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Le 19 février, la commission des lois du Sénat se prononce sur la candidature de Richard Ferrand, candidat proposé par Emmanuel Macron pour présider le Conseil constitutionnel. Richard Ferrand a été président de l’Assemblée nationale de 2018 à 2022, ministre, président du parti d’Emmanuel Macron. C’est un proche du président. Il est proposé par le ce dernier pour succéder à Laurent Fabius, nommé le 19 février 2016, dont le mandat de neuf ans arrive à échéance en février 2025. Deux autres sièges se libèrent : celui de Michel Pinault, nommé par Gérard Larcher, et celui de Corinne Luquiens, nommée par Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale. Le président du Sénat a proposé Philippe Bas et Yaël Braun-Pivet a proposé Laurence Vichnievsky. Pour que les candidatures soient validées, elles doivent compter moins de 3/5èmes de votes négatifs sur les suffrages exprimés. Revivez les échanges. Année de Production :

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Transcription
00:00Générique
00:02...
00:09On reprend la main, effectivement, ici, au Sénat.
00:12Il est 10h36. On attend l'arrivée de Richard Ferrand,
00:15ici, à la Chambre haute, pour son audition
00:17devant la Commission des lois, peut-être plus périlleuse
00:21que chez vous, à l'Assemblée nationale,
00:23puisque le groupe LR n'a pas donné de consignes de vote.
00:26Ils sont 19 assiégés au sein de la Commission
00:29des lois, et leurs voix seront décisives
00:31au moment de faire les comptes.
00:33Vote et dépouillement attendus aux alentours de 13h
00:36sur notre antenne. On va laisser Richard Ferrand
00:39arriver tranquillement, ici, au Sénat.
00:41Je vous propose de voir un extrait de l'audition de Philippe Bas,
00:45ancien président de la Commission des lois du Sénat,
00:48proposé par Gérald Archer pour siéger
00:50au sein du Conseil constitutionnel.
00:52Son audition devant la Commission a débuté ce matin à 19h45.
00:56Regardez.
00:59Madame la présidente,
01:01mesdames et messieurs les commissaires aux lois,
01:07c'est évidemment un très grand honneur
01:10d'avoir été pressenti par le président de notre Assemblée
01:15pour siéger au Conseil constitutionnel,
01:19et c'est également un honneur que de me présenter devant vous
01:24d'une autre manière que celle dont nous avons parlé
01:27et d'une autre manière que celle dont nous avons l'habitude,
01:31ensemble, pour éclairer
01:36votre choix,
01:38auquel, naturellement, je m'en remets.
01:43Je suis, disons-le simplement,
01:47un admirateur de la Constitution de la Vème République.
01:55Devant l'histoire,
01:58ce régime est celui d'un double accomplissement.
02:05D'abord, il a inventé,
02:09après tant de révolutions, de soubresauts
02:12et une si longue période d'instabilité
02:16à l'intérieur même de la République,
02:20un système stable,
02:22un système républicain stable,
02:25et c'était une gageure.
02:28Et depuis deux tiers de siècle,
02:31même si nous vivons une période plus incertaine,
02:35la France, grâce au régime de la Vème République,
02:38est arrivée au port.
02:40Et il se trouve que ce régime,
02:43qui est un régime qui permet aux gouvernements successifs
02:49d'avoir les moyens de l'action
02:53et au Parlement de voter de grandes réformes,
02:58ce régime est aussi celui
03:01qui aura permis le plus grand accomplissement
03:05dans la protection des droits et libertés des Français.
03:09Et c'est assez singulier
03:10de voir cette conjonction
03:14de deux évolutions historiques
03:17qui a conduit la République,
03:20après tant de tempêtes,
03:23dans des eaux plus calmes,
03:26qui doivent nous donner à tous
03:28l'envie de préserver ce joyau
03:32de notre histoire constitutionnelle.
03:38La Vème République, elle est remarquable.
03:41Elle a fait naître ce régime stable
03:43et elle a fait progresser les droits
03:47et la garantie des droits.
