La galeriste Nathalie Obadia vient de publier un nouvel ouvrage, Figure(s) de l'art contemporain, des esprits conquérants, aux éditions Le Cavalier Bleu. À travers une analyse pointue de ce secteur, elle met en lumière un univers interconnecté et interdépendant, marqué par 24 figures majeures, parmi lesquelles les artistes Francis Bacon et Gerhard Richter, mais aussi des commissaires d'exposition comme Harald Szeemann et des galeristes tels que Larry Gagosian.
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00:00La galeriste Nathalie Obadia vient de publier un nouvel ouvrage avec son analyse pointue
00:09du monde de l'art contemporain, figure de l'art contemporain des esprits conquérants
00:14aux éditions Le Cavalier Bleu, voilà sur ça un monde interconnecté au sein duquel
00:19se trouvent 24 figures majeures, merci beaucoup d'être avec nous.
00:23Bonjour et merci.
00:24Alors ce livre commence plutôt dans les années 60, vous parlez d'une rupture dans les années
00:2860 dans le monde de l'art contemporain, est-ce que tout d'abord vous pouvez nous expliquer
00:32pourquoi commencer par les années 60, qu'est-ce qui s'est passé dans ces années-là comme
00:36changement majeur dans le monde de l'art contemporain ?
00:38Alors je dirais qu'il y a eu un changement majeur qui est visible, très visible, qui
00:43s'est concrétisé avec la pratique beaucoup plus généralisée d'art conceptuel, de l'art
00:52minimal, c'est-à-dire qu'il y a un éclatement total par rapport à la peinture, par rapport
00:57à la sculpture, bien entendu on peut revenir à Marcel Duchamp qui a commencé beaucoup
01:01plus tôt en 1917, mais avec évidemment du Renoir et des oeuvres emblématiques, mais
01:05là il s'agit d'une organisation, de cette nouvelle approche plastique avec notamment
01:11des curateurs, l'entrée dans ce monde de l'art contemporain, de nouveaux métiers,
01:17on va plus loin que le conservateur qui est chargé de conserver des oeuvres classiques
01:22dans un musée, là il s'agit de jeunes chercheurs ou de conservateurs qui vont vers
01:27les avant-gardes pour inventer des nouvelles manières justement de montrer un art qui
01:32n'est plus simplement une manière d'accrocher un tableau au mur et donc notamment la grande
01:36exposition « Les attitudes deviennent formes » en 1969 au musée de Berne à l'époque
01:41est montée par un conservateur qui deviendra le symbole du grand curateur qui est Harald
01:47Zeeman et justement un marqueur très important.
01:49Et justement vous avez choisi 24 figures, est-ce que vous pouvez nous expliquer comment
01:55vous avez choisi ces 24 figures ? Donc effectivement il y a plusieurs artistes, curateurs et d'autres
02:00personnages qui sont collectionneurs, marchandards, galeristes, investis dans ce monde de l'art
02:04contemporain, comment est-ce que vous avez choisi ces 24 figures ?
02:06Alors il s'est, 50 ans après, j'ai voulu faire le portrait de destinées qui ont marqué
02:16justement ce monde de l'art contemporain au sens large, économique, culturel, géopolitique
02:23et qui sont restés influents ou qui restent influents.
02:25Encore aujourd'hui malgré leur décès ? Malgré leur décès ou le fait qu'ils soient
02:29très âgés pour certains.
02:31Pour revenir à Harald Zeeman, voilà c'est la figure symbolique du rôle de curateur
02:36qui a marqué d'autres personnalités comme Ocuwe Nvesior, premier afro-descendant à
02:43avoir justement été à la tête de grandes expositions ou de personnalités beaucoup
02:50plus jeunes.
02:51Pour les artistes c'est aussi bien Gerhard Richter, le peintre allemand qui aujourd'hui
02:55a 90 ans mais qui pour des raisons historiques, aussi le fait que justement dans un monde
03:00où la peinture était regardée d'une manière plus marginale, lui a réussi à imposer la
03:05figure d'un artiste allemand après 1945 avec justement une pratique de la peinture
03:12et qui va au-delà.
