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Depuis près d'un siècle, la famille Al-Saoud règne sur l'Arabie saoudite, pays qui connaît une prospérité fabuleuse grâce à l'or noir. Le fondateur de la dynastie, Ibn Saoud fit preuve d'une maîtrise parfaite dans l'art de la guerre du désert et, plus encore, d'une habileté consommée face à ses adversaires comme avec ses alliés. En 1932, le royaume d'Arabie saoudite était fondé et, après une dernière expédition guerrière contre l'imam du Yémen (1934), ses frontières stabilisées : celui qui n'avait pas une pierre où poser la tête au début de son entreprise régnait désormais sur un territoire grand comme trois fois et demie la France.
Cet homme d'Etat incontournable et madré – qui choisit de maintenir son pays dans une neutralité favorable aux Alliés durant la Seconde Guerre mondiale – a conclu en 1945 avec le président américain Roosevelt un accord stratégique motivé par la géopolitique du pétrole, plaçant l'Arabie saoudite dans l'orbite économique et sous la protection militaire américaine. À sa mort en 1953, il laisse derrière lui l'un des pays les plus puissants et influents du monde musulman, membre de l'ONU et de la Ligue arabe. Avec Christian Destremau, auteur d'une magistrale biographie, voici le portrait de ce seigneur du désert devenu homme d’Etat.

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00:00:00Générique
00:00:21Bonjour à tous.
00:00:22Il a donné son nom à une dynastie qui règne depuis près d'un siècle sur un pays qui porte son nom, l'Arabie Saoudite.
00:00:29Séduisant d'une bravoure incontestable, Ibn Saoud fut un grand et habile politique,
00:00:34un souverain parfaitement informé de la marche du monde qui traitait d'égal à égal avec Churchill ou Roosevelt.
00:00:41Après Laurence d'Arabie la semaine dernière, nous retrouvons Christian Destremeau pour évoquer cet autre seigneur du désert.
00:00:47Christian Destremeau, bonjour.
00:00:49Bonjour.
00:00:49Je vous ai reçu la semaine dernière pour évoquer la personnalité hors du commun de Laurence d'Arabie
00:00:55et nous allons donc, je le disais, rester dans la région avec un personnage lui aussi hors du commun,
00:01:02Ibn Saoud, le fondateur de la dynastie qui règne actuellement sur l'Arabie Saoudite.
00:01:07Alors je vous ai présenté la semaine dernière, je vais le refaire pour les téléspectateurs qui n'auraient pas vu l'émission sur Laurence,
00:01:13ce que je leur recommande de faire.
00:01:15Vous êtes donc un fin connaisseur de la culture britannique et du monde arabe et vous êtes auteur de plusieurs ouvrages,
00:01:21donc une biographie de Laurence d'Arabie parue en 2014 chez Perrin,
00:01:28mais également parue en 2011 le Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale,
00:01:33Churchill à France en 2017 chez Perrin et encore chez Perrin,
00:01:37et Yann Fleming, Yann Fleming le père de James Bond, paru en 2020.
00:01:42Alors on va revenir à l'Arabie Saoudite et à la dynastie des Saouds,
00:01:46c'est une dynastie ancienne puisqu'elle fait parler d'elle dès le XVIIIème siècle dans le Nejd,
00:01:52cette région de la péninsule, tout à l'est de la péninsule arabique.
00:01:57Alors comment cette famille a-t-elle commencé à se démarquer ?
00:02:00– Alors, Ibn Saoud qui a été le premier roi d'Arabie Saoudite,
00:02:07dira souvent qu'il s'est fait lui-même, qu'il est un, on va les anglais dire, un self-made man,
00:02:13la réalité est un peu plus complexe que ça, c'est un peu un héritier quand même.
00:02:17Donc c'est l'héritier d'une dynastie qui s'est forgée à partir de 1750 à peu près,
00:02:25et c'est une famille finalement qui n'est pas bédouine d'abord et qui n'est pas princière,
00:02:34qui est relativement aisée, enfin qui n'a pas…
00:02:37et qui va réussir à s'imposer dans cette région à partir des années 1750
00:02:42et finalement jusqu'à Ibn Saoud, sera à peu près incontournable.
00:02:50Elle va connaître des hauts et des bas, des moments où elle va être totalement sur le reculoir,
00:02:54elle va perdre le pouvoir, le récupérer, donc il y a des hauts et des bas,
00:02:58mais la famille Saoud prend une position très importante quand même dans toute cette péninsule.
00:03:07– C'est un pouvoir de quel ordre ? C'est un pouvoir d'affluence ou c'est un… ?
00:03:10– Oui, c'est l'émir de…
00:03:13– C'est l'émir, on reconnaît finalement que c'est finalement quelqu'un qui émerge
00:03:20comme quelqu'un de supérieur, qui n'a pas d'autre légitimité que le fait finalement
00:03:26qu'il a à un moment donné émergé et meilleur que les autres.
00:03:31Nous parlions la semaine dernière de la famille des Hashemites,
00:03:35les Hashemites ont cette caractéristique, c'est qu'ils peuvent se prévaloir,
00:03:39de descendre du prophète Mahomet, ce n'est pas du tout le cas des Saoud
00:03:43qui n'ont aucune légitimité sur un plan religieux,
00:03:46c'est simplement une famille qui va réussir à prendre le pouvoir et s'imposer.
00:03:51Et ça explique aussi la précarité de ce pouvoir.
00:03:54– Bien sûr, alors il y a un point fondamental qui est l'alliance des Saoud
00:03:58avec Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, qui est, je ne vais pas répéter le nom, qui est Wahhab.
00:04:05Alors, c'est un point très important dans l'histoire de cette famille,
00:04:09de l'émergence de cette famille, c'est une sorte de pacte, d'alliance,
00:04:14un covenant qui a été forgé avec un prédicateur qui s'appelait Abd al-Wahhab,
00:04:20un prédicateur de la région et qui apporte un message nouveau
00:04:25qui va peu à peu s'imposer dans toute la région
00:04:29et qui va permettre à la famille Saoud qui cherche une sorte de ciment
00:04:34pour imposer son pouvoir aux tribus et qui va le trouver avec ce prédicateur.
00:04:40Ce prédicateur dit quoi en fait ?
00:04:43Il a un message très simple, il dit l'islam tel qu'il est pratiqué a été corrompu
00:04:51et il faut retourner aux origines, c'est ce qu'on appelle plus généralement la salafia,
00:04:56c'est le retour aux gens, aux messages des gens de l'époque de Mohamed
00:05:00et redonner à l'islam son lustre d'antan non pas en augmentant la hiérarchie,
00:05:10en bâtissant des églises, enfin des mosquées, des lieux de culte
00:05:14mais en revenant à un message tout simple.
00:05:16On pense assez facilement à Luther ou à Calvin
00:05:21et d'ailleurs dans ce message il y a une volonté de revenir à un islam
00:05:32dépouillé de toutes les scories qui se sont accumulées à travers les siècles,
00:05:36notamment le culte des saints, personnages, ce qu'on appelle le soufisme
00:05:42et de revenir à ce message tout simple.
00:05:44Et c'est un peu un coup de génie de l'aïeul de notre héros,
00:05:49c'est qu'il s'est rendu compte que ce message tout simple,
00:05:52ça allait lui donner un peu, comme je le disais, une sorte de ciment
00:05:57ou en tout cas une idéologie pour imposer son autorité
00:06:03qui jusque-là se fondait surtout sur l'utilisation de l'argent
00:06:08ou bien des méthodes beaucoup plus profanes.
00:06:12– Alors en 1803, la famille Saoud prend la Mecque,
00:06:17il ne faut pas oublier que nous sommes dans l'Empire ottoman.
00:06:22– Alors nous sommes dans l'Empire ottoman mais c'est une région…
00:06:24– Est-ce que ça inquiète les Ottomans ?
00:06:26– Effectivement, sa région d'origine, ce qu'on appelle le Neige,
00:06:29c'est une sorte pour les Ottomans de no man's land,
00:06:33c'est-à-dire que tant qu'il ne se passe pas grand-chose,
00:06:35ils ne s'y intéressent pas.
00:06:36– C'est au centre de la péninsule.
00:06:37– Voilà, ils n'ont pas de troupes, mais c'est reconnu comme étant
00:06:41une province, une sorte de province un peu indéfinie de l'Empire ottoman.
00:06:45En revanche, tout ce qui est à l'ouest de la péninsule,
00:06:49c'est le Hejaz, là où se trouvent les lieux saints,
00:06:52c'est-à-dire la Mecque et Médine,
00:06:54sont d'une beaucoup plus grande importance.
00:06:59Et le fait que cette famille conquière ces lieux saints
00:07:06est un motif de grande inquiétude pour Constantinople.
00:07:12D'autant que les guerriers wahhabites vont faire quelque chose,
00:07:16deviennent des sortes d'iconoclastes,
00:07:17ils vont détruire un certain nombre de grands symboles de la religion,
00:07:21notamment les tombes, les tombes des familles du prophète Mahomet,
00:07:26tout ce qui détourne en fait du culte pur de Dieu.