03:52Je me souviens de ce qu'écrivait
03:55le grand essayiste libéral Prévost-Paradole
04:00dans son livre
04:02La France nouvelle de 1865.
04:06Il disait de la Révolution,
04:08la Révolution a fondé une société,
04:11elle cherche encore son gouvernement.
04:13On aurait pu dire, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen
04:16est un pur joyau de la pensée politique,
04:18a fondé une société,
04:21elle cherchait son gouvernement,
04:24elle l'a trouvé.
04:26Et dans la fonction du Conseil constitutionnel,
04:29ce qui est tout à fait remarquable,
04:32c'est qu'il est au carrefour de ces deux ambitions.
04:36Permettre à la République d'avoir un gouvernement stable,
04:41une législation respectueuse du droit
04:46et permettre la défense des libertés fondamentales,
04:50comme jamais ça n'a pu être le cas.
04:53Dans l'histoire de notre pays.
04:56Et ceci, en grande partie,
04:59grâce au Conseil constitutionnel,
05:01qui n'avait pas été inventé pour ça,
05:04mais qui a su, avec audace,
05:07conquérir ce rôle
05:10qui est si utile aux Français d'aujourd'hui.
05:15J'ai conscience que nos institutions
05:20sont aujourd'hui dans une phase de fragilité.
05:25Il n'est que de constater
05:27que nous avons connu quatre gouvernements
05:30en l'espace d'un an
05:32pour pouvoir caractériser cette évolution.
05:36J'espère, pour ma part, qu'il ne s'agit que d'une parenthèse.
05:41Qu'entre droit et liberté,
05:43une certaine radicalisation du débat politique
05:48peut inspirer des inquiétudes.
05:51Et c'est le moment que le président du Sénat a choisi
05:55pour me proposer de siéger au Conseil constitutionnel.
05:58Je trouve ça intimidant.
06:00Et en même temps, j'ai conscience de la responsabilité,
06:05même si ce n'est pas une responsabilité individuelle.
06:08Il s'agit de participer à un collège
06:11avec une pluralité d'expériences, de visions et d'opinions.
06:15Mais c'est une responsabilité que je juge impressionnante.
06:21Impressionnante par elle-même, mais impressionnante aussi
06:24dans cette période que nous sommes en train de vivre
06:27et dont nul parmi nous
06:30ne peut réellement imaginer ce qu'il en sortira.
06:36Mais nous avons besoin, les uns et les autres, chacun à notre place,
06:40d'être des piliers solides face aux évolutions
06:44qui peuvent survenir.
06:48La Constitution m'a accompagné
06:52aux différentes étapes de ma vie de service public
06:56et de ma vie publique tout court.
07:01Je me rends compte que,
07:03si on reprend la typologie des pouvoirs de l'esprit des lois,
07:08que je suis un homme des trois pouvoirs.
07:11J'ai été juge au Conseil d'Etat pendant neuf ans.
07:18J'ai servi d'exécutif dans diverses fonctions
07:24pendant 19 ans.
07:27Je suis parlementaire depuis 13 ans et demi.
07:32C'est un long voyage à travers les pouvoirs de la République.
07:38Et ça me fait penser
07:41qu'au Conseil constitutionnel,
07:44si vous me faites l'honneur
07:47de ne pas invalider la proposition du président du Sénat,
07:52je devrais toujours me souvenir
07:55de ces expériences combinées,
07:57de cette conjonction d'expériences
08:01qui peut-être explique
08:03le choix du président Gérard Larcher.
08:08Depuis plus de 40 ans,
08:12j'ai ainsi pu contribuer, dans différentes fonctions,
08:16au respect de la Constitution,
08:19mais aussi à l'évolution de la Constitution,
08:23ainsi qu'à la défense
08:26et au progrès des droits.
08:29Et j'ai expérimenté, comme j'ai essayé de le dire,
08:33la séparation des pouvoirs,
08:36dont la Déclaration des droits de l'homme
08:39dit qu'une société
08:41dans laquelle la séparation des pouvoirs
08:44n'est pas déterminée n'a point de Constitution.
