Plus de 80% d'augmentation du cancer chez les jeunes en 20 ans : "il faut se préparer à un Tsunami", alerte le Professeur Fabrice Barlesi, directeur général de l'Institut Gustave Roussy, premier centre de lutte contre le cancer en Europe.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 03 février 2025.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 03 février 2025.
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00:00RTL Matin
00:03Avec Amandine Bégaud et Thomas Soto
00:05Il est 8h17, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07Pendant des années et des années, on a pensé que les cancers étaient des maladies
00:10qui frappaient surtout les personnes âgées. Mais les choses ont changé
00:13et la maladie frappe des patients de plus en plus jeunes, vous le disiez Amandine.
00:16Ça inquiète les plus grands spécialistes de la planète, raison pour laquelle
00:19vous avez choisi de recevoir ce matin et à la veille de la journée mondiale
00:22de lutte contre le cancer, le professeur Fabrice Barlesy
00:25qui est aussi le directeur général de l'Institut Gustave Roussy. Bonjour et bienvenue.
00:28Bonjour professeur et merci d'être avec nous en studio ce matin.
00:31On entendait dans le journal de 8h le témoignage de Gabriel,
00:3433 ans, qui se bat aujourd'hui contre un cancer du côlon.
00:37Un cancer du côlon, à 33 ans,
00:40pour nous qui n'y connaissons rien, ça paraît complètement fou.
00:43Est-ce que vous, ça vous surprend ?
00:46Même pour les spécialistes, c'est évidemment une surprise. On voit cette tendance
00:49et cette courbe croissante des cancers chez les sujets jeunes.
00:52C'est beaucoup des cancers digestifs, comme l'exemple que vous citez,
00:55cancer colorectal, cancer de l'intestin grêle,
00:58cancer du pancréas. Mais vous en voyez tous les jours ?
01:01Ça a changé profondément les services d'oncologie digestive
01:04aujourd'hui, donc c'est quelque chose qui est beaucoup plus fréquent.
01:07Avec une pente qui est croissante, on n'a pas atteint ce plateau
01:10et c'est notre inquiétude aujourd'hui, c'est-à-dire comment on va affronter ça
01:13et quelles sont les causes et les origines de cette augmentation chez les sujets jeunes.
01:16Il y a quelques jours, professeur Barlesy, vous parliez d'un tsunami
01:19auquel il faut se préparer. Tsunami.
01:22C'est clair que cette augmentation aujourd'hui, qui est à la fois surprenante,
01:25pas complètement expliquée, avec des liens, mais pas de causalité,
01:28ne permet pas d'anticiper la manière dont on va arriver à juguler
01:31cette épidémie et la manière dont on va arriver à traiter
01:34ces jeunes patients. Et c'est la raison pour laquelle il faut investir
01:37de manière massive, dès aujourd'hui, si on ne veut pas être dépassé par un tsunami.
01:40Mais tsunami, ça veut dire qu'il va y avoir de plus en plus
01:43de cas de patients plus jeunes ? En tous les cas, aujourd'hui,
01:46les données épidémiologiques montrent
01:49qu'on est sur une augmentation. On a à peu près 80%
01:52d'augmentation entre les années 90 et les années 2020.
01:55C'est donc non négligeable, même si, Dieu merci,
01:58numériquement, en France, on considère que c'est à peu près
02:0115 000 cas de cancer chez des sujets qui ont moins de 40 ans.
02:04Ça reste évidemment modeste, mais ça ne veut pas dire
02:07qu'il ne faut pas s'en occuper. Au contraire, il faut le prendre à bras le corps.
02:10Presque deux fois plus de cancers aujourd'hui chez les moins de 50 ans
02:13qu'il y a 30 ans. Est-ce que ce n'est pas tout simplement,
02:16c'est peut-être ce que se disent certains qui nous écoutent,
02:19parce qu'on les dépiste mieux ?
02:22Chez les sujets les plus jeunes, comme vous le savez, il n'y a pas
02:25de dépistage qui soit organisé. Le dépistage, globalement,
02:28commence à peu près à l'âge de 50 ans. Donc non, malheureusement,
02:31ce n'est pas le dépistage. On fait peut-être des diagnostics plus rapidement,
02:34plus précocement, quoique, comme vous l'avez souligné, la rareté
02:37et le fait qu'on ne s'attende pas à avoir ce type de pathologie à cet âge-là
02:40fait que parfois, les parcours diagnostiques ne sont pas aussi évidents.