00:07:31On avait tendance à rendre au prophète Mahomet un culte
00:07:36qu'il considère tout à fait exagéré.
00:07:38D'ailleurs, les wahhabites purs refusent qu'on rende hommage
00:07:46au prophète Mahomet, le risque étant qu'on associe à Dieu
00:07:52un culte différent, c'est contre cela qu'ils luttent.
00:07:56La prise de la Mecque par la famille Saoud déclenche l'alerte à Constantinople
00:08:02et ils vont demander, à ce moment-là,
00:08:04ils vont déléguer auprès de Mehmet Ali qui est l'émir d'Égypte,
00:08:12la mission de reconquérir le Hejaz
00:08:17et plus généralement l'ensemble de la péninsule.
00:08:20– Alors, on ne va pas raconter l'histoire de toute la famille,
00:08:23c'est Ibn Saoud qui nous intéresse.
00:08:26En gros, grosso modo, c'est une famille qui a connu des hauts et des bas
00:08:29jusqu'à la fin du XIXe siècle.
00:08:34Et donc, Ibn Saoud, lui, naît en 1880, où en est sa famille ?
00:08:41– Alors, sa famille est sur le reculoir parce qu'ils ont
00:08:44une grande famille rivale plus au nord, dans la péninsule,
00:08:50qui est basée sur une ville qui s'appelle Haïl
00:08:53et qui a surtout cette force, c'est qu'elle a une tribu très puissante
00:08:58avec elle qui s'appelle les Chamars et qui est une tribu
00:09:02non seulement importante en taille, mais qui est très cohérente
00:09:07et qui leur permet non seulement de résister aux assauts des Saouds,
00:09:14mais même de les vaincre.
00:09:16Et lorsque Ibn Saoud naît, à Riyad, qui est devenue la capitale de la région,
00:09:25Riyad est devenue la capitale de cette famille rivale, les Rachid.
00:09:29C'est une affaire compliquée, mais voilà.
00:09:31Donc, ils sont en tout cas, ils sont sur le reculoir.
00:09:37Et d'ailleurs, c'est à ce moment-là que le petit garçon
00:09:43qui s'appelle Abdelaziz, qui ne s'appelle pas encore Ibn Saoud,
00:09:48est exilé dans le désert, à dos de dromadaire avec sa sœur
00:09:53et se réfugie auprès d'une tribu à l'est de la personne,
00:09:59la tribu des Moura.
00:10:01Et c'est là où il va faire l'apprentissage,
00:10:03mais dans des conditions presque de clandestinité,
00:10:05si tant est que la clandestinité existe dans ces étendues désertiques.
00:10:09Il va faire l'apprentissage de la vie bédouine.
00:10:12– Donc une vie très rude.
00:10:14– Une vie très rude, mais en même temps,
00:10:16une vie qui a une certaine poésie.
00:10:19– Oui, c'est-à-dire qu'il y a une liberté qu'il y a chez les Bédouins
00:10:21et une liberté qu'il n'a pas forcément en tant que citadin.
00:10:23Parce qu'au départ, c'est une famille de citadins,
00:10:26et auprès des Bédouins, il découvre l'aventure.
00:10:30Et après cet épisode, il finit par retrouver son père au Koweït,
00:10:37alors Koweït qui est une petite principauté en quelque sorte indépendante,
00:10:43et c'est là qu'il va faire son apprentissage plus en profondeur.
00:10:49– Alors en 1902, il a 22 ans et il va commettre un acte fondateur dans son histoire,
00:10:58qui est la prise de Riyad.
00:11:00Qu'est-ce qui le pousse à aller attaquer Riyad ?
00:11:03– Parce que sa seule ambition, plus d'ailleurs lui que son père,
00:11:07qui est un homme un peu effacé,
00:11:09sa seule ambition c'est de reconquérir les terres,
00:11:13le domaine qui a été celui de ses aïeux.
00:11:16Et donc il va lancer une petite expédition,
00:11:19alors ce sont une trentaine, ce sont des petites,
00:11:22ce sont des escarmouches, une quarantaine de fidèles,
00:11:27on va les appeler les 40 voleurs d'ailleurs,
00:11:30et ils vont surprendre la garnison de Riyad et son gouverneur,
00:11:37et ils vont reprendre le contrôle de la ville de Riyad,
00:11:41qui lui donne une base,
00:11:42alors ça ne veut pas du tout dire qu'il contrôle toute la région,
00:11:46ce sera un long processus complexe avec des négociations,
00:11:51avec des petites batailles,
00:11:53mais il a pris quand même le cœur, disons la ville importante de la région.
00:11:59– Et c'est une grosse ville, Riyad ?
00:12:02– Il y a peut-être 10 000 habitants si vous voulez,
00:12:05c'est un bourg, c'est un gros bourg,
00:12:08– Il a pris avec une cinquantaine de bonshommes si vous voulez.
00:12:10– Une palmorée, c'est une affaire d'opération commando,
00:12:17c'est comme ça ces guerres dans le désert,
00:12:19ce sont des escarmouches, ce sont des petits combats,
00:12:23et puis il y a des points de bascule si vous voulez,
00:12:28mais il impose psychologiquement,
00:12:31de toute façon la famille Rachid s'était imposée,
00:12:34avait pris le pouvoir à Riyad, ce n'était pas ça,
00:12:36c'était des conquérants, c'était des gens de l'extérieur,
00:12:38– Ils étaient imposés par la force.
00:12:39– Par la force, et eux, leur bastion c'est quand même plus au nord.
00:12:42– Donc son père va lui, vous disiez c'était un homme effacé,
00:12:44son père va lui céder le pouvoir.
00:12:45– Son père lui cède le pouvoir,
00:12:47alors pendant un certain temps, Ibn Saoud va conserver l'apparence,
00:12:51c'est un peu d'ailleurs la même situation qu'aujourd'hui avec MBS et son père.
00:12:57Son père est quelqu'un d'effacé mais qui est très respecté sur un plan religieux,
00:13:06c'est important parce que le jeune Ibn Saoud
00:13:09n'a pas du tout d'autorité sur un plan religieux,
00:13:11et donc il va laisser à son père cette autorité religieuse
00:13:18qui est importante pour consolider son pouvoir,
00:13:21mais lui-même va développer son autorité à partir de Riyad
00:13:29et en convainquant ou en vainquant un certain nombre de tribus.
00:13:34– Il va chercher à unir les différentes tribus sous son autorité,
00:13:39donc quelles méthodes va-t-il entrer ?
00:13:40– Alors il y a les cités et les tribus, il y a quelques cités entre guillemets,
00:13:44c'est un peu l'Italie du Moyen-Âge,
00:13:47mais il s'agit de convaincre certaines cités de le rejoindre
00:13:51et puis il faut convaincre certaines tribus.
00:13:53Alors pour l'heure c'est extrêmement compliqué
00:13:56parce qu'il n'a pas d'argent, il n'a pas beaucoup d'arguments en fait,
00:14:03la tradition veut qu'on se protège, on joue l'un contre l'autre,
00:14:09les tribus, les Bédouins ce sont des gens
00:14:12qui ne veulent surtout pas s'engager trop nettement dans une direction,
00:14:15donc c'est très compliqué.
00:14:17Il y a un certain nombre de victoires symboliques,
00:14:20mais surtout il va se montrer extrêmement astucieux
00:14:25avec les Turcs et avec les Britanniques.
00:14:29Les Turcs commencent à s'inquiéter quand même,
00:14:32qui ont délaissé cette région,
00:14:33mais ils commencent à s'inquiéter parce qu'ils voient émerger ce jeune émir
00:14:39dont la réputation ne cesse de grandir,
00:14:41et les Britanniques eux-mêmes s'y intéressent
00:14:43parce que les Britanniques contrôlent peu ou prou
00:14:46par un réseau de traités toute la côte,
00:14:49ce qui est le Qatar aujourd'hui,
00:14:50le Dubaï, la Libye, Oman et le Koweït,
00:14:55mais ce qui se passe à l'intérieur des terres,
00:14:58disons à une vingtaine de kilomètres de la côte,
00:15:01a priori ne les intéresse pas beaucoup.
00:15:03Et puis il y a cet émir qui apparaît
00:15:05et qui constitue à la fois une menace
00:15:08et une promesse de pouvoir consolider leur pouvoir, voilà.
00:15:14Et Ayoun Saoud va très finement jouer sur ces rivalités
00:15:21en contactant les Turcs,
00:15:27en demandant leur aide
00:15:30et en même temps en disant, en faisant savoir aux Anglais,
00:15:34écoutez, vous voyez, je prends langue à la lecture,
00:15:37peut-être que c'est votre intérêt de venir m'aider.
