• il y a 12 heures

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:0018h42, de retour dans Punchline, sur CNews et sur Europe 1, toujours avec Louis de Ragnel, avec Catherine Éric-Revel, Alexandre Devecu.
00:06On a le plaisir de recevoir Claire Fourcade. Bonsoir madame, vous êtes médecin, présidente de la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs.
00:13On parle beaucoup de politique, on a parlé du budget il y a quelques instants.
00:17Il y a des projets de loi qui sont toujours à l'étude, notamment le projet de loi sur la fin de vie, il n'y a aucune date pour l'instant qui est évoquée.
00:24Mais on a appris par la bouche de François Bayrou que le texte serait scindé en deux projets différents, un qui concerne les soins palliatifs, un qui concerne l'euthanasie.
00:33Est-ce que déjà, sur le principe, c'est quelque chose qui va dans le bon sens pour vous ?
00:36Oui, absolument. Depuis le début des discussions sur ce projet de loi, il y a maintenant plus de deux ans, les soignants demandaient que ces deux volets soient scindés
00:45pour bien marquer, d'abord, sur le fond, la différence. Les soins palliatifs, c'est une question de soins, comme leur nom l'indique, c'est une question médicale,
00:53la façon dont notre société prend soin des plus fragiles et des plus vulnérables. La partie sur l'euthanasie et le suicide assisté est une partie beaucoup plus sociétale.
01:01Donc c'est deux sujets différents qui doivent être dissociés. Et puis sur la forme, ça permettra aux députés de voter librement sur chacun des sujets.
01:07Je pense qu'un texte sur les soins palliatifs pourrait de nouveau être voté à l'unanimité.
01:11La dernière loi votée à l'unanimité en France, c'est la loi Leonetti en 2005. On fête les 20 ans cette année.
01:16Ça pourrait symboliquement être fort d'avoir de nouveau un texte voté à l'unanimité sur ce sujet.
01:21Le texte sur l'euthanasie et le suicide assisté est beaucoup plus clivant, il divise davantage.
01:25C'est important que les députés puissent voter sur chacun de ces textes, dans toute liberté.
01:30Ils clivent, mais néanmoins, on a une grande majorité de Français qui se disent favorables à l'euthanasie. Pourquoi ? Comment vous expliquez cela ?
01:36Il y a plusieurs raisons. D'abord, ça se comprend, c'est tout à fait... Si vous voulez, quand on regarde la mort de loin, on se projette, c'est quelque chose qui fait peur, on craint.
01:48Et on se dit qu'avoir cette assurance peut, si c'était difficile, je pourrais avoir cette solution-là, c'est normal.
01:55Ce qui est important pour nous et ce qu'on voulait mettre dans le débat quand je dis nous, c'est les soignants, qui sommes au contact des personnes en fin de vie,
02:01c'est à quel point, quand on est confronté à la question de la mort de plus près, on change, on évolue, on s'adapte.
02:08De façon, pour moi, après 25 ans de métier, ça reste incroyable de voir la capacité d'adaptation de l'être humain à des situations qu'on aurait pensées inimaginables.
02:16Et à ce moment-là, les choix changent et c'est important de pouvoir à la fois entendre l'inquiétude des Français et en même temps, ne pas faire peser le poids de cette inquiétude sur les patients les plus fragiles.
02:27C'est ce défi qu'on a à gérer ensemble, collectivement, sur l'action de la fin de vie. Comment on rassure sans que ce soit les plus fragiles qui en payent le prix ?
02:36Vous parlez d'abord d'une révision de la loi Leonetti. Qu'est-ce qui changera par rapport à cette loi déjà et qui a l'air de vous satisfaire ?
02:46Vous avez raison, pour l'ensemble des soignants de toutes spécialités, on s'est réunis au ministère de nombreuses fois dans le courant de l'année dernière.
02:54La première réunion, on était une quarantaine, je pense qu'on représentait 25 spécialités différentes. Tous les soignants présents ont dit, quand elle est connue et appliquée, la loi Leonetti nous permet d'accompagner les personnes en fin de vie correctement.
03:05Qu'on soit en réanimation, en cancérologie, en pédiatrie, en néphrologie, en soins palliatifs, quand elle est connue et appliquée, on a les moyens.
03:12Simplement, cette loi qui a été votée maintenant il y a 20 ans, elle n'est pas appliquée. C'est seulement 50% des patients qui en auraient besoin qui bénéficient des soins palliatifs.
03:21Pourquoi elle n'est pas appliquée ? C'est un manque de personnel, de moyens ? Pourquoi elle n'est pas appliquée ?
