Lundi 10 mars 2025, SANTÉ FUTURE reçoit Hélène Bachelart (Docteur en pharmacie) , Baptiste Verneuil (Chargé de projet - Santé-Énergie-Climat, The Shift Project) et Frédéric Bizard (économiste)
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00:00Et on entre dans le vif du sujet, quel est l'impact du secteur de la santé ?
00:09Comment pouvons-nous réduire sa part ?
00:12Et puis, soyons optimistes,
00:13quelles initiatives ont déjà été mises en œuvre et montrent des résultats concrets ?
00:18C'est parti pour 30 minutes de discussion.
00:21Baptiste, j'aimerais commencer avec vous pour bien comprendre
00:24quelles sont les principales sources d'émissions de CO2 dans le secteur de la santé.
00:28Le secteur de la santé, c'est déjà 50 millions de tonnes de CO2
00:32qui sont émises chaque année.
00:34Alors, un million de tonnes de CO2, ça ne vous dit pas forcément grand chose,
00:37mais 50 millions de tonnes de CO2, c'est à peu près 8% des émissions françaises.
00:41C'est à peu près deux fois l'impact de la filière du textile en France,
00:44y compris le textile qui est importé.
00:46C'est à peu près deux fois l'impact de la filière du ciment béton en France,
00:49qui est elle-même extrêmement émettrice.
00:51Donc c'est assez très significatif, on ne peut pas passer à côté.
00:55Après, si on regarde plus en détail ces émissions-là,
00:56il y a à peu près la moitié qui viennent des médicaments, des dispositifs médicaux.
01:00On pourra en parler plus en détail si vous voulez.
01:02Il y a aussi une grosse part qui est liée au transport.
01:04Par exemple, si on parle juste du transport des personnes qui se rendent dans les pharmacies
01:08pour aller chercher leurs médicaments, c'est à peu près 4 milliards de kilomètres parcourus par an,
01:11donc 100 000 fois le tour de la Terre encumulé.
01:13Il y a beaucoup d'alimentations qui sont servies dans les différents établissements.
01:16Il y a à peu près 2 milliards de repas servis chaque année.
01:18Et enfin, il y a beaucoup de surfaces.
01:20Par exemple, si on met à plat toutes les surfaces des hôpitaux en France,
01:23c'est 45 millions de mètres carrés.
01:24C'est à peu près autant que la ville de Lyon.
01:26Donc, ces surfaces-là, il faut les construire, il faut les chauffer.
01:28Donc, c'est beaucoup d'activités qui émettent beaucoup de CO2.
01:33Hélène, on a une idée du côté des pharmacies, de ce que ça représente qu'il y a sur le terrain ?
01:39Eh bien, pas du tout.
01:40Justement, c'est extrêmement compliqué.
01:42Il y a quelques pharmacies qui ont fait des bilans carbone,
01:44mais qui vont se baser essentiellement sur leur propre consommation énergétique du bâtiment.
01:49Encore que souvent, les pharmaciens ne sont pas propriétaires des murs.
01:54Donc, c'est déjà complexe à mettre des choses en place
01:57ou en tout cas, les actions seront assez minimes.
01:59Notre gros sujet en pharmacie est vraiment,
02:03on va dire, l'empreinte due par les médicaments qu'on délivre,
02:06quand en tout cas, on en a, puisque le reste est assez limité.
02:09On va être sur le tri des déchets, etc.
02:12La collecte, les médicaments non utilisés.
02:15Mais ça, c'est relativement bien déployé.
02:17On est sur des résultats qui sont assez importants au niveau du stress de cyclamède.
02:22On a quand même une grosse majorité des Français qui vont régulièrement en pharmacie
02:27faire le tri et d'ailleurs faire un tri qui est de mieux en mieux fait.
02:31Mais là, tout à l'heure, quand on parlait des médicaments
02:35et leur production en tout cas d'empreintes carbone,
02:38c'est aussi rassurant pour un pays qui justement soigne en tout cas ses habitants.
02:44On pourrait aussi ne pas avoir d'empreintes parce qu'on ne fait rien du tout.
02:47Donc, c'est ça qui n'est pas forcément aussi évident à évaluer.
02:50C'est de se dire que l'empreinte est importante, mais est-ce qu'elle est importante et bien utilisée ?