00:15:40Et quand même l'idée va progresser
00:15:43et les Britanniques vont entrer un peu dans ce jeu ultérieurement,
00:15:47ça va prendre quelques années,
00:15:49d'abord en envoyant des émissaires
00:15:51et puis en signant un traité, en lui octroyant des subventions,
00:15:55surtout au départ parce que les Turcs s'y intéressent
00:15:58pour contrer un peu ce risque d'avancée turque.
00:16:01– Enfin, il navigue quand même adroitement entre les deux puissances.
00:16:04– Il navigue de façon extrêmement adroite entre les deux puissances.
00:16:07En fait, ce qu'il applique dans sa politique
00:16:10à l'égard de tribus qui seraient opposées ou en rivalité,
00:16:13eh bien, il l'applique à un niveau plus grand
00:16:16et c'est là où son véritable génie politique apparaît,
00:16:19aux grandes puissances,
00:16:20alors que c'est un homme, pas un alphabète,
00:16:24mais qui ne connaît pas les relations internationales,
00:16:28eh bien, il va monter très vite,
00:16:29un talent, je trouve, assez extraordinaire
00:16:32avec cette perception extrêmement fine des rapports de force,
00:16:36de l'équilibre, de ce qui marche, et une certaine audace
00:16:40parce qu'il s'adresse au sultan
00:16:41comme s'il était un homme extrêmement important.
00:16:43– Ils sont égales.
00:16:44Et là, on est dans quelles années ?
00:16:45– À partir de 1904-1905, voilà.
00:16:48– Ah oui, vraiment…
00:16:50– Très vite, très, très vite.
00:16:51Il envoie une première lettre aux Turcs,
00:16:54je crois que c'est 1903, en disant, écoutez, j'ai envie de…
00:16:57Et il va voir, mais en même temps, il contacte les Britanniques.
00:17:01– Alors, je vais revenir à l'unification des différentes tribus.
00:17:05Est-ce qu'on est dans un modèle qu'on pourrait qualifier de féodal ?
00:17:10C'est-à-dire qu'il faut aller se faire la guerre,
00:17:11se réconcilier, se marier ?
00:17:13– Tout à fait, on est dans un modèle féodal.
00:17:18Les tribus, le problème des tribus…
00:17:20Alors, il faut bien comprendre, les tribus ne sont pas forcément bédouines.
00:17:23Il y a des tribus qui sont citadines…
00:17:25– Expliquez-nous la différence.
00:17:26– Alors, la différence, le bédouin, c'est un mode de vie dans le désert.
00:17:30– C'est un nomade.
00:17:30– C'est un nomade, pardon, c'est un nomade.
00:17:32– Qui fait du commerce.
00:17:34– Qui fait un peu de commerce, principalement d'ailleurs de dromadaires,
00:17:38c'est son principal source de commerce.
00:17:42C'est un commerce important, le commerce des dromadaires.
00:17:44– Ce sont des nomades éleveurs.
00:17:46– Ce sont des nomades, mais en même temps,
00:17:48ils ont une distraction, un sport national qui est l'arasia.
00:17:52C'est-à-dire qu'on va, quand on a besoin, soit de se nourrir, soit d'argent,
00:18:00on va faire une expédition contre la tribu voisine et on va rasier.
00:18:05Et tout cela est totalement anarchique.
00:18:09Et comment, pour un homme politique qui cherche à unifier la péninsule,
00:18:14prendre contrôle de ces gens, ça nécessite beaucoup de bluffs, en fait.
00:18:20Beaucoup de bluffs, parce que pour l'heure, au début du siècle,
00:18:23il n'a pas beaucoup d'argent, il est très pauvre,
00:18:25enfin son pouvoir, son gouvernement est très pauvre, disons,
00:18:29et beaucoup de bluffs et des victoires symboliques.
00:18:33Et sa personnalité, la force de sa personnalité,
00:18:35je ne vois pas trop d'autres explications pour montrer
00:18:40comment il réussit progressivement, mais lentement,
00:18:43on est presque en tâche d'huile, on pourrait dire, à étendre son pouvoir.
00:18:49– Je voudrais que vous nous parliez des Irwans, de la révolte des Irwans,
00:18:52qu'est-ce que c'est exactement ?
00:18:53– Alors, l'Irwan, c'est un mouvement, alors, Ibn Saoud est religieux,
00:19:01il respecte la religion, il applique les préceptes de ses entraînes,
00:19:07mais à partir de 1910, alors, on n'est pas sûr de l'origine exacte,
00:19:12c'est un mouvement, c'est un peu une idéologie, si vous voulez,
00:19:16qui est à l'intérieur de ce wahhabisme qui, lui-même, est plus,
00:19:22entre guillemets, extrême, c'est-à-dire, est plus pur, je dirais.
00:19:25C'est peut-être le calvinisme par rapport au lutheranisme, je dirais.
00:19:31Et on ne sait pas très bien, d'ailleurs, c'est une énigme de savoir
00:19:36si c'est un mouvement qui a été créé par lui,
00:19:39ou si, simplement, il l'a encouragé.
00:19:41Bon, en tout cas, tout est à cause, ce sont des bédouins
00:19:47qui ont professé cette forme plus pure, je dirais, du wahhabisme,
00:19:54et dont il s'est rendu compte qu'il pourrait les utiliser.
00:20:02Il a cherché, en fait, et il a réussi à faire que ces bédouins
00:20:08qui vivent dans une quasi-anarchie,
00:20:11par ce ciment idéologique de l'irouanisme,
00:20:15en fait, il applique de nouveau ce qu'ont fait ses aïeux en 1780,
00:20:21mais il l'applique de nouveau aux bédouins récalcitrants,
00:20:28et il va utiliser ce mouvement qui manque de cohérence,
00:20:33mais qui se rallie à cette forme d'idéologie.
00:20:36Alors, il y a un certain nombre de symboles
00:20:38par lesquels il se distingue du reste de la population,
00:20:45et ça va lui donner une force de frappe,
00:20:48parce qu'il y a cette idéologie qui sert de ciment,
00:20:53et il y a, en même temps, les qualités militaires des bédouins.
00:20:57Il faut voir qu'à un moment donné,
00:20:59Ibn Saoud a pris, vers 1910, une bonne partie des villes,
00:21:04mais il veut aller plus loin,
00:21:06et ces guerriers qui lui sont fidèles,
00:21:08ce sont surtout des citadins,
00:21:11les bédouins lui offrent quelque chose qu'il n'a pas,
00:21:14c'est-à-dire que c'est une force à long rayon d'action.
00:21:16Ce sont des gens qui peuvent faire pour l'Eurasia,
00:21:20ils peuvent aller jusqu'en Irak, ils peuvent aller très loin,
00:21:23et en quelque sorte, cette motivation purement mercenaire,
00:21:29ou de rapine, de butin,
00:21:33il va lui donner une connotation religieuse,
00:21:36et ça lui permettra d'utiliser cette force de frappe
00:21:40pour aller pour ses combats ultérieurs.
00:21:42– Bien, donc, il commence à consolider son pouvoir après les années 10,
00:21:48vers 1912, et puis la Première Guerre mondiale va arriver.
00:21:56Que fait-il à ce moment-là ? Est-ce qu'il prend le parti des…
00:22:00– Alors, c'est assez complexe,
00:22:01il joue encore un double jeu, d'autant que la Turquie,
00:22:06jusqu'en novembre 1914, n'a pas pris position dans la guerre,
00:22:09elle n'entre dans la guerre qu'en novembre 1914.
00:22:12Donc, il demande un traité aux Turcs, et puis finalement il s'adresse aux Anglais.
00:22:16Il y a eu des émissaires britanniques qui ont été le voir,
00:22:19notamment un certain William Shakespeare,
00:22:23personnalité très intéressante, assez fascinante d'aventurier britannique.
00:22:27– Sans eux.
00:22:28– Sans eux, effectivement.
00:22:32Lui succédera plus tard le fameux Philby,
00:22:36qui est le père du grand espion britannique du traître,
00:22:39Kim Philby, qui est une autre personnalité passionnante.
00:22:41– On en a parlé ici.
00:22:42– Et donc, il joue à une sorte de double jeu,
00:22:47il observe finalement, bon, il faut dire que c'est un conflit européen,
00:22:51tout ça c'est très loin, mais il se rend compte,
00:22:54en fait, il cherche toujours à profiter des situations
00:22:57pour en tirer le plus intéressant pour lui,
00:23:01parce que son pouvoir est très fragile.
00:23:03Il s'agit, encore une fois, de profiter de ce grand conflit,
00:23:09du conflit mondial, pour consolider ses positions, voire les étendre.
00:23:13– Alors, une fois que la Turquie rentre en guerre,
00:23:15est-ce qu'il prend vraiment la position ?
