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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Remontons, si vous le voulez bien, chers amis, de quelques belles années en arrière et rendons-nous dans un quartier qui disparaît aujourd'hui et que Grégory Frank semble affectionner particulièrement.
00:22Souvenez-vous, notre ami nous a déjà entraîné plusieurs fois au cœur de la capitale, là où se tenait le milieu parisien dans ses ruelles sombres et ses estaminées de la rue Saint-Denis à la rue Quimperpoix en passant par le Sébasto et l'église Saint-Méry.
00:38Sur ce lit appelé le Plateau Beaubourg, autour des Halles de Paris se déroulèrent de nombreux épisodes devenus quasi légendaires pour les amateurs de dossiers extraordinaires.
00:48Aujourd'hui, le centre de l'histoire se situera rue Aubry-le-Boucher où la police se livra à l'une de ses plus curieuses arrestations.
00:58Nous ferons ainsi la connaissance d'une figure singulière du crime.
01:04D'abord à cause de l'arme incroyable qu'il utilisa ensuite, imaginez un homme qui n'aurait sûrement commis de toute son existence qu'un ou deux délits mineurs et qui ne serait devenu un vrai criminel que parce qu'on l'a arrêté, parce qu'on l'a arrêté un peu vite.
01:23Qu'en dites-vous ?
01:25J'en entends qui disent « baliverne, un criminel est un criminel et la police ne fait que nous en protéger ».
01:31D'autres aussitôt répondent « nous faites pas rire, des exemples récemment rendus publics prouvent que les prisons sont des fabriques à truands, des pépinières où le malfrat germe et grandit à l'ombre ».
01:42Oui, je sais, le problème vient à la mode ces temps-ci.
01:46Alors, tant mieux si cette émission fait naître la discussion entre vous.
01:51Examinons ensemble le cas exemplaire du tristement célèbre cordonnier Liabeuf au travers de ce récit que Grégory Franck a intitulé « Le bandit bardé ou, pour des raisons qui vous deviendront évidentes, qui s'y frotte, s'y pique ».
02:21À Saint-Etienne, les Liabeufs travaillent tous les deux dans le théâtre.
02:33Mais attention, ce ne sont pas des artistes, non, les Liabeufs sont des gens sérieux, lui est accessoiriste et Madame tient la buvette.
02:39Que deviendra le petit Jean-Jacques, leur fils, ou sûrement quelqu'un de sérieux aussi, s'il suit la voie que lui tracent ses parents ?
02:47D'abord une bonne instruction, l'école jusqu'à 13 ans. Dans les années 90, c'est nettement au-dessus de la moyenne.
02:53Et puis, après l'apprentissage, un bon métier, que dis-je, un bon métier, deux bons métiers, l'imprimerie et la chaussure.
03:00Au moins, il aura quelque chose dans les mains, le jeune Jean-Jacques Liabeuf.
03:04On ne le laisse pas désarmer dans la vie, il va pouvoir faire son chemin.
03:07Enfin, il pourrait le faire, s'il n'avait pas ce curieux caractère, cette manie de rêvasser, de griffonner sur le moindre bout de papier
03:15et surtout de se mettre en tête des idées fixes.
03:19Ah ça, quand il a une idée, Liabeuf, il faudra lui couper la tête pour la lui enlever avec.
03:23C'est ce qu'on dit de lui, dès que l'on commence à le connaître un peu.
03:26Et à côté de ça, influençable comme un gamin, il a beau essayer de se vieillir en se laissant pousser une grosse moustache
03:32qui fait le pendant de ses épais sourcils arqués, Jean-Jacques Liabeuf restera toujours un gamin à la silhouette mère.
03:39Mais ne vous y fiez pas, il a la force des nerfs, une vigueur peu commune et une vivacité surprenante.
03:48Ce qui donne à peu près ceci, une rencontre, une idée qui le frappe, il enregistre.
03:55Derrière, sans visage carré qui se ferme, voilà l'idée bien ancrée.
