• il y a 2 mois
Céline Alonzo et André Bercoff reçoivent le journaliste Olivier Dubois qui publie "Prisonnier du désert" chez Michel Lafon. Dans son livre, il raconte l'enfer de sa captivité, mais aussi son enquête de l'intérieur sur les cellules jihadistes.

Retrouvez La culture dans tous ses états tous les vendredis avec Céline Alonzo et André Bercoff à partir de 13h.

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##LA_CULTURE_DANS_TOUS_SES_ETATS-2025-01-30##

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Transcription
00:00SUD RADIO, la culture dans tous ses états. André Bercoff, Céline Alonso.
00:06Sonashi devenu l'hymne, l'un des hymnes plutôt André Bercoff, du djihad.
00:10Aujourd'hui, notre invité est Olivier Dubois qui a été otage des djihadistes au Mali pendant près de deux ans André.
00:16Il publie aujourd'hui un livre dans lequel il raconte comment, prisonnier dans l'une des régions les plus sensibles du monde,
00:23il a survécu à la seule force de son mental André.
00:28Et oui, et oui, l'histoire des otages c'est une histoire longue, on ne va pas l'énumérer ici, il faudrait des heures.
00:34Mais on sait qu'il y a eu de journalistes ou d'autres, on pense à Christian Chénot et Mal Bruno,
00:41on pense à beaucoup d'autres qui ont été otages, je ne parle que des guerres du Moyen-Orient,
00:46que ce soit Al-Qaïda, que ce soit d'autres.
00:49Et puis ce livre, ce livre vraiment qu'on vous recommande,
00:52Prisonnier du désert, 711 jours, donc presque deux ans aux mains d'Al-Qaïda.
00:59Et Olivier Dubois, c'est un livre très prenant, vous racontez un peu tout, vous êtes journaliste,
01:05vous êtes spécialiste du Sahel et puis voilà, vous avez vécu et vous le racontez,
01:09on va en parler longuement de ce que vous avez vécu pendant...
01:13Et c'est vraiment ces moments de tension terrible parce qu'on ne sait pas si demain on ne va pas mourir,
01:18si demain on ne va pas s'exécuter, on ne sait pas ce qu'il se passe, on est hors réalité.
01:22C'est vrai, ces récits d'otages, c'est terrible parce que rançon ou pas rançon,
01:27il y a des états qui disent non, on ne paye pas la rançon, etc.
01:30Enfin, on se rappelle de ce journaliste américain qui a été égorgé aussi.
01:36Donc vous étiez correspondant au Mali en 21 pour le magazine Le Point et le quotidien Libération
01:44et vous vous êtes enlevé à Gao, qu'est-ce qui se passe ?
01:48Eh bien on va en parler tout de suite avec Céline Lomzo.
01:50Eh oui, on va en parler dans un instant sur Sud Radio André Bercoff,
01:53mais au-delà de son récit effectivement, de sa captivité,
01:56il raconte surtout l'enquête passionnante qu'il a réussi à mener sur les cellules djihadistes
02:01et ce, en interview de façon très diplomatique, c'est joli.
02:05Son histoire, c'est tout de suite dans un instant, plutôt dans un instant, sur Sud Radio.
02:10Sud Radio, parlons vrai, parlons vrai, Sud Radio, parlons vrai.
02:14Sud Radio, la culture dans tous ses états, André Bercoff, Céline Lomzo.
02:19Son de Serge Gainsbourg, vous y avez songé pendant votre interminable captivité au Mali, Olivier Dubois.
02:25Bonjour à vous et merci d'être avec nous sur Sud Radio.
02:29Alors aujourd'hui, vous publiez chez Michel Laffont, Prisonniers du désert, 711 jours aux mains d'Al Qaïda,
02:35un livre dans lequel vous racontez l'enfer de votre captivité.
02:38Le 8 avril 2021, vous avez été donc kidnappé à Gao, au nord Mali.
02:44Vous deviez interviewer ce jour-là un chef djihadiste.
02:48A l'époque, vous étiez correspondant dans ce pays pour le magazine Le Point et Libération.
02:53Dans quelles circonstances avez-vous été enlevé ?
02:56Alors, il faut revenir un petit peu en arrière.
02:58L'idée d'un interview d'un chef djihadiste pour un sujet particulier,
03:03qui est l'affrontement entre le vinime, donc Al Qaïda et l'État islamique,
03:07ça vient à peu près en novembre 2020.
03:09Je suis sur un autre sujet sous les préalables,
03:11qui est couvrir le rôle des milices armées d'Ozo, des chasseurs d'Ogon,
03:15qui luttent contre les djihadistes.
03:17Il me semblait intéressant après d'essayer d'en avoir, d'avoir des djihadistes,
03:20pour montrer l'envers du décor.
03:21Et il y avait cette guerre à Babrouy qui se déroulait dans le centre du pays
03:24et aussi dans le cercle d'Ansongo à Talatai,
03:27où j'avais un contact, où j'avais un fixeur qui était un peu mon capteur d'ambiance.
03:30Et c'est via lui que je vais adresser un message à un chef djihadiste,
03:34qui est le chef de zone en fait, et qui est en frontale contre l'État islamique,
03:37pour lui dire écoute, passe-lui ce message, j'ai 10 questions,
03:40s'il accepte de répondre à ces 10 questions par écrit ou par audio.
03:42Tout commence comme ça.
03:44Et vous recevrez donc une lettre de confirmation officielle
03:48qui garantit votre sécurité, et ce de la part de ce fameux chef djihadiste.
03:52Voilà, alors il va y avoir des allers-retours, ça ne va pas se faire comme ça.
03:55Au début ils refusent, ils sont en guerre, ce n'est pas le moment de parler,
03:57ce n'est pas le moment de la communication.
03:59Je vais relancer la chose, il va y avoir des allers-retours,
04:01et au final, il me propose un rendez-vous, voilà, il veut me voir.
04:05Il ne veut pas que ce soit à distance.
04:07Et moi j'hésite évidemment, c'est quand même dangereux de se rendre dans un endroit comme ça,
04:11et je sais qu'il peut y avoir une lettre d'invitation,
04:13ces gens-là peuvent vous inviter,
04:15et ça garantit qu'ils vous amènent et qu'ils vous ramènent en sécurité.
04:17Et je demande cette lettre, je l'obtiens,
04:19il y a un choix à prendre, une bascule,
04:21et je choisis de basculer, je choisis d'y aller,
04:23et le rendez-vous est pour le 8 avril 2021.
04:25Est-ce que les journaux, que ce soit le Pôle libération,
04:27vous ont dit ok, vas-y, vous n'ont pas dit attention,
04:29c'est dangereux, n'y va pas, etc.
04:31Alors non, moi j'ai le réflexe, évidemment,
04:33de me tourner vers mes rédactions et de me dire
04:35l'opportunité d'interviewer une personne de ce calibre,
04:37qu'est-ce que vous en pensez ?
04:39Libération me dit non, Le Point me dit non,
04:41j'accepte de continuer.
04:43Alors je dois ajouter que ce n'est pas la première fois qu'on me dit non sur un sujet,
04:45et il arrive souvent qu'on me dise non,
04:47et quand le sujet est fait, on me dit oui,
04:49donc c'est un truc, enfin c'est un jeu
04:51qu'on connaît un petit peu, voilà.
04:53Et donc vous aviez financé vous-même ce reportage ?
04:55Non, non, non, pas du tout.
04:57On vous a aidé ?
04:59Voilà, là je n'avais pas l'appui d'une rédaction,
05:01et mon fixeur,
05:03je dis, est-ce qu'ils accepteraient, je défie un peu le truc,
05:05est-ce qu'ils accepteraient de payer la vision dans ce cas-là,
05:07si je me déplace pour cette interview ?
05:09Et ils me disent oui,
05:11ils disent oui, et ils envoient l'argent,
05:13et le billet est pris.
05:15Ah oui, donc tout a été pris en charge ?
05:17Voilà, c'est ça, tout à fait.