00:23:18– Les Turcs n'entrent pas dans son jeu,
00:23:27à tort d'ailleurs, tout ça est quand même un peu lointain pour eux,
00:23:31et finalement les Britanniques, qui eux, comme je vous le disais,
00:23:35ont toute cette suite d'intérêts, d'émirats
00:23:41qu'ils influencent le long de la côte,
00:23:45sont d'autant plus intéressés de signer un traité avec lui
00:23:48et de le soutenir, qu'ils ont des ambitions en Mésopotamie,
00:23:52ils vont lancer une campagne d'ailleurs assez tragique
00:23:56pour essayer de prendre Bagdad,
00:23:59de remonter pour vaincre les Turcs dans la région,
00:24:03et donc ils ont besoin de s'assurer que sur le flanc,
00:24:07il faudrait voir ça sur une carte,
00:24:08mais sur leur flanc, il n'y a pas des menaces
00:24:11et qui auraient pu être incarnées par Ibn Saud et ses hommes,
00:24:17donc ils vont signer un traité avec lui,
00:24:19et ils vont le reconnaître comme émir du Neige de ses dépendances,
00:24:27c'est-à-dire de toute une zone,
00:24:29et ils commencent à lui fournir des subventions,
00:24:33c'est ce qui intéresse le plus Ibn Saud.
00:24:35– Et il se bat contre les Ottomans ?
00:24:38– Non, durant cette phase, les Ottomans se sont repliés en Mésopotamie,
00:24:44donc il n'est pas en contact direct avec eux.
00:24:45– D'accord, donc il n'a pas son Laurence d'Arabie qui est avec lui ?
00:24:48– Il n'a pas son Laurence d'Arabie,
00:24:50alors il a un émissaire britannique, comme je le disais,
00:24:52qui va venir le voir, mais deux ou trois ans plus tard,
00:24:56vers 1917, qui est Philby, mais tout ça est trop loin,
00:25:00les Turcs ne sont pas présents,
00:25:02et il n'a pas de contact dans lequel il pourrait opérer contre eux.
00:25:05En revanche, une fois la Turquie vaincue,
00:25:08il a les mains libres dans la péninsule,
00:25:12et il va se lancer à la conquête du reste du territoire.
00:25:14– Alors, il voit d'un très mauvais œil, tout de même,
00:25:17que grâce en partie à Laurence d'Arabie,
00:25:21les hachimites qu'il déteste ont pris le pouvoir,
00:25:27et on le vend en poupe en fait,
00:25:32et tout ça l'agace énormément, parce que son objectif lointain,
00:25:36c'est celui de ses aïeux,
00:25:40c'est de conquérir l'ensemble de la péninsule arabique,
00:25:43donc le Hejaz et les lieux saints,
00:25:45parce que les lieux saints, c'est le prestige, c'est l'argent,
00:25:49parce qu'il y a les pèlerins qui rapportent beaucoup d'argent,
00:25:52par rapport au trésor qu'il a pour le moment, c'est considérable,
00:25:58et c'est son objectif, il y pense toujours, comme je le disais.
00:26:00Il va entreprendre la conquête des autres régions de la péninsule.
00:26:04– Avec l'appui, c'est là où l'Irwan,
00:26:08ce groupe de mouvements plutôt fanatiques,
00:26:13va être très précieux, parce qu'ils ont un impact psychologique,
00:26:19ils arrivent devant les villes de Hejaz,
00:26:21ils ne font pas de quartier, il faut dire,
00:26:25et leur simple présence psychologique va créer des moments d'effroi,
00:26:30ça a été la technique utilisée d'ailleurs par l'État islamique
00:26:33au Moyen-Orient ces dernières années,
00:26:36c'est-à-dire l'effet psychologique par la terreur,
00:26:39ils vont l'utiliser, ils se méfient de ce mouvement de l'Irwan,
00:26:45ils sentent que c'est un mouvement qu'il va falloir surveiller.
00:26:48– Il va perdre le contrôle.
00:26:50– Il va perdre justement le contrôle plus tard,
00:26:52mais il faut le surveiller comme le lait sur le feu,
00:26:56mais ils l'utilisent avec l'intelligence de l'homme politique qu'il est,
00:27:02à l'occasion en disant non je ne les contrôle pas,
00:27:05à un autre moment ils disent si si je les reprends en main,
00:27:08parce que les britanniques s'inquiètent,
00:27:09et les britanniques s'inquiètent de voir l'émergence de ce mouvement
00:27:12qui lui est indispensable pour conquérir les lieux saints,
00:27:17et d'ailleurs ils vont arriver surtout à Médine et à la Mecque,
00:27:21ils vont détruire un certain nombre de lieux de culte
00:27:25qui avaient été reconstruits,
00:27:26ils vont refaire la mission iconoclaste de leurs aïeux,
00:27:31et ça, ça va choquer beaucoup de gens dans le monde musulman,
00:27:36parce que la nouvelle va arriver,
00:27:37donc Ibn Saoud joue un jeu très délicat, et il va le payer plus tard.
00:27:43– Alors en 24 c'est la prise de la Mecque et de Médine,
00:27:47et donc en 26 il est roi du Hejaz.
00:27:50– Exactement.
00:27:52– Et là il va faire face à une espèce de fronde à ce moment-là ?
00:27:57– Alors oui, cette fronde c'est la fronde,
00:28:00c'est ce que j'ai appelé la fronde de l'Irwan,
00:28:05ces guerriers redoutables qui lui ont permis de garder le Hejaz,
00:28:11et il va y avoir une sorte d'effet boomerang
00:28:14que l'on connaît très bien avec les mouvements islamistes,
00:28:17c'est-à-dire qu'ils vont se retourner contre lui
00:28:19à partir de 28 plutôt, de 28-29,
00:28:22alors ils reviennent après avoir conquis le Hejaz,
00:28:24ils espéraient plus, ils espéraient aller encore plus loin,
00:28:27ils espéraient imposer leur vision de l'islam,
00:28:32et ils espéraient peut-être aller vers la Syrie,
00:28:36non, ils sont obligés de revenir dans leur zone de pâturage traditionnelle,
00:28:41donc c'est un peu les demi-soldes de l'époque,
00:28:44et là ils vont réagir et se retourner contre lui en disant,
00:28:48parce qu'on se tutoie beaucoup dans cette région,
00:28:51Abdelaziz, tu nous as utilisé, tu nous as instrumentalisé,
00:28:56tu nous as promis beaucoup de choses,
00:28:58ceux qui sont morts ils sont au paradis évidemment,
00:29:02mais ceux qui ne sont pas morts,
00:29:03il faut quand même qu'ils ont besoin de, il faut bien vivre,
00:29:07et ils vont se retourner contre Ibn Saoud,
00:29:10et ce sont des moments très, son pouvoir est vraiment très fagile à ce moment-là,
00:29:151929-1930, mais il va réussir par un effort important
00:29:21et soutenu par les britanniques, l'argent des britanniques,
00:29:24et aussi un peu les avions de la RAF,
00:29:27il va réussir à retourner la situation,
00:29:31et à mater cette révolte,
00:29:34mais cette révolte, pour revenir à nous reporter
00:29:38quelques années, bien des années plus tard,
00:29:40existe encore un peu dans l'esprit des gens,
00:29:45et cette idée de trahison finalement par le pouvoir
00:29:50qui a utilisé la religion pour consolider ses positions,
00:29:55pour conquérir des nouvelles terres,
00:29:57et après qu'il va se débarrasser de ces gens qui l'ont servi,
00:30:03est encore assez présente aujourd'hui,
00:30:05et le reproche à la dynastie actuelle
00:30:09lui a été souvent fait, même par les mouvements extémistes,
00:30:13mais pas qu'eux.
00:30:14– Est-ce que le wahhabisme a quand même joué un rôle central
00:30:17dans l'unification du pays ?
00:30:19– Oui, le wahhabisme n'est presque plus un sujet,
00:30:26il s'est imposé, la forme de culte,
00:30:32le wahhabisme est surtout une pratique de la religion,
00:30:38il n'y a pas d'idéologie nouvelle,
00:30:41ce n'est pas comme le chiisme qui est une vraie rupture
00:30:44par rapport au trône principal qui est le sunnisme,
00:30:52donc il n'y a pas de problème,
00:30:55il y a quelques éléments encore du chiisme en Arabie,
00:30:58mais bon, ils ont leur vie, voilà.
00:31:02Donc le wahhabisme, c'est l'interprétation,
00:31:05c'est la façon dont on pratique ce wahhabisme,
00:31:07qui a encore des nuances,
00:31:08d'ailleurs dans cet islam, disons purifié,
00:31:14il y a les plus purs et les un peu moins purs, si vous voulez.
00:31:17– Alors en 1932, il a conquis toute la péninsule,
00:31:22– Absolument.
00:31:23– Et c'est la proclamation, la fondation du royaume d'Arabie saoudite
00:31:27à qui donc il donne vraiment son…
00:31:29– Exactement.
00:31:29– Son nom.