03:59Et puis après, de toute son énergie, il fonce sans en démordre et sans que rien ne puisse l'arrêter.
04:06Tenez par exemple, ses trois copains Stéphanois, ils l'ont bien embobiné, le Jean-Jacques.
04:12Ah bien sûr, ils étaient plus âgés que lui, mais surtout c'était des amis, et des amis c'est sacré.
04:18Alors le voilà, notre cordonnier qui joue les montants l'air.
04:21Oh, un petit vol de rien du tout, mais un vol quand même, c'est le début de la glissade sur la plante savonnée.
04:27On ne va pas bien loin, on se fait prendre.
04:30Quatre mois de prison pour l'iabeuf, ça lui servira de leçon me direz-vous.
04:34Dès qu'il sort, eh bien le voilà reparti.
04:37Et tes copains sont des copains, est-ce qu'on a le droit de leur refuser un coup de main pour une petite expédition ?
04:43Et revoilà l'iabeuf devant le tribunal de Saint-Étienne, et cette fois il en prend pour trois mois.
04:49Et les copains, ils lui mettent tout sur le dos, après tout, il est le seul à avoir un casier vierge, ou quasiment.
04:56Les juges seront moins sévères avec lui que pour les chevaux de retour dont il est le complice.
05:01Et qu'est-ce qu'il dit le Jean-Jacques ? Eh, il dit rien.
05:04Derrière ses gros sourcils, il accepte.
05:06Ah dame, le juge dit qu'il le condamne pour vol, et l'iabeuf a-t-il volé ?
05:10Oui, oui, n'est-ce pas ? Alors l'iabeuf est un voleur, et il n'y a pas à protester.
05:14L'iabeuf ne proteste pas, et tire ses trois mois.
05:18Ce sera l'occasion pour lui de parfaire son éducation de dur,
05:22et de se convaincre, si besoin en est, qu'il est un gars à l'ardresse.
05:26Sorti de prison, l'iabeuf va-t-il replonger ?
05:29Non, non, heureusement il y a l'armée, le service militaire.
05:32Est-ce que l'on proteste contre le service militaire ? Sûrement non, tout le monde l'accomplit.
05:36Il faut bien servir son pays, pas vrai ? Alors l'iabeuf va servir sans regimber.
05:41L'armée, ça forme le caractère, monsieur.
05:44Ça lui fera le plus grand bien, et ça l'empêchera d'avoir de mauvaises fréquentations.
05:48Parfaitement, monsieur. Surtout que des gars comme lui, on les envoie en Afrique, monsieur, oui.
05:53Et dans un régiment, on leur serre la vis.
05:56Et qui va-t-il y rencontrer dans ce régiment ? Des gars comme lui, bien sûr.
06:00C'est pas facile de sortir du cercle.
06:02Une fois qu'on a mis le doigt dedans, c'est la main qui passe.
06:06Vous connaissez la suite.
06:08Mais la suite, c'est le retour au pays avec en poche une liste de bonnes adresses,
06:12où l'on retrouvera les amis, ceux de la prison, et ceux des baddafs.
06:17Les bonnes adresses de l'iabeuf sont à Paris, capitale des malfrats, comme des honnêtes citoyens.
06:23Mais le haut lieu des durs, c'est le quartier idéal,
06:26où le bourgeois ne se risque à la nuit que dans les rues frontalières,
06:29et en groupe, en riant fort, pour chasser le frisson qu'en passent les apaches.
06:34L'iabeuf, lui, c'est un vrai.
06:36Un de ceux qui font le spectacle, et vide des verres de mauvais vin dans les tavernes mal éclairées,
06:40où l'on crache dans la sueur.
06:42C'est là ?
06:43Oui, c'est là qu'il se retrouve après la quille au retour d'Afrique.
06:46Il n'a pas le sou, mais il tient sa place, roulant les mécaniques, comme l'on dit,
06:49et jamais le dernier pour offrir la tournée.
06:52Il est bien, là, entre la rue Saint-Denis et l'église Saint-Méry.
06:56Il rencontre des gens comme lui.