05:19Enfin, plus tard, vous découvrirez effectivement
05:21que vous avez été trahi par ce fixeur,
05:23on reviendra sur ces détails dans un instant
05:25sur Sud Radio, mais revenons
05:27à ce moment où vous êtes enlevé,
05:29comment ça se passe ? Vous embarquez dans un pick-up,
05:31à quel moment, vous vous êtes
05:33persuadé que vous allez rencontrer ce chef, faire cette interview,
05:35à quel moment vous réalisez
05:37que c'est une prise d'otage ?
05:39Alors, si je me replonge dans l'état d'esprit
05:41dans lequel j'étais quand je monte dans ce véhicule,
05:43je m'en rends compte à peu près, on va dire,
05:4545 minutes, une demi-heure, 45 minutes,
05:47après, quand on est en train de rouler à toute vitesse.
05:49Pourquoi ? Parce que l'interview doit faire 45 minutes,
05:51je ne pensais pas rouler autant de temps,
05:53j'ai prévu avec mon fixeur que je sois de retour
05:55dans deux heures, si je ne suis pas de retour dans les deux heures,
05:57il doit déclencher ce qu'on a prévu,
05:59c'est-à-dire aller voir les forces françaises, prévenir l'ambassade,
06:01prévenir mes proches.
06:03Donc votre fixeur n'était pas avec vous, vous étiez seul ?
06:05Il n'a pas eu l'autorisation à la dernière minute, c'est ça ?
06:07Voilà, à peu près, on va dire,
06:0930-40 minutes avant qu'on parte, il me dit, écoute, j'ai reçu un coup de fil,
06:11ils ne veulent pas que je vienne,
06:13on était censé filmer, on était censé faire la traduction,
06:15ils ont un traducteur, et c'est eux
06:17qui filmeront, mais ils ne veulent pas qu'il y ait une deuxième personne
06:19avec moi.
06:21Juste une question, vous aviez alerté
06:23les autorités françaises de ce déplacement
06:25et des raisons ou pas
06:27de ce déplacement à Goa, vous l'avez dit,
06:29c'est une ville, à Gao, pardon,
06:31je reviens de Goa, c'est pour ça, excusez-moi,
06:33c'est une ville réputée dangereuse.
06:35Oui, Gao, c'est une ville réputée dangereuse,
06:37c'est assez paradoxal d'ailleurs, on y trouve,
06:39enfin, il y a plein de forces internationales,
06:41il y a les FAMAS, donc les forces armées maliennes,
06:43et pourtant il y a eu des attentats, il y a eu des assassinats,
06:45il y a eu des attaques régulièrement, il y en a eu dans cette ville-là,
06:47et aussi, paradoxalement,
06:49moi, c'est moins le rendez-vous
06:51et l'interview avec le chef d'IADIS qui me pose problème
06:53que passer, parce que je devais rester jusqu'au samedi,
06:55je devais passer deux nuits à Gao,
06:57et c'est ça qui m'inquiète, ma sécurité,
06:59après cette interview, pendant les deux nuits à Gao.
07:01Et oui, pour répondre à votre question, la veille,
07:03en fin d'après-midi, la veille, donc le 7,
07:05j'appelle l'ambassade,
07:07ce qui n'est pas dans mes habitudes, moi je fais mes sujets de mon côté,
07:09je signale pas, et là je me dis quand même,
07:11si c'est sensible, j'appelle l'ambassade pour leur signaler que je vais à Gao,
07:13que j'y vais sans escorte,
07:15avec mes méthodes à moi habituelles,
07:17et que je vais faire une interview à Gao.
07:19Et ils me déconseillent, je dois le dire,
07:21formellement, d'y aller.
07:23Ils vous déconseillent ? Mais je crois que vous n'aviez pas
07:25reçu à temps
07:27leur mail ou leur courrier,
07:29en quelque sorte, non ?
07:31Il y a une discussion avec une personne de l'ambassade qui, lui, me déconseille d'y aller,
07:33mais dès que vous sortez de Bamako,
07:35pour moi, ça fait six ans que je travaille sur ces sujets-là,
07:37dès que vous sortez de Bamako, on vous déconseille, de toute façon, tout est rouge,
07:39autour de Bamako.
07:41Oui, on lui avait des conseils, même si c'est verbalement.
07:43Mais moi, ce n'est pas la première fois que je sors de Bamako
07:45et que je fais des sujets à l'extérieur.
07:47Ce genre de sujets-là, il faut quand même aller à l'extérieur.
07:49Alors, très vite,
07:51vos ravisseurs, vous êtes dans le pick-up,
07:53le pick-up roule à vive allure,
07:55d'emblée, ils entament un interrogatoire
07:57en train de suspicion.
07:59Dites-vous,
08:01que vous demandent-ils précisément ?
08:03Alors, il y a deux phases.
08:05Le premier pick-up,
08:07on va rouler pendant 3-4 heures, il y a cette inquiétude par rapport au temps.
08:09Puis après, je m'explique ça,
08:11en me disant, bon, c'est des djihadistes,
08:13ils ne vont pas être là où on les attend.
08:15L'interview avait lieu l'après-midi,
08:17ils vont faire ça le soir et me ramener le lendemain matin.
08:19Donc, on roule pendant 3-4 heures, au crépuscule, on s'arrête.
08:21Là, on me change de véhicule,
08:23on me change de vêtement, on me met dans un nouveau véhicule,
08:25et c'est là où les deux nouveaux djihadistes
08:27qui sont avec moi,
08:29déjà, m'apprennent, je comprends que j'ai été enlevé,
08:31et commencent directement,
08:33oui, avec un...
08:35Ils sont assez suspicieux, et je comprends qu'ils me prennent
08:37pour un agent français.
08:39Et ils ne savaient rien de vous, de votre identité ?
08:41Pour eux, vous n'étiez absolument pas
08:43journaliste ?
08:45Moi, je découvre ça.
08:47Il y a deux choses, il y a deux chocs.
08:49Déjà, il n'y a pas d'interview, je suis enlevé,
08:51il y en a trois. Et troisièmement, on ne me prend pas pour un journaliste,
08:53mais pour quelqu'un d'autre, et pour un agent français.
08:55Ce qui est beaucoup plus critique,
08:57quand vous vous trouvez avec ces gens-là.
08:59Et oui, ils vous prennent précisément pour un agent
09:01de Barkhane.
09:03Rappelons, quelle était cette opération française
09:05qui se menait à l'époque, opération militaire
09:07dans le Sahel ?
09:09Je voudrais savoir, donc,
09:11il y avait quand même
09:13complicité du premier pick-up ?
09:15Parce que le premier pick-up
09:17vous amène au second pick-up...
09:19Oui, il y a une chaîne, c'est préparé, évidemment.
09:21Il y a une voiture au relais,
09:23on me déshabille...
09:25En fait, l'intention de vous enlever était là
09:27dès le départ.
09:29Ah oui, je suis tombé dans un guet-apens, je me suis jeté dans la gueule de loup.
09:31Oui, tout à fait.
09:33C'est ce qui se passe.
09:35Et donc, effectivement, après...
09:37Oui, Barkhane, vous parlez de Barkhane.
09:39Un mot sur cette opération militaire.
09:41L'opération Barkhane, c'est l'une des plus grandes opérations extérieures,
09:43ou si ce n'est la plus grande opération extérieure
09:45française sur un territoire étranger,
09:47donc au Mali,
09:49et puis même sur tout le Sahel, c'est même pas le Mali,
09:51et qui visait à lutter contre les terroristes,
09:53contre les djihadistes.
09:55Alors, qui étaient ces ravisseurs ?
09:57Parce qu'ils vous posent la question sur votre identité
09:59et d'emblée, vous leur dites, mais vous, qui vous êtes ?
10:01Moi, c'est la première chose qui me vient à l'esprit.
10:03Il y a le choc, déjà,
10:05de comprendre que les choses ne se passent pas du tout
10:07comme prévu, et que je suis kidnappé.