03:24Je pense que c'est surtout un manque de volonté politique. On ne soigne pas avec des lois, on soigne avec des moyens, avec des gens et il faut le décider ensemble, collectivement.
03:32Vous le dites, Claire Fourcade, dans ce livre, Journal de la fin de vie, aux éditions Fayard, il y a 500 personnes qui meurent chaque jour en France sans avoir eu accès aux soins palliatifs. C'est ça le vrai scandale ?
03:40C'est ça le vrai scandale. Depuis 26 ans, en 1999, la loi assure un accès universel aux soins palliatifs et encore aujourd'hui. Du coup, beaucoup de Français ont eu dans leur entourage des gens qui sont morts dans des conditions difficiles,
03:51parfois insoutenables et qui disent, moi je ne veux pas mourir comme ça. C'est important de dire, c'est évitable. Ces morts sont insoutenables mais elles sont évitables. Travaillons ensemble à les éviter.
04:02Claire Fourcade, je rebondis sur la première question de Laurence Ferrari. Est-ce que vous n'avez pas l'impression que le débat est un tout petit peu biaisé ? On a l'impression que dans l'opinion publique, on nous impose une matrice qui consiste à dire que la seule solution pour éviter la souffrance avant la mort, c'est l'euthanasie.
04:16C'est vrai que ça fait très peu de temps en réalité qu'on arrive enfin à parler un peu de soins palliatifs, d'accompagnement, de nécessité d'accorder un budget. Parfois, on a un peu l'impression qu'il y en a qui ne veulent même pas accorder un budget aux soins palliatifs
04:29parce que la seule solution politique d'ailleurs, c'est l'euthanasie pour eux.
04:33On a fait une belle loi et on pense que ça pourrait suffire. Mais voilà, il faut l'appliquer cette loi. Et puis ce qui est important et que peut-être beaucoup de Français ne savent pas, c'est que l'euthanasie, on a essayé. C'est une solution du passé.
04:43Dans les années 80-90, l'euthanasie était une façon tout à fait courante et banale de mourir en France. Et les soins palliatifs en France, ils sont nés d'un refus de ces pratiques en disant on doit pouvoir faire mieux.
04:53On euthanasie les gens parce qu'on ne sait pas les soulager. On doit pouvoir faire autrement. Et c'est aussi ce qui explique l'état du débat actuellement en France. Et on doit pouvoir faire autrement.
05:02Et donc là aussi, des progrès immenses ont été faits. Plein de choses sont possibles. Je travaille à Narbonne dans l'eau d'un département rural pauvre où plein de choses sont possibles.
05:10Ce n'est pas seulement dans des grands CHU et dans des grands hôpitaux. C'est possible.
05:14Est-ce que vous trouvez que le débat est biaisé, qu'il y a une volonté un peu d'étouffer la question de l'augmentation du budget des soins palliatifs ?
05:21Je pense aussi que dans le débat, il y a deux questions. L'une cache l'autre. On nous dit que c'est pour régler des situations très particulières de souffrance qu'on n'arrive pas à soulager.
05:31Et en fait, il y a une partie des personnes favorables à l'évolution de cette loi qui imaginent que c'est possible.
05:39Et en fait, un grand nombre qui veulent un nouveau droit accessible au plus grand nombre, le plus largement possible, avec le moins de contraintes possibles.
05:45Et dans le débat, ce n'est pas toujours bien clair. On nous dit qu'il s'agit de résoudre des situations de souffrance.
05:49Ça, c'est notre métier. On le fait et c'est possible. Et puis, la question du nouveau droit ouvert, ça, c'est un débat de société.
05:55Et c'est bien qu'il ait lieu, mais ce n'est pas du tout la même chose.
05:58Et souvent, vous le dites dans ce livre, les personnes qui viennent vous voir avec une demande de mort assistée, rien que le fait d'être écoutées et accompagnées, cette demande diminue de façon quasi immédiate.
06:09Elles disparaissent presque toutes. Ce dont on a besoin, c'est de savoir qu'on sera accompagnés, qu'on ne sera pas abandonnés, qu'on sera soulagés.
06:16Et la loi actuelle, elle nous dit que nous soignants, on doit soulager quoi qu'il en coûte, même si ça doit raccourcir la vie.
06:22Tout doit être mis en œuvre. On doit avoir peur de rien. On doit prendre tous les risques pour soulager.
06:27Et une fois que les patients savent qu'on va le mettre en œuvre, qu'on sera là quoi qu'il arrive, et ça, c'est des promesses d'équipe.
06:33On sera là, on ne vous laissera pas tomber. On voit tout de suite, la crainte tombe.