06:58Et puis, complément indispensable au tableau, au cœur de l'activité essentielle de ce quartier,
07:03il y a les filles.
07:05Source de revenus d'un bon nombre de ces messieurs, elles sont aussi là pour le sentiment,
07:09quitte à ce que l'on exploite l'une pour accorder ses faveurs à l'autre.
07:13Mais, Liabeuf est intimide.
07:16Tellement timide qu'il faut que la belle Marcelle fasse les premiers pas,
07:21en lui envoyant un message.
07:24Le message transmis, Liabeuf ouvre enfin les yeux et voit celle qui a fait de lui l'élu de son cœur,
07:30la grande Marcelle.
07:32Elle arpente assidûment le trottoir de la rue Aubry-le-Boucher,
07:35mais elle n'en est pas moins une brave fille,
07:37et tout le monde est ravi de voir la grande Marcelle avec le cordonnier.
07:41Tout le monde, y compris Vore et Maugras, deux agents civils de la police des mœurs.
07:49Vore et Maugras, à qui la dégaine de Liabeuf ne revient pas.
07:54Et on peut dire que ce sont ces deux agents qui, d'un bien modeste demi-sel,
07:59vont faire le légendaire bandit à l'armure, le bandit bardé.
08:06Voici un extrait des authentiques mémoires du cordonnier Liabeuf,
08:10que nous avons surnommé le bandit bardé.
08:13Du fond de sa prison, il écrira ceci.
08:16« J'avais un camarade qui vivait avec une fille soumise, amie de la fille Marcelle Pigeon.
08:22Voyant que je ne lui adressais pas la parole en premier,
08:25elle dit à sa camarade, va trouver celui qui a le chandail blanc
08:29et dis-lui que j'ai le bégat pour lui et que je voudrais lui causer.
08:32Elle va me trouver et me fit sa commission.
08:35Je me levai, elle m'attendait sur le pas de la porte.
08:38Je la fis rentrer dans le bar, lui offrit un verre ainsi qu'à sa camarade. »
08:43C'est ainsi que commence l'idylle entre Liabeuf, le cordonnier,
08:48et Marcelle Pigeon, la grande Marcelle.
08:52Ce soir-là, on les voit pour la première fois sortir bras dessus, bras dessous,
08:56et ce spectacle pourtant anodin intéresse deux témoins attentifs.
09:02Vore et maugras, dit beau gosse et la flûte,
09:07deux intéressants personnages qui exercent la profession d'agent de la police des mœurs.
09:12Ces deux hommes, qui passent leur vie dans les mêmes lieux que ceux qu'ils surveillent,
09:16ont pris Liabeuf en grippe.
09:18La tête du cordonnier ne leur revient pas,
09:20ni surtout son assurance et ses attitudes de matamor.
09:24Ils ont eu à une ou deux occasions des discussions de comptoir avec Liabeuf
09:28et il leur a tenu d'être âgé hôte comme à n'importe quel consommateur.
09:32Comme il n'a rien à redouter d'eux,
09:34ils n'ont aucun ascendant sur ce cabochard et il leur a dit en face,
09:37et ça les énerve Vore et maugras,
09:39eux qui ont l'habitude d'évoluer en camarades auprès des gars du milieu,
09:42mais d'être respectés dès qu'ils montrent le dos de leur revers.
09:46Ils les agacent prodigieusement, ce petit gars de vingt-quatre ans qui les toise.
09:50Aussi se frottent-ils les mains, Vore et maugras,
09:53lorsqu'ils voient Liabeuf et la grande Marcelle rentrer ensemble chez la fille.
09:57Et cela se transforme en une réelle satisfaction
10:01lorsqu'ils acquièrent bien vite l'assurance que les deux oiseaux se mettent en ménage.
10:05Ils le tiennent, le cordonnier, il ne crânera plus longtemps.
10:10En effet, les choses ne traînent pas.
10:12Sur un beau rapport circonstancié de Beaugosse et La Flûte, Vore et maugras,
10:15voilà notre gaillard appréhendé et conduit devant le juge.
