• il y a 6 mois
Céline Alonzo et André Bercoff reçoivent l'écrivain Alain Vircondelet qui publie "Alain Vircondelet raconte Antoine de Saint Exupéry" aux éditions Alisio, dans la collection "Les Amours de sa vie".

Retrouvez La culture dans tous ses états tous les vendredis avec Céline Alonzo et André Bercoff à partir de 13h.

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##LA_CULTURE_DANS_TOUS_SES_ETATS-2024-06-21##

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Transcription
00:00SUD RADIO, la culture dans tous ses états. André Bercoff, Céline Alonso.
00:06On ne sait pas qui il est. On ne sait pas d'où il vient. Il est né avec la rosée du matin. Une rose entre ses mains.
00:28Et oui, Gérard, le Normand André Bercoff qui rend hommage à Antoine de Saint-Exupéry.
00:33Le 31 juillet, on célébrera le 80e anniversaire de sa mort.
00:38Et à cette occasion, Alain Vircondelet, l'un des plus brillants spécialistes de l'auteur du Petit Prince,
00:45publie un nouveau livre, André, dans lequel il nous révèle un nouveau visage de Saint-Ex.
00:51C'est un livre que non seulement je recommande, c'est un livre dont Alain Vircondelet raconte Antoine de Saint-Exupéry.
00:59Et je dis, c'est d'autant plus important pour les lecteurs, pour les amoureux du livre, pour les amoureux de la littérature,
01:06pour les amoureux de la pensée, c'est qu'Antoine Saint-Exupéry, il faut le dire aujourd'hui, connaît un certain purgatoire.
01:14Oui, on en parle. Alors qu'il a publié, alors qu'il a vendu le plus de livres dans le monde.
01:19Mais ce n'est pas un problème. On ne sait plus vraiment qui est Saint-Ex.
01:23Oui, Saint-Ex. Ah oui, le Petit Prince. Et ça s'arrête là.
01:27Et ce qu'Alain Vircondelet a fait, après avoir publié plusieurs livres sur Antoine de Saint-Exupéry,
01:34il le dit, il l'écrit d'ailleurs, il était de son enfance comme de la France.
01:41J'étais de Saint-Exupéry, de son monde, de sa langue.
01:44Je n'irai rien de ses défauts, de ses erreurs, de ses négocentrismes.
01:49J'aime surtout sa force, son courage, sa lucidité et sa tendresse, dit Alain Vircondelet.
01:54Et c'est vrai que c'est un livre à la fois d'amour, d'amitié, de reconnaissance.
01:59Et un livre qui vous apprend beaucoup de choses, qui vous enseigne beaucoup de choses sur ce qu'est ce très grand écrivain.
02:07Qu'on a tendance aujourd'hui peut-être, en tout cas totalement à tort, à moins fréquenter.
02:14Et il est temps Céline de le revoir et de le relire.
02:18Effectivement, et au-delà du cliché héros mort pour la France, alors quel homme était Saint-Ex ?
02:23Était-il vraiment un saint ? Un écrivain moraliste et ennuyeux comme beaucoup le disent ?
02:28Pourquoi on ne l'enseigne plus aujourd'hui ?
02:31Dans un instant sur Sud Radio, c'est d'un visage méconnu de Saint-Ex dont nous allons parler avec Alain Vircondelet.
02:44J'ai vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement.
02:49Jusqu'à une panne dans le désert du Sahara, il y a six ans.
02:53Quelque chose s'était cassé dans mon moteur et comme je n'avais avec moi ni mécanicien ni passager,
02:58je me préparais à essayer de réussir tout seul une réparation difficile.
03:02C'était pour moi une question de vie ou de mort.
03:05J'avais à peine de l'eau à boire pour huit jours.
03:08Le premier soir, je me suis donc endormi sur le sable à mille milles de toutes terres habitées.