08:51Avec Simone Veil, j'ai été en charge des lois de la bioéthique.
08:55J'ai été associé aux premiers travaux
08:57qui ont abouti à la révision constitutionnelle de 1999,
09:01instaurant l'égal accès des femmes et des hommes
09:05aux fonctions publiques et électives.
09:10J'ai été aussi rendu attentif
09:13aux conditions d'accès à l'interruption volontaire de grossesse
09:18et à l'équilibre de la loi Veil
09:22qu'il faut à tout prix préserver.
09:24Je m'en suis souvenu.
09:27Avec Jacques Barraud et Alain Juppé,
09:30j'ai piloté les travaux de la révision constitutionnelle
09:34pour créer la loi de financement de la sécurité sociale.
09:40Et la loi organique
09:41pour mettre en oeuvre cette révision constitutionnelle.
09:46Avec Jacques Chirac, j'ai été associé
09:49à la révision constitutionnelle proposée par Lionel Jospin
09:52sur l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions publiques
09:56et électives.
09:58J'ai participé à la révision constitutionnelle
10:02permettant à la Cour pénale internationale
10:06de voir reconnaître sa juridiction
10:09pour des ressortissants français.
10:13Ensuite, je me suis trouvé
10:16comme secrétaire général de la présidence de la République
10:19au coeur de la préparation de la révision constitutionnelle
10:24créant dans la Constitution un certain nombre de dispositions
10:28pour faire de notre République
10:30une République dont l'organisation est décentralisée.
10:34J'ai pu ensuite, comme président de conseil général
10:38et élu local, mesurer toute l'importance
10:41de ce quatrième pouvoir,
10:43qui n'est pas pleinement reconnu,
10:45mais qui est le pouvoir territorial dans notre République,
10:50auquel je suis, évidemment, profondément attaché.
10:55J'ai pu contribuer également
10:57à la formule d'adossement à la Constitution
11:00de la charte de l'environnement
11:02à la manière du préambule de 1946
11:05ou de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
11:08Et j'ai participé au lancement des travaux
11:12qui ont abouti
11:15à la réforme du statut pénal du chef de l'État en 2007
11:20et à l'interdiction de la peine de mort
11:26qui a valeur constitutionnelle en France depuis 2007.
11:31J'ai également contribué à de nombreuses lois
11:33sur la laïcité,
11:36avec le port des signes religieux ostensibles
11:39à l'école de la République,
11:41la lutte contre les discriminations
11:44et la bioéthique, dont j'avais la charge
11:46auprès de Simone Veil,
11:48pour faire aboutir les premières lois de bioéthique
11:51et dont j'ai été ensuite chargé au Conseil d'Etat en 2008
11:55pour leur deuxième révision.
11:58Ministre,
12:00j'ai eu en charge de faire progresser
12:02la citoyenneté des personnes handicapées.
12:05Nous avons fêté ces derniers jours
12:07les 20 ans de la loi de 2005,
12:11mais j'ai également fait évoluer,
12:14dans le sens du respect des droits des personnes,
12:17le régime des tutelles et les droits de l'enfant.
12:21Enfin, depuis 13 ans et demi que je siège parmi vous,
12:27j'ai été l'auteur
12:28d'un certain nombre de dispositions constitutionnelles.
12:32J'espère que celle qui inscrirait dans la Constitution
12:36que nul ne peut se prévaloir de ses origines,
12:39de sa religion,
12:42pour qu'il soit dérogé en sa faveur à la règle commune,
12:46aboutira après mon éventuel départ de cette Assemblée.
12:53J'ai également été le rapporteur général
12:56des 50 propositions
12:58présentées par le président du Sénat en 2020
13:04sur le plein exercice des libertés locales.
13:10Et j'ai remis en 2017,
13:15le rapport intitulé
13:18Cinq ans pour sauver la justice,
13:20qui a inspiré ensuite notre propre proposition de loi,
13:25de programmation pour la justice,
13:27qui a été largement reprise ensuite
13:30par le gouvernement de l'époque.