06:37Et on peut, à ce moment-là, accompagner les patients, parfois pendant longtemps, mais en sachant que le moment venu, on sera là.
06:43D'ailleurs, dans votre très bonne interview du JD News, vous citez le cas de cette jeune fille qui demande l'euthanasie et qui ensuite vous dit
06:50« Vaccinez-moi contre le Covid parce que je suis très fragile et je risque de mourir du Covid. »
06:55Donc ça veut dire qu'elle a changé complètement la vie.
06:58Elle n'a pas forcément changé. On est tous comme ça. Elle est ambivalente.
07:01Et la plupart de nos patients, ils sont ambivalents. On est ambivalents pour plein de questions dans la vie.
07:05On voudrait à la fois avoir ceci et cela. Et beaucoup de patients sont ambivalents.
07:08C'est-à-dire qu'à un moment, ils vont nous dire « J'en peux plus. Je voudrais mourir. »
07:11Et puis, après une longue discussion, voilà, on se dit…
07:14Mais je voulais vous poser une question.
07:16Elle n'est plus en train de répondre. Mais bon, ce n'est pas grave.
07:19Je vous souhaite que vous sachiez ça parce que ce livre va être évidemment important.
07:23Je me souviens du livre qui m'a fasciné, qui m'a frappé.
07:27C'est le livre de Marie de Haenzel sur la mort intime préfacée par François Mitterrand en 1995.
07:33Il est à un an de la fin de sa propre vie puisqu'il a un cancer de la prostate qui remonte à 80.
07:38Mais dans votre interview, vous dites un truc qui m'a marqué.
07:41Vous dites qu'au Canada, par exemple, sur 10 000 cas d'euthanasie, il y a 300 médecins seulement qui les pratiquent.
07:47C'est-à-dire un nombre très réduit de gens qui veulent.
07:50Et le problème aussi, c'est que la close de conscience, elle est juste pour les médecins, pas pour les équipes soignantes.
07:56Et ces deux choses-là me semblent…
07:58Fondamentales. Claire Faurillade.
08:00Dans tous les pays du monde qui ont légalisé l'euthanasie, c'est un très petit nombre de soignants.
08:04En Oregon, c'est 1,2. Au Canada, c'est 1,9 de médecins qui acceptent de faire.
08:08Il n'y a aucun pays qui a légalisé, comme on envisage de le faire en France,
08:11déjà que l'euthanasie puisse être pratiquée par l'ensemble des soignants, c'est-à-dire des infirmiers.
08:16Habituellement, c'est réservé aux médecins.
08:18Voire des proches.
08:20Alors là, c'est encore un autre sujet qui est vraiment…
08:24Mais donc, c'est un très petit nombre de soignants.
08:27Et quand je disais que la promesse du non-abandon, elle se tient en équipe, c'est vraiment très important.
08:31Vous voyez, aujourd'hui, je ne suis pas dans le service où je travaille,
08:33mais je sais que d'autres y sont et que la promesse, elle se tient.
08:36On la tient ensemble.
08:37Et évidemment que ce n'est pas qu'une question médicale.
08:39L'infirmière qui va préparer le produit, l'aide soignante qui va faire la toilette du patient, tout le monde est impliqué.
08:44Et puis, on travaille tous ensemble dans l'accompagnement de ces patients.
08:48On ne peut pas imaginer que la question ne concerne que le médecin.
08:50Bien sûr qu'elle nous concerne tous.
08:52Alexandre de Vecchio.
08:53Moi, ce qui m'interpelle le plus dans ce débat, ce qui m'inquiète le plus dans ce débat,
08:58ce n'est pas tellement la question du choix philosophique.
09:01Moi, je peux comprendre qu'à un certain moment, certaines personnes veulent fermer la lumière.
09:06Mais vous l'avez dit au début, on est dans un…
09:08On l'a dit d'ailleurs dans cette émission, on est dans un contexte budgétaire contraint.
09:12Il semblerait que l'État ait du mal à mettre le paquet sur les soins palliatifs.
09:16Si demain, ce type de loi est votée, est-ce qu'il n'y a pas un risque de dérive, tout simplement ?
09:22Vous voulez dire pour des raisons économiques ?
09:24Pas pour des raisons économiques. Pardonnez-moi, mais…
09:26Ça serait monstrueux.
09:27Mais ce ne serait pas… Est-ce qu'il n'y a pas un risque d'engrenage, en tout cas ?
09:31Carrefour 4.
09:32Les conditions sont compliquées parfois pour les médecins.
09:35Il y a une forme de pression de la société sur les médecins pour abréger l'existence de certaines personnes.