03:14J'étais bien plus isolé qu'un naufragé sur un bateau.
03:17Gérard Philippe qui lit Le Petit Prince de Saint-Exupéry, André Bercoff.
03:20Et pour parler donc de cet écrivain culte, nous avons le plaisir de retrouver, de recevoir plutôt sur Sud Radio,
03:25l'un de ses plus talentueux biographes, Alain Vircondelet.
03:28Bonjour.
03:29Bonjour.
03:30Alors, merci d'être avec nous sur Sud Radio.
03:32Vous publiez un ouvrage passionnant aux éditions Alizio, un abécédaire,
03:35que vous avez écrit à la lueur des archives inédites de l'écrivain poète.
03:39Vous êtes le seul biographe à y avoir eu accès, donc de 1999 à ce jour.
03:46Comment y êtes-vous parvenu ?
03:48Le hasard.
03:49Je dirais, mais y a-t-il véritablement un hasard ?
03:51Je dirais un hasard organisé parce que le destin m'a mis sur le chemin des héritiers de Consuelo de Saint-Exupéry
03:59et moins sur celui des héritiers d'Antoine de Saint-Exupéry.
04:04Nous savions tous dans le milieu exupérien que Saint-Exupéry avait laissé des archives à sa mort
04:10qu'il avait laissées à son épouse légitime qui s'appelait Consuelo
04:13et que ces archives dormaient dans l'héritage que Consuelo elle-même avait laissé en 1979 à son secrétaire privé.
04:23Et ce secrétaire privé n'avait pas souhaité montrer encore ses archives
04:29et je suis allé le voir sur la recommandation d'un ami, avocat, qui m'a mis en lien avec lui
04:36et il m'a dit, écoutez, ce sera vous et on va ouvrir ensemble les archives en 1999.
04:42C'est un hasard tout à fait magnifique. J'appelle ça la chance du biographe.
04:46Et oui, alors c'est extraordinaire parce que vous avez eu entre vos mains correspondance, dessin, photos.
04:52Alors quel homme a surgi de cette découverte ? On peut dire qu'il était loin d'être un saint Saint-Exupéry.
04:58J'avais déjà commencé à dépouiller un peu cette image et en avoir l'intuition.
05:03C'est-à-dire qu'en 1993, donc quelques années avant, j'avais déjà écrit chez Julliard un essai sur Saint-Exupéry
05:11et une relecture finalement. J'avais abandonné Saint-Exupéry pour Marguerite Duras dans mes années d'adolescence et d'étudiant
05:20et puis je me suis dit un jour, il faut que je relise quand même les auteurs cultes de ma jeunesse
05:27et j'ai lu Saint-Exupéry et là j'ai été ébloui à la fois par sa force, sa dynamique, ce qu'André Bercoff a dit à l'instant,
05:35c'est-à-dire cette énergie vitale et cette force dont on a tellement besoin dans nos sociétés actuelles
05:41qui sont des sociétés d'isolation et des sociétés de solitude.
05:46Et voilà que cet écrivain redonnait de la force et l'envie d'être avec.
05:52C'est un homme du lien par définition et pas du faux lien comme on dit aujourd'hui le vivre ensemble est une parade politique
06:00c'est-à-dire que Saint-Exupéry voulait vraiment vivre ensemble avec les nomades, avec les poètes, avec les hommes, avec les femmes.
06:07Et donc voilà, je suis entré dans cette œuvre dès 93 mais évidemment en 99-2000, l'année de son centenaire,
06:17j'ai eu cette chance de pouvoir accéder à ses archives dont je suis encore un de ceux qui les dépouille le mieux avec les héritiers actuels
06:28qui sont vraiment extraordinaires, d'où l'abondance des travaux que j'ai pu faire qui m'ont permis,
06:34ce sont ces archives qui m'ont permis de les écrire et particulièrement cet abécédaire qui est nourri d'anecdotes que j'ai trouvées ici et là.