13:35Enfin, dans la législation, il se trouve que nous avons été,
13:39au coeur, pendant ma présidence de la Commission des lois,
13:44de législation sur le terrorisme, sur le renseignement,
13:48puis sur le Covid,
13:50qui, dans tous les cas,
13:53ont eu à trouver un point d'équilibre
13:56entre la nécessité de réaffirmer l'autorité de l'Etat
14:01et l'efficacité de la répression,
14:03et la nécessité absolue de préserver les droits fondamentaux.
14:08Et je crois que le Conseil constitutionnel
14:11a reconnu à cette époque
14:13la qualité de notre travail commun.
14:18J'ai aussi été attaché
14:22avec la présidente Muriel Jourdat
14:25et mon prédécesseur à la présidence de la Commission des lois,
14:28Jean-Pierre Scheur,
14:30à ce que nous exercions pleinement notre pouvoir de contrôle,
14:36notamment dans une certaine mission d'enquête
14:41qui remonte maintenant à 2018.
14:45Faire respecter les prérogatives du Parlement
14:47reste pour moi un impératif majeur.
14:52De cette expérience, je retire trois convictions
14:56qui pourront peut-être continuer à m'inspirer
15:00si je deviens membre du Conseil constitutionnel.
15:05D'abord, le législateur, que je suis encore,
15:11doit toujours se donner les moyens d'atteindre ses objectifs,
15:15mais la poursuite de l'intérêt général
15:19ne peut jamais se faire à n'importe quel prix.
15:23Il y a un principe de proportionnalité
15:25qu'il faut respecter
15:27entre les objectifs à atteindre et les moyens utilisés,
15:32et c'est une des marques de fabrique du Sénat
15:37et de sa Commission des lois, d'ailleurs, d'y veiller.
15:40Le premier défenseur de la Constitution,
15:43ce n'est pas le Conseil constitutionnel, c'est vous.
15:46C'est le législateur.
15:48C'est à lui que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
15:53remet le soin, par la loi, de trouver le bon équilibre
15:57dans la protection des libertés,
16:01dans la protection des droits fondamentaux,
16:03dans la protection du droit de propriété,
16:06dans la protection de l'égalité.
16:09Aucun de ces droits n'est un absolu.
16:11Il faut trouver un bon équilibre.
16:13La deuxième chose que je retire de cette expérience,
16:18c'est que la Constitution doit toujours s'adapter
16:23aux nouveaux enjeux de la vie en société,
16:27que, malgré leur génie,
16:29les auteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
16:34et du préambule de 1946 ne pouvaient anticiper.
16:40Évidemment que la société a changé et qu'il faut en tenir compte.
16:44La troisième chose,
16:46c'est que les acquis de la Vème République,
16:48que sont la stabilité dont je parlais tout à l'heure,
16:51la capacité donnée au gouvernement
16:55de concevoir et de faire adopter les grandes réformes
16:59dont un pays peut avoir besoin,
17:01eh bien, ces acquis doivent être défendus ou restaurés.
17:07Mais, en tout état de cause,
17:10un meilleur équilibre entre les pouvoirs
17:13doit toujours être recherché.
17:15Parce que si c'est vrai
17:17que nous avons réussi à installer durablement en France,
17:21malgré la parenthèse qui s'est ouverte l'an dernier,
17:24un système de démocratie régulé par l'alternance,
17:30un meilleur équilibre entre les pouvoirs
17:34est tout de même nécessaire,
17:35car face à la toute-puissance de pouvoir polarisé,
17:39heureusement qu'il y a un Sénat
17:41et heureusement qu'il y a un Conseil constitutionnel,
17:44dont je considère, d'ailleurs, qu'ils ont partie liée,
17:47parce que chacun a sa place
17:49et, avec des instruments d'action différents,
17:53ces deux institutions, une assemblée parlementaire
17:56et une juridiction régulatrice de l'avis public,
18:02ont un rôle de contre-pouvoir
18:04pour freiner les excès possibles des pouvoirs polarisés.
18:09Et cet élément me paraît également très important.