00:31:33– Effectivement, c'est très important à souligner,
00:31:35c'était pas le cas avant, la famille des saouds,
00:31:39parce que lui il s'appelle, son vrai nom c'est Abdelaziz,
00:31:41fils de son père qui est Abdelrahman,
00:31:45et il a pris ce nom Ibn Saoud qui est une référence un peu à cette famille,
00:31:49à la famille des saouds, son aïeul s'appelait Saoud,
00:31:53voilà, Ibn c'est fils, il n'est pas le fils des saouds,
00:31:56mais enfin il descend des saouds,
00:31:58et il va imposer ce nom qui est le nom de sa famille,
00:32:04à ce royaume, et c'est quand même un moment fondateur,
00:32:08parce que c'est le moment où la dynastie des saouds
00:32:12se confond avec le royaume et le pouvoir.
00:32:15– Avec la famille, donc quelle est l'importance d'ailleurs
00:32:17de la famille pour Ibn Saoud ?
00:32:19– La famille d'abord, la famille est d'abord un instrument,
00:32:24alors c'est un instrument de pouvoir,
00:32:28parce qu'on se marie, il se marie, il a beaucoup de femmes,
00:32:33bon il a droit à 4 femmes selon l'islam,
00:32:36mais il les divorce très facilement,
00:32:38et c'est un instrument de conquête,
00:32:40comme les souverains du Moyen-Âge,
00:32:44on épouse pour des raisons politiques,
00:32:46et ça permet de rallier certaines tribus.
00:32:51Mais quand on a beaucoup de femmes,
00:32:53forcément on a aussi souvent beaucoup d'enfants,
00:32:57donc on estime qu'il a eu une quarantaine de fils vivants,
00:33:02une quarantaine de fils vivants, alors il y en a qui sont décédés,
00:33:05son fils, ce que j'ai découvert dans son livre,
00:33:08c'est que son fils préféré était mort de la grippe espagnole en 1918,
00:33:15ainsi que deux de ses autres fils,
00:33:19je signale ça au passage,
00:33:20parce qu'il me semble que c'est très intéressant
00:33:23de voir ce côté personnel,
00:33:25et je pense qu'Ibn Saoud a un sentiment
00:33:30qui est un homme très sûr de lui,
00:33:32finalement, charismatique,
00:33:35mais il a un grand sentiment de la précarité des choses.
00:33:38– Qui est dû à son enfance ?
00:33:39– Qui est peut-être dû à son enfance,
00:33:41à ces morts de son fils préféré,
00:33:46les morts dans sa famille aussi, tout au long des combats,
00:33:51et puis l'hygiène, les problèmes de santé,
00:33:55la précarité de la vie dans le désert,
00:33:58qui est par définition la vie du Bédouin,
00:34:01bien qu'il ne soit pas Bédouin lui-même,
00:34:03il est imprégné de la pensée Bédouine,
00:34:05enfin des comportements Bédouins,
00:34:07et la vie du Bédouin est par définition d'une précarité totale,
00:34:10et je suis convaincu que cette précarité est encore,
00:34:15ce sentiment de précarité est encore à l'arrière-plan aujourd'hui
00:34:19dans les pensées des dirigeants de ses fils.
00:34:22Donc il a 40 fils,
00:34:2340 fils ça fait 40 espoirs,
00:34:29mais ça peut aussi un jour constituer 40 sources de menaces,
00:34:33parce qu'il n'y a pas d'ordre de succession établi,
00:34:37il n'y a pas de primogéniture, tout ça est très vague.
00:34:42D'ailleurs pour revenir en arrière, le prophète Mahomet,
00:34:46on m'a souligné c'était lui-même,
00:34:49n'avait pas désigné de successeur,
00:34:51ce qui a été un grand problème à l'époque de sa mort,
00:34:55et ce qui a donné ce qu'on appelait la grande discorde
00:35:00entre les différentes, au sein de l'islam.
00:35:04Et donc on retrouve cette situation,
00:35:05c'est-à-dire qu'il a 40 fils, il n'y a pas d'ordre de succession.
00:35:08Et très tôt, je dirais vers les années 30,
00:35:10cette question de sa succession,
00:35:12parce que finalement il n'est plus homme qu'il a été,
00:35:16le combattant qu'il a été dans les années 20,
00:35:19il commence à vieillir,
00:35:21tout le monde est frappé d'ailleurs par ce changement chez lui.
00:35:26Il continuera à avoir des enfants très tard par contre,
00:35:29mais ce qui le rassure quand même,
00:35:32et ce qui est un moyen pour lui de montrer qu'il est là,
00:35:36il est encore dans le coup.
00:35:38Mais il se préoccupe très vite de sa succession.
00:35:42– Il a joué aussi, alors ce qui est étonnant,
00:35:43c'est qu'il fonde ce royaume à partir de l'unification
00:35:46de différents territoires, traversé par les Bédouins,
00:35:48donc il joue un rôle central dans l'élaboration de l'identité
00:35:52finalement de l'Arabie Saoudite.
00:35:55Mais est-ce qu'on peut dire qu'il y a une identité saoudienne
00:35:57au niveau du pays ?
00:35:59Est-ce qu'il y a une vraie nation ?
00:36:03– Je pense qu'aujourd'hui oui, tout ce que j'entends,
00:36:08cette nation dont les frontières d'ailleurs nord ont été définies,
00:36:15et même les frontières, oui, l'ensemble des frontières
00:36:18ont été définies souvent par un coup de crayon rouge,
00:36:21par un officiel britannique.
00:36:23Je crois qu'il y a un sentiment très fort de nation,
00:36:29peut-être un minima parce que les tribus finalement,
00:36:33ils voient leur intérêt.
00:36:35Les tribus voient l'intérêt parce qu'elles ont besoin,
00:36:39elles ont pris goût à l'argent finalement.
00:36:42– Enfin à l'époque il n'y a pas encore d'argent.
00:36:43– Il n'y a pas d'argent, mais elles ont finalement accepté
00:36:47que le système anarchique qui était celui fondé quand même sur l'Arasia
00:36:53ne pouvait pas fonctionner très longtemps,
00:36:55et qu'Ibn Saoud leur apportait la sécurité et éventuellement de l'argent.
00:37:03– Et une stabilité.
00:37:04– Une stabilité, exactement.
00:37:05– Alors justement, quelles sont lui ses priorités
00:37:07en matière de politique intérieure, voire de développement social ?
00:37:12Quels étaient les revenus finalement de l'Arabie à l'époque ?
00:37:16– La réalité c'est que sa priorité dans les années 30,
00:37:19à partir du moment où il est installé au pouvoir,
00:37:22avant il s'agit de faire la guerre, donc c'est différent, il s'agit de surveiller.
00:37:26La priorité c'est de pouvoir obtenir de l'argent des occidentaux,
00:37:32des puissances occidentales, il n'y a pas encore de pétrole.
00:37:35Sa priorité c'est d'obtenir de l'argent pour pouvoir justement
00:37:39maintenir ses tribus et leur assurer des revenus.
00:37:44Il règne à coup de dons et de subventions, c'est absolument…
00:37:49– Donc le pays est sous perfusion.
00:37:50– Le pays est totalement sous perfusion et c'est dans ces conditions d'ailleurs
00:37:56qu'il octroie une concession pour des recherches pétrolières aux Américains.
00:38:02La réalité c'est qu'il n'a aucune idée de ce que ça pourrait représenter
00:38:07mais sur le moment les Américains lui offrent un chèque de,
00:38:12je crois que c'est, je ne me souviens plus le montant,
00:38:14c'est de 50 000 dollars et qu'il est ravi et que ça lui résout
00:38:18certains de ses problèmes de trésorerie immédiate.
00:38:21En dehors de ça, c'est une cavalerie permanente.
00:38:24Il y a quand même des impôts qui rentrent,
00:38:27il y a le commerce qui est principalement à l'ouest,
00:38:31c'est-à-dire à Jeddah dans les Djaz,
00:38:33et puis il y a les ressources qui reviennent du pèlerinage.
00:38:38Comme je disais, les pèlerins dépensent énormément
00:38:42et ce sont des ressources pour le trésor royal.
00:38:46– Alors le tournant majeur dans l'histoire d'Imsaoud et de l'Arabie Saoudite,
00:38:49ça va être la découverte du pétrole en 1938 par les Américains.
00:38:55– Oui, absolument.
00:38:57– Comment cette découverte va-t-elle changer sa stratégie économique,
00:39:03diplomatique et ses priorités ?
00:39:06– Le pétrole, cette découverte, il va la fructifier,
00:39:16ça va mettre à peu près une dizaine d'années pour que ça devienne…
00:39:19C'est après la guerre, là on voit les chiffres,
00:39:21il y a une accélération extraordinaire de la production,
00:39:25c'est la manne divine en fait qui tombe,
00:39:29et le changement radical c'est après la Deuxième Guerre mondiale.
00:39:33Pour des raisons assez complexes,
00:39:36les Américains n'ont plus les moyens de forer, il y a d'autres priorités,
00:39:40il n'y a plus de transport, il n'y a plus de tankeurs,
00:39:43il n'y a plus assez de tankeurs pour transporter le pétrole,
00:39:46donc pendant la guerre c'est un peu une parenthèse.