03:13Quand on lit ses écrits, quand on le regarde, on voit bien qu'il a une figure presque messianique
03:18on va dire par rapport à la scène de l'art contemporain et aussi pour des collectionneurs
03:22pour parler par exemple de François Pinault qui justement a réveillé la visibilité
03:28de la France sur la scène de l'art contemporain en devenant un des acheteurs principaux au
03:33niveau mondial de l'art d'avant-garde et aussi en ouvrant évidemment des fondations
03:38ou des collections à Paris et à Venise.
03:41Oui parce que pour les artistes, c'est vrai que les autres, on voit bien comment est-ce
03:44qu'ils ont agi.
03:45Pour les artistes, c'est vraiment des, vous avez cité Richter, Invader aussi, Jeff Koons,
03:50ce sont des artistes qui sont allés au-delà de leurs pratiques artistiques, pour vous
03:53ce sont des artistes qui ont pu avoir un ruissellement, qui ont pu avoir un impact sur leur monde
04:00artistique ?
04:01Absolument, je pense que de manière consciente ou pas mais enfin quand on regarde justement
04:05ces personnages et surtout chez les artistes, ils ont vraiment conscience de leur destinée.
04:12Je parle par exemple de Basquiat qui est mort très très jeune mais Jean-Michel Basquiat,
04:17le temps de sa courte vie puisqu'il est mort à 27 ou 28 ans exactement, on le regarde
04:22pendant les 4-5 ans et il a vraiment conscience de casser les codes de la peinture américaine
04:27faite par des artistes blancs et lui tout d'un coup, bousculer justement cette scène
04:31en devenant le premier artiste noir à rentrer vraiment dans le marché de l'art avec, accompagné
04:37de grands marchands puissants comme Michel Burger ou comme Gagosian.
04:39Il en est de même avec des artistes alors vraiment à l'opposé comme Christian Boltanski
04:44en France qui lui justement a trouvé une manière de s'imposer sachant très bien qu'avec
04:50ses bricolages, il n'allait pas rentrer dans le marché de l'art comme pourrait entrer
04:54Jeff Koons qui est aussi dans le livre, il n'allait pas faire des prix absolument astronomiques
04:58de 5, 10, 15, 20 millions de dollars parce qu'il avait une pratique beaucoup plus fragile
05:03qui ne pouvait pas s'associer justement au marché de l'art mais par contre, sa volonté,
05:08son déterminisme, son ambition et bien sûr accompagné de son grand génie artistique
05:14a fait qu'il est toujours très présent dans l'histoire de l'art, il est dans tous les
05:19livres d'histoire de l'art, il est présent dans de nombreux musées, il a réussi à s'imposer
05:23dans des pays comme le Japon ou même très loin en Australie en proposant justement des
05:29oeuvres pérennes qui agissent d'une manière sur le son, sur d'autres sens que simplement
05:36le fait d'être un objet on va dire d'échange comme une peinture ou une sculpture.
05:40Dans l'introduction, vous citez le philosophe et critique d'Arthur Danto qui dit « il n'y
05:45a pas d'art sans monde de l'art ». Est-ce que vous considérez que le marché est fait
05:51par des personnes qui s'investissent dans ce marché ? Comment est-ce que ça fonctionne
05:58en fait ce marché qui n'est pas fait sans autre personne ? Comment vous voyez ça ?