18:13Aucun droit n'est sans limite,
18:16aucun pouvoir ne doit être sans limite.
18:19Et c'est bien la philosophie
18:21de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
18:27Je ne revendique, bien sûr, et je m'en excuse,
18:32aucun titre académique décisif.
18:37J'ai tout de même modestement enseigné
18:41les institutions politiques et le droit constitutionnel
18:44pendant 15 ans à l'Institut d'études politiques de Paris
18:49et j'ai publié un certain nombre d'articles
18:55et un livre sur le fonctionnement de nos institutions républicaines.
19:00Mais au-delà de cette participation,
19:02que je reconnais modeste à la réflexion constitutionnelle,
19:07je crois quand même
19:10pouvoir tenter de me définir
19:13au moins comme un praticien de la Constitution.
19:19Et s'il y avait à ce titre une qualité
19:24que j'aimerais mériter et me faire reconnaître
19:30au-delà de toute expertise juridique et constitutionnelle,
19:35qui pourrait, évidemment, vous paraître également nécessaire et utile,
19:40ce serait cette qualité étrangement indéfinissable
19:48qui consiste tout simplement à avoir du jugement.
19:54C'est peut-être une qualité
19:55qui permet progressivement de devenir sage.
20:02Merci, mon cher collègue.
20:04Je crois que nous avons le sentiment de vieux vous connaître,
20:08alors même que nous nous apprêtons peut-être à nous séparer.
20:12Nous allons commencer, si vous voulez bien, les questions.
20:16Je vous invite à vous inscrire tout simplement en levant la main.
20:20Et en attendant que vous puissiez le faire,
20:23je vais moi-même commencer par poser deux questions à Philippe Bain.
20:28Depuis l'avènement d'un contrôle de constitutionnalité des lois en France,
20:32et plus encore depuis l'extension du champ de ce contrôle,
20:35tant par l'élargissement des normes, le bloc de constitutionnalité,
20:39que par la création des nouvelles procédures, la QPC,
20:42il existe un questionnement
20:43sur la légitimité du Conseil constitutionnel
20:45qui semble s'accentuer ces dernières années.
20:48Comment l'expliquez-vous ?
20:50Est-ce lié à son positionnement institutionnel actuel ?
20:54Et selon vous, quel doit être le bon positionnement
20:57du Conseil constitutionnel au sein des institutions ?
21:01Deuxième question, le Conseil constitutionnel
21:04a récemment donné corps à la notion d'identité constitutionnelle de la France,
21:08qui permet de faire échec à l'application des dispositions
21:11du droit de l'Union européenne,
21:12qui est à l'encontre de cette identité constitutionnelle.
21:16La mise en application récente de cette notion,
21:19qui demeurait en quelque sorte virtuelle depuis 2006,
21:21sera-t-elle, selon vous, plus souvent faite par le Conseil ?
21:25À mesure que le droit de l'Union prend de plus en plus prise
21:28sur les questions régaliennes,
21:29quel sujet d'articulation entre le droit national et le droit européen
21:34vous paraît-il à titre personnel les plus à même de donner lieu
21:37à l'usage de cette notion d'identité constitutionnelle ?
21:40Je vais peut-être vous demander, mon cher collègue, de répondre,
21:44et ensuite, je passerai la parole à ceux qui se sont inscrits.
21:49La légitimité du Conseil constitutionnel
21:53est, de mon point de vue, intacte,
21:55parce que j'ai des souvenirs.
21:58À chaque fois que le Conseil constitutionnel
22:01prend une décision,
22:03il la prend en droit.
22:07Mais cette décision,
22:09elle est sollicitée, depuis 1974,
22:14par des formations politiques.
22:17Et comme pour tout jugement,
22:19quand la décision est rendue,
22:22elle satisfait les uns et elle mécontente les autres.
22:26Ce qui est très intéressant,
22:28c'est de voir qu'au-delà de cette satisfaction
22:32et de ce mécontentement,
22:35ceux qui sont un jour mécontents
22:38se réjouissent le lendemain d'une autre décision,
22:41et ceux qui sont satisfaits
22:44sont scandalisés par la décision suivante.