10:18Trois mois de prison, cent francs d'amende, c'est le tarif.
10:21Mais surtout la peine est assortie de cinq ans d'interdiction de séjour.
10:25Et cela, ça ne passe pas.
10:28C'est en effet la condamnation pour vagabondage spécial.
10:32Vagabondage spécial, c'est le terme pudique sous lequel on désigne le proxénétisme.
10:37Et pour le cordonnier Liabeuf, c'est une infamie.
10:40Et il entre dans une fureur incontrôlée.
10:42Il hurle à l'injustice, il se débat, il proteste.
10:45Autant il avait accepté d'être condamné comme voleur quand il avait volé,
10:48même s'il n'était que complice.
10:50Autant il refuse d'être taxé de proxénétisme.
10:54Même plus tard, quand il aura commis son crime au pied de l'échafaud,
10:58il protestera encore pour refuser cette étiquette affamante.
11:03D'ailleurs, rien ne prouve vraiment qu'il ait tiré profit de la profession de sa maîtresse.
11:07Certes, il vit avec elle.
11:09Certes, la grande Marcelle est une prostituée notoire.
11:11Mais Liabeuf a un métier, il travaille de ci, de là.
11:14Un chroniqueur écrit d'ailleurs,
11:16« De nombreux agents, pour obtenir la condamnation d'individus qu'ils pensent être des souteneurs,
11:21n'hésitent pas à insérer dans leurs rapports qu'ils les ont vus recevoir de l'argent sur la voie publique
11:26ou payer les consommations avec de l'argent pris dans le porte-monnaie d'une fille.
11:31En réalité, il est exceptionnel que le souteneur, méfiant de nature,
11:35reçoive des fonds ailleurs qu'au domicile commun. »
11:39Et il est vrai qu'il faudrait être bien un sceau et bien un imprudent
11:42pour se compromettre par un pareil geste.
11:45Mais la justice a statué et maintient son arrêt.
11:50Liabeuf est enfermé à Fresnes et de ce jour, il n'a plus qu'une idée.
11:55Il se vengera, coûte que coûte.
11:58« L'erreur des agents n'est qu'une erreur volontaire, écrit-il,
12:01car ils voulaient se débarrasser de moi, prétendant que je faisais trop le crâneur. »
12:07Alors vous le connaissez maintenant, Liabeuf.
12:09Il a son idée, rien ne l'arrêtera.
12:12C'est d'ailleurs en prison que germe le projet d'une arme à la fois folle et terrible
12:18qui lui permettra d'accomplir sa vengeance à coup sûr.
12:20Une arme que nous allons voir bientôt à l'œuvre.
12:24Les trois mois passent presque vite, sous l'excitation qui le tient.
12:29Et le voilà revenu à Paris.
12:32« L'interdiction de séjour ! Il passera outre, comme presque tous ses camarades.
12:36Mais bien sûr, il faut se cacher. »
12:39Écoutez son récit.
12:41« Je m'étais fait embaucher chez un patron sous le nom de Ravinet
12:44pour dépister la police si bien que je ne vivais plus.
12:47J'étais comme un fou, ne songeant qu'à me venger,
12:50car il faut vraiment être le dernier des lâches
12:53pour m'avoir arrêté et fait condamner, sachant que j'étais innocent. »
12:58Mais le voilà reconnu, traqué,
13:01et condamné à nouveau à un mois de prison pour infraction à l'interdiction de séjour.
13:05Il revient, recommence son jeu de cache-cache,
13:08car il a besoin d'un atelier de cordonnier.
13:10Oui, d'un atelier de cordonnier pour son projet.
13:13En dehors de ses heures de travail,
13:15il reste à la table en prenant soin que personne ne le voit,
13:18et il taille, coupe et pique.
13:24« Le dimanche 2 janvier, au marché de Bicêtre,
13:26il achète un petit revolver et des munitions.
13:29Je les ai payées 10 francs, écrit-il.