02:55Et dans ce cas-là, c'est assez logique d'avoir une proportion qui n'est pas anodine.
02:59Ou est-ce que l'empreinte est là, mais elle n'est pas du tout délivrée au bon endroit ?
03:05En tout cas, mise sur la bonne personne ou le bon patient au bon moment avec le bon médicament.
03:10Donc, pour moi, au niveau de la pharmacie, on est loin du compte.
03:14L'envie est là.
03:14C'est extrêmement compliqué parce que c'est un travail qui va être extrêmement collaboratif,
03:19puisque les médicaments, nous les délivrons, mais nous ne les fabriquons pas.
03:22Et tant qu'on n'a pas justement ce regard sur cet éco-score qui va certainement sortir et qui est en cours de travail,
03:31on va avoir du mal à vraiment fixer un cap et avoir une politique d'achat qui va être plus responsable.
03:37Et Frédéric, quels sont les principaux freins à la mise en œuvre de stratégies de réduction des émissions ?
03:42Il y a des freins qui sont propres aux freins qu'on rencontre dans toutes les mesures prises sur la vie courante
03:48pour changer le comportement des gens.
03:49Et ce qui est intéressant dans les données de Achieve Project, c'est que vous avez vraiment deux composantes à différencier.
03:56C'est encore une fois une composante qui est propre au système de santé, liée à la production et à la distribution des produits de santé.
04:02Il y en a plein d'autres liées aux services, puisque je rappelle qu'il y a à peu près peut-être, je ne sais pas,
04:06un million de personnes qui vont dans les pharmacies tous les jours.
04:09Il y en a 500 000 qui vont dans les laboratoires de biologie médicaux.
04:12Il y en a 2 millions par jour qui vont dans les cabinets médicaux.
04:14Donc, on peut transposer ce calcul des transports qui sont des millions de kilomètres par jour à l'ensemble de l'activité de santé.
04:24Mais ça, c'est extérieur au système de santé.
04:26C'est-à-dire que si les gens y vont avec des véhicules électriques, ce n'est pas la même chose.
04:29Tout dépend de comment est-ce qu'on produit l'électricité.
04:31Mais ce n'est pas la même chose que si les gens y vont avec des véhicules qui ne sont pas électriques.
04:35Donc, ça, c'est un point.
04:36Mais encore une fois, on voit bien qu'il y a des actions de court terme, des actions sur la vie courante à mener en permanence,
04:43à la fois dans les changements de comportement, dans les changements de type de transport.
04:47Mais encore une fois, tant qu'on ne sera pas convaincu qu'il y a un changement structurel au cœur du système de santé
04:54pour essayer de minimiser ses consommations, parce que je rappelle qu'en économie de la santé, c'est comme pour l'électricité.
05:00En fait, la meilleure économie, c'est en économisant les soins dont on n'a pas besoin parce qu'on reste en bonne santé,
05:06comme pour l'électricité où la meilleure économie, c'est en réduisant sa consommation.
05:11Il y a une marge de progression importante puisque le médicament ou le produit de santé est au cœur de la production de CO2.
05:18Regardons comment est-ce qu'on peut réduire cette consommation par une meilleure santé ?
05:23Parce que je rappelle qu'aujourd'hui, on est sur des rythmes de 7 à 8 % de hausse de volume de la consommation de médicaments.
05:30Et ce n'est pas de l'agapgie ou de l'abus.
05:32Il y en a toujours, de tout temps, il y a eu de l'agapgie et de l'abus.
05:34C'est parce qu'on a eu une explosion des pathologies chroniques.
05:37Et parce qu'il y a un vieillissement historique de la population.
05:41Je rappelle que les plus de 75 ans vont passer de 6 millions en 2020 à 12 millions, j'arrondis au million près, vous m'en excuserez, en 2050.
05:51On n'a jamais vu ça. C'est un doublement.
05:53Donc, si on ne fait rien ou si on fait trop peu sur le changement de la stratégie de santé,
06:00on va vers une forte hausse de l'émission de consommation de CO2.
06:07Toute chose étant égale par ailleurs. C'est mécanique.
06:10Mathis, vous pouvez réagir ?
06:13Effectivement, en fait, nous, on a aussi calculé, en plus de l'empreinte carbone, une évolution potentielle de ces émissions-là.
06:19Et ce dont on s'est aperçu, c'est qu'on n'arrivait pas à atteindre l'objectif des accords de Paris de moins 80 % des émissions.