00:39:49Mais c'est après la guerre que véritablement ce pétrole
00:39:54va commencer à jouer un rôle essentiel
00:39:56et ils vont se rendre compte progressivement
00:39:59que c'est une ressource extraordinaire pour le pays.
00:40:04Ce qui n'empêche pas que le pays va rester extrêmement conservateur
00:40:10sur le plan des mœurs, sur le plan de la vie sociale, même de l'éducation.
00:40:16Dès que les Américains lui parlent de créer des écoles,
00:40:22parce qu'ils ont besoin de personnel surtout à mesure que le pétrole se développe,
00:40:26le Saoud est extrêmement réticent,
00:40:28le taux de scolarisation de l'Arabie Saoudite,
00:40:33disons après la guerre de 40, disons en 45, est ridiculement faible.
00:40:39Et donc il y avait un rêve un peu qui va se révéler,
00:40:43d'ailleurs c'est un peu la publicité que fait la compagnie pétrolière
00:40:49qui s'appelle l'Aramco, qui est la compagnie américano-saoudienne de pétrole,
00:40:56qui sont des grands défenseurs de l'Arabie Saoudite
00:40:58et donc ils font beaucoup de communications aux Etats-Unis, sur le royaume,
00:41:02ils parlent de la modernisation du pays, ils font du blanchiment en fait,
00:41:07pour être clair.
00:41:08Mais la réalité, alors il y a effectivement une usine de Coca-Cola à Riyadh en 1951,
00:41:16il y a un stade de football, mais le pays reste très arriéré par ailleurs.
00:41:25– Très archaïque.
00:41:26– Très archaïque, très archaïque, il n'y a absolument pas…
00:41:28L'idée que le progrès économique allait entraîner un progrès social est totalement fausse.
00:41:35– Et toujours les richesses sont captées par la famille ?
00:41:37– Les richesses sont largement captées par la famille, la famille est tendue,
00:41:44mais on continue à entretenir la population par le biais de subventions.
00:41:50– Et comment ils négocient les premiers accords avec les compagnies pétrolières qui arrivent ?
00:41:55– Alors le premier accord, il y a eu des négociations dès le début des années 1920
00:42:00qui n'avaient rien donné, mais le premier véritable accord c'est en 1932,
00:42:05alors il y a deux candidats, les britanniques par leur grande compagnie pétrolière
00:42:10qui est l'HERAC PETROLEUM qui donnera BP, et puis les américains qui sont…
00:42:20Alors ça a commencé pour être précis parce qu'on a découvert du pétrole sur l'île de Bahreïn,
00:42:25Bahreïn c'est une petite île qui se trouve en face de la côte,
00:42:29et là il y a une véritable découverte, et les gens se disent
00:42:33mais en face de la côte de la péninsule, théoriquement il devrait y en avoir.
00:42:39Mais 1932 c'est un accord, on ne sait pas du tout s'il y aura du pétrole.
00:42:45– Ils ont découvert en 1938.
00:42:47– Il faut dire que les hommes du pétrole ce sont les aventuriers modernes,
00:42:50ce sont des gens qui prennent des risques,
00:42:52et il va signer cet accord qui donne une concession,
00:42:55alors c'est assez compliqué parce qu'il va falloir convaincre les religieux
00:42:58qui ont encore leur mot à dire quand même, d'octroyer cette concession,
00:43:03parce qu'on accueille quand même des ingénieurs américains
00:43:06qui sont entre guillemets des mécréants sur le sol saoudien.
00:43:09C'est assez compliqué mais très vite sur le plan religieux,
00:43:12d'ailleurs les religieux cèdent à tout ce que demande Ibn Saoud.
00:43:17– Je disais en traduction qu'il discutait d'égal-égal avec Churchill, Roosevelt,
00:43:23comment il gère les relations internationales après la guerre ?
00:43:26– Après la guerre, d'abord il les a gérées de manière extraordinaire,
00:43:30je dirais pour un petit roi tollé avant même la première guerre mondiale,
00:43:36il s'est montré un grand homme politique,
00:43:37et il est très à l'aise dans la gestion des relations internationales,
00:43:42il écrit à Roosevelt plusieurs lettres,
00:43:45surtout à partir du moment où il y a des incidents
00:43:48où il s'oppose à la question de la Palestine,
00:43:50et c'est là où il commence à réagir en s'opposant à la colonisation sioniste,
00:43:57mais durant la guerre, il s'oppose fortement
00:44:04à la question des relations avec les Britanniques et les Américains,
00:44:09pour plusieurs raisons, un, pour le pétrole,
00:44:14avenir qui n'est pas en commun,
00:44:15mais les hommes du pétrole qui sont représentés à Washington
00:44:19font un lobbying intense pour qu'on aille plus loin dans ces accords,
00:44:23deux, pour la question de Palestine,
00:44:26et trois aussi parce qu'on craint du côté des alliés l'avenir,
00:44:32et surtout l'émergence et la présence de l'URSS,
00:44:35donc c'est dans ces conditions qu'il rencontre Roosevelt en Égypte en 1945,
00:44:43c'est la fameuse rencontre à bord du croiseur américain Quincy,
00:44:49et il rencontre Churchill dans la foulée,
00:44:51on a appelé ça, je reste brièvement là-dessus,
00:44:54on a appelé ça, à tort, le pacte de Quincy,
00:44:57on a dit qu'il y avait eu un accord écrit qui a été renouvelé 60 ans après,
00:45:01c'est quelque chose qu'on trouve dans tous les livres et qui est faux,
00:45:04qui a été dénoncé par le grand orientaliste français Henri Laurence
00:45:08il y a quelques années, et qui effectivement,
00:45:10on a beau creuser, il n'y a pas eu d'accord,
00:45:12il n'y a rien de précis, il y a eu une conversation,
00:45:14des discussions orales, mais sans que…
00:45:18alors c'est une diplomatie, Roosevelt est un adepte
00:45:22de cette forme de diplomatie un peu filandreuse,
00:45:24où l'on discute, où l'on signe pas grand chose,
00:45:26et Ibn Saoud l'est encore plus.
00:45:29– Alors malheureusement le temps nous est compté,
00:45:32il disparaît en 1953, dans quel état laisse-t-il,
00:45:40très rapidement, dans quel état laisse-t-il l'Arabie Saoudite,
00:45:43et est-ce que, on va faire vraiment un saut dans le temps,
00:45:45est-ce que sa vision continue à influencer la politique actuelle du pays ?
00:45:52On peut parler même de MBS, est-ce qu'il se réfère toujours…
00:45:55– Il laisse le pays un peu dans l'incertitude,
00:45:58puisque comme je vous le disais,
00:45:59il n'y a pas d'ordre de succession établi,
00:46:01mais finalement c'est son fils aîné qui est un personnage assez médiocre
00:46:05qui va prendre le pouvoir, qui s'appelle Saoud,
00:46:08d'ailleurs pour référence on le trouve dans Tintin,
00:46:11c'est un des émirs qui a des lunettes noires,
00:46:15des petites lunettes noires, il a inspiré Tintin, il a inspiré Hergé,
00:46:21mais il y a des rivalités familiales,
00:46:25en fait il s'en va un peu en disant, écoutez, débrouillez-vous,
00:46:29la suite, ça ne me regarde pas.
00:46:32Et d'où ces incertitudes,
00:46:35parce que Faisal va renverser, le deuxième fils va renverser son frère,
00:46:40Faisal, fils d'Abin Saoud, pas le Faisal de Laurence d'Arabie
00:46:45dont nous avons parlé la semaine dernière,
00:46:47mais va le renverser.
00:46:49Faisal sera lui-même assassiné par quelqu'un de sa famille
00:46:53autour de la question de Palestine d'ailleurs,
00:46:57et le dirigeant actuel, Mohammed bin Sandman,
00:47:01et donc, on voit que c'est très proche,
00:47:04on a donc un petit-fils d'Abin Saoud.
00:47:07Je m'intéressais, je regarde par exemple les images qu'on voit sur internet,
00:47:11lorsqu'on voit Mohammed bin Sandman recevoir des gens,
00:47:15il y a toujours derrière lui le portrait de son grand-père Abin Saoud,
00:47:18donc qui est la référence absolue, parce que ce n'est pas son père,
00:47:22il aurait pu mettre le roi Sandman qui est le roi actuel,
00:47:25non, c'est Abin Saoud qui est présent
00:47:29et qui joue un rôle qui a une grande influence sur,
00:47:33je crois, le pays aujourd'hui.
00:47:36Avec cette incertitude et cette, je parlais de précarité,
00:47:40au XIIIe, au XIVe siècle,
00:47:43il y avait un grand historien tunisien dont je recommande la lecture
00:47:47qui s'appelait Ibn Khaldun,
00:47:49qui est le fondateur de l'histoire dans le monde musulman,
00:47:54et qui disait qu'une monarchie dure 4 générations.
00:48:02Au-delà, c'est fini, ça finit, voilà.
00:48:04Nous en sommes à la troisième avec Mohammed bin Sandman.