02:43Vous parliez de ces cancers de la sphère digestive,
02:46colon, pancréas, estomac. Comment on l'explique ?
02:49Même si, effectivement, il n'y a pas de réponse très précise. A priori,
02:52un jeune qui a aujourd'hui 30 ou 40 ans, il
02:55boit moins et fume moins que son père
02:58ou son grand-père, en tout cas, si on regarde les chiffres
03:01dans la moyenne. C'est dans l'alimentation qu'il faut chercher les raisons ?
03:04En tout cas, il y a des données qui montrent qu'il y a un lien.
03:07Des données notamment américaines, on voit que la consommation
03:10d'alimentation ultra transformée est associée à un risque
03:13de cancer colique, mais il n'y a pas de lien
03:16de causalité. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on n'est pas capable d'expliquer
03:19de manière mécanistique pourquoi et comment cette alimentation
03:22ou bien les microplastiques, vous en parliez tout à l'heure,
03:25ou bien l'exposition à certains polluants,
03:28pourraient être responsables directement de ces pathologies.
03:31Donc, il est clair que nous avons besoin de travailler,
03:34de travailler sur des grandes cohortes épidémiologiques. C'est le sens
03:37des travaux que nous lançons avec Gustave aussi. Et pour ça, il faut des moyens ?
03:40Il faut énormément de moyens, car ces données épidémiologiques doivent intégrer
03:43énormément à la fois de gens qui sont malades
03:46aujourd'hui, mais aussi de sujets comme vous et moi, de sujets sains
03:49et de sujets même plus jeunes que nous, qui aujourd'hui, peuvent être exposés
03:52à un certain nombre d'éléments et qu'il va falloir comprendre comment,
03:55quelle est la différence entre ceux qui développent une pathologie,
03:58ceux qui ne la développent pas, ceux qui la développent, quelles sont ses caractéristiques,
04:01arriver à aller très profondément dans les caractéristiques de la maladie
04:04pour pouvoir la comprendre et déterminer les meilleures stratégies thérapeutiques
04:07que l'on va pouvoir leur proposer.
04:10J'imagine que tous ceux qui nous écoutent s'inquiètent forcément
04:13quand ils entendent ce genre de chiffres. Est-ce qu'il faut changer le dépistage ?
04:16Je pense par exemple au cancer du sein, qui est aujourd'hui,
04:19on le rappelle, la première cause de décès chez les femmes,
04:22la première cause de décès par cancer.
04:25Est-ce qu'il faut des dépistages plus précoces,
04:28les premières mammographies ? Aujourd'hui, c'est 50 ans, le gouvernement réfléchit
04:31à avancer ce premier examen.
04:34Est-ce que vous y êtes, vous, favorables ?
04:37Je crois que la question, c'est de savoir quel est le sens et quelle est l'utilité
04:40de mettre en place ces dépistages. Faire un dépistage, c'est aussi
04:43des conséquences, à la fois en termes d'organisation,
04:46en termes d'examens supplémentaires qui pouvaient être générés par ça.
04:49Je pense qu'aujourd'hui, et nous c'est le pari qu'a fait Gustave aussi,
04:52on est plus pour une prévention et un dépistage personnalisés.
04:55C'est-à-dire être capable, à la fois par les données qui sont les données de votre histoire familiale,
04:58les données génétiques, vos caractéristiques,
05:01l'exposition environnementale. Est-ce que vous êtes un sujet à risque
05:04normal, standard, ou est-ce que vous êtes quelqu'un
05:07qui a un risque augmenté de développer une pathologie cancéreuse ?
05:10Ça veut dire quelqu'un qui a un papa ou une maman, un grand-père ou une grand-mère
05:13qui a eu un cancer, il faut qu'il soit plus vigilant ?
05:16En tous les cas, l'idée est d'identifier ceux qui sont à risque augmenté
05:19et dans ces cas-là, de pousser les examens, d'en faire de manière
05:22plus fréquente ou des examens qui ne sont aujourd'hui pas indiqués.
05:25Et c'est le sens du grand programme Interception qui est développé par Gustave Rossy.
05:28Emmanuel Macron doit se rendre demain à l'hôpital Gustave Rossy.