06:24Et donc, on n'est pas si loin que ça, mais on n'y arrive pas.
06:28Et donc, ce qu'il faut, c'est un changement structurel avec une demande de soins qui diminue et passer d'un système de soins qui est curatif à un système de soins préventif.
06:36Et donc là, ça demande effectivement un changement de mentalité.
06:39On l'a vu avec un changement de perception aussi du système de santé par les personnes prises en charge, des formations qui sont différentes pour les professionnels.
06:46Et effectivement, un changement d'organisation.
06:48Est-ce que le secteur de la santé est en retard sur les questions environnementales ?
06:54Oui et non. Il commence à prendre conscience de son impact.
06:58Il est en retard sur quelques secteurs, comme celui de la mobilité.
07:02Il est en retard par rapport à d'autres pays du monde.
07:05Il n'est pas si en retard que ça.
07:06On est un peu en retard par rapport au Royaume-Uni, qui a mis en place beaucoup d'actions, mais on a ses précurseurs par rapport à d'autres pays dans le monde.
07:14On peut quand même s'inspirer d'autres actions, d'autres pays comme le Canada, qui ont mis en place beaucoup d'actions de promotion de la santé au cœur de leur système de santé.
07:23On peut s'inspirer des pays nordiques, par exemple, qui prescrivent beaucoup moins certains médicaments, par exemple les benzodiazepines qui ont mis en place plusieurs actions.
07:32On peut s'inspirer de beaucoup d'actions.
07:34On n'est pas si en retard que ça, mais comme tous les secteurs, pour l'instant, on n'y arrive pas.
07:39Et pour rentrer encore plus dans le concret, quels sont les champs d'action des établissements de santé pour diminuer leur impact ?
07:47Quelles sont les priorités ?
07:49D'abord, si je peux reprendre un point, on est très en retard sur le shift stratégique, sur le changement de modèle de santé.
07:57Moi, j'ai créé l'Institut santé en 2018 pour ça, parce qu'il faut un travail d'intelligence collective, c'est compliqué.
08:04Il faut faire du transpartisan parce qu'il faut arriver à trouver un compromis, un point d'équilibre entre les points de vue et les sensibilités entre les secteurs publics, les secteurs privés, etc.
08:13Donc, il faut essayer d'aligner un peu les intérêts des acteurs si on veut arriver à faire ce changement.
08:19Donc, qui comprend un changement de la gouvernance.
08:21Si on veut faire de la santé publique, on ne fait pas de santé publique en France, on ne fait que du soin individuel.
08:24On s'occupe des individus quand ils sont malades et puis on les soigne à un moment dans les hôpitaux, à un moment en ville, à un moment à domicile, à un moment dans les EHPAD.
08:31Mais il n'y a aucune continuité, aucune logique globale, il n'y a aucun objectif de santé publique en France.
08:37Bien savoir, on pilote 330 milliards de dépenses par an sans aucun plan stratégique.
08:43Donc, on est très en retard de ce point de vue-là, le contenu du dernier livre de l'Institut de santé explique tout ce qu'il faut faire.
08:52Donc, on est un peu, parce qu'encore une fois, quand on dit qu'il y a besoin de réformes, il faut essayer de proposer des solutions.
08:59Est-ce que les établissements de santé sont en retard ?
09:02Sur le plan technique, je laisserai Chiffre Projet qui dit qu'on est en retard, mais que, comme pour les autres secteurs, il y a des pays avant-gardistes.
09:10Mais en fait, tous les pays sont plutôt en retard. Pourquoi ? Parce que les établissements, ils ont été poncés il y a 50 ans, il y a 30 ans.
09:18Et ce qui pourrait être un marqueur intéressant, c'est de voir si les hôpitaux en construction, l'hôpital Nord Paris à Nantes, un nouveau CHU,
09:29sont performants en matière de gestion des émissions du CO2.
09:34Personnellement, je n'en sais rien, je n'ai pas la compétence pour le juger.
09:37En revanche, là où on est en retard, c'est sur la modernisation de nos lieux de soins.
09:43Quand vous regardez le retard dans la digitalisation, malgré les moyens qui sont mis, mais ce n'est pas parce qu'on manque de ressources,
09:51c'est qu'on manque d'une prise de conscience que c'est prioritaire, si vous voulez.