06:04Alors je pense que Arthur Danto parle justement du monde de l'art, c'est au-delà même du
06:10marché et puis vous savez le marché, on l'a vu d'ailleurs, ce livre permet aussi de comprendre
06:15que le marché de l'art n'est pas simplement le marché privé ou des ventes aux enchères
06:18d'un collectionneur, il y a aussi aujourd'hui le marché de l'art qui est celui des institutions,
06:24celui des musées, le fait qu'il y a aussi une biennalisation du monde de l'art, c'est-à-dire
06:28avec des commandes publiques qui sont passées par justement la Biennale de Venise ou par
06:34la Biennale de Chargat aujourd'hui qui s'occupe des artistes plutôt du sud global ou de documenta
06:39des grandes manifestations qui permettent à des artistes d'obtenir des commandes publiques
06:44qui ensuite sont acquises ou pas acquises, mais en tout cas ça génère de l'argent
06:48dans ce système de l'art des artistes accompagné de galeries ou pas de galeries, donc le marché
06:54de l'art il faut le voir comme quelque chose de plus large que ce marché privé et quant
06:58à ce monde de l'art, il s'associe évidemment avec ce phénomène de biennalisation mais
07:02aussi par les foires, donc c'est pour cette raison que j'ai parlé de Marc Spiegler qui
07:06a très longtemps dirigé les foires de bal qui ont été créées au départ, les foires
07:12d'art contemporain à Cologne et en Allemagne en 1967, puis après la foire de bal et qui
07:16se retrouvent aujourd'hui, le groupe de bal se retrouve à Miami, à Hong Kong et aussi
07:21à Paris, puis d'autres foires qui existent dans le monde entier montrent bien que effectivement
07:26ce monde de l'art a besoin de s'organiser, d'être visible et les foires permettent sur
07:314-5 jours de pouvoir visiter 200 galeries dans un espace précis, mais il y a aussi
07:39un ruissellement qui se fait dans les villes grâce aux foires de Hong Kong ou de Miami,
07:43c'est pour ça qu'il y a des musées d'art contemporain qui se construisent avec de très
07:46grands architectes et que ces musées achètent aussi des œuvres d'artistes d'art contemporain.
07:51Mais je trouve que ça posait aussi la question de la valeur de l'art, parce que ça veut
07:54dire que la valeur de l'art passe par le regard forcément de ces personnes qui sont
08:01investies dans ce secteur ? Alors la valeur de l'art, la reconnaissance
08:04des artistes part effectivement par ces acteurs qu'on appelle les art-makers ou les art-players
08:09c'est-à-dire que ce sont des personnes qui donnent des estampilles de validation
08:16dans le monde de l'art, et c'est pour ça que si on revient par exemple à un exemple
08:20comme Gerhard Richter, c'est une personne qui a été accompagnée depuis ses débuts
08:26par des personnes extrêmement influentes que sont les intellectuels, les curateurs,
08:31les galeries puissantes qui l'ont exposée, les collectionneurs privés et les fondations,
08:37les musées aussi qui l'ont acquis, donc s'il voulait il a tout un système de validation
08:43qui fait qu'aujourd'hui il peut se retrouver au sommet par rapport à d'autres artistes
08:47contemporains allemands et qui n'ont pas bénéficié aussi parce que l'art, ce qu'ils font,
08:54et c'est sûrement beaucoup moins intéressant, donc effectivement ils vont être moins recherchés
08:58donc moins chers bien entendu sur le marché de l'art.
09:00Et on voit même que certains artistes parfois aussi, on sent que leur discours aussi ne
09:06leur appartient plus, parce que parfois il y a certaines, vous parlez de certains pays
09:10aussi qui réutilisent certains discours artistiques à des fins nationales, etc., donc c'est pas
09:16forcément des fins négatives ou positives, mais c'est vrai qu'on sent que ça leur échappe
09:19un petit peu.
09:20Bien sûr, mais ça ça existe depuis très très longtemps bien entendu, mais pour revenir
09:26un peu en arrière, avant justement la fin des années 60, mais en 1964, lorsque Robert
09:31Schoenberg a gagné le Lyon d'or à la Biennale de Venise, c'était la première fois qu'un
09:35artiste américain gagnait le Lyon d'or à la Biennale de Venise, ce qui existait depuis
09:401895, on était habitués à ce que ce soit plutôt les Français entre autres, et c'est
09:45vrai que Raoul Schoenberg a laissé dire, c'est-à-dire qu'on a fait passer Raoul Schoenberg
09:49comme un artiste qui répondait à la gloire américaine, il faut se remettre dans les
09:53années 60, c'était vraiment la grande Amérique, c'est un peu pour ces raisons-là que tout
10:00a été fait pour qu'il puisse gagner, d'un autre côté les tableaux qui étaient présentés
10:04étaient plutôt des tableaux au second degré qui mettaient justement en cause la politique
10:09des Etats-Unis par exemple en Vietnam, mais il a laissé dire, c'est-à-dire qu'il n'a
10:15jamais dit mais vous n'avez pas bien compris mes tableaux, c'est au contraire une critique
10:19du système américain, donc il a laissé dire, et d'autres exemples similaires.