00:48:08– Écoutez, l'avenir nous le dira,
00:48:09en attendant je renvoie à la lecture pour en savoir beaucoup plus,
00:48:12il y en a tellement à dire sur Ibn Saoud,
00:48:15seigneur du désert, roi d'Arabie, paru aux éditions Perrin.
00:48:19Merci infiniment Christian Destremo,
00:48:22c'était Passer Présent, l'émission historique de TVL,
00:48:25réalisée en partenariat avec la revue d'Histoire Européenne.
00:48:29Vous allez maintenant retrouver Christophe Erlan et La Petite Histoire,
00:48:33mais avant de nous quitter, n'oubliez pas bien sûr
00:48:35de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
00:48:37et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
00:48:39Merci et à bientôt.
00:48:40– Générique –
00:49:02Aujourd'hui, on va parler d'une histoire à la fois dramatique et amusante,
00:49:07à la fois noble et pathétique,
00:49:11le vol du cercueil de Pétain.
00:49:13– Générique –
00:49:36Le vol, ou en tout cas l'enlèvement du cercueil du maréchal Pétain
00:49:39a eu lieu dans la nuit du 18 au 19 février 1973
00:49:44au cimetière de Port-Joinville,
00:49:46à l'île-dieu, là où est enterré le maréchal.
00:49:48Il a été réalisé par un commando de 6 hommes
00:49:52qui avait pour but de réhabiliter le maréchal Pétain,
00:49:55mais aussi surtout de transférer sa dépouille
00:49:58à l'ossuaire de Douaumont, près de Verdun.
00:50:00Car oui, on va revenir un peu sur le contexte juste avant,
00:50:03puisque, comme vous le savez,
00:50:05Pétain a été jugé en juillet et août 1945.
00:50:09Il a tout d'abord été condamné à mort, puis à l'indignité nationale.
00:50:13Ensuite, le général de Gaulle a commué sa peine en perpétuité.
00:50:17Il a donc été incarcéré au fort de la Citadelle, sur l'île-dieu.
00:50:22Et en juin 1951,
00:50:24eut égard à son état de santé,
00:50:26il a été transféré dans une petite maison,
00:50:28toujours sur l'île, juste à côté du fort.
00:50:31C'est dans cette maison qu'il décède un mois plus tard,
00:50:33le 23 juillet 1951,
00:50:36et le surlendemain, il est enterré dans le cimetière de la petite commune,
00:50:40alors qu'il avait demandé dans son testament en 38
00:50:44d'être enterré à Verdun, au milieu de ses hommes.
00:50:47Ça lui sera toujours refusé, et ça le sera par la suite,
00:50:50à tous ses défenseurs,
00:50:52et tous les présidents de la République ont fait de belles promesses,
00:50:55notamment de Gaulle, qui avait fait de belles promesses à ce sujet,
00:50:58il n'en a rien été, Pompidou, c'est pareil,
00:51:01donc ça a remonté quelque peu ses militants,
00:51:04et bien là, nous sommes en 73,
00:51:06et ses hommes décident de passer à l'action.
00:51:08La tête pensante de cette opération,
00:51:10c'est l'avocat Jean-Louis Tixier Vignancourt.
00:51:13En janvier 73, il se rend tout seul sur l'île-dieu pour faire quelques repérages,
00:51:19notamment regarder les horaires de ferry, parce qu'il y a une marée,
00:51:22on ne peut pas accéder à l'île, on ne peut accéder à l'île que par le ferry.
00:51:25Ensuite, lui ne va pas y participer,
00:51:27mais il monte toute cette opération avec un certain Hubert Massol,
00:51:30qui est l'un de ses bras droits,
00:51:32qui fait appel lui-même à cinq autres personnes,
00:51:35dont un artisan funéraire,
00:51:37ben oui, il faut bien savoir comment ouvrir le tombeau, etc.
00:51:39On décide que l'opération se fera dans la nuit du 18 au 19 février,
00:51:44soit quelques semaines avant les élections législatives,
00:51:46histoire de faire du bruit, de réhabiliter Pétain,
00:51:49et aussi, surtout, deux jours avant le 21 février,
00:51:52qui est la date anniversaire de la bataille de Verdun.
00:51:55Tout commence le 16 février,
00:51:57Il y a de la fumée, là.
00:51:59Tout commence le 16 février,
00:52:01une de leurs complices, Solange Bosch,
00:52:03oui, Solange Bosch,
00:52:05il y a des noms, ils ne s'inventent pas.
00:52:07Solange Bosch se rend sur l'île avec une estafette de location,
00:52:11une petite Renault estafette,
00:52:13prétendant aller au marché, ce qu'elle fera d'ailleurs,
00:52:16mais quelques jours plus tard, elle repart de l'île à pied,
00:52:19en laissant la camionnette sur place.
00:52:21Ensuite, les cinq autres membres arrivent comme simples passagers
00:52:24par le ferry, le dimanche,
00:52:26et ils s'installent à l'hôtel des voyageurs.
00:52:28Le soir même, enfin, dans la nuit de dimanche à lundi,
00:52:31avec Hubert Massol, ils décident de passer à l'action,
00:52:34donc ils montent à bord de leur Renault estafette,
00:52:36ils se dirigent vers le cimetière,
00:52:38là, ils éteignent le moteur, ils éteignent les feux,
00:52:40ils ouvrent la grille et pénètrent dans le cimetière
00:52:43en faisant très attention,
00:52:45surtout que la gendarmerie est située juste à côté du cimetière,
00:52:48et d'ailleurs, il y a des fenêtres de la gendarmerie
00:52:51qui donnent directement sur le cimetière.
00:52:53Malgré tout, ils sont prudents, ils ouvrent le tombeau avec une barre à mine,
00:52:57ils sortent le cercueil, le mettent dans l'estafette,
00:53:00et ensuite, ils prennent soin de bien refermer le cercueil,
00:53:03ils refont même les joints avec du béton,
00:53:06ils nettoient un peu aux alentours les graviers pour ne pas laisser de traces,
00:53:10et ils s'en vont dans le plus grand silence.
00:53:12À ce moment-là, ils retournent à l'hôtel,
00:53:14ils y boivent un petit coup de champagne pour fêter ça,
00:53:17et ensuite, à 4h du matin, ils reprennent le ferry en direction du continent.
00:53:21Le problème, c'est que vers 9h, dès le lendemain matin,
00:53:24vers 9h, l'employé municipal fait sa ronde habituelle dans le cimetière.
00:53:29Comme il y a une équipe sportive qui a été probablement
00:53:33circulée autour de la tombe de Pétain la nuit,
00:53:36puisque c'est l'une des seules attractions de l'île,
00:53:39l'employé municipal passe faire un tour près de la tombe du maréchal,
00:53:43et là, il trouve qu'elle est étrangement propre.
00:53:46Il ne lui faudra pas longtemps pour se rendre compte
00:53:48que les joints sont tout frais, qu'ils ont été refaits.
00:53:51Il va alors tout de suite appeler la gendarmerie,
00:53:53ils vont appeler le préfet, le procureur de la République,
00:53:56ils vont informer également le ministre de l'Intérieur.
00:53:59Le préfet et le procureur de la République se rendent immédiatement sur l'île
00:54:03avec un hélicoptère, et ils ne vont pas s'emmerder à attendre les horaires de ferry.
00:54:07Et là, le vol est constaté, on ouvre le tombeau, et il n'y a rien.
00:54:11Ce qui est assez amusant, c'est que, bon, c'est un hasard total,
00:54:13mais l'une des premières pistes envisagées par les autorités
00:54:16est un coup monté par les collaborateurs réfugiés en Espagne franquiste.
00:54:21Pourquoi ? Tout simplement parce que pour reboucher le trou fait par la baramine
00:54:26dans la tombe de Pétain,
00:54:27nos six hommes ont utilisé un journal qui traînait dans les stafettes,
00:54:31et il s'avère, par pur hasard, que c'était un journal espagnol.
00:54:34Donc quand les gendarmes retrouvent ça, ils se disent,
00:54:37eh bien, ça peut venir de l'Espagne franquiste,
00:54:40et c'est là leur première piste.
00:54:41Pendant ce temps, nos six hommes, eh bien, ils font route,
00:54:45ils sont arrivés sur le continent,
00:54:46ils font route en direction de Verdun avec leurs stafettes,
00:54:49ils pensent que rien ne s'est passé, que tout va bien.
00:54:53Vers midi, ils s'arrêtent dans un restaurant en bord de route,
00:54:56et là, ils apprennent par la radio que le vol a été constaté,
00:55:00et on en parle partout, à la radio, à la télé,
00:55:03les journaux, ce sera le lendemain, mais en tout cas, on en parle beaucoup.
00:55:05Là, évidemment, eh bien, ils se retrouvent un peu comme des cons,
00:55:08donc déjà, ils ont manqué un rendez-vous chez un noble,
00:55:11je ne vais pas rentrer dans les détails,
00:55:12en plus, là, ils décident carrément d'abandonner la destination de Verdun
00:55:16parce que c'est trop risqué,
00:55:17et ils décident donc de se diriger vers Paris,
00:55:20et ils y arrivent dans l'après-midi.