09:56Le retard dans l'usage de l'intelligence artificielle qui permet de faire des économies un peu dans les ressources, de l'utilisation du dégâts, de mieux utiliser les ressources.
10:04Bon, alors ça, c'est la mauvaise nouvelle.
10:07Je pense que la bonne nouvelle, c'est que si on arrive à faire cette évolution stratégique du système de santé,
10:14comme souvent, la France part un peu avec du retard, mais on a des ressources formidables sur le plan humain, technologique et financier pour rattraper notre retard une fois qu'on en a fait.
10:24Donc, je crois qu'on est un peu dans le dur, mais je suis assez optimiste sur le moyen long terme.
10:28Sur le court terme, on est un peu dans le dur.
10:30Vous êtes d'accord avec ça, Baptiste ?
10:33Mise à part quelques réserves sur l'intelligence artificielle, effectivement, en fait, on est en retard.
10:38Globalement, tous les pays sont en retard.
10:39Tous les secteurs le sont.
10:41Après, là où on a bien réussi beaucoup d'avancées, c'est dans la prise de conscience.
10:45Ça, pour le coup, tous les acteurs sont conscients qu'il y a des impacts qui sont très significatifs.
10:51Après, on n'observe pas encore de changements qui sont systématiques.
10:55Pour l'instant, on n'observe pas ça.
10:56Et Hélène, du côté des fermes ?
10:57Et juste vos réserves sur l'intelligence artificielle, vous pouvez les préciser ?
11:00Alors, ça a souvent tendance à créer des nouveaux besoins plutôt que répondre aux besoins actuels.
11:06En tout cas, ça dépend.
11:08Donc, on émet des réserves parce qu'il faut réfléchir à l'usage que ça peut avoir
11:11avant de faire des choses avec l'intelligence artificielle pour faire des choses avec l'IA.
11:16Et puis, il y a aussi un impact environnemental de l'IA elle-même qui utilise des serveurs,
11:20qui consomme beaucoup d'énergie sur tout un tas d'infrastructures.
11:25Alors, effectivement, des fois, ça permet d'optimiser, par exemple, des chaînes logistiques.
11:30Effectivement, ça, je n'en doute pas que ça a des impacts qui peuvent être forts.
11:33Mais voilà, ça a aussi un impact.
11:35Il faut réfléchir sur l'usage qu'on veut en avoir.
11:38Et du côté des pharmacies, Hélène ?
11:40Alors, il y en a pas mal en cours, évidemment.
11:44Après, pour aussi revenir pourquoi éventuellement il y a un retard plus ou moins important,
11:49suivant la perception, c'est que la santé est quand même très différente des autres sujets.
11:53La santé, ça nous touche vraiment dans notre corps, personnellement,
11:56pas du tout de la même manière que le transport, qu'on a pu en parler.
12:00Et souvent, quand d'ailleurs on célèbre la fin de l'année,
12:03on va dire pour l'année prochaine, surtout la santé.
12:06Donc, évidemment, on ne peut pas le traiter de la même manière.
12:08Il est beaucoup plus complexe.
12:10Il va faire appel à énormément de craintes et de peurs
12:13quand justement, nous, on est touché par la maladie ou par nos proches.
12:17C'est ce qui fait qu'on ne va pas peut-être pouvoir traiter ce sujet de la même manière
12:21parce qu'en effet, un bâtiment, on va poser des actions assez concrètes et factuelles.
12:26Là, on va être dans l'émotion.
12:27Comment on fait justement pour accompagner un patient au niveau de la pharmacie ?
12:32Justement, peut-être réduire sa consommation de médicaments
12:35quand face à cela, on est en pénurie.
12:38On est les premiers, des fois, à dire, gardez de l'avance
12:41parce que peut-être que le mois prochain, ce médicament ne l'a pas pour vous.
12:45Donc, c'est toujours en fait, on est tiraillé, on va dire, des deux côtés.
12:50On va essayer de raisonner la consommation.
12:53Mais en même temps, on a aussi des craintes que la personne manque par la suite.
12:58Et ça, c'est quelque chose qu'on n'avait pas auparavant.