10:09Alors, il y a ce choc-là, et passé ce choc-là,
10:11on a tout de suite envie de savoir par qui.
10:13Parce que ça a quand même une certaine importance.
10:15Surtout que vous connaissez le terrain,
10:17vous connaissez le territoire.
10:19Al-Qaïda, on peut penser, et c'est déjà arrivé,
10:21qu'ils vont tenter quand même de négocier,
10:23ils vont vouloir, à travers vous, avoir quelque chose.
10:25Peut-être que l'État islamique, en tout cas, à l'époque,
10:27ça va être pour de la démonstration,
10:29ça va être pour des tueries, de la démonstration devant des caméras,
10:31des exactions, ce genre de choses-là.
10:33Et si c'est Daesh, je me dis tout de suite
10:35que je ne suis pas sûr d'être vivant demain matin.
10:37Vous avez dit, si c'était Daesh,
10:39je ne serais pas là, je serais mort.
10:41C'est ce que je me dis, en tout cas. J'ai une grande peur de ça.
10:43En fait, vous avez été soulagé en entendant
10:45qu'effectivement, c'est Al-Qaïda
10:47qui vous prenait en otage.
10:49Qu'est-ce qu'ils disent quand vous leur demandez
10:51qui ils sont ?
10:53Le JNIM, le groupe de soutien à l'islamo-musulman.
10:55Donc Al-Qaïda.
10:57Et là, je me dis,
10:59peut-être que je suis vivant encore demain.
11:01Et peut-être qu'on va essayer de tirer quelque chose
11:03à travers moi. Peut-être que j'ai encore un peu plus de temps.
11:05Mais tout se bouscule dans votre tête
11:07dans ces moments-là. Vous pensez à votre famille,
11:09vous pensez à ce qui s'est passé, vous essayez de replacer le film.
11:11Vous avez peur. Et puis, vous ne savez pas où vous allez.
11:13Oui, parce qu'effectivement, il faut l'expliquer
11:15aux auditeurs de Sud Radio, régulièrement,
11:17vous êtes déplacé de camp en camp.
11:19A chaque fois, on vous remet aux mains d'un nouveau groupe
11:21de djihadistes. Où vous conduisent-ils ?
11:23Que vous veulent-ils ?
11:25Ces questions tournent en boucle, dites-vous,
11:27dans votre esprit. Ces déplacements
11:29incessants, c'était dans quel but ?
11:31C'est... Alors, il y a plusieurs buts.
11:33Mais je crois que le but premier, évidemment, c'est pour des raisons de sécurité.
11:35On ne reste jamais longtemps, pas plus de 15 jours
11:37dans le même endroit. Parce que, bon, on est dans des zones
11:39désertiques où il n'y a personne. Mais vous avez quand même
11:41des bergers qui passent,
11:43il y a des locaux, des petits campements. Et ces gens-là
11:45n'ont pas l'habitude de voir d'autres personnes.
11:47Enfin, c'est quand même des... Il n'y a rien dans la zone.
11:49Donc, quand ils voient quelque chose, ils l'enregistrent.
11:51Voilà, ils savent exactement.
11:53Et c'est un danger. Donc, on bouge
11:55souvent, on nous grime, on est habillé
11:57comme des touaregs, on passerait pour des touaregs.
11:59Et on nous dit de nous laisser pousser la barbe, par exemple,
12:01pour ressembler de loin à un touareg.
12:03Oui, c'est ça. Il ne faut pas être identifié.
12:05Moi, j'ai des tatouages, par exemple, sur les jambes.
12:07J'ai pas le droit de démontrer.
12:09Juste un mot pour revenir. C'est simplement pour expliquer.
12:11Encore une fois, il faut renvoyer à votre livre
12:13qui est vraiment... Qu'on recommence
12:15tout à fait de lire.
12:17Parce que c'est pas un roman,
12:19c'est un roman vrai.
12:21Et on voit jusqu'à la limite, on peut arriver.
12:23Mais, vous ne l'avez pas dit.
12:25Est-ce que vous l'avez dit à un moment donné ou pas ?
12:27Oui, mais je suis journaliste, moi je suis venu pour interviewer x et y.
12:29Vous voulez pas nous parler de ça.
12:31Ils vous ont pas cru, en fait ?
12:33Alors, moi je le dis, évidemment,
12:35je l'affirme. C'est très important pour moi
12:37qu'ils comprennent.
12:39Mais, ils sont persuadés,
12:41en tout cas, dans ces trois premières semaines
12:43de captivité, ils sont persuadés que je mens.
12:45C'est difficile de prouver
12:47quand des gens sont convaincus, surtout quand
12:49on vous prend pour un agent extérieur.
12:51Ils vous ont dit que vous mentez, c'est pas vrai.
12:53Vous racontez n'importe quoi pour...
12:55Je vous donne un exemple,
12:57très vite, moi je suis envahi par la peur
12:59et le stress, je me dis, il faut que tu te reprennes,
13:01donc il faut que tu fasses du sport.
13:03Et ça, ça va jouer contre moi.
13:05Il y en a un qui viendra un matin, ça c'est pas dans le livre,
13:07il vient vers moi, il me dit, tu vois là,
13:09c'est quoi ce que tu fais, c'est un art martial chinois, tu fais des arts martiaux.
13:11Les journalistes font pas d'arts martiaux.
13:13Ils sont français.
13:15Au bout d'un moment, ils sont convaincus.
13:17Vous faisiez du sport.
13:19Oui, parce que l'inaction,
13:21vous le racontez effectivement, vous rongez
13:23et pour supporter la captivité
13:25et ne pas sombrer dans la dépression,
13:27vous avez donc fait du sport.
13:29Mais votre survie, vous la devez aussi.
13:31Au fait d'avoir
13:33continué votre métier de journaliste
13:35et notamment d'avoir enquêté sur le fonctionnement
13:37des cellules djihadistes,
13:39qu'avez-vous réussi à apprendre de vos
13:41joliers sur leur motivation
13:43à rejoindre le djihad et sur leur rapport
13:45à la mort ?
13:47Oui, le journalisme, ça devient une sorte de corde
13:49à laquelle je peux me raccrocher.
13:51Ça permet d'inverser la situation, c'est-à-dire la captivité.
13:53Vous vous levez le matin, pas en tant qu'otage,
13:55en ayant peur de ce qui va vous arriver,
13:57même si vous continuez à avoir peur, vous vous occupez.
13:59Vous occupez l'esprit, ça c'est très important.
14:01Maintenant, sur
14:03cette catiba
14:05dans laquelle je suis, je suis dans un poste
14:07parfait, je mettrais du temps à un peu le comprendre,
14:09de l'intérieur. Donc je peux observer,
14:11et ça c'est le premier réflexe,
14:13au bout d'un moment, je vais un peu plus loin
14:15et je suscite la conversation.
14:17Je veux avoir des informations et je me fixe des buts
14:19comme ça, très rapidement. Et le premier but
14:21que je me fixe, par exemple, c'est sur
14:23l'affaire de l'assassinat de Guylaine Dupont et Claude Verlon.
14:25Savoir ce qui leur est arrivé. Ils sont aussi journalistes,
14:27kidnappés à Équidale, même situation
14:29que moi, mais eux sont morts. Est-ce que ça peut m'arriver ?
14:31C'était combien de temps auparavant ?
14:332013.
14:35Comprendre ce qui s'est passé, ça peut peut-être me permettre
14:37de conjurer le sort, d'anticiper,
14:39de m'adapter.
14:41Et ils le savaient ? Ils étaient au courant
14:43de cet assassinat,
14:45de cette histoire ?
14:47Un me dira très rapidement qu'ils connaissent tous cette histoire,
14:49c'est un secret que pour les Français.
14:51Il y a une version globale qui court chez eux
14:53et qui est entendue.
14:55Et en fait, est-ce que vous avez tout de suite,
14:57je veux dire parce qu'on peut se dire,
14:59on n'a pas connu ça, mais on peut se dire
15:01parce qu'on vit dans l'angoisse au départ,
15:03plus que le stress.