09:41Pardonnez-moi de la poser comme ça, mais c'est une question…
09:43Les Canadiens sont les seuls qui publient les économies chaque année réalisées grâce à l'euthanasie.
09:47Donc eux, c'est un pays anglo-saxon. Je pense que chez nous, ce ne serait pas difficile à envisager.
09:51Mais eux, ils publient chaque année ce que ça permet d'économiser.
09:54On voit bien ça, ce que ça fait peser sur les patients d'abord.
09:58Avant de peser sur les médecins, ça pèse d'abord sur les patients.
10:00C'est-à-dire l'idée que je pèse pour la société, je pèse pour mes proches.
10:03En Oregon, c'est la première cause de demande de suicide assisté.
10:06C'est le sentiment de peser pour les proches.
10:08Et donc, on voit bien à quel point le message collectif de la société…
10:12Moi, je crois que ce débat, il est vraiment là.
10:13Le message collectif que la société adresse à ses patients et à leurs proches.
10:17Si on leur dit « Effectivement, si vous voulez mourir, on est d'accord non seulement pour ça, mais en plus pour l'organiser »,
10:23on envoie un message.
10:25Et aujourd'hui, on a la chance d'avoir une loi qui envoie à ses patients un message qui dit « Vous comptez pour nous.
10:29Vous êtes importants. Chacun de vous est important pour nous.
10:32Et parce que vous comptez pour nous, les soignants sont là et on va tout faire pour vous soulager ».
10:36Si ce message change, forcément, ça a un impact terrible à la fois pour les patients, mais aussi pour les soignants.
10:41C'est-à-dire que nous, ce qu'on fait à ce moment-là, est-ce que vraiment ça a du sens pour notre société ?
10:45On a besoin de vous pour accompagner, pour faire face à la mort.
10:48C'est difficile.
10:49Parfois, on est submergé d'émotions, de souffrances.
10:51Et d'avoir derrière nous la loi et la société qui disent « Tenez bon, on est là pour vous », c'est extrêmement important.
10:58Oui, mais quand vous dites « On va vous accompagner jusqu'au bout, on est là, on vous aime, on vous protège, on vous fait moins souffrir »,
11:04mais il y a bien un moment où on s'en va.
11:09Est-ce qu'il n'y a pas un moment où on aide justement à ce que le dernier moment se fasse dans la douceur ?
11:16Parce que dans le fond, c'est ce que chacun espère.
11:19C'est-à-dire que si on est malade, mais aussi on compte sur vous.
11:23Il y a un moment où ça suffit.
11:27Une chose qui est très importante, je crois, à dire, c'est qu'heureusement, la majorité des morts se passent calmement et tranquillement.
11:35Parce que le débat peut donner l'impression qu'on meurt toujours en souffrant, que c'est toujours quelque chose d'affreux.
11:40La plupart des gens qui meurent, c'est tranquillement.
11:43Et que vous faites tout pour que ça se passe dans la douceur.
11:45Beaucoup de gens meurent sans nous aussi, dans leur sommeil, heureusement.
11:49Parfois, c'est compliqué, parfois, il y a des symptômes difficiles.
11:52Et là, c'est notre travail à nous.
11:55La loi nous aide et nous donne les moyens de soulager la souffrance.
12:01Elle nous dit de tout mettre en œuvre.
12:03On utilise ce qu'on appelle la sédation, c'est-à-dire la possibilité de faire varier la conscience, de faire dormir, de mettre une anesthésie générale.
12:09Moi, je dis toujours que c'est parce que ça existe que je peux travailler en soins palliatifs.
12:13Sinon, c'est insupportable aussi pour nous et on aurait tous la tentation de s'enfuir.
12:17Si on veut pouvoir être là jusqu'au bout, rester dans la chambre de quelqu'un qui est en fin de vie,
12:22il faut se dire qu'on a les moyens de soulager.
12:24Et donc, on utilise ces médicaments qui sont des anesthésies générales pour dire qu'on peut mourir de façon digne.
12:32En France, on peut vivre et mourir de façon digne.
12:35Claire Fourcard, merci beaucoup.
12:37Journal de la fin de vie, l'état, la mort et le tragique aux éditions FIRE.
12:40Merci d'être revenue.
12:41Merci pour cette belle couverture du JD News, les soins palliatifs face à l'euthanasie.
12:46Votre combat au nom de 800.000 soignants.
12:49Merci beaucoup à vous.
12:50Merci.
12:51Merci Eric, Alexandre, Catherine et Louis.
12:52Dans un instant, Christine Kelly sur CNews et Pierre de Villeneuve sur Europe.
12:55Bonne soirée à vous sur nos deux antennes.

Recommandations