13:01Et au niveau des pharmacies, clairement, même s'il y en a qui ont envie de mettre des actions en place,
13:05on se retrouve confronté, comme dans d'autres secteurs d'activité, à une pénurie de personnel,
13:09à aussi parfois des compétences qui ne sont pas forcément là pour tous
13:16et qu'il va falloir continuer à faire du développement, en tout cas, de formation continue
13:20sur des anciens sujets, mais aussi sur des nouveaux.
13:22Tout ça, ça demande du temps, ça demande de l'engagement.
13:24On a aussi des équipes qui sont épuisées par rapport au Covid,
13:27qui nous l'avaguent et arrivent aussi bien plus tard au niveau des pharmaciens
13:31qui ont fait un burn-out un peu en décalé par rapport aux équipes qui sont plutôt salariées.
13:37Et ça, c'est quelque chose qui va être demandé en tout cas aux officinaux.
13:43En tout cas, c'est le domaine que je connais le mieux.
13:45Un effort supplémentaire à faire alors même que des efforts, ils en ont fait ailleurs.
13:49Donc, c'est extrêmement compliqué de continuer à offrir du service supplémentaire,
13:54à être là pour les patients tout en sachant qu'en plus, maintenant,
13:57il va falloir penser en mode un peu plus global, c'est-à-dire à l'environnement, à la planète.
14:01Et ça, ce n'est pas du tout les mêmes façons d'appréhender le sujet.
14:05Donc, rien que pour ça, je pense qu'il faut aussi un accompagnement des personnes sur ce dire
14:09qu'est-ce que la personne, elle, est prête à faire à son niveau.
14:13Ça peut être juste sélectionner en tout cas des producteurs,
14:18des fournisseurs avec une politique d'achat plus raisonnée.
14:20Ça peut être collaborer avec, on va dire, avec les CPTS, tous les acteurs qui sont sur le territoire.
14:27Ça peut être avec, on va dire, une qualité qui va être un peu plus poussée avec des normes,
14:32les normes ISO pour aller un petit peu plus loin et être plus juste en tout cas
14:36dans la délivrance et dans l'accompagnement.
14:39Mais on ne pourra pas demander tout à tout le monde.
14:42Donc, c'est pour moi aussi une stratégie qui va passer par le choix de ce qu'on peut faire,
14:45ce qu'on est capable de faire et sans porter aussi un jugement sur les personnes
14:50qui ne seront pas capables d'aller jusqu'au bout.
14:52Oui, dans cette réflexion sur le choix,
14:55on va juste revenir sur l'intelligence artificielle parce que c'est quand même un sujet important.
14:59Parce qu'à force d'avoir dit qu'il fallait,
15:00et pourtant on est dans un environnement ici où ce sont les nouvelles technologies qui sont portées haute.
15:05Mais juste faire attention.
15:06Moi, je suis le premier à dire que la télémédecine n'a pas à remplacer,
15:10n'a pas à être mise là où il n'y a pas de médecins, n'a pas à remplacer les médecins,
15:12mais à armer, à augmenter la capacité des professionnels de santé pour pouvoir soigner.
15:17Si déjà, il faut être sur la bonne ligne.
15:20J'ai bien conscience des limites de l'intelligence artificielle.
15:22Il faut les connaître.
15:23En revanche, je pense qu'il y a une réflexion par rapport à la transition écologique sur le coût-bénéfice.
15:30C'est-à-dire que oui, il y a un coût supplémentaire probablement à l'usage de l'intelligence artificielle.
15:33Mais si les bénéfices sont beaucoup plus importants dans l'économie de soins,
15:37par exemple dans les dépistages, par exemple dans la consommation de médicaments,
15:41où vous avez des milliards de données à gérer,
15:44l'intelligence artificielle, avec un algorithme performant, peut vous aider à gérer
15:48et donc à optimiser les consommations à la fois de médicaments, à la fois de tests de dépistage.
15:54Et donc, à partir de là, je pense, sans être un expert d'intelligence artificielle,
15:58donc j'y mets toutes les réserves techniques,
16:01qu'il y a probablement une phase d'investissement dans l'intelligence artificielle
16:05qui peut être un peu coûteuse en émission de CO2,
16:08mais qui, demain, peut nous rapporter énormément d'économies en matière de santé
16:13et probablement en matière d'émission de CO2.
16:15Donc voilà, il faut faire de la pédagogie et pas...
16:18Parce qu'il y a des craintes naturelles chez les citoyens, qu'ils soient soignants ou soignés,
16:24à un moment donné qu'il ne faut pas trop entretenir en matière de développement des nouvelles technologies.