15:05C'est pas ce qui peut arriver demain.
15:07Mais vous avez tout de suite vu des réflexes
15:09journalistes en disant, tiens, je suis là,
15:11et maintenant je vais, tout de suite,
15:13je vais voir un peu comment ça fonctionne,
15:15cette catégorie au plus loin.
15:17C'est un réflexe,
15:19moi je l'explique comme un réflexe nécessaire,
15:21il faut tromper la peur, il faut tromper le stress.
15:23Donc il faut quelque chose qui dépasse ça,
15:25il faut des défis en fait, c'est un peu ça l'idée.
15:27Donc voilà,
15:29ça fait un moteur,
15:31ça pousse.
15:33Les confessions que certains de vos geôliers
15:35vous ont faites,
15:37ils ne se considèrent pas comme des
15:39terroristes ou des criminels,
15:41ça c'est incroyable. Comment vous ont-ils
15:43expliqué leur lutte ?
15:45Oui, très vite ils me disent que terroristes,
15:47d'ailleurs c'est pas un terme qui vient de chez nous,
15:49on peut dire ça comme ça, c'est un immense fourre-tout,
15:51le terroriste, résistant, terroriste,
15:53c'est comme une pile ou face sur une pièce.
15:55Eux, ils me disent que
15:57oui, ils sont en fait là
15:59pour faire respecter la parole de Dieu,
16:01Dieu leur a ordonné de faire le djihad,
16:03d'établir la croyance en Allah
16:05au plus grand nombre
16:07sur la planète, tout simplement.
16:09Et ils respectent Dieu, ils ont un livre sacré,
16:11ils le respectent, donc ils ne sont pas en faute.
16:13Ils ne se voient pas comme nous les voyons
16:15évidemment, eux ils respectent,
16:17c'est nous qui sommes dévoyés, eux ils sont exactement
16:19dans la lignée de ce que veut
16:21Dieu, de ce qu'on leur a éclairté.
16:23Par exemple, quelles descriptions vous ont-ils faites
16:25du paradis ?
16:27Le paradis, c'est le havre ultime,
16:29ce qui est intéressant
16:31sur le paradis, c'est qu'eux, ils vivent dans des grandes zones désertiques,
16:33sur des petits campements, l'eau est un problème,
16:35se nourrir est un problème, il n'y a pas beaucoup de boulot, etc.
16:37Le paradis, c'est l'inverse de tout ça, c'est des vallées verdoyantes,
16:39c'est les rivières, on coule le lait,
16:41le miel, les ourisses aux longs cheveux
16:43qui arrivent avec des plateaux chargés de fruits,
16:45et ça fait rêver, et on peut comprendre que c'est une résonance
16:47chez eux en tant que Touareg,
16:49en tout cas pour les jeunes que j'ai rencontrés, qui doivent vivre
16:51quand même dans un certain dénuement.
16:53Et Pousson,
16:55c'est intéressant, donc eux, pour eux,
16:59après la mort, il y aura le paradis.
17:01Il y a une seconde vie, si vous voulez, et il faut la préparer,
17:03c'est ce qu'on m'explique, il faut la préparer au mieux.
17:05J'ai envie de dire, nous, les occidentaux,
17:07on vit, et puis la mort est un grand point d'interrogation
17:09pour ceux qui sont religieux, peut-être un peu moins,
17:11pour eux, il y a forcément une seconde vie,
17:13et il faut faire attention de la direction qu'on prendra
17:15dans cette seconde vie, enfer ou paradis.
17:17C'est presque une réincarnation.
17:19Quelque part, oui, et puis en tant que djihadiste,
17:21vous vous assurez, parce que vous êtes dans le
17:23Sentier d'Allah, donc vous vous assurez
17:25un ticket pour le paradis.
17:27Oui, alors la France est leur principale
17:29ennemie, écrivez-vous, c'est ce qu'ils vous ont dit,
17:31pourquoi la France nous
17:33attaque-t-elle ? Vous a demandé un jour
17:35un de vos geôliers,
17:37que lui avez-vous répondu
17:39et lui, que vous a-t-il
17:41rétorqué, parce que c'est effrayant
17:43ce qu'il vous a dit.
17:45Moi, je suis un peu choqué
17:47par leur réaction sur la France, il y a des menaces
17:49directes sur le président de la République française
17:51d'Emmanuel Macron, sur les Français,
17:53sur notre mode de vie.
17:55On va le tuer. Voilà, exactement.
17:57Et au bout d'un moment, autour
17:59d'un feu, il y a cette question,
18:01on provoque avec cette question-là, et je leur explique
18:03que la France est venue à la demande du Mali,
18:05qu'elle est en gros là pour protéger le pays, et qu'en gros
18:07cette question-là, il ne faut pas l'adresser à moi, mais plutôt au Mali,
18:09qui n'ont, en gros, qui ne les apprécient
18:11pas beaucoup. Et la réponse
18:13ne plaît pas. Et l'un des djihadistes,
18:15donc ce djihadiste qui m'a posé la question, me répond,
18:17me dit, ne t'inquiète pas, ce n'est pas grave, puisque c'est comme ça,
18:19on ira les tuer tous un par un, les Français.
18:21Ce n'est pas un souci. S'ils s'opposent à nous,
18:23on ira les tuer tous un par un. Et cette question,
18:25cette réponse, elle est tellement choquante,
18:27ça va me faire sortir
18:29de mes gonds, alors, avec un certain contrôle,
18:31parce qu'on sait quand même, on est au courant de là où on est,
18:33et je vais, voilà, je vais leur dire
18:35mais c'est n'importe quoi, enfin, je veux dire, si on rentre
18:37là-dedans, c'est mort contre mort. Je veux dire, la France,
18:39c'est un pays, c'est une armée quand même puissante,
18:41vous livrez à la guérilla, on fera beaucoup de morts chez vous,
18:43vous ferez des morts chez nous, et puis où est-ce que ça s'arrête ?
18:45Et au fond, vous défendez,
18:51autant de morts, pourquoi voudrait-il ça ? Enfin,
18:53il y a tout ça qui se bouscule dans ma tête, j'essaie de le sortir
18:55de façon à peu près cohérente, ça crée une sorte
18:57de grand froid, moi j'ai peur de ce que je viens de dire,
18:59parce que je ne dis pas ça à n'importe qui,
19:01et au final, ça passe, ils se désintéressent de moi,
19:03et voilà.
19:05Mais attendez, quand vous dites ça passe,
19:07c'est intéressant, ils ne vous ont pas,
19:09qu'est-ce qu'ils vous ont ? Je m'attends à une réaction
19:11violente sur ce coup-là. Oui, et pas du tout.
19:13Non, ça va, ils sont un peu choqués, il y a une sorte de
19:15moment de flottement. Et ils répondent pas,
19:17et ça passe. Voilà, ça passe, je comprends.
19:19Et oui, et l'un des djihadistes vous a
19:21confié aimer particulièrement un français,
19:23à savoir Michel Offray,
19:25parce qu'il l'apprécie pour sa compréhension,
19:27sa compréhension
19:29du djihad, expliquez-nous.
19:31Mais moi j'ai testillé quand même ce passage,
19:33ils lisent Michel Offray, les djihadistes ?
19:35Je ne crois pas qu'ils l'ont lu, je pense que
19:37Michel Offray a dû dire ça sur une télévision,
19:39ils ont lu ça sur une passive,
19:41sur une capsule vidéo, sur Internet, qui se partagent,
19:43c'est très sélectionné.
19:45Pourquoi ils aiment Michel Offray alors qu'il est vraiment aux antipodes ?
19:47Parce qu'il a l'air de comprendre le djihad, il avait l'air,
19:49en tout cas dans ce passage-là, que je n'ai pas vu,
19:51de légitimer un peu, où ils ont trouvé une certaine
19:53légitimation de leur action.
19:55Je pense que c'est ça. De toute façon, ils aiment,
19:57dès qu'il y a quelqu'un qui va un peu dans leur sens, ils le mettent en avant.
