elle donne à penser l'impossible, que l'enfance, que la vie
13:08peuvent finir.
13:09Et c'est ça aussi qu'on traverse dans ce livre-là.
13:12Oui, je crois qu'il y a vraiment quelque chose d'impossible en réalité quand la mort
13:17surgit dans l'adolescence, quand par exemple un camarade d'école meurt, comme c'est le
13:23cas dans le roman, dans des circonstances brutales, il y a une forme de sidération.
13:27C'est le point de départ du livre, je vous le dis, il n'y a pas de spoiler.
13:30C'est ce qui va les entraîner vers cette maison.
13:33Dans la maison hantée.
13:34Et je crois que l'érotisme, la sensualité, la découverte de l'identité sexuelle sont
13:40tellement inhérents à ce qu'est l'adolescence que je ne pouvais pas traiter de cette période-là
13:46de la vie sans parler de la sexualité, sans parler du désir, sans parler de ce qu'a
13:51été par exemple l'homophobie dans ces années-là, la menace du sida, la manière dont ces gamins
13:55se construisent avec leur désir profond et bien évidemment avec cette menace qui plane
14:00de la mort et qui représente symboliquement cette bascule dans l'âge adulte.
14:05Vous disiez dans le magazine Tétu il y a quelques années, ce que je sais c'est que
14:08je me considère comme un écrivain homosexuel même quand je ne traite pas de la thématique
14:12de l'homosexualité.
14:13Votre homosexualité vous définit comme écrivain, c'est-à-dire que si vous étiez hétérosexuel
14:18vous n'écririez pas les mêmes livres, pareil ou pas pareil ?
14:21Ah j'en suis absolument convaincu, je crois que l'expérience dans l'enfance et dans
14:25l'adolescence de la différence, du rejet, le fait d'être forcé de vivre dans le secret,
14:31dans le mensonge, dans la dissimulation, ça façonne un imaginaire, ça façonne une sensibilité
14:36et un rapport au monde.
14:37Et je crois que si je n'avais pas été homosexuel mes livres auraient certainement été non
14:43seulement très différents mais je ne suis même pas certain que j'aurais écrit.
14:46Ah oui ? Et pourtant vous écrivez des scènes hétérosexuelles, sexuelles mais hétéros,
14:53très bien, comme si…
14:54Je vous remercie Léa !
14:55Comme si vous en étiez, c'est-à-dire que ça ne vous empêche pas à ça que je vais
15:01dire.
15:02Parce que là pour le coup il y a un des personnages qui est homosexuel mais ce n'est pas le
15:05cœur du roman.
15:06Ce n'est pas le cœur du roman et en effet ce qui m'intéressait à travers tous ces
15:09personnages dont 4 d'entre eux sont hétérosexuels c'était de parler de cet éveil du désir
15:15et de la façon dont l'identité sexuelle se construit à l'adolescence et évidemment
15:19ça inclut aussi le désir hétérosexuel.
15:21Jean-Baptiste Dalamamo vous disiez il y a 4 ans « j'ai le sentiment de ne plus pouvoir
15:25écrire que sur la fin de notre monde ».
15:27Oui et je l'ai toujours et je crois que ce livre « La nuit ravagée » c'est aussi
15:32un livre sur la fin de notre monde, sur la façon dont nous avons basculé dans une forme
15:37de fiction, de cauchemar éveillé.
15:40Plus encore aujourd'hui que dans les années 90 où se passe le bouquin.
15:44Absolument parce que dans les années 90 c'était une menace sourde, aujourd'hui je veux dire
15:47on en a une conscience aiguë et je ne vois pas comment est-ce qu'on peut être artiste
15:52aujourd'hui, être écrivain sans chercher à saisir quelque chose de cette urgence-là
15:57et dire quelque chose à la fois de notre communauté humaine et de cette menace qui
16:01plane désormais sur nous de façon imminente.