16:28La France a un retard qui me paraît injustifiable
16:32en matière de digitalisation et d'utilisation des nouvelles technologies.
16:35Et chez The Chief Product, ce sont des choses que vous anticipez, l'éventuel impact d'une digitalisation ?
16:41Alors, effectivement, ça va dépendre des usages.
16:46On sait qu'une téléconsultation va émettre moins qu'une consultation en présentiel chez un médecin
16:53parce que ça va diminuer l'impact des transports.
16:55Donc effectivement, il faut faire systématiser l'étude de la comparaison du coût et du bénéfice.
17:01Effectivement, si on sait qu'il va y avoir un gros bénéfice, dans ces cas-là, go, on peut y aller.
17:05Après, en fait, cette réflexion-là, on peut l'avoir sur tous les sujets.
17:09C'est aussi le cas sur les politiques de prévention.
17:12Les politiques de prévention ont un coût sur l'environnement.
17:15Par exemple, un vaccin, une campagne de vaccination, ça a un impact, il faut fabriquer le vaccin.
17:19Mais ça va avoir des bénéfices parce que les personnes vont moins tomber malades.
17:21Donc en fait, c'est quelque chose qu'il faut systématiser, on sait le faire.
17:24Il y a quelques coûts-bénéfices, c'est quelque chose qu'on sait faire en santé.
17:27Et donc, effectivement, il faut avoir une réflexion là-dessus.
17:31Mais d'où l'intérêt d'intégrer, ce qu'a fait le Chief Project, qui a fait intéressant,
17:36d'intégrer le... parce qu'il faut se mettre un point de mire de moyen-long terme
17:40pour avoir un raisonnement comme ça.
17:42Et donc, il faut intégrer sur le moyen-long terme l'empreinte carbone.
17:45Donc je pense que cette empreinte carbone ne doit pas être intégrée à court terme en disant
17:49« Oh là, l'intelligence artificielle va nous faire augmenter, c'est sûr. »
17:51Mais cette réflexion coût-bénéfice sur le long terme intégrant l'empreinte carbone
17:56me paraît faisable et intéressante.
17:58Et plus globalement, on parle de l'intelligence artificielle,
18:01mais quel rôle jouent les technologies dans la réduction des émissions de carbone
18:06au sein de la santé ?
18:07Ah ben moi, je pense que c'est par l'innovation technologique qu'on trouvera la solution.
18:11Mais dans l'innovation technologique, je mets des matières premières qui soient moins polluantes.
18:17Donc ça, je pense qu'il n'y a aucun doute.
18:20Mais parce qu'on n'arrêtera pas de produire, on n'arrêtera pas de consommer.
18:24En revanche, il y a l'innovation technologique, mais il y a aussi les changements de comportement.
18:29On parlait dans le brillant édito de notre éditorialiste des aberrations en matière de consommateurs.
18:36Il est évident que si les 8 milliards ou les quelques milliards qui sont responsables
18:41le plus de cette consommation ont demain un comportement qui est beaucoup plus rationnel
18:47et qui intègre cette empreinte carbone, ça c'est une deuxième composante qui est indispensable.
18:54Donc moi, je crois que ce soit en économie ou dans la gestion de la transition écologique.
19:00Seul ce qu'on appelle le policy mix n'importe.
19:02Il ne faut pas croire qu'il y a simplement un levier qu'il faut activer sur lequel il faut être ultra performant.
19:07Il n'y en a pas 36, mais il y a en général 4 ou 5 leviers qu'il faut activer en même temps
19:13et sur lesquels il faut être de plus en plus performant.
19:16Donc je pense que c'est le cas.
19:18Donc il y a les innovations technologiques, c'est par là qu'on arrivera sous réserve
19:22pour qu'elles soient disponibles aussi pour les pays à revenus faibles et moyens.
19:26C'est un autre enjeu, vous parliez des vaccins tout à l'heure.
19:28Si les vaccins étaient autant disponibles dans les pays pauvres que dans les pays riches,
19:33on aurait moins de problèmes de santé publique et donc probablement aussi un impact sur l'empreinte carbone.
19:38Donc évidemment, ça, c'est un enjeu.