19:59En fait,
20:01je ne vais pas parler pour Michel Offray, je ne pense pas
20:03qu'il va dans leur sens, mais effectivement...
20:05Il fait son travail, on peut dire, de philosophe,
20:07ni rire, ni pleurer,
20:09mais comprendre, comme il le dit souvent.
20:11D'ailleurs, il y en a qui ont dit
20:13d'ailleurs même, je ne sais pas si c'est Zemmour ou un autre,
20:15qui dit oui, mais vous savez, ils ont le courage
20:17de se battre et de se battre. C'est vrai.
20:19Ils ne craignent pas... En fait,
20:21la question que je vais vous poser, c'est aux journalistes
20:23et aux témoins,
20:25et aussi si vous avez été un témoin,
20:27je n'irais pas privilégié, parce que ce n'est pas
20:29un privilège, c'est le contraire.
20:31Souhaite à personne. Mais
20:33au fond, ils ne craignent pas la mort,
20:35ils vont vers la mort, c'est-à-dire qu'il n'y a pas
20:37de problème là-dessus.
20:38C'est ce que je crois au début, ça.
20:40Moi, j'avais même pensé
20:42à un titre qui était
20:44J'irai au paradis car l'enfer est ici,
20:46qui existe d'ailleurs, c'est un film des années 90, si je me souviens bien.
20:48Parce que je trouvais que ça leur collait bien,
20:50et en fait, c'est évidemment beaucoup plus complexe.
20:52Il y a les braves, ceux qui sont
20:54capables de se sacrifier, de donner la vie pour leur projet,
20:56les fameux shahids,
20:58mais tous ne donnent pas leur vie.
21:00Tous ne sont pas prêts à donner leur vie.
21:02Et on ne leur demande pas tous de donner leur vie,
21:04ce n'est pas donner à n'importe qui.
21:06C'est des sortes d'élus qui font ça, ils ont une place spéciale
21:08dans ce paradis qu'on a décrit tout à l'heure.
21:10Et ça, je m'en rendrai compte par contre.
21:12Mais eux, ce qu'ils disent, c'est que chacun amène sa pièce
21:14à l'édifice du grand projet.
21:16Quelqu'un qui est handicapé, infirme,
21:18il va peut-être aider en donnant un peu d'argent.
21:20Un autre, il est plus fort.
21:22Chacun, à son niveau, peut aider.
21:24Chacun à sa manière, oui.
21:26Olivier Dubois,
21:28l'enfer de votre captivité, 711 jours
21:30aux mains d'Al-Qaïda.
21:32On continue d'en parler dans un instant
21:34sur Sud Radio.
21:40Sud Radio,
21:42la culture dans tous ses états. André Bercoff,
21:44Céline Alonso.
21:46Sur Sud Radio, ces chants religieux
21:48utilisés par les groupes terroristes
21:50depuis plusieurs années, André Bercoff.
21:52Alors, Olivier Dubois,
21:54vous avez été 700 jours
21:56otage d'Al-Qaïda.
21:58Qu'est-ce qui a été le plus difficile à vivre
22:00dans cette épreuve ?
22:02Il y a beaucoup de choses qui sont difficiles à vivre.
22:04Je vais en distinguer une,
22:06parce qu'il y a les conditions de vie,
22:08il y a la nourriture, il y a la relation avec eux.
22:10L'hygiène aussi.
22:12Oui, l'hygiène est optionnelle.
22:14L'hiver, on se lavait une fois tous les 10 jours.
22:16Il fait tellement froid, et puis c'est sec là-bas.
22:18On se lave dans la nature,
22:20donc on n'a pas envie de se foutre à poil quand il fait très froid,
22:22avec de l'eau glacée.
22:24Il y a l'eau, justement.
22:26Je dis l'eau glacée, à la saison des puits, vous ne buvez plus de l'eau des puits.
22:28Vous buvez l'eau qui vient du ciel,
22:30l'eau de puits,
22:32qui affleure sur le sol.
22:34Pour répondre à votre question,
22:36pour moi, le plus important, c'est l'inconnu.
22:38Le fait de ne rien contrôler, de ne pas pouvoir anticiper,
22:40de ne pas savoir ce qui va se passer.
22:42C'est ça qui vous définit comme un otage.
22:44Vous n'avez un contrôle sur rien,
22:46et tout peut arriver n'importe quand.
22:48Quelqu'un qui débarque, un regard, un appel radio,
22:50tout est interprétable.
22:52Vous avez eu peur parfois d'être tué,
22:54parce qu'un jour, mais c'est arrivé plusieurs fois,
22:56un jour, un gardien a menacé de vous égorger
22:58en simulant le geste,
23:00le long de son cou, avec son index.
23:02Oui, ça c'est une scène qui est marquante.
23:04Je suis avec mon co-détenu,
23:06si je puis dire ça,
23:08le citoyen sud-africain,
23:10et oui, il y a un jadis
23:12qui vient pour nous enchaîner,
23:14je crois qu'il y a un noeud avec les chaînes,
23:16il galère un peu à enlever ce noeud,
23:18il me regarde droit dans les yeux,
23:20il me désigne du doigt,
23:22il fait ce fameux geste pour me couper la gorge,
23:24il le fait deux fois,
23:26et ça vous transperce.
23:28On ne sait pas comment réagir.
23:30Pour moi, il faut faire bonne figure,
23:32il faut montrer que ça ne m'atteint pas,
23:34mais ça m'attend, évidemment,
23:36et puis j'ai commencé à avoir peur.
23:38On ne dort pas la nuit, on se demande s'il ne va pas venir,
23:40mettre son plan d'exécution dans les jours qui vont venir,
23:42dans la nuit qui arrive.
23:44Ça reste marquant, c'est un souvenir marquant.
23:46Et un matin, vous levez très très tôt,
23:48vous apercevez que vos gardiens
23:50dorment, et là, une idée
23:52vous traverse l'esprit,
23:54vous effleure l'esprit, à savoir tous les tuer.
23:56Alors,
23:58disons que j'ai été
24:00confronté
24:02à des armes comme ça, disponibles,
24:04plusieurs fois.
24:06L'imagination travaille,
24:08on peut avoir des sortes de fantasmes dignes
24:10d'un film d'action,
24:12d'un cinéma,
24:14une roulade, vous vous rappelez la Kalachnikov,
24:16deux rafales, tout le monde tombe,
24:18et c'est vraiment du cinéma.
24:20Un, je ne sais pas mêler des armes, je ne suis pas un meurtrier,
24:22et même si j'étais capable de faire ça, comme au cinéma,
24:24qu'est-ce que je fais après ? J'ai pas la réalité du terrain,
24:26je ne sais pas comment me survivre là-dedans,
24:28et puis, si j'échoue,
24:30enfin bon, c'est que de l'imagination,
24:32mais évidemment que ça pèse la captivité,
24:34donc quand on voit ça, on se dit, c'est fou, c'est disponible,
24:36et j'ai regretté plus d'une fois
24:38de ne pas pouvoir être un militaire,
24:40et en même temps, je n'aurais pas pu faire couler le sang.
24:42Oui, mais en même temps, cette haine,
24:44on la comprend, à l'intérieur, vos conditions
24:46étaient terribles, dans certains
24:48camps, donc la nuit, vous dormiez attaché à un arbre,
24:50dans d'autres, la journée, vos pieds
24:52étaient enchaînés à une jante de camion,
24:54et vos déplacements étaient donc limités
24:56sur un rayon de 6 mètres,
24:58qu'est-ce qui justifiait
25:00le durcissement des sanctions ?
25:02Le durcissement des sanctions, il arrive
25:04à partir de juillet
25:062021, quand
25:08je fais ma dernière tentative d'évasion
25:10et que je me fais rattraper le lendemain.
25:12Il y a un choc chez eux,
25:14parce que je pense qu'il y avait... Pourquoi ? Pourquoi ? Alors, justement,
25:16vous disiez, vous n'êtes pas un meurtrier,
25:18vous n'êtes pas un militaire, et comment vous sortiez ?