22:49Mais ça, c'est le jeu politique.
22:52Le Conseil constitutionnel ne peut pas rentrer
22:56dans le débat politique.
22:58Et je tiens à dire que, de mon point de vue,
23:01il ne le fait pas.
23:03La diversité d'origine de ses membres,
23:05la diversité d'expérience de ses membres,
23:09leur indépendance,
23:12qui tient à leur statut,
23:14mais aussi au choix qui est fait
23:18par les autorités de nomination,
23:20dont c'est une mission constitutionnelle éminente,
23:24qui, je crois, s'efforce de la remplir avec soin,
23:29sont des garanties qui me paraissent extrêmement importantes.
23:34Mais bien sûr, chacun des membres du Conseil constitutionnel
23:37doit parfaitement intégrer
23:40que ces décisions ont un impact.
23:43Le doyen Louis Favoreux disait
23:46que la jurisprudence constitutionnelle,
23:51c'est le droit saisi par la politique
23:54ou la politique saisie par le droit.
23:57C'est une boutade, peut-être,
23:59mais elle dit bien que cette institution
24:02est extrêmement exposée.
24:03Elle est exposée à la critique
24:05et elle doit y réagir avec sérénité.
24:09C'est, en tout cas, ce que je m'efforcerais de faire
24:12si ma nomination est confirmée.
24:15Quant à l'identité constitutionnelle de la France,
24:18ce n'est pas une décision récente du Conseil constitutionnel.
24:21C'est une ouverture qui a été faite
24:24et qui permet au Conseil constitutionnel,
24:26tout simplement, de dire que si le traité,
24:29régulièrement ratifié
24:33et également appliqué
24:35par les autres partis signataires,
24:39est supérieur
24:42dans la hiérarchie des normes à la loi,
24:46il est inférieur à la Constitution.
24:50Et le Conseil constitutionnel se réserve,
24:52de mon point de vue, à juste titre,
24:54la possibilité d'écarter
24:58les dispositions d'un traité
25:00qui serait contraire
25:03à l'identité constitutionnelle de la France.
25:05Il a fait cette évolution jurisprudentielle
25:11à propos du principe de laïcité, notamment.
25:14Je crois que c'est très important de savoir
25:18que, parmi les intérêts fondamentaux de la France,
25:21il y a, bien sûr,
25:23le respect des engagements
25:26qui sont pris pour la sécurité collective,
25:30pour le développement du commerce,
25:31pour la construction européenne,
25:34mais qu'il y a,
25:35aussi à côté des intérêts fondamentaux de la France
25:39que les traités mettent en œuvre,
25:42la nécessité de préserver notre identité constitutionnelle.
25:45Merci. Je vais passer la parole à nos collègues
25:50par une salve de trois questions.
25:52Vous êtes assez nombreux à vous être inscrits.
25:54Nous devrons avoir fini la totalité de nos opérations
25:57dans trois quarts d'heure.
25:59Je n'entends pas brider la parole, bien évidemment,
26:01mais un effort de concision sera le bienvenu.
26:04Je vais passer la parole à madame Sophie-Briand-Guillemont,
26:07à monsieur Eric Cayrouche et madame Olivia Richard.
26:09Madame Briand-Guillemont.
26:11Merci, madame la présidente.
26:13Monsieur Bas, j'aimerais vous interroger
26:16sur un aspect du Conseil constitutionnel
26:18dont on parle peu, dont on n'a pas encore parlé,
26:20qui est le contentieux électoral.
26:22Vous savez que le contentieux électoral
26:24représente plus de la moitié des décisions
26:26rendues par le Conseil constitutionnel depuis 1959.
26:30Et vous avez commencé votre audition
26:32en parlant de votre admiration
26:34pour la Constitution de la Vème République.
26:36Vous savez que le fait, pour le Conseil constitutionnel,
26:39de juger les élections des parlementaires
26:41est une nouveauté de notre histoire constitutionnelle,
26:43puisqu'elle était introduite précisément en 1958.