13:31Entre-temps, j'avais donné un tranché à aiguiser tout du long,
13:35en recommandant qu'il coupe bien, que je ne regarderais pas la dépense.
13:41Et le samedi 8 janvier,
13:43c'est le grand jour du cordonnier Eliabeuf.
13:46Il est prêt, enfin.
13:50De bonne heure le matin,
13:52il quitte les hauteurs de Belleville, où il niche,
13:55et descend vers la plaine de Saint-Méry, vers les Halles.
13:59« Je les aurais.
14:01Je descendrai beau gosser la flûte qui m'ont fait condamner innocent,
14:04m'armene-t-il dans une rage froide. »
14:07Il s'est drapé d'une ample pèlerine,
14:10sous laquelle il cache ses armes, si bien fourbis.
14:15Le voici à l'atelier, mais il ne vient pas pour travailler.
14:19Il dit adieu à ses camarades,
14:21et se fait régler son compte par le patron.
14:24Rue du Foubourg du Temple,
14:26sur le pont qui traverse le canal,
14:29le voici qui se livre, à des tranches préparatives,
14:32comme s'il passait quelque chose à ses bras et à son cou.
14:35L'éclusier de garde sort de sa guérite.
14:38Vivement, l'iabeuf se cache dans les plis de sa pèlerine,
14:41et disparaît.
14:43Rue Aubry-le-Boucher, au numéro 12,
14:46le voici devant une silhouette familière.
14:49C'est la grande Marcelle, déjà à pied d'œuvre.
14:51Sans dire un mot, il l'entraîne dans le bar,
14:54et lui offre un verre, comme le jour de leur rencontre.
14:57Puis il la regarde longuement,
14:59et lui fait signe de retourner à son trottoir.
15:02Jusqu'à six heures du soir,
15:04il va écumer le quatrième arrondissement,
15:07en rageant de ne pas trouver vore et maugras,
15:10ses deux ennemis.
15:23Prévenus de son étrange conduite par leurs informateurs,
15:25deux agents sont arrivés et se sont postés sur le trottoir,
15:28face à l'estaminé,
15:30où l'iabeuf est allé avaler un verre du plus mauvais des alcools,
15:32ainsi qu'à mettre davantage son cerveau en ébullition.
15:35« Fais gaffe, mon gars, ils sont là, dehors.
15:37Ils t'attendent. »
15:39« Deux flics. »
15:40« Ben, qui c'est ? »
15:41« C'est Bulldog et Perroquet. »
15:43« Monsieur, beau gosse et la flûte que je veux. »
15:45« Bulldog et Perroquet, c'est pas après eux que j'en ai. »
15:48« Surveille-les. »
15:50« Dès qu'ils auront le dos tourné, je sors par derrière pour les éviter,
15:53et je prends la rue Saint-Martin. »
15:55Écoutez la suite de la plume même de l'iabeuf.
15:59« Je n'avais pas fait dix mètres
16:01que j'entendis courir derrière moi.
16:03Je me retournais brusquement,
16:05et apercevant Bulldog et Perroquet,
16:07qui venaient sur moi de toute évidence pour m'arrêter,
16:09je jetais ma pèlerine en arrière
16:11et les attendais de pied ferme.
16:13Oui.
16:15Voici l'iabeuf comme une bête traquée
16:18acculée dans un corridor au numéro 4
16:20de la rue Aubry-le-Boucher.
16:22L'agent en fournais,
16:24c'est l'agent de raie,
16:25autrement dit Perroquet et Bulldog,
16:27lui barre la seule issue possible.
16:29Ce sont deux forts gaillards
16:31aux moustaches en crocs
16:33qui avancent, sûr de leur fait,
16:35vers la silhouette qu'ils aperçoivent
16:37coincée contre un escalier.
16:39Ils l'aperçoivent, mais surtout,
16:41ils l'entendent, grognant
16:43et soufflant comme un sanglier.
16:45Alors, d'un même élan,
16:47ils se jettent sur l'homme traqué,
16:49main en avant, et aussitôt,
16:51ils reculent en hurlant de douleur.