25:20Et vous dites, vous avez dit juste,
25:22il y a deux minutes, oui, mais je connais
25:24pas le terrain, comment j'allais faire ? Pourtant,
25:26vous avez essayé de vous évaner.
25:28Quatre fois, quatre tentatives.
25:30Justement, il faut expliquer pourquoi vous avez pensé
25:32vous évaner alors que vous connaissez pas
25:34le terrain. Et quel plan, surtout,
25:36vous avez échafaudé ? Ça, c'est très intéressant,
25:38vous le racontez. La porte de sortie, elle se fait pas
25:40par les armes, je suis pas militaire, exactement,
25:42donc elle peut pas passer par les armes, mais elle passe par une évasion
25:44et, autour du camp, il y a quand même
25:46de la vie, j'entends passer des motos, j'entends passer
25:48des camions, des véhicules, donc l'idée,
25:50rapidement, se fait de, on peut peut-être quitter le camp,
25:52trouver une piste, trouver cette fameuse piste
25:54où passent les camions, en arrêter
25:56un, et puis, convaincre
25:58la personne à l'intérieur de nous prendre avec
26:00soi. Donc, c'est ça, en fait, qui commence
26:02à germer dans mon esprit. Le problème,
26:04le seul obstacle, c'est la chaîne. Il faut pouvoir
26:06que je m'en libère, la nuit, si possible, quand ils dorment.
26:08Parce que vous êtes attaché à une chaîne tout le temps ?
26:10Pas au début, ça dépend. Après,
26:12l'évasion, c'est temps.
26:14Mais, au départ, c'est le soir,
26:16à partir de 17h30, quand la nuit tombe, vous êtes
26:18enchaîné. Et je...
26:20Alors, je sais pas si...
26:22On va certainement en reparler, mais tout va venir, en fait,
26:24d'un gardien qui n'a pas de clé de serrage,
26:26un soir. Et là, je vois qu'il fait
26:28semblant pour me faire croire qu'il veut serrer.
26:30Et là, je me dis, mais...
26:32Il va dormir, je peux enlever mes chaînes,
26:34et je peux partir.
26:36Et ce qui est incroyable, c'est qu'il y a quand même plusieurs
26:38djihadistes qui vous ont fait
26:40comprendre, convertis-toi,
26:42si tu te convertis,
26:44tu seras libéré.
26:46L'un d'eux vous a même dit, un jour,
26:48si tu te convertis, on te donne une tente,
26:50une femme, des bêtes et une arme.
26:52Ça ne vous a pas tenté ?
26:54Non, mais non. La conversion,
26:56c'est pas... Je n'ai rien contre l'islam,
26:58c'est pas un problème de religion, quoi que ce soit, mais
27:00on se convertit en homme libre,
27:02on se convertit avec le cœur,
27:04on se convertit parce qu'on a l'obligation.
27:06Et pas avec une chaîne à la cheville,
27:08et pas dans une situation de captivité.
27:10Je pense que ça, pour moi, c'était fondamental.
27:12Certains otages ont accepté
27:14de se convertir dans l'espoir d'être libérés.
27:16Ils n'ont jamais été libérés, je crois, dans l'histoire.
27:18Voilà ce qu'ils me disent, j'y crois pas,
27:20parce qu'on a d'autres exemples qui disent le contraire.
27:22Et puis après, quand ces otages
27:24sont convertis, c'est parce que ça amène un certain confort.
27:26Évidemment, j'imagine,
27:28il y a un harcèlement, quand même, quotidien,
27:30et vous vous dites, je vais me convertir, on va me laisser tranquille.
27:32En tout cas, ce qui est incroyable,
27:34c'est que pour comprendre ce qui motive leurs actes,
27:36un jour, vous décidez,
27:38au quotidien, de lire
27:40le Coran. Ils vont vous livrer
27:42un Coran, ils vont vous livrer
27:44la biographie du prophète.
27:46Qu'est-ce qui vous a le plus frappé en lisant ces textes ?
27:48Vous êtes agnostique.
27:50Je suis agnostique, j'étais agnostique,
27:52je le suis toujours, mais je dis bien
27:54agnostique sur un cheminement,
27:56je pense qu'il y en a avant et il y en a après.
27:58Ça a quand même bouleversé un peu mes convictions, parce qu'on a le temps de penser,
28:00on s'ennuie pas mal, etc.
28:02On se demande, au bout d'un moment, quand même, même si on bascule pas,
28:04est-ce qu'ils n'ont pas raison dans ce qu'ils font,
28:06mais de dire qu'il y a un dieu,
28:08moi je suis agnostique, qu'il y a un enfer
28:10et un paradis, que ce que je fais dans ma vie
28:12va compter pour après, pour un jugement dernier.
28:14Donc on se pose pas mal de questions.
28:16Donc voilà, agnostique, mais dans un cheminement.
28:18Je me souviens plus de votre question.
28:20J'ai fait un détour.
28:22Qu'est-ce qui vous a le plus frappé en lisant le texte,
28:24le Coran ?
28:26J'ai fait plusieurs lectures du Coran,
28:28je le dirai trois fois.
28:30La première lecture, elle me choque.
28:32Parce que si on lit le Coran littéralement,
28:34à un moment, ça appelle quand même à tuer les infidèles,
28:36d'abord à les ignorer, ensuite à les tuer,
28:38et puis quand je lis ces phrases,
28:40il me dit, lis-le plusieurs fois.
28:42Et c'est vrai,
28:44qu'en le lisant plusieurs fois, on arrive à trouver
28:46une sorte de recul avec le texte, on va mieux le comprendre,
28:48et ça me choquait un peu moins au fur et à mesure
28:50des lectures. Mais ce qui m'a intéressé
28:52dans le Coran, pas paradoxalement,
28:54mais bizarrement, c'est évidemment
28:56le texte lui-même est intéressant,
28:58mais c'est surtout la biographie du prophète.
29:00Moi je sais que c'est quelque chose qui m'a passionné.
29:02Et puis la description de toute cette
29:04Arabie pré-islamique,
29:06c'était des cultes païens,
29:08c'était passionnant.
29:10C'est une biographie écrite par qui ?
29:12C'est une biographie écrite par qui ?
29:14C'était le cher Alil Boubaker,
29:16elle datait de 1973, cette première édition,
29:18si je ne fais pas d'erreur.
29:20C'est Alil Boubaker en tout cas,
29:221973,
29:24c'est une traduction.
29:26En français ?
29:28Elle commence par une description
29:30de l'Arabie pré-islamique, une biographie du prophète,
29:32donc vous avez une sorte de bagage
29:34avant de commencer à lire le Coran.
29:36C'est très intéressant, je pense que ce n'est pas dissociable.
29:38Un jour, vous faites
29:40remarquer à un djihadiste que l'interdiction
29:42de la musique est nulle part
29:44dans le texte.
29:46Que vous a-t-il répondu à ce sujet ?
29:48Moi je cherchais un petit peu, parce que ça me permet
29:50aussi de susciter le débat,
29:52d'avoir des discussions avec eux, d'avoir des arguments.
29:54Et c'est vrai que je cherche ça aussi, entre autres, la musique
29:56et je ne le trouve pas. Donc ça déclenche
29:58quand je leur pose cette question-là, des discussions
30:00chez eux, et au bout d'un moment ils n'arrivent pas à trouver
30:02la situation. Il y en a un qui est confiant, il me dit
30:04au paradis, il me dit, on va t'organiser
30:06un rendez-vous avec un grand imam, un spécialiste
30:08et lui, il t'en parlera.
30:10Et vous dites que l'absence de description
30:12du paradis pour les femmes les embarrasse un peu.
30:14Alors,
30:16qu'est-ce qui les embarrasse ? Je ne sais pas,
30:18mais c'est la question qui les embarrasse.
30:20On me disait, mais où tu vas chercher des questions pareilles ?