26:46Est-ce que votre admiration pour la Constitution
26:48de la Vème République s'étend également
26:50à ce nouvel aspect de juge électoral
26:54pour le Conseil constitutionnel,
26:55puisqu'on aura affaire à des enjeux importants ?
26:58Et seconde question, vous serez amené demain,
27:01en tant que futur membre du Conseil constitutionnel,
27:04à siéger dans les formations,
27:07à même de juger des candidats
27:10ou des parlementaires lors de ces élections.
27:14Vous savez que la pratique du déport
27:16au sein du Conseil constitutionnel
27:17est particulièrement souple.
27:19Est-ce que c'est une chose que vous êtes susceptible de faire
27:22si vous êtes amené à juger des candidats que vous connaissez
27:24ou avec qui vous avez siégé ? Merci.
27:27Merci. M. Eric Kerbouche.
27:29Merci, madame la présidente.
27:31M. Philippe Bas, il est bien loin le temps
27:33où le Conseil constitutionnel était considéré
27:35comme le chien de garde de l'exécutif
27:37au moment de la création de la Vème République.
27:40Aussi bien la décision de 1971,
27:43la capacité à saisir le Conseil par 60 députés, 60 sénateurs,
27:47et les QPC ont fait en sorte que ce Conseil constitutionnel
27:51a une tendance, je ne sais pas si elle est fâcheuse,
27:54mais une tendance peut-être nécessaire
27:56à la transformation en un véritable cours constitutionnel.
27:59Néanmoins, dans l'état actuel des choses,
28:01nous sommes toujours dans une situation hybride d'entre-deux.
28:05Et donc, c'est ma question,
28:08faut-il évoluer vers une véritable cour constitutionnelle ?
28:13Et quel est votre avis sur cette possible évolution ?
28:15Ou faut-il garder le système un peu, encore une fois,
28:19malheureux d'entre-deux dans lequel nous nous trouvons,
28:22qui fait que le Conseil a une place éminente,
28:25certes, sans avoir le rôle complet d'une cour constitutionnelle
28:30qu'elle devrait sans doute avoir,
28:32eu égard à son importance dans nos institutions,
28:35ce qui ferait nécessairement réfléchir aussi
28:37aux conditions de domination.
28:39Mais au moins sur cette évolution, qu'en pensez-vous ?
28:41Merci, madame Olivia Richard.
28:43Merci, madame la présidente.
28:46Monsieur le conseiller, monsieur le ministre,
28:49monsieur le président, chers collègues,
28:53vous avez eu la modestie de souligner
28:57l'absence de qualifications académiques déterminantes.
29:01Vous m'excuserez, j'espère, d'avoir souri
29:04lorsque vous avez dit ça.
29:06Je suis très impressionnée moi-même de pouvoir être ici aujourd'hui
29:10et de participer à ce vote qui, je pense,
29:13va rassurer beaucoup d'entre nous
29:15sur le renforcement du Conseil constitutionnel
29:18que pourrait constituer votre nomination.
29:21Une question très rapide.
29:22Je représente les Français établis hors de France
29:25et je voulais votre sentiment sur le fait
29:27que des élus au suffrage universel direct
29:30puissent n'avoir qu'un rôle purement consultatif.
29:34Merci.
29:36Merci. Je vais donner la parole à monsieur Philippe Bas
29:38pour vous répondre.
29:45Madame Brillante-Dumont,
29:49je voudrais dire que c'est un progrès
29:54que le Conseil constitutionnel soit chargé du contentieux
29:58des élections parlementaires,
30:01mais aussi de l'élection présidentielle
30:05et des référendums.
30:07Sous les régimes précédents, c'était les assemblées elles-mêmes.
30:12Et je crois que c'est une bonne garantie
30:15que ce soit une juridiction constitutionnelle,
30:17et non pas d'ailleurs le Conseil d'Etat simplement,
30:21qui a développé toute la jurisprudence, néanmoins,
30:25sur la régularité des scrutins, des autres scrutins.