06:42En quelques mots, on va en parler avec Céline longuement, vous diriez que toutes ces archives que vous avez dépouillées depuis 25 ans maintenant, ça fait 25 ans,
06:52en quelques mots vous diriez qu'est-ce que ça révèle de Saint-Exupéry ?
06:57De l'homme surtout.
06:59Ça révèle l'homme, c'est-à-dire que jusqu'alors Antoine de Saint-Exupéry avait été pris en main par ses héritiers directs,
07:07c'est-à-dire la fondation Antoine de Saint-Exupéry et qui ont fait un travail important, collectif et important,
07:15mais qui se sont, je dirais, cantonnés à l'image du héros mort pour la France.
07:22Et donc il était devenu ce personnage hiérartique, il était devenu ce personnage panthéonisable.
07:28Une icône.
07:29Une icône, voilà, et à laquelle il ne fallait pas toucher.
07:33Et en réalité les archives nous donnent une autre image d'Antoine, c'est-à-dire que...
07:37Alors laquelle ?
07:38Alors celle d'un homme fragile, celle d'un homme qui est inquiet, intranquille comme dirait Pessoa,
07:47un homme intranquille, un homme qui est en quête permanente d'idéal
07:52et qui dans une société qui est celle que nous connaissons de l'époque des années 40,
07:57une société qui déjà préfigure la nôtre, c'est-à-dire une société...
08:04Toutes les valeurs sont parties.
08:06Et puis une société de la robotisation, une société des termitières comme il disait.
08:11Et donc cette société à venir qu'il voit, c'est ce qu'il sait devant lui,
08:16eh bien il dit que c'est cette société-là qui lui donne cette fragilité,
08:24qui lui donne cette façon d'être incompris même de la société de son temps.
08:29Et oui, en fait tout remonte à l'enfance, parce que vous le dites dans votre livre,
08:32effectivement que c'était un grand angoissé et qu'il avait vraiment un sentiment d'insécurité
08:37qui l'a toujours habité en quelque sorte.
08:39C'est un homme qui est délié. Il a été délié dès l'enfance.
08:43Il a perdu son père, il a perdu son frère, il a vécu avec des femmes
08:47et il a été très attaché à sa mère à un point qui était presque d'hypien.
08:52N'oublions pas que presque avant de mourir, il envoie une lettre à sa mère en disant
08:56« Je n'ai qu'une envie, c'est de me retrouver dans le grand océan de votre lit ».
09:00Donc c'est une phrase assez incroyable pour un homme de 44 ans.
09:04« Dans le grand océan de votre lit ».
09:06Et donc il y a cette enfance dont il ne s'est jamais séparé
09:11et qui l'a rendu dans le monde totalement délié, totalement défait.
09:17Et toute sa vie n'a été que la tentation et la tentative de la réconciliation et du reliement.
09:23Donc c'est l'aéropostale, relié les hommes par le courrier.
09:28C'est une façon évidemment de relier l'humanité.
09:32L'avion qui devient évidemment cette sorte de médium angélique
09:38avec les grandes ailes de l'avion.
09:40C'est les ailes de Saint-Michel aussi.
09:42Est-ce que voler, ça a été en quelque sorte, ça a fait partie de son protocole de survie ?
09:48Ah bien oui, bien sûr.
09:49Mais voler, c'était une manière de toucher les étoiles
09:52et en même temps de protéger la terre des hommes.
09:55S'il vous plaît, dessine-moi un oiseau.
09:59Il aurait pu le dire, bien sûr.
10:02C'est un icard jusqu'au bout, puisqu'il a frôlé quand même l'éternité
10:08et il est tombé dans la mer, comme icard.
10:11Alors vous le racontez effectivement à travers votre livre,
10:14vous l'avez dit, c'était un grand angoissé, il était dépressif, il était même bipolaire,
10:19vous l'expliquez, et il est parti à la guerre, on peut dire,
10:22comme un sacrifice en quelque sorte.