30:22C'est peut-être des questions
30:24d'occidentaux, je ne sais pas, c'est peut-être des questions de journalistes.
30:26Parce qu'eux, ils sont dans leur conviction et voilà.
30:28Oui, oui, et puis en gros,
30:30ça englobe tout le monde, mais je suis assez étonné, c'est vrai que
30:32c'est assez masculin quand même.
30:34Mais est-ce que l'étude du Coran a
30:36adouci vos rapports avec eux, alors ?
30:38Ça va briser la glace, ça va permettre
30:40de discuter, ça va permettre de poser des questions,
30:42de susciter quelques débats.
30:44Oui, oui, bien sûr,
30:46c'est un des buts aussi.
30:48Et puis moi, j'ai cette volonté de comprendre
30:50et donc d'échanger avec eux.
30:52Alors, il faut le préciser, c'est que six mois
30:54après votre enlèvement,
30:56ils vous avaient remis une radio
30:58et donc régulièrement, heureusement,
31:00vous sur RFI,
31:02vous êtes en contact avec votre famille.
31:04Chaque huit mois,
31:06vous pouvez échanger.
31:08C'est des moments extraordinaires.
31:10Chaque huit mois, c'est pas beaucoup.
31:12Chaque huit du mois, pardon.
31:14Oui, oui, c'est vrai.
31:16Chaque huit du mois, pardon.
31:18C'est énorme.
31:20Et c'est un tournant un peu dans ma captivité.
31:22Parce qu'au départ, j'essaye de tenir sur moi
31:24en faisant du sport, en continuant de faire mon travail,
31:26en ayant une sorte d'état d'esprit
31:28qui essaie d'être un bouclier, même ténu,
31:30contre ce qui se passe. Et là,
31:32le fait de pouvoir me recharger tous les huit du mois
31:34en entendant ma famille, en étant au courant de ce qui se passe,
31:36même à l'extérieur, ça va
31:38franchement me renforcer.
31:40Est-ce que vous avez écouté la voix
31:42de votre famille ?
31:44J'ai mes enfants, ça transperce.
31:46J'ai ma mère, j'ai mes sœurs,
31:48et puis j'ai des nouvelles.
31:50Il y a eu ça, on a fait ceci, on s'est rassemblés là,
31:52ça avance, tiens bon, tiens bon.
31:54Sinon, on ne tient sur quoi que sur soi-même.
31:56Des fois, on est en haut, des fois, on est en bas.
31:58Alors, vous avez enregistré, ils vous ont
32:00demandé d'enregistrer différentes vidéos.
32:02Un jour, on vous demande d'enregistrer
32:04une nouvelle preuve de vie
32:06pour l'État français.
32:08Une incohérence vous frappe.
32:10Racontez-nous laquelle.
32:12Oui, ça arrive en novembre 2022. Pour moi, en novembre 2022,
32:14c'est important, cette période-là, parce qu'il se passe pas mal
32:16de choses, ça coïncide, alors comme vous le dites,
32:18avec eux qui viennent pour cette preuve de vie, ça correspond
32:20aussi à un message, réponse
32:22d'une demande d'interview que j'ai faite
32:24depuis le début de ma captivité
32:26pour interview du chef.
32:28Il y a beaucoup de choses qui se passent, et à la radio,
32:30je sais pas, quelques jours, une semaine avant, j'entends
32:32en tout cas que les services français ont dit à ma famille
32:34que je suis en bonne santé, et puis il y a cette
32:36demande de preuve de vie qui vient après, donc je me demande,
32:38ils étaient donc au courant, donc ça veut dire
32:40qu'il y a des contacts, donc voilà,
32:42on leur a parlé de moi, enfin voilà.
32:44Une preuve d'espoir quand même.
32:46Oui, il se passe quelque chose. Et puis c'est ce message
32:48du chef qui me dit, écoute, nous sommes en train
32:50de parler avec les Français.
32:52Donc voilà, je me dis, il y a peut-être quelque chose.
32:54Mais je sais qu'après, ces négociations, ça peut s'interrompre,
32:56du temps passe, ça reprend,
32:58enfin vous voyez.
33:00Mais ce qui pose question quand même dans votre livre, c'est que
33:02effectivement, vous racontez que souvent,
33:04des avions, alors est-ce que c'était des avions de Barkhane
33:06ou pas, quadrillaient le ciel,
33:08ainsi que plein de drôles
33:10survolaient régulièrement les camps
33:12où vous étiez prisonnier, vous avez
33:14fait plusieurs signaux d'alerte.
33:16Ce qui est étonnant, c'est que personne
33:18ne vous a repéré, ou n'a pas voulu vous repérer,
33:20c'est la question qui se pose quand même aujourd'hui.
33:22Alors, je ne sais pas si on n'a pas voulu nous repérer,
33:24si on était repéré, en tout cas, on n'a pas vu les résultats de ce repérage,
33:26mais oui, on a été survolé
33:28plusieurs fois, les camps
33:30étaient survolés par des drones, des avions, on ne savait pas exactement.
33:32Alors, eux disaient tout le temps
33:34que c'est Barkhane, c'est ce que je dis dans le livre,
33:36mais ça pouvait être les Américains, ça pouvait être la MINUSMA
33:38qui était équipée de drones,
33:40mais le ciel
33:42de la région de Kidal, du Normaliens,
33:44c'est vrai, est quand même pas mal patrouillé.
33:46Il y a de la surveillance aérienne.
33:48Alors, moi, j'aimerais qu'on parle
33:50un mot, vous n'en parlez pas, c'est volontaire,
33:52c'est normal dans votre livre, de cette fameuse
33:54enquête qui a été menée par des
33:56journalistes de RFI, Le Monde Libération,
33:58et TV5 Monde, et cependant, un an et demi,
34:00une enquête sur votre affaire,
34:02ils ont eu accès au dossier d'instruction
34:04du pôle anti-terroriste, et en
34:062023, ils ont révélé
34:08d'érater l'armée française,
34:10lors de votre enlèvement, elle aurait tenté de vous utiliser
34:12à votre insu pour géolocaliser,
34:14donc le chef d'IADIS,
34:16vous deviez donc interviewer,
34:18vous étiez donc surveillé dès le départ,
34:20cette manipulation,
34:22vous en avez conscience ou pas aujourd'hui ?
34:24Qu'est-ce que vous en pensez ? Quel est votre avis ?
34:26Alors, je n'en ai pas conscience au moment où j'écris le livre.
34:28Le livre couvre vraiment
34:30la période de mon enlèvement jusqu'au retour
34:32dans l'avion qui va me déposer à Niamey, et la liberté.
34:34Moi, j'apprends ça quand je sors.
34:36J'apprends ça quand je sors de la captivité.
34:38Donc, je n'avais pas le souhait
34:40d'en parler, parce que ce n'est pas,
34:42il ne fallait pas que je change, il ne fallait pas que je mette les informations
34:44que j'ai eues après dans ma captivité,
34:46ça n'aurait pas été le cas. Donc, ce n'est pas
34:48ce que je voulais couvrir, et puis moi, mon défi, ce qui était important
34:50pour moi, c'était vraiment coucher cette captivité
34:52sur papier. Là, vous parlez d'une autre affaire.
34:54Alors, moi, je n'ai pas plus d'éléments là-dessus,
34:56évidemment, j'ai entendu ça comme tout le monde,
34:58mais ça a été un choc, évidemment,
35:00et j'ai pu connecter ça, peut-être,
35:02à ce qui s'est passé les trois premières semaines de ma captivité,
35:04où on me prend pour un agent français.
35:06Peut-être que c'est connectable avec ça,
35:08mais c'est le seul élément que j'ai.
35:10Mais vous n'avez pas souhaité creuser
35:12plus d'histoires ?
35:14Ce n'était pas le but, ce qu'il fallait, c'était me vider
35:16ce que j'avais dans ma tête.
35:18En tout cas, je tiens à rapporter
35:20quand même les propos d'un lieutenant
35:22qui a été interviewé
35:24lors de cette enquête. Il a dit
35:26qu'il y avait un réel risque d'enlèvement.
