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  • 26/02/2025
Alors que les services de sécurité allemands, danois et polonais prévoient une guerre en Europe avant 2029, faut-il prendre au sérieux la menace russe ? Entretien avec Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po, spécialiste des relations internationales et auteur de L'art de la paix (Editions Flammarion).

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Transcription
00:00La Russie veut récupérer un statut international.
00:08L'obsession poutinienne est la même que celle de Trump aujourd'hui,
00:12mais de manière, je dirais, infiniment plus aiguisée.
00:19L'attente de Poutine est de pouvoir,
00:23sinon restaurer la puissance russe du temps de l'Union soviétique,
00:27du moins d'être un des co-gérants de l'ordre international
00:32et particulièrement, singulièrement de l'ordre européen.
00:34Je ne pense pas, contrairement à ce qui se dit généralement,
00:39que la priorité numéro un de la Russie soit de reconstituer l'URSS
00:44ou de conquérir de nouveaux territoires.
00:46Ce que je pense, c'est que la Russie veut récupérer un statut international
00:52et tant que rien ne sera fait
00:55des choses qui ne conviennent pas aux attentes de la Russie,
01:00la Russie jouera la carte de la pression.
01:02Effectivement, la Russie a les instruments de cette pression
01:06et surtout, ça c'est le levier d'action qu'on n'attendait pas
01:10mais qui est en train de faire mal, y compris à l'Europe.
01:13La Russie a une capacité de mobiliser en sa faveur les pays du sud global.
01:17On lève, ne serait-ce qu'hier, à l'Assemblée générale des Nations unies
01:21où aucun État francophone d'Afrique, à l'exception de la Côte d'Ivoire,
01:27ça en fait 1 sur 14, n'a voté la résolution
01:32qui était promue par les Européens pour une paix juste et globale en Ukraine
01:38et qui condamnait la Russie.
01:39Alors voilà, instruments de pression militaire,
01:42instruments de pression politique et diplomatique,
01:45je crains que ceci continue
01:49et bien entendu va s'aiguiser avec cette complicité trumpeau-poudinienne.
01:56C'est ça le comble, c'est que ce vers quoi on semble s'engager,
02:00ce n'est pas du tout la paix, c'est la non-guerre
02:02et une non-guerre qui risque de se faire sur le dos de l'Ukraine
02:07et sur le dos des Européens.
02:14Je ne sais pas faire des prévisions.
02:17La conquête territoriale, c'était peut-être quelque chose
02:22que Poutine avait privilégié au début des années 2020
02:27et singulièrement le 24 février 2022 lorsqu'il a agressé l'Ukraine
02:31comme façon justement de rentrer,
02:36revenir sur cette scène internationale dont il avait été marginalisé
02:41en se disant qu'en plus ce serait aussi un trophée
02:45de cette conquête territoriale qu'il pensait facile
02:48qui était bon à prendre au passage.
02:51Il a quand même dû tirer les expériences de cet effet militaire en Ukraine.
02:57L'homme croyait qu'en trois jours il pourrait conquérir toute l'Ukraine,
03:02entrer l'enquête, je vois mal dans ces conditions.
03:05Après le revers essuyé sur le plan militaire,
03:09comment Poutine pourrait se lancer dans une entreprise autrement plus périlleuse
03:14dès lors qu'elle toucherait directement des pays membres de l'OTAN
03:18et ces gros morceaux, si vous passez l'expression,
03:21que pourrait être la Pologne ou même les États-Bas
03:25qui ont une charge symbolique extraordinairement forte.
03:27Personnellement, je ne penche pas pour cette hypothèse
03:31mais il ne faut pas non plus l'exclure.
03:34Ce qui pourrait favoriser cette initiative de Poutine,
03:38ce serait une connivence affirmée et je dirais aggravée
03:44entre Moscou et Washington.
03:45Il faut suivre de très près cette étrangeté des relations.
03:53Elle se prépare partiellement et rhétoriquement.
03:57Je ne suis pas sûr qu'elle se prépare,
04:00alors je ne dis pas à une agression russe sur son sol
04:04parce qu'encore une fois, ce n'est peut-être pas le scénario le plus probable,
04:07mais elle ne se prépare pas véritablement à ce changement de configuration.
04:14Pourquoi ? Pour trois raisons.
04:15La première, c'est que structurellement, l'Europe est très divisée.
04:18D'ailleurs, c'est son ADN d'être divisé.
04:20Le système international, moderne, s'est constitué en Europe
04:24au moment de la Renaissance et de la construction des États-nations
04:27sur la base de la compétition entre États-nations.
04:29C'est ce qui a fait l'actualité internationale
04:31et singulièrement l'actualité européenne pendant plus de trois siècles.
04:34Donc, ça ne disparaît pas comme ça.
04:36Deuxièmement, on oublie toujours un échelon
04:39quand on parle de défense commune.
04:41Il y a un préalable à une défense commune.
04:43C'est une politique étrangère commune.
04:45La défense, ce n'est qu'un instrument.
04:46Si vous n'êtes pas d'accord sur une politique étrangère commune,
04:50vous n'avez peu de chances de pouvoir construire une défense commune.
04:54Et puis, il y a un troisième élément qui est en même temps culturel et pratique,
04:58qui est que, consciemment ou inconsciemment,
05:01l'avouant ou ne l'avouant pas, on peut dire la totalité,
05:04même l'aile autonome de l'Europe,
05:07a considéré que sa sécurité est entre les mains des États-Unis
05:11parce que c'est moins coûteux,
05:13et en ce moment, la dimension économique, ça compte,
05:16et d'autre part, parce que c'est aussi une façon
05:22de ne pas affronter les grandes questions dont je parlais tout à l'heure.
05:28Donc, cette culture atlantiste, elle n'a pas disparu.

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