10:24Il a dit, il a déclaré, je veux me jeter dans la mitraille pour me laver de leurs injures.
10:30Racontez-nous qui exactement, qui l'insultait en fait, à cette période ?
10:35Antoine n'a jamais été un écrivain très compris finalement de l'intelligentsia
10:41et de ses amis qu'il a, au terme de sa vie, appelé les faux amis.
10:45C'est-à-dire tous ceux qui faisaient la modernité de Paris,
10:48et entre autres évidemment les surréalistes.
10:51Quand il est parti à New York, c'était d'abord pour recevoir un prix.
10:55Il a reçu un prix énorme.
10:57Imaginez que quand même, pour Terre des Hommes,
11:01la ville de New York organise un banquet de 2000 couverts en son honneur.
11:06C'était vraiment une star à l'époque.
11:09C'était en 42, oui en 41, et après il y a eu pilote de guerre.
11:14Et donc il a été considéré, toujours par les Américains,
11:18comme étant l'écrivain majeur de la France.
11:22Et donc il avait à ce titre-là peut-être le plus de droits d'auteur
11:25de tous les écrivains réunis.
11:28Et il y avait beaucoup d'exilés à New York,
11:31on a appelé cela la petite communauté française,
11:33et évidemment qui étaient éperdus de jalousie par rapport à cet homme
11:37qui d'ailleurs flambait son argent.
11:40Parce qu'Antoine n'est pas du tout l'image du petit garçon sage et fidèle
11:46à la femme qu'il aime, etc.
11:48Non, c'était un homme qui était un fêtard.
11:50Quand vous dites flamber, Alain Vercondelé, il flambait comment ?
11:53Il dépensait ?
11:54Il dilapidait son argent.
11:55C'est un bohème, c'est un bohème.
11:57C'est un nomade et un bohème.
11:59Donc c'est tout sauf l'image justement de ce soldat fidèle à la guerre,
12:05droit dans ses potes, pas du tout.
12:08C'est un homme qui a été malheureux avec toute la société qu'il a côtoyée
12:13parce qu'en réalité il était tellement exubérant, tellement différent.
12:19C'est un jouisseur.
12:21C'est un jouisseur, c'est un sauvage.
12:23Il dérangeait, oui.
12:25Alors évidemment les surréalistes, et puis il avait un talent fou.
12:28Alors vous parlez justement des surréalistes,
12:31parce que la cabale qui a été menée contre lui par Breton,
12:34elle a été cruelle, elle a été féroce.
12:36C'est-à-dire que c'est une querelle politique.
12:39C'est une querelle politique dans la mesure où Saint-Exupéry
12:42a eu une analyse de la guerre qui n'était pas du tout celle de la doxa,
12:46c'est-à-dire de se ranger tous contre Vichy
12:50et de se ranger au libérateur qui était le général de Gaulle.
12:54Ce qui a d'ailleurs été le propre de beaucoup d'intellectuels français
12:58qui ont rejoint de Gaulle,
13:00même si c'était, comme disait Saint-Exupéry, des résistants d'Opérette.
13:04C'était des résistants qui passaient la résistance,
13:07mais ils n'étaient jamais là pour la collaboration.
13:10Mais il disait que tous ces écrivains,
13:14finalement tous ces intellectuels,
13:17sont dans les maquis de l'opéra de New York
13:21et les maquis des salons de Peggy Guggenheim.
13:24Et même Sartre qui faisait jouer les mouches sous l'occupation.
13:28Qu'est-ce qui s'est passé exactement pendant la guerre ?
13:31Il a été soupçonné de pétainisme.
13:34En fait, il a toujours refusé l'élan gaulliste.
13:39Il a toujours pensé que de Gaulle était un usurpateur,
13:43que c'était un général poutchiste
13:45et qu'il y avait une rivalité très forte entre les deux hommes.