35:28Nous n'avons pas agi, car je n'ai pas reçu
35:30l'ordre. Et selon RFI,
35:32bien le plus haut gradé des militaires
35:34a déclaré ne pas avoir tenté de vous
35:36dissuader, car ce n'est pas le rôle
35:38de l'armée. Il a toutefois précisé
35:40avoir demandé aux services diplomatiques
35:42de s'en charger. Ils l'ont fait, puisqu'ils l'ont
35:44dissuadé. Ils le racontent très bien.
35:46Olivier Dubois,
35:48on va se retrouver dans un instant
35:50sur Sud Radio. Vous avez été libéré
35:52le 20 mars 2023.
35:54Comment précisément
35:56l'avez-vous appris ?
35:58Comment l'avez-vous vécu surtout ?
36:00A tout de suite, dans un instant sur Sud Radio.
36:10...
36:12...
36:14...
36:16...
36:18...
36:20...
36:22La liberté d'Olivier Dubois. Vous l'avez
36:24retrouvée après 711 jours
36:26de captivité aux mains d'Al Qaïda.
36:28Vous étiez au Mali. Le 20 mars
36:302023, vous avez été
36:32libéré. Comment avez-vous
36:34appris votre libération ?
36:36L'annonce arrive
36:38L'annonce arrive le 6 mars 2023, il y a un pick-up qui arrive avec le chef de zone qui
36:43vient parfois nous visiter sur le camp, deux autres djihadistes, et très vite il m'attire
36:47sur le côté, on me tend un téléphone portable et il y a un document audio que je dois écouter.
36:51Et sur ce document audio, c'est la voix du numéro 2 de l'organisation, donc c'est
36:54Dana Guita qui me dit « Ecoute, Inch'Allah, si tout va bien, dans 14 jours tu sortiras.
36:58» Et la nouvelle, c'est énorme pour moi, c'est à la fois un choc et puis d'un coup
37:02ça développe une sorte de boule d'angoisse dans l'estomac, parce que je sais pour avoir
37:08lu connaître les anciennes histoires d'otages, qu'on leur a dit ça plusieurs fois et qui
37:11ne sont pas sortis, et moi je suis sur une sorte de mental quand même, et je me dis
37:14que c'est le genre de truc qui peut me dézinguer, qui peut me faire dégringoler.
37:17Donc j'ai envie d'y croire et en même temps j'ai peur d'y croire.
37:20Que saviez-vous aujourd'hui des conditions de votre libération ? Dans votre livre, vous
37:26racontez que des djihadistes ont parié sur 10 millions d'euros de rançon.
37:32Il y a une sorte d'argue chez eux en fonction de la nationalité de l'otage, les français
37:39c'est à peu près 10 millions, ils espéraient de l'argent ou des prisonniers ou les deux,
37:43sur maintenant les termes de la négociation, ça c'est opaque, j'en sais rien du tout,
37:47mais c'est quelque chose qui m'a été dit tout le long de ma captivité, oui toi tu
37:50vaux autant, toi tu vaux autant, pour Hertz c'était 5 millions.
37:52Mais quand vous parlez de bourse citoyenne, c'était quoi alors ? Les français c'était
37:5410 millions ? 10 millions, pour les français c'était à
37:57peu près 10 millions, pour les italiens c'était 5 millions, ils ont comme ça, ils ont comme
38:02ça.
38:03Les américains c'est plus.
38:04C'est plus, les allemands aussi je crois que c'est pas mal, voilà ils ont une sorte,
38:07ils savent, bon ils ont de l'expérience, ils ne font pas ça depuis hier, ils savent
38:10à peu près ce qu'ils ont obtenu, voilà.
38:12Et juste une question quand même évidemment, est-ce que vous avez fini par voir, ou pas,
38:18celui pour lequel vous étiez venu au Mali ?
38:20Non, oui, oui, oui, peu de temps avant ma libération, on me l'amène, je suis censé
38:27interviewer en fait le chef de l'organisation, je pense que je ne l'ai pas, l'interview
38:33a été refusé en fond à la fin, parce que je ne me suis pas converti, il est hors de
38:36question qu'il se fasse interviewer par quelqu'un qui n'est pas résident, qui est un mécréant,
38:41exactement.
38:42Et donc, ils sont quand même soucieux de vouloir me montrer qu'ils ne m'ont pas trompé,
38:45que ce n'est pas eux qui ont fait cette lettre d'invitation, validant un peu la trahison,
38:48et ils m'amènent donc celui pour lequel en gros je vais me faire kidnapper, Abdallah
38:52Ghalbaka, et le numéro 2, donc Céda Negita, accepte aussi de répondre à mes questions.
38:56Ah oui, donc il est venu, donc vous avez pu faire votre entretien ?
38:58J'ai fait, oui.
38:59Et cette fois-ci ?
39:00C'est compliqué de publier toute une interview, j'en parle dans le livre, je mets quelques
39:04exagérations, après c'est vrai que c'est assez hermétique quand même, c'est un truc
39:07de connaisseur, je ne suis pas sûr que ce soit un très grand public, mais oui, j'ai
39:10fait cette interview.
39:11Est-ce que vous appréhendiez ce retour à la vie normale ?
39:14Oui, on appréhende évidemment, c'est deux mondes, moi j'avais toujours l'impression
39:17d'être sur une planète qu'on pourrait appeler la planète de captivité, avec un
39:19câble de liaison avec notre monde actuel, et quand Barkhane quitte d'ailleurs la scène
39:24au Mali le 15 août 2022, j'ai l'impression que ce câble est coupé.
39:26Donc vous vous êtes habitué à survivre dans cette planète de captivité, le désert
39:29vous connaissez, dormir dehors vous connaissez, et puis d'un coup, vous savez, vous allez
39:32revenir, vous êtes content, mais vous allez revenir dans votre vie d'avant, et vous n'en
39:35avez plus forcément tous les réflexes, il faut s'adapter pour survivre là, il faut
39:38abandonner ça pour revenir dans votre monde, donc ça a mis un certain temps, c'est vrai
39:42que c'est compliqué.
39:43Cette épreuve, en quoi elle fait de vous, je dirais, un autre homme en quelque sorte ?
39:48Elle m'a permis de comprendre que j'avais, c'est dans mes valeurs profondes qu'il fallait
39:53que je pioche pour survivre, et pour traverser ça, ça fait émerger chez vous des choses
39:58qu'on...
39:59Même vous tous, tout le monde, si on vous met face à ce type de situation, vous allez,
40:02des choses vont émerger chez vous pour vous protéger, pour survivre, on est tous comme
40:06ça.
40:07Vous pensez à l'essentiel.
40:08Voilà, c'est le mode survie, le mode désert.
40:09C'est à l'objectif qu'est-ce qui compte.
40:10Oui, tout à fait.
40:11Et oui, vous dites, les défis rendent la vie intéressante, les surmontées lui donnent
40:14un sens, c'est avec cette citation de Joshua Marine que vous ouvrez votre livre intitulé
40:19« Prisonniers du désert » et qui est paru, je le rappelle, aux auditeurs de Sud Radio,
40:23André Berkhoff, qui est paru aujourd'hui, il faut absolument le lire.
40:27Un mot, comment vous avez surmonté cette épreuve ? 30 secondes, nous sommes à la
40:31fin de cette émission.
40:32Comment j'ai surmonté toute cette épreuve ?
40:33Comment vous avez réussi à la surmonter ?
40:34En me donnant des contre-mesures, le sport, continuer à être un journaliste, et puis
40:38surtout les messages de mes proches, les messages de ma famille, ça vous renforce, et puis
40:42surtout pas d'esprit de soumission, je n'ai rien fait, c'est eux qui ont besoin de moi
40:45et c'est pas moi qui ai besoin d'eux.
40:47Merci Olivier Dubois d'être venu sur Sud Radio, tout de suite vous retrouvez Brigitte
40:51Lahaie.

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