00:55:21Là, Hubert Massol va trouver Tixier-Vignancourt pour savoir quoi faire,
00:55:26mais le domicile et le bureau de Tixier-Vignancourt est surveillé,
00:55:30il est sous surveillance policière,
00:55:32donc on s'organise comme on peut,
00:55:34et là, on place le cercueil, on va cacher le cercueil,
00:55:37après lui avoir fait descendre symboliquement les Champs-Élysées avec les stafettes,
00:55:41on va cacher le cercueil dans un vulgaire box de la banlieue parisienne à Saint-Ouen.
00:55:47Évidemment, l'affaire fait la une de la presse,
00:55:49on en parle partout, à la télé, à la radio, dans les journaux,
00:55:53et les autorités n'aiment pas trop,
00:55:55ils veulent régler cette affaire au plus vite
00:55:56parce qu'on est en pleine campagne électorale
00:55:58et ils n'ont pas envie de voir leur bonne petite campagne de politicards
00:56:02polluées par ce sujet,
00:56:04avec à la clé la réhabilitation de Pétain et l'idée de son transfert à Verdun.
00:56:09D'ailleurs, Verdun est totalement bouclé,
00:56:11il y a des barrages de police,
00:56:12évidemment, on surveille les endroits clés.
00:56:14Mais on ne sait pas encore qui a fait le coup,
00:56:16on se demande encore à l'époque
00:56:17est-ce que c'est une provocation de l'extrême gauche
00:56:20ou bien est-ce que c'est des nostalgiques de Pétain qui ont fait le coup,
00:56:23pour l'instant, on ne sait rien.
00:56:24Mais l'enquête progresse assez vite,
00:56:26grâce au relevé des véhicules qui ont pris le ferry,
00:56:29grâce à ça, on parvient à identifier la camionnette,
00:56:32on remonte jusqu'à la commerçante,
00:56:34ensuite, on va même remonter jusqu'à l'artisan funéraire,
00:56:37ces gens-là sont interrogés,
00:56:39arrêtés, et on commence à avoir une idée de qui a fait le coup.
00:56:42Tout le monde parle de Tixier Vignancourt
00:56:44comme étant la tête pensante de cette opération,
00:56:47là, il y a un avocat, l'avocat de Pétain,
00:56:49et rival de Tixier Vignancourt, Jacques Isorny,
00:56:52qui va le trouver et qui le somme d'arrêter tout ça.
00:56:55Tignancourt doit prendre une décision,
00:56:57il appelle alors Hubert Massol et il décide d'en finir.
00:57:00Massol organise alors une conférence de presse,
00:57:03dans un café, il convoque les journalistes,
00:57:04et là, il annonce qu'il ne dévoilera
00:57:07la position de la dépouille de Pétain
00:57:10qu'à condition d'avoir une attestation écrite
00:57:12du président de la République, Georges Pompidou,
00:57:15que Pétain sera transféré aux Invalides
00:57:17en attendant que sa dépouille soit transférée
00:57:20à l'ossuaire de Douaumont à Verdun.
00:57:22A l'issue de cette conférence de presse,
00:57:23Massol est arrêté, il est acculé de questions,
00:57:26et sous la pression, il finit par avouer
00:57:30où se trouve le cercueil,
00:57:31à condition d'être accompagné de journalistes et de photographes.
00:57:34On lui accorde cette demande,
00:57:37et il va donc, en compagnie de la police et des journalistes,
00:57:40à Saint-Ouent pour ouvrir le fameux box.
00:57:42Évidemment, Georges Pompidou ne cédera pas au chantage,
00:57:46c'était une opération assez maladroite.
00:57:48Certes, il y avait un but noble,
00:57:50le transfert de Pétain à Verdun,
00:57:51comme il le voulait dans son testament,
00:57:54et en tant qu'héros de Verdun, c'est bien légitime,
00:57:57mais à l'époque, vous connaissez la République,
00:57:59cette affaire est absolument sensible,
00:58:02trop dangereuse, qui plus est, juste avant les élections.
00:58:06Évidemment, Pompidou ne va céder, ne va pas céder,
00:58:09et le cercueil sera aussitôt embarqué en ambulance,
00:58:13puis conduit en hélicoptère Puma à l'île-dieu.
00:58:17La cérémonie réunira quelques curieux,
00:58:19mais aussi des anciens combattants,
00:58:21et il sera réunimé à nouveau sur l'île-dieu.
00:58:27Georges Pompidou fera envoyer des fleurs,
00:58:29qu'il fera déposer sur la tombe,
00:58:32pour le geste,
00:58:33mais néanmoins, on ne veut surtout pas que ça vire à l'affaire d'État,
00:58:37et bien d'ailleurs, tous les complices de cette opération
00:58:40ne seront absolument pas inquiétés,
00:58:42ils seront brièvement incarcérés, mais relâchés aussitôt,
00:58:45il n'y aura pas de procès, pas de condamnation, on va en finir.
00:58:48Évidemment, ni la justice, ni le gouvernement
00:58:51ne souhaitaient ouvrir un procès aussi médiatique
00:58:54qui permettrait de réhabiliter Pétain,
00:58:56de reparler à nouveau de Pétain, de rouvrir cette plaie.
00:59:00Allons-nous éternellement entretenir saignantes
00:59:04les plaies de nos désaccords nationaux ?
00:59:07Le moment n'est-il pas venu de jeter le voile,
00:59:10d'oublier ces temps où les Français ne s'aimaient pas,
00:59:14s'entredéchiraient, et même s'entretuaient ?
00:59:17Ce qu'on peut en conclure, c'est que, comme je l'ai dit,
00:59:19c'était une opération avec un but noble,
00:59:22mais les personnes ayant participé à cette opération
00:59:25ne l'avaient pas tous, ce but noble,
00:59:28et elle a été menée avec un certain amateurisme.
00:59:30Il y a eu un rendez-vous raté avec un noble,
00:59:32il y a eu cette vulgaire affaire du boxe de Saint-Ouen,
00:59:36à noter qu'Hubert Massol, lorsqu'il était sur l'île,
00:59:40en a profité pour envoyer des cartes postales depuis l'île-dieu,
00:59:44il y a ce journal, enfin voilà, c'était une affaire assez amateur,
00:59:48et je ne sais plus qui parmi cette bande a d'ailleurs
00:59:50gravé ses initiales au couteau sur le cercueil de Pétain,
00:59:53c'est assez limite comme hommage.
00:59:55Et puis quelle naïveté de penser que,
00:59:57en mettant le couteau sous la gorge de Pompidou,
00:59:59on pourrait obtenir ce qu'on voulait.
01:00:01Sachez qu'il existe un documentaire de France 3 sur le sujet,
01:00:05qui s'appelle On a volé le maréchal,
01:00:07réalisé par Cédric Condom
01:00:09et écrit par l'historien Jean-Yves Le Nahour.
01:00:12Bon, je peux vous conseiller ce documentaire
01:00:15si vous souhaitez voir des images d'archives
01:00:17et vous voir compter toute cette histoire,
01:00:19mais il est assez engagé politiquement,
01:00:22évidemment contre Pétain,
01:00:24et il est aussi assez méprisant,
01:00:26extrêmement méprisant,
01:00:28à la fois pour ses hommes, les hommes de ce commando,
01:00:30qui sont tournés au ridicule,
01:00:32mais bon, même s'il y a des raisons,
01:00:34mais aussi en faveur des gens qui se rappellent
01:00:36du Pétain de XIV, des anciens combattants.
01:00:38C'est teinté de mépris,
01:00:40et au final, à la fin de ce documentaire,
01:00:42eh bien on se réjouit presque,
01:00:44enfin même pas presque, la voix off se réjouit
01:00:46que Pétain finisse par tomber dans l'oubli.
01:00:48Donc voilà, vous faites ce que vous voulez,
01:00:50on a mes consciences,
01:00:52si vous voulez aller voir ce documentaire, allez-y,
01:00:54mais je vous ai quand même raconté
01:00:56l'essentiel de cette affaire rocambolesque.
01:00:58Merci à tous d'avoir suivi
01:01:00ce nouvel épisode de La Petite Histoire,
01:01:02très plaisant à raconter,
01:01:04j'espère que ça vous a plu,
01:01:06si vous voulez faire découvrir
01:01:08cette petite affaire amusante et symbolique
01:01:10à vos amis, eh bien partagez la vidéo,
01:01:12n'oubliez pas d'aimer la vidéo
01:01:14juste en dessous, sur Youtube,
01:01:16pour permettre un meilleur référencement,
01:01:18une meilleure visibilité,
01:01:20et de soutenir TV Liberté,
01:01:22la première chaîne de réinformation de France,
01:01:24avec son émission La Petite Histoire,
01:01:26évidemment. Je vous dis à la semaine prochaine,
01:01:28mardi, à bientôt.

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