30:31C'est une bonne chose
30:33que le Conseil constitutionnel soit investi
30:35de cette responsabilité,
30:37et il le fait également avec le souci
30:42de ce fameux réalisme du contentieux électoral,
30:47mais en appliquant des lois qui sont de plus en plus sévères
30:52et qui ne laissent pas toujours beaucoup de marge de manœuvre
30:55aux juges de l'élection.
30:58Alors, vous me demandez si j'aurais à me déporter.
31:04C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre par avance,
31:08puisque ce sont des situations individuelles
31:11qui se présenteront,
31:13mais je vous le dis, si j'ai le sentiment
31:16qu'il pourrait y avoir un doute
31:19sur mon indépendance de jugement dans telle ou telle affaire,
31:22et d'ailleurs pas seulement de contentieux électoraux,
31:25je veillerai à ce que ce doute ne puisse pas subsister.
31:32À notre collègue Kérouche,
31:34qui rappelle que le Conseil constitutionnel
31:37n'est plus ce chien de garde de l'exécutif
31:40qu'il était censé être
31:44dans les premières années de son existence,
31:48et qui s'interroge sur des évolutions possibles
31:51pour transformer le Conseil constitutionnel,
31:54qui est déjà une juridiction constitutionnelle.
31:58En cours constitutionnel, je crois pouvoir interpréter
32:01votre propos en disant
32:05qu'il s'agirait alors d'en faire une véritable cour suprême
32:09au sommet de l'ordre juridictionnel,
32:12j'ai tout de même envie de répondre
32:15que le Conseil constitutionnel est unique,
32:19que le Conseil constitutionnel, bien sûr,
32:23nous le connaissons principalement
32:27parce qu'il assure la protection des droits et libertés,
32:31mais il continue à être un arbitre
32:34des relations entre les pouvoirs publics constitutionnels,
32:38un gardien du bon fonctionnement
32:43du processus législatif.
32:46Et ces fonctions restent importantes,
32:49et je crois qu'elles le sont, d'ailleurs, de plus en plus,
32:54quand on voit les stratégies d'obstruction à l'oeuvre,
32:58parfois, qui empêchent la représentation nationale
33:02de délibérer dans de bonnes conditions,
33:05et quand on constate l'instabilité
33:08dans laquelle nous sommes, j'espère provisoirement,
33:11entrés du point de vue du fonctionnement
33:13de nos institutions politiques.
33:16Donc, il me semble qu'il ne faut pas raisonner par catégories.
33:22Déjà, avec la révision constitutionnelle de 2008
33:25et l'introduction de la question prioritaire
33:28de constitutionnalité,
33:31on a fait franchir au Conseil constitutionnel
33:33une étape importante.
33:35Le règlement du Conseil constitutionnel
33:39a apporté aussi un certain nombre de garanties nouvelles
33:43sur le fonctionnement de la juridiction constitutionnelle.
33:47La qualité de la motivation, qui n'a cessé de croître,
33:52est également une évolution
33:56qui montre bien que son statut de cours constitutionnel,
34:00le Conseil constitutionnel l'a acquis,
34:02mais ça ne signifie pas qu'il doit maintenant s'aligner
34:06sur d'autres modèles que le sien,
34:08car son modèle, le modèle du Conseil constitutionnel,
34:11est, de mon point de vue, une réussite française.
34:15Merci à Olivier, à Olivia, à Richard,
34:19d'avoir bien voulu ne pas m'emboîter le pas
34:25sur ce que je qualifiais
34:28de compétence académique à parfaire.
34:32En ce qui concerne la question que vous posez,
34:36elle est intéressante,
34:38parce qu'il est vrai que quand on est élu au suffrage universel,
34:42ça n'est pas pour avoir simplement un pouvoir d'avis.
34:46Mais les délégués des Français de l'étranger
34:50ont un rôle très important,
34:53puisqu'ils désignent les sénateurs.
34:56Et par conséquent, je crois qu'on peut dire
34:59que leur rôle ne se limite pas à donner des avis.
35:04Alors si le légisme...
35:05...sur Public Sénat.
35:06Voilà l'extrait de cette audition de Philippe Bas.

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