19:39S'il y a une consommation qui est imprimée dans l'esprit d'une majorité des gens
19:45vers une consommation responsable sur le plan CO2, etc.
19:48et le changement des modes de production...
19:50Et votre avis sur les nouvelles technologies plus globalement ?
19:53Alors en fait, quand on parle de décarbonation, il y a deux types de leviers.
19:56Soit on baisse l'intensité carbone d'une activité, donc à quel point l'activité va émettre du CO2.
20:02Et c'est là qu'on va intervenir à les innovations technologiques
20:04parce que dans certains cas, elles peuvent permettre que la production ait moins de CO2
20:08ou que le transport ait moins de CO2.
20:11La seconde manière, c'est de baisser le volume de l'activité.
20:13Et là, il faut jouer sur la sobriété, jouer sur ce qu'on peut appeler le juste soin dans la santé
20:17pour être plus pertinent dans les prestations, etc.
20:22Ce qu'on a montré, c'est qu'en fait, on ne peut pas arriver avec uniquement
20:25une baisse de l'intensité carbone au moins à 40% de CO2 de l'accord de Paris d'ici 2050.
20:30Donc il faut jouer sur les deux types de leviers,
20:33à la fois jouer sur l'intensité carbone et donc sur les technologies,
20:36et à la fois jouer sur l'usage du système de santé
20:40et jouer sur une plus grande sobriété des soins.
20:43Ça ne veut pas dire diminuer la qualité du système de santé,
20:46ça veut dire avoir un système de santé qui est plus pertinent
20:49et qui va répondre de manière plus pertinente aux demandes des personnes prises en charge.
20:52Par rapport aux technologies, en effet, c'est un énorme sujet.
20:57Évidemment, on va gagner beaucoup de temps.
20:59Et pour moi, ça va être surtout sur les ressources humaines
21:02qu'il va falloir ensuite justement engager ce temps gagné.
21:06Mais ce que moi, j'observe aussi, c'est qu'on a aussi énormément de limites par rapport au RGPD.
21:13On est sur des données de santé, des données sensibles
21:16qui sont quasiment impossibles à anonymiser, donc qui vont être pseudonymisées.
21:21On a un règlement qui est très bien fait, mais qui est contraignant
21:25et qui nous donne des limites, en fait.
21:29Il y aurait forcément énormément de data qui permettrait d'économiser des coûts
21:34et d'aller un peu plus loin, justement, dans cette réduction d'empreintes carbone,
21:39mais à tous les niveaux, que ce soit dans la production, dans l'acheminement, dans le transport.
21:43Mais très vite, on va aussi toucher à des systèmes qui peuvent contenir les données patients.
21:48Et en tout cas, en officine, ce qu'on voit, c'est qu'il y a des acteurs
21:51qui commencent à intervenir sur des sujets en disant
21:54« Voilà, on va vous accompagner, vous allez gagner du temps.
21:56Vous allez peut-être du coup pouvoir être plus proche, en tout cas, de vos patients
22:00pour faire tout ce travail-là de juste équilibre dans la prescription et la délivrance.
22:07Mais si c'est pour ensuite faire n'importe quoi et mettre en danger les données des patients
22:12et du coup être non conforme, ça aussi soulève d'autres problématiques.
22:16Et ça, c'est toujours un travail qui est compliqué de juste équilibre.
22:19C'est à la fois gagner en performance, gagner en innovation,
22:23mais ne pas oublier qu'on est sur des données qui ne sont pas du tout les mêmes que d'autres sujets.
22:29On a quand même des pathologies où les personnes, des fois, ne veulent pas donner leur carte vitale déjà.
22:34Pourquoi ? Parce que quand elles ont une épilepsie, en tout cas, elles ne veulent pas que ce soit su.
22:40Alors bon, forcément, ça peut se savoir autrement, mais il y a des personnes qui ne souhaitent pas avoir de traces.
22:46Donc même dans ce cadre-là, c'est-à-dire qu'en dématérialisant la carte vitale ou d'autres éléments,
22:51on risque de faire un rejet de certains patients qui, par leur pathologie,
22:59vont avoir des problèmes par la suite d'emprunts bancaires, d'assurance, etc.
23:03Et ceux-là, on ne peut pas les oublier parce que leur santé est également importante.