13:49Et que d'ailleurs de Gaulle lui a bien rendu.
13:52Et donc il n'était pas pour cette forme de résistance-là
13:55qui, disait-il, divisait et clivait le peuple français.
13:59Et il n'était pas pour autant pétainiste.
14:01Il a toujours pensé que tous ceux qui entouraient Pétain
14:04étaient de véritables voyous.
14:06Il l'a dit.
14:07Il est allé même le dire à haute voix dans un restaurant de Vichy
14:12où il a dit combien les amis de Pétain
14:16étaient des gens détestables et pas fréquentables.
14:19Sauf que les pétainistes,
14:21comme en fait la doxa pétainiste,
14:25c'était, comme on le sait,
14:28qui se substituait à la trilogie républicaine
14:30travail, famille, patrie.
14:32Mais Saint-Exupéry est pour le travail.
14:34On le sait.
14:35Il a été un grand, grand laborieux.
14:37Il a beaucoup bossé.
14:38Il était pour la famille, ô combien.
14:41Et il était travail, famille, patrie.
14:43Et bien sûr, la patrie a été pour lui son leitmotiv.
14:46Donc il avait avec lui tous les critères
14:50qui étaient, je dirais, portés à l'état de culte par Vichy.
14:54Et Vichy s'en est emparé.
14:56Ils avaient besoin d'avoir des écrivains avec eux.
14:59Vichy avait besoin d'avoir des intellectuels dans leur sillage.
15:03Et donc ils ont...
15:05Mais il a été piégé, on peut le dire.
15:07Il a été piégé par Vichy qui lui a...
15:09Vichy a publié une liste en le nommant précisément
15:14comme rejoignant Vichy.
15:16C'est incroyable.
15:17Est-ce que Patrice...
15:20Parce qu'il y a eu les fameux voyages à Berlin.
15:23Il faisait partie de ce voyage.
15:25Non, non, non.
15:26Il n'est jamais allé à Berlin.
15:27Jamais, jamais, mais jamais.
15:28Il a quand même vécu de la fin 40, de l'exode à la mort.
15:34Il a toujours vécu aux Etats-Unis.
15:36Il était donc...
15:37Je me rappelais.
15:38Il n'était pas du tout concerné par ça.
15:41Et évidemment, les intellectuels français qui vivaient aux Etats-Unis,
15:47les surréalistes notamment,
15:48ont toujours imaginé qu'il n'y avait jamais de fumée sans feu.
15:51Et donc si Vichy en parle, c'est bien...
15:54Parce que Saint-Exupéry a quelque chose à voir avec...
15:57Il faut dire qu'il a démenti quand même cette nomination.
16:00Mais personne ne l'a...
16:01Aussitôt, dans le Washington Post, dans l'Érale Tribune,
16:05il a dit que ce n'était pas vrai du tout,
16:08qu'il n'avait jamais été...
16:09Lui, ce qu'il voulait, c'était réconcilier les Français entre eux.
16:12C'est-à-dire qu'il a toujours pensé que les collaborateurs
16:15et les résistants devaient se retrouver
16:18parce qu'il y avait un intérêt supérieur
16:20et que cet intérêt supérieur, c'était la France.
16:23Que c'était la France, mais éternelle.
16:25Il avait donc cette vision idéalisée de la France.
16:28Et ça, évidemment, les gaullistes ne lui ont pas pardonné.
16:31De Gaulle n'avait qu'un intérêt,
16:33c'était de cliver de plus en plus
16:35pour justement rafler, pour parler vulgairement,
16:38pour rafler la mise qu'il avait entamée.
16:40Et De Gaulle l'a souvent, on peut le dire, humilié, ignoré.
16:44Ah oui, De Gaulle l'a ignoré.
16:46Il y avait une rivalité.