05:31J'imagine que ça fait partie, ces cancers chez les jeunes,
05:34des sujets que vous avez l'intention d'aborder avec lui.
05:37Qu'est-ce que vous demandez concrètement au Président de la République ?
05:40De poursuivre les efforts importants qui ont été mis en oeuvre
05:43et qui ont été souhaités par le Président de la République, c'est-à-dire notamment
05:46la structuration de la cancérologie sur le plan national et les moyens donnés
05:49à l'Institut National du Cancer.
05:50On parle beaucoup de budget, vous avez les moyens aujourd'hui de faire ce que vous souhaitez faire ?
05:54Si vous voulez, on est dans une échelle de 1 à 10 par rapport à nos collègues nord-américains
05:57sur notamment ce qui est la philanthropie.
06:00Donc il faut arriver à donner les moyens, notamment aux grands philanthropes en France,
06:03de soutenir les grands projets et les grandes institutions comme Gustave Rossy,
06:06les leaders. Gustave Rossy est le quatrième centre mondial.
06:09Il faut arriver à être dans cette compétition, avoir les moyens de recruter des chercheurs,
06:12de garder des chercheurs de très haut talent, de garder aussi des médecins de haut talent,
06:15d'avoir les moyens de développer des médicaments,
06:18mais aussi de le faire de manière concentrée sur, je dirais,
06:21un endroit où les gens peuvent échanger.
06:23Les chercheurs avec les médecins, les médecins avec les industriels.
06:25Il ne faut pas chacun dans son coin.
06:26Exactement. Il faut arriver à concentrer à l'échelle d'un pays comme la France
06:29et c'est le sens des clusters et notamment du Paris-Saclay Cancer Cluster
06:32voulu par le Président de la République.
06:33On a l'habitude de dire que 40% des cancers pourraient être évités.
06:37Est-ce que c'est toujours vrai ?
06:38C'est carrément et clairement vrai et ça c'est un effort que chacun d'entre nous peut faire.
06:4240% des cancers aujourd'hui peuvent être évités.
06:44On sait qu'ils sont liés à quatre facteurs principaux,
06:47que sont le tabac, il y a quand même encore en France et notamment chez les sujets jeunes,
06:50énormément de tabagisme.
06:51L'alcool, où il y a une consommation en France qui reste quand même relativement élevée.
06:55La sédentarité, on peut tous faire un petit effort chaque jour.
06:59Et puis les surpoids et la nutrition qui sont évidemment aujourd'hui un sujet
07:03et on voit bien comment dans notre environnement,
07:05y compris parmi les sujets les plus jeunes,
07:07on a quand même un surpoids qui est de plus en plus fréquent parmi les jeunes générations.
07:11Toute dernière question, on parle souvent de dépistage par une simple prise de sang.
07:16Est-ce que ça c'est de la science-fiction ou est-ce qu'on le verra vraiment ?
07:19Ce n'est pas de la science-fiction, c'est déjà une réalité.
07:22C'est-à-dire que ces tests existent,
07:24mais ces tests aujourd'hui ne sont pas validés et ne pas utilisés au quotidien.
07:28Et pourquoi ? Parce qu'il faut arriver à faire en sorte que ces tests soient suffisamment sensibles,
07:33c'est-à-dire dépister une maladie quand elle est quasiment à une échelle microscopique,
07:37très facilement traitable, mais qui soit aussi très spécifique.
07:40Il n'est pas question qu'on vous dise que vous avez un test qui est positif
07:42alors même que vous n'avez aucune maladie.
07:44Donc on a encore besoin de progresser dans le développement de ces tests.
07:46Mais on peut clairement imaginer que d'ici la fin de la décade,
07:48on aura des tests qui seront utilisables au moins dans certaines situations cliniques.
07:52Donc d'ici 2030, une prise de sang et on saura si...
07:55En tous les cas, il y aura des tests disponibles, je dirais probablement beaucoup plus précis,
07:58tellement le développement et les investissements sont importants dans ce domaine.
08:01Merci beaucoup professeur d'être venu ce matin sur RTL.
08:03Il y a de l'espoir, il y a de l'urgence dans vos propos.
08:05L'appel d'urgence lancé par le professeur Barési à votre micro à Mandine.
08:08Il faut investir massivement dès aujourd'hui si on ne veut pas être dépassé par un tsunami.