16:53« Mes mains ! Mes mains !
16:55Oui, leurs mains sont ensanglantées,
16:57horriblement déchirées
16:59et percées
17:01comme passées sous une herse.
17:03Mais sous la surprise,
17:05ils se lancent automatiquement à nouveau
17:07vers l'hiabuffe et tentent de le ceinturer,
17:09de l'agripper au cou, et là encore,
17:11chaque partie de leurs avant-bras qui entre
17:13en contact avec la silhouette qui se débat,
17:15chaque centimètre carré de peau,
17:17reçoit une blessure profonde et cuisante.
17:19Et dans ce couloir, où ils ne voient rien,
17:21ils sont comme fous.
17:25Ils ne comprennent pas.
17:27Alors ils appellent à l'aide.
17:29Au cri de bouledogue, voici
17:31que répond le martèlement rythmé des chaussures
17:33d'uniforme. Des sergents de ville en armes
17:35viennent à la rescousse et la lutte se poursuit et devient
17:37sauvage. « Des sergents de ville
17:39arrivaient au pas de charge et sabrent au clair,
17:41écrit l'hiabuffe. Je frappais comme je
17:43pus avec mon tranché, sur perroquet
17:45et bouledogue. Des agents
17:47entrèrent, sabrent en avant, et je fus touché à la poitrine.
17:49Je tombai sur les marches de l'escalier,
17:51je fus désarmé de mon tranché,
17:53mais je tenais toujours mon revolver.
17:55J'entendis un sergent qui criait,
17:57« Vous pouvez entrer, il est désarmé. »
17:59C'est à ce moment seulement que je fis feu deux fois
18:01sur bouledogue. L'on me porta
18:03un coup de mon tranché à la poitrine,
18:05je perdais mes forces,
18:07et la respiration me manquant,
18:09j'abandonnais la lutte.
18:11Voilà enfin le forcené maîtrisé
18:13et transporté à l'hôtel-lieu.
18:15À quelques mètres de la chambre où il est gardé,
18:17bouledogue,
18:19de son vrai nom l'agent De Rais,
18:21succombra de ses blessures à 5 heures
18:23du matin.
18:25Le 4 mai 1910, devant les juges
18:27et les jurés de la cour d'assises,
18:29les pièces à conviction vont faire
18:31leur effet. Il s'agit
18:33des morceaux d'une armure
18:35sur mesure,
18:37brassards et colliers en cuir,
18:39hérissés à chaque centimètre,
18:41d'une longue
18:43pointe d'acier tranchante comme une lame
18:45et pointue comme un croc.
18:47Des dizaines
18:49de dards qui devaient
18:51rendre leur porteur invincible.
18:53Liabeuf
18:55est condamné à mort.
18:57Il accepte
18:59son sort de criminel.
19:01Il refuse de faire appel pour ne pas avoir l'air
19:03de demander pardon à la police qui l'a fait
19:05condamner injustement.
19:07L'exécution a lieu le 1er juillet
19:091910.
19:11Les derniers mots de Liabeuf seront pour
19:13crier « Je ne suis pas un
19:15souteneur ».
19:17Au moment
19:19où le couperet tombe, se déclenche une émeute
19:21de protestations contre les méthodes policières.
19:23Les forces de l'ordre
19:25chargent.
19:27Un inspecteur de police est tué.
19:47Vous venez d'écouter
19:49Les récits extraordinaires de
19:51Pierre Bellemare. Un podcast
19:53issu des archives d'Europe 1.
19:55Réalisation et
19:57composition musicale, Julien Tarot.
19:59Production,
20:01Estelle Laffont. Patrimoine
20:03sonore, Sylvaine Denis,
20:05Laetitia Casanova, Antoine
20:07Reclus. Remerciements à
20:09Roselyne Bellemare. Les récits
20:11extraordinaires sont disponibles sur
20:13le site et l'appli Europe 1.
20:15Écoutez aussi le prochain épisode
20:17en vous abonnant gratuitement
20:19sur votre plateforme d'écoute préférée.