16:47J'avais fait un débat avec un gaulliste,
16:49un écrivain gaulliste qui avait écrit une biographie de De Gaulle
16:52il y a quelques années,
16:53et où nous avons montré, justement,
16:55les points de divergence qu'il y avait eus entre les deux.
16:58En fait, De Gaulle n'était pas un aristocrate,
17:01quoique sa particule puisse le faire croire.
17:03C'était pas du tout une particule nobilière.
17:06Donc Saint-Exupéry, lui, oui,
17:08c'est un aristocrate qui est issu d'une famille du XIIIe siècle,
17:11un chevalier.
17:12Il s'est toujours considéré comme un chevalier.
17:15Il a toujours dit, je veux aller à la guerre
17:17comme mes ancêtres, aller devant Jérusalem
17:19et je veux crier mon joie pour libérer ma France.
17:21Mon joie Saint-Denis.
17:23Voilà, il voulait crier mon joie Saint-Denis.
17:25Mais De Gaulle, on peut dire aussi qu'il a jalousé son succès d'écrivain.
17:28Lui qui rêvait d'être Chateaubriand.
17:30Et oui, Chateaubriand, évidemment, c'était le modèle de De Gaulle.
17:34Et d'ailleurs, il a écrit les mémoires de guerre
17:36dont on dit aujourd'hui que ça ressemble beaucoup
17:38aux mémoires de Chateaubriand.
17:40Mais il voulait être un écrivain aussi, De Gaulle.
17:43Et Saint-Exupéry avait une telle aura,
17:46si j'ose dire, à l'époque,
17:48qu'il ne pouvait pas rivaliser avec cet homme-là
17:50qui avait une conscience morale.
17:52C'était peut-être la conscience morale de la France.
17:55Et De Gaulle, ça le gênait.
17:57C'était une ombre dans son...
17:59Attendez, Henri Gondelet, quand même,
18:01De Gaulle, symboliquement,
18:03il est allé quand même dire
18:05le régime de Pétain n'était pas un régime...
18:08C'était pas le régime de la France,
18:10c'était pas ça la France.
18:12Et il a... On peut dire ce qu'on veut.
18:14Mais il a représenté quand même le fait
18:17qu'il a quitté...
18:19Il est sorti de sa zone de confort,
18:21alors qu'il était nègre de Pétain,
18:23comme vous le savez.
18:24Il est allé à Londres.
18:25Il a quand même représenté
18:27l'alternative au régime de Vichy.
18:29Mais Saint-Exupéry a toujours pensé
18:32que De Gaulle, en fin de compte,
18:34cette zone de confort, il l'avait conservée
18:36en s'exilant lui-même.
18:38Et donc qu'il fallait être sur le terrain
18:40et il disait ce que je veux, c'est en être.
18:42Mais il était à New York.
18:44Il était en Amérique.
18:45Et il a cessé de vouloir y aller à la guerre.
18:47Il a cessé de demander.
18:48Et on le lui refusait constamment.
18:50Et De Gaulle a fait tout pour qu'il n'y aille pas.
18:52De Gaulle a toujours refusé à ce qu'il donnait.
18:55Il n'avait pas tellement de pouvoir.
18:56Il n'a jamais donné suite à ses demandes d'engagement,
18:58en 1943.
18:59Il n'avait pas tellement de pouvoir
19:00pour lui donner ses autorisations.
19:02C'est l'état-major américain qui lui a donné.
19:04Oui, parce qu'il pouvait y aller s'il voulait.
19:06Non, il ne pouvait pas,
19:07parce que les Américains écoutaient De Gaulle.
19:09Et donc De Gaulle a toujours...
19:11Regardez, par exemple, il a fait son discours
19:13aux intellectuels français.
19:16Il a fait un grand discours pour parler des écrivains français.
19:19Il a cité tout le monde, sauf Saint-Exupéry.
19:22Sauf Saint-Exupéry et André Monroi.
19:24Le 30 avril 1943, effectivement.