16:03« Je n'attends rien de l'humanité » dites-vous « j'attends des hommes à titre individuel
16:07et quand je dis des hommes ce sont davantage des femmes aujourd'hui dont j'attends
16:10des choses ».
16:11Il suffit de constater que les grandes avancées sociales, les grands combats sociaux ont été
16:15portés par des femmes, par des homosexuels, des transsexuels, des représentants des minorités
16:20ethniques et bien évidemment j'ai beaucoup plus de foi dans les individus qui portent
16:28ces combats-là et qui bien souvent sont des femmes que dans le groupe, que dans notre
16:33collectivité.
16:34Le salut chez vous c'est la nature, les moments de bonheur, le bonheur est dans le
16:39près chez vous.
16:40C'est le cas de votre vie puisque vous avez choisi de vivre à la campagne, vous vivez
16:43dans une ferme avec des moutons, avec des animaux, très importants les animaux toujours
16:47chez vous, on se souvient du règne animal.
16:49La nature c'est là où vous vous sentez bien et dans vos souvenirs d'enfance vous
16:55dites d'ailleurs « mes souvenirs d'enfance heureux sont liés à la nature ».
16:58Oui, c'est le seul espace en réalité où j'ai l'impression de réussir à me
17:02connecter à une forme de vérité ou en tout cas où j'arrive à trouver un apaisement
17:08même momentané, c'est dans ce rapport à la nature et dans ce rapport aux animaux.
17:13Les impromptus pour terminer, la solitude de l'écriture, la solitude de l'écrivain,
17:18elle vous pèse ?
17:19Elle me pèse par moment en effet, à d'autres elle est éminemment nécessaire à l'acte
17:25même d'écriture mais je suis toujours vigilant à essayer de rompre ces périodes-là
17:31d'isolement et de solitude en allant à la rencontre des autres parce que c'est
17:35avant tout de ça dont je me nourris.
17:38Wes Craven ou David Cronenberg ?
17:40Ouh, ça c'est dur !
17:43Ou alors je pourrais dire « Les griffes de la nuit » de l'un ou « La mouche
17:46de l'autre » ?
17:47C'est vraiment là pour le coup un choix arbitraire et intime, je dirais « Les griffes
17:51de la nuit » parce que ça a été un film très important dans mon adolescence.
17:54Un conseil à donner à ceux qui ont peur de regarder des films d'horreur comme moi
17:57par exemple ?
17:58Acceptez d'avoir peur.
18:00Acceptez d'avoir peur et de regarder finalement ce qui vous effraie profondément et vous
18:07en ressentirez très certainement une joie profonde.
18:11C'est vrai que vous adorez les serpents, que vous les attrapez à main nue ?
18:13Oui, j'ai grandi à la campagne comme je l'expliquais et mon père m'a très tôt
18:18appris à distinguer les vipères des couleuvres, à les manipuler, etc.
18:21Et c'est vrai que chez moi je continue de leur installer des abris et je les observe,
18:25je regarde si j'ai des mâles, des femelles, si elles ont eu des petits au printemps, etc.
18:29C'est mon truc.
18:30C'est génial !
18:31Avouez une mauvaise pensée Jean-Baptiste Dalamau.
18:34Une mauvaise pensée ?
18:36Oh là là, malheureusement je crois que j'en ai beaucoup.
18:39Je suis de nature assez mélancolique et je crois que souvent j'ai quand même une
18:47forme de pessimisme dont il faudrait que j'arrive à me défaire.
18:51Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
18:53Liberté.
18:54La nuit ravagée, c'est chez Gallimard, c'est dans la blanche ?
18:57C'est dans la blanche, je crois même que c'est le premier roman horrifique publié
19:01dans la blanche.
19:02C'est génial, c'est une belle avancée et le livre est virtuose, on ne le lâche pas.
19:06Bravo.
19:07Merci beaucoup.
19:08Et tout le monde en parle sur Inter aussi évidemment.
19:10Très belle journée.
19:11Merci Léa.

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