10:25Comment est-ce que vous voyez ce monde de l'art aujourd'hui ? Est-ce que ça s'intensifie
10:30dans ces personnes qui font l'art ? Comment est-ce que vous voyez cette évolution ?
10:37Je crois qu'aujourd'hui les pays, les acteurs se sont rendus compte que ce soft power artistique
10:45était très important, que c'était un outil très utile avec des ramifications très larges,
10:52je pense notamment actuellement à l'Arabie Saoudite qui est en train de vouloir être
10:57un acteur très important sur le plan international, mais aussi au Moyen-Orient, enfin dans le
11:03Golfe, ils veulent se montrer très puissants à côté du Qatar, à côté des Émirats
11:07Arabes Unis, et on voit bien qu'il y a une action très précise qui se sert des arts
11:12plastiques pour justement montrer qu'ils rentrent dans le cénacle des pays modernes
11:19qui se modernisent, comme a pu le faire aussi par exemple la Turquie, la Turquie d'un côté
11:23il y a Erdogan, il y a une présence de l'islamisme très traditionnelle, mais d'un autre côté
11:30il y a un nouveau musée d'art contemporain qui a ouvert il y a deux ans, construit par
11:35Renzo Piano, un des plus grands architectes qui a aussi cité, qui est aussi un chapitre
11:40dans le livre, parce qu'il a aussi créé le Centre Pompidou et des merveilleux musées
11:44dans le monde entier, donc c'est une manière pour la Turquie de montrer que d'un côté
11:49ils se détachent d'une espèce d'occidentalisation et ne veulent pas être attrapés par d'autres
11:54grandes puissances, mais d'un autre côté c'est un pays qui se veut moderne et qui
12:00grâce à ce musée qui est magnifique, sur les bords du Bosphore à Istanbul, veut montrer
12:05qu'il est ancré dans la modernité et dans l'art contemporain, même s'il y a bien
12:09entendu des censures plus ou moins présentes.
12:17Est-ce qu'il y a des nouveaux profils dominants, justement, vous parliez des correcteurs, des
12:20collectionneurs, est-ce qu'il y a des nouveaux profils aujourd'hui qui, je ne sais pas, peut-être
12:24à l'ère des réseaux sociaux, est-ce qu'il y a des nouveaux profils qui vont pouvoir
12:28rentrer dans les figures de l'art contemporain de 2050 ?
12:31Oui, bien entendu, je pense qu'il faudra regarder attentivement tout ce qui se passe
12:37autour de l'art immersif, je parle notamment alors d'un artiste justement d'origine
12:41turque, un artiste qui s'appelle Adnadol, et qui fait en ce moment beaucoup parler
12:52de lui puisque justement il est très apprécié, il est acheté par des grands musées, par
12:58des grandes sociétés pour occuper des espaces très grands, c'est vrai qu'aujourd'hui
13:02l'ouverture de tous ces musées dans le monde entier, l'attraction de l'art par d'autres
13:10entreprises fait qu'il va y avoir d'autres manières justement d'entrer dans le monde
13:14de l'art, donc ça on va le voir dans les années à venir.
13:17Merci beaucoup Nathalie Obadia, je rappelle que vous êtes autrice du figure de l'art
13:22contemporain des esprits conquérant aux éditions, Le Cavalier Bleu, et merci beaucoup à tous
13:27et toutes de nous avoir suivi, c'était Arrêt Marché.