19:26Il se trouve que Monroi était un écrivain ami
19:30justement de Saint-Exupéry,
19:32qui était déjà à New York lui-même.
19:34Mais Saint-Exupéry, le fait d'avoir été comme ça,
19:38méprisé, ça l'a quand même abattu.
19:40Est-ce qu'on peut dire que sa mort, le 31 juillet 1944,
19:43n'est-ce pas un suicide indirect ?
19:45Qu'est-ce que vous en pensez ?
19:46Quelque part, oui.
19:47Mais avant même d'y venir,
19:48je voudrais dire qu'en réalité,
19:51les amis de Saint-Exupéry étaient rares à New York.
19:56Et que Breton, Maritain,
19:59il en a été très ulcéré de ces papiers insidieux
20:03qu'on lui a dit.
20:04Maritain, pour lequel il avait beaucoup d'estime,
20:07était un des plus cruels.
20:09Et on a des courriers, des correspondances
20:12dans lesquelles il dit
20:13mais comment pouvez-vous dire une chose pareille de moi
20:18qui vous révère, disait-il à Maritain.
20:21Et Maritain continuait en disant,
20:24soupçons de Vichy, on en reste là.
20:28Et donc Saint-Exupéry s'est retrouvé seul.
20:31En fait, il s'est retrouvé seul à New York,
20:33délaissé de tous.
20:36D'abord, ses oeuvres en France étaient censurées.
20:40Et puis, ses oeuvres à New York,
20:42elles ont été méprisées.
20:44Justement, Louis-Louis Vichy avait censuré Saint-Exupéry.
20:47Oui, bien sûr.
20:48Complètement.
20:49En fait, il était rejeté des deux côtés.
20:51Oui, c'est ça.
20:53C'était une espèce de marginal
20:55qui se retrouvait marginalisé.
20:57Et il s'est senti très ulcéré
20:59parce que justement, il était pour cette réconciliation.
21:03Un peu comme Albert Camus avec la guerre d'Algérie.
21:05C'est un peu la même chose.
21:07Et donc, il y a cette douleur
21:09qui n'a pas cessé d'enfler
21:12tout au long de cet exil new-yorkais
21:14jusqu'à une sorte d'étouffement.
21:17Et il a vraiment demandé de partir
21:20pour aller se laver, comme il dit,
21:22se laver de leurs injures.
21:24Les injures de De Gaulle, les injures de Breton,
21:26les injures de tous les amis, de Max Ernst,
21:29de toute cette société qui, en fin de compte,
21:32vivait dans des résistants de pacotille.
21:34Il les appelait coraniques.
21:36Il les appelle les coraniques.
21:38C'est-à-dire vraiment, il parlait des lois coraniques
21:40que Breton proférait.
21:42Les adeptes de la charia de l'époque.
21:44C'est ça, oui.
21:46Et donc, pour répondre à votre question,
21:48effectivement, on peut imaginer à un moment donné
21:50que quand il est parti à la guerre
21:52et qu'il a eu en fait ses missions
21:54qui étaient des missions suicidaires
21:56puisque de toute façon, il ne pouvait pas...
21:58C'était des missions non armées.
22:00Donc, il n'avait même pas de possibilité de se défendre.
22:02Juste un mot,
22:04nous dépassons notre module,
22:06mais c'est important.
22:08À votre avis, Alain Mircondelet,
22:10que vous connaissez très bien, vous connaissez très bien Exitens,
22:12est-ce que si De Gaulle
22:16l'avait laissé venir à Londres,
22:18puisque c'était ça,
22:20est-ce qu'il aurait fait, par exemple, comme Romain Garry,
22:22faire des missions
22:24en avion
22:26sur la France occupée
22:28et où, vous savez très bien,
22:30un aviateur sur dix revenait vivant ?
22:32Non.
22:34Parce que d'abord, Antoine de Saint-Exupéry
22:36a toujours considéