Olivier Bunel, ancien élève de l'institut de Bétharram et victime présumée de viols et de violences, témoigne sur BFMTV.
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00On est donc avec Olivier Bunel. Merci beaucoup d'avoir accepté de témoigner sur BFM TV.
00:05Vous êtes un ancien élève scolarisé entre 1982 et 1984, victime de Bétharame.
00:13D'abord, peut-être une réaction à ce qu'on vient d'entendre, cette dernière information.
00:17Trois personnes qui ont été placées en garde à vue. Est-ce qu'il y a une forme de soulagement ce matin ?
00:22Clairement, ça ne peut pas être autrement. On attend ça depuis plus d'un an maintenant.
00:27Il serait temps qu'ils répondent un petit peu maintenant de leurs actes.
00:31Si on revient sur votre histoire, votre histoire personnelle, comment vous, déjà, vous arrivez à Bétharame ?
00:36Pourquoi vos parents décident de vous y placer ?
00:40J'étais un enfant, je vivais en Guadeloupe, donc inutile de vous dire que c'était un petit peu un paradis tropical.
00:48Et l'école, ce n'était pas du tout mon truc. Je n'étais pas un turbulent, je n'étais pas un voyou.
00:54J'étais juste un enfant qui n'aimait pas plus que ça l'école.
00:58Le divorce se passe en mal entre mes deux parents.
01:02Ma maman avait décidé, pour me protéger, soi-disant, je ne sais pas, mais bon, bref,
01:08elle avait décidé de m'envoyer chez ma grand-mère à Bayonne.
01:13Et elle a demandé à ma grand-mère, bien évidemment, de me trouver un internat,
01:18puisque, vu son âge, c'était compliqué pour elle de m'élever, de m'éduquer.
01:23Je me suis retrouvé, dans ce que je dis maintenant être un goulag,
01:30de me retrouver au tropique, et tout d'un coup, dans ce goulag,
01:35digne clairement d'un autre temps, d'un autre monde, d'une autre vie.
01:40Je ne sais même pas comment vous dire.
01:42Vous êtes plusieurs anciennes victimes, plusieurs anciens camarades,
01:46à évoquer le terme goulag, le goulag des Pyrénées.
01:50Qu'est-ce que ça veut dire réellement ?
01:51Ça veut dire qu'il y avait vraiment un système de violence organisé
01:56qui était mis en place dans cet établissement ?
01:58Oui, je suis persuadé que c'était des choses qui étaient bien rodées, bien huilées,
02:04et que le but c'était de casser les enfants, et pas seulement les éduquer.
02:10Comme je le dis maintenant et je le répète, il y a deux mondes à Bétarame.
02:17Il y a le monde des internes et le monde des externes.
02:20Le monde des externes n'avait aucun risque, puisqu'ils rentraient chez eux tous les soirs,
02:25et donc on ne faisait rien à ces enfants-là.
02:29Le monde des externes était un monde complètement différent,
02:34c'était complètement à part.
02:37Pardonnez-moi, allez-y.
02:41Non, je sais qu'Alain était externe et qu'il a pris des coups,
02:48mais le monde des internes, c'était des coups, mais puis sans se dire,
02:55c'était surtout aujourd'hui ce qu'on peut qualifier de viol.
03:00Qu'est-ce qui se passait précisément ?
03:02Vous, vous avez 11 ans lorsque vous êtes entré dans cet internat de Bétarame en 1982.
03:06Les violences, elles ont commencé tout de suite ?
03:09C'était il y a 43 ans.
03:11Donc de vous dire qu'elles ont commencé immédiatement de suite, je ne sais pas.
03:16Par contre, elles sont arrivées très très vite,
03:18parce que vous savez, quand vous êtes un enfant gentil, que vous souriez tout le temps,
03:22vous êtes une proie, je pense, facile,
03:25et il se trouve que je suis intimement convaincu que les surveillants,
03:30tout le monde avait un petit peu notre parcours et savait d'où nous venions,
03:34qu'il était plus facile de s'attaquer à un enfant dont les parents étaient absolument absents
03:39et qu'il ne risquait strictement rien.
03:43Vous évoquez parmi ces surveillants, un surveillant qui s'en est particulièrement pris à vous,
03:49surnommé Cheval, c'est ça ?
03:51Oui, oui, tout à fait.
03:53Qu'est-ce qu'il faisait ?
03:56Mon Dieu, et je ne crois pas en Dieu.
04:01C'était un tyran, c'était un pervers, c'était un sadique
04:08qui se complaisait de voir faire du mal aux enfants,
04:12qui donnait des missions aux plus grands élèves, je vous dirais de secondes, premières.
04:22Il déléguait en fait, c'était le préfet de discipline, c'était le shérif là-bas.
04:28Tout lui était systématiquement rapporté, quoi que nous fassions.
04:33Tomber quelque chose par terre, que ce soit une cuillère, une fourchette,
04:40tout, mais la moindre chose était bonne pour être puni.
04:46Il vous a violenté, il vous a violé ?
04:51Oui, j'ai du mal à mettre, encore aujourd'hui, j'ai du mal à mettre ce mot.
04:55En fait, c'est Alain qui m'en a fait prendre conscience quand je lui ai raconté mon histoire.
04:59On parle d'Alain Esquerre, également victime, patron, à la tête de cette association de victimes.
05:07C'est un collectif, on n'est pas encore monté en association,
05:10on attend un petit peu de savoir ce qu'on veut faire.
05:13C'est lui, oui, effectivement, quand je lui ai raconté mon histoire,
05:16qu'il m'a regardé, comme moi, les yeux bien humides, en me disant « mais Olivier, t'as été violé ».
05:22Je lui ai fait « mais non, je n'ai pas été violé ».
05:24Il me dit « Olivier, t'as été violé ».
05:26Et je lui ai fait « mais je n'en ai pas conscience ».
05:29Et il me dit « à partir du moment où tu subis une pénétration, quelle qu'elle soit,
05:33c'est un acte de viol quand elle n'est pas consentie ».
05:36Effectivement, en fait, pour me soigner des blessures qu'il m'avait faites juste avant,
05:41lorsqu'il m'avait puni, que ce soit sur le perron, que ce soit…
05:45peu importe, n'importe où.
05:47Pour nous soigner, je me rappelle, mon lit était juste à côté de l'infirmerie,
05:52que j'avais à ma droite, et il faisait ses méfaits.
05:57Donc, on était blessé, tu m'échiais.
05:59Il m'amenait à l'infirmerie, il me mettait sous ses genoux,
06:03et il me disait « tu as vu ce que tu m'as obligé de faire ? ».
06:06Par contre, il est interdit d'en parler à qui que ce soit.
06:11C'est notre secret.
06:13Et en me soignant, par exemple, je me rappelle, j'étais sur le perron,
06:16une fois, pendant plus de deux heures, en slip, en hiver,
06:21mais que ce soit été automne-hiver, peu importe,
06:23mais celui dont je me souviens particulièrement, c'était en hiver,
06:27où j'étais en slip, à genoux, sur une règle carrée métallique,
06:32et je bougeais ne serait-ce qu'un peu.
06:35On était, vous savez, la position des gens qu'on va abattre,
06:40les mains derrière la tête, contre le mur,
06:42et ne pas bouger pendant une demi-heure,
06:44et si on bouge, on en prenait le double,
06:46et si on bougeait encore, il s'acharnait sur nous physiquement,
06:50et pour me soigner, effectivement, il me soignait,
06:53mais à côté de ça, il abusait de moi.
06:56Il m'embrassait de force, il m'embrassait sur le sexe.
07:03Je le disais à ma grand-mère, elle ne me croyait pas,
07:05elle me traitait de menteur, elle était très pieuse, très religieuse,
07:08et j'ai dû vivre avec ça pendant deux ans.
07:11– Parce que vous rentriez tous les week-ends chez votre grand-mère,
07:14et quand vous l'avez raconté à votre grand-mère,
07:16elle ne vous a pas cru ?
07:18– Tout à fait, pour elle, ce n'était pas convoyable,
07:21j'étais un menteur, j'avais 11 ans, j'étais un menteur.
07:25– Donc personne à qui en parler ?
07:27– Personne, et vous savez, quand on a personne à qui en parler,
07:31et qu'on vous répète sans cesse, quand vous avez 11 ans,
07:34que vous êtes un menteur, vous finissez par le croire
07:37que vous êtes un menteur.
07:39Et je me rappelle toujours, quand je vivais ces moments-là,
07:45je me rappelle que je me disais, c'est ma phrase d'enfance,
07:48je me rappelle, je me disais tout le temps,
07:50mais ça ira mieux demain.
07:53Et en fait, ça n'allait jamais mieux demain.
07:56– Vous en parliez entre enfants, justement, avec les autres élèves,
07:59de ce que vous subissiez ?
08:01Personne n'en parlait ?
08:03– Non, on avait interdiction d'en parler.
08:06Déjà, ce qu'on subissait, c'était terrible,
08:08alors si on en parlait, c'était multiplié par 3, par 4.
08:12Non, c'était une omerta dans tous les sens du terme.
08:16– Donc vous avez gardé le secret pendant des années,
08:20pendant 43 ans donc, c'est ça ?
08:22– Oui, tout à fait.
08:23– Et vous en parlez à qui pour la première fois ?
08:26À votre compagne, à votre mère ?
08:29– La première fois que j'en parle,
08:32c'est donc à la maman de ma fille et ses parents à elle,
08:37puisque j'entretiens d'excellents rapports avec eux,
08:40ils ont toujours été là pour moi.
08:42Mais j'en parle pour la première fois à eux trois.
08:46Et la maman de ma fille me disait, elle m'a regardé à un moment donné,
08:51elle me disait, je me doutais qu'il s'était passé quelque chose,
08:54parce qu'une fois, on était passé devant Bétarame, une fois.
08:58Et en fait, j'ai tourné la tête de l'autre côté à gauche
09:01pour ne pas voir l'établissement qui était sur ma droite.
09:04Et là, elle me dit, mais qu'est-ce que tu fais ?
09:06Regarde la route, on va avoir un accident.
09:08Et je lui dis, non, non, excuse-moi, je ne peux pas,
09:10j'étais là pendant deux ans, j'ai subi des choses horribles.
09:13Mais je n'ai pas été plus loin que ça.
09:15Je n'étais pas prêt sans doute à le lui dire,
09:17ma fille n'était pas encore née.
09:19Et en fait, quand je les ai réunis il y a un an justement,
09:22parce qu'on a commencé nous de lancer tout ça médiatiquement parlant,
09:27il y a en février, avec Apolline de Malherbe,
09:32j'ai décidé qu'il fallait que ça se sache, mais par moi,
09:37pas par personne d'autre.
09:40Et c'est la première fois que j'en ai parlé.
09:43Ensuite, j'en ai parlé à mon ex-compagne en disant
09:46que pour ma fille, je souhaiterais également lui en parler.
09:49Elle m'a demandé si le jour où je souhaitais le faire,
09:52elle voudrait être là.
09:54En fait, qu'on soit tous les trois.
09:56Et c'est ce qu'on a fait, voilà.
09:59Ma fille du haut de ses 23 ans,
10:03elle s'est jetée dans mes bras et elle m'a dit
10:07qu'elle était fière de moi, de ce que je faisais maintenant
10:09pour les autres enfants en fait.
10:12Donc, il faut savoir une chose,
10:17c'est que, bien sûr qu'on veut que justice soit faite,
10:20bien sûr qu'on veut que les protagonistes finissent
10:23là où ils doivent finir, mais si on le fait avant tout,
10:26c'est pour qu'il n'y ait pas de second Bétharame,
10:29pour que les parents qui ont leurs enfants dans des pensionnats
10:32catholiques sous tutelle de l'Église soient prudents,
10:37questionnent leurs enfants, leur demandent des choses.
10:40Puisque ce sinistre individu qui m'a fait du mal,
10:43a été limogé de Bétharame,
10:46pour une raison aussi, pareil, de coups trop violents.
10:49Donc, il a fini directeur adjoint d'une autre école,
10:52du même type que Bétharame, au centre de la France.
10:55Donc, je pense qu'il faut que les parents
10:58se posent des questions et posent des questions à leurs enfants.
11:01Quand on est un malade mental, j'imagine,
11:04peu importe, mais on ne s'arrête pas
11:07quand on est viré de Bétharame pour aller ailleurs.
11:10Je pense qu'on continue.
11:11Merci.
11:12Merci beaucoup, Olivier Bunel, d'avoir témoigné sur BFM TV.
11:15Vous espérez donc que cette libération de la parole puisse faire avancer
11:18les choses et qu'il n'y ait pas, pour reprendre vos termes,
11:21un second Bétharame, alors que trois personnes, on le rappelle,
11:24ont été placées en garde à vue.