23:09Donc en fait, à chaque fois, on va trouver des petits cas particuliers et c'est ce qui fait qu'il va falloir tous travailler ensemble
23:14parce que ces cas-là, si on n'est pas au quotidien des patients, on n'y pense pas parce qu'on ne l'a pas vécu.
23:19Mais il y en a énormément et la donnée patient en tant que pharmacien, on est responsable de traitement.
23:23Donc on doit gagner, en effet, avec ces outils-là d'innovation et on en a plein.
23:28Et en effet, c'est génial, la télé-expertise, la téléconsultation.
23:32Mais attention, dans quel cadre c'est fait et qu'est-ce qu'on respecte le patient, même ne serait-ce dans sa dignité de malade ?
23:40Juste un petit mot sur la technologie ne transforme pas les modèles à l'échelle systémique,
23:46que ce soit des modèles de protection sociale, des modèles de santé ou des modèles économiques sur le plan national.
23:51Ce qu'on appelle le paradoxe de Solow, c'est-à-dire que dans les années 80,
23:55on avait observé que l'informatisation des entreprises n'avait pas, dans un premier temps,
23:59apporté plus de gains de productivité parce qu'il fallait que les entreprises se transforment pour s'adapter au nouvel environnement.
24:05On voit bien que là, malgré la présence extraordinaire des technologies de l'information, notre système de santé périclite.
24:11Donc si c'était l'innovation technologique qui permettait un système de santé performant,
24:16on aurait un système de santé formidablement performant.
24:18Mais c'est parce que notre système de santé n'a pas été adapté à son environnement,
24:23cette triple transition, que notre système périclite, malgré la présence de technologies formidables.
24:28On doit être perplexe, étonné, j'imagine, quand on voit l'état d'un hôpital public aujourd'hui,
24:34par rapport à il y a 20 ans, malgré la formidable ressource technologique.
24:39Donc, de toute façon, la technologie viendra enlevier, optimiser notre système de santé,
24:45quand on aura transformé notre système de santé.
24:47C'est pour ça qu'encore une fois, on peut être optimiste à moyen et long terme.
24:49Mais on peut faire un parallèle avec, par exemple, la production automobile.
24:53On voit bien, et là, c'est vraiment à l'échelle d'un écosystème global,
24:57le shift complet vers 100% de voitures électriques en 2035 a cassé une forme de modèle,
25:05parce qu'on voit qu'il y a une hégémonie de cette production et de cette maîtrise
25:09de la matière première jusqu'à la distribution dans un pays en particulier ou dans un continent en particulier,
25:15qui perturbe tout l'écosystème.
25:17Et on n'arrive pas à adapter l'écosystème à ça.
25:19Donc, il faut juste faire attention à l'organisation des écosystèmes ou des modèles en matière de santé
25:26pour s'assurer que les technologies viennent bien optimiser le modèle.
25:29On se rapproche de la fin du débat.
25:31J'aimerais, Baptiste, qu'on aille un tout petit peu plus loin et que vous nous expliquiez ce concept de juste soin rapidement.
25:38Alors, le juste soin, c'est le soin qui va essayer de répondre de manière pertinente
25:43aux besoins des personnes qui sont prises en charge par le système de santé et pas de manière inutile.
25:50Pour vous donner quelques exemples, dans l'imagerie,
25:53on peut privilégier l'échographie, le scanner ou un IRM.
25:57Et en fait, d'un point de vue émissions de CO2, un scanner, c'est six fois plus d'émissions qu'une échographie.
26:02Une IRM, 30 fois plus.
26:03Donc, dans certains cas, attention, on peut substituer l'un par l'autre
26:08et envisager une radiographie qui va être plus pertinente.
26:12Pour vous donner un autre exemple, on peut des fois substituer l'utilisation de psychotropes par des thérapies non médicamenteuses.
26:18Ça, c'est tout à fait documenté dans le cas de la musicothérapie.
26:22Et ce juste soin, en fait, il va aussi avoir des impacts sur la santé qui peuvent être positifs.
26:27Par exemple, on parle de hyatrogénie médicamenteuse, qui sont les effets négatifs des médicaments.
26:33Pour les personnes âgées, on estime qu'il y a à peu près 20% des hospitalisations qui sont liées à des effets secondaires des médicaments.
26:39Donc, ça a également des effets sur l'environnement d'un côté et des effets positifs sur la santé.
26:44C'est déjà la fin de ce débat.
26:47On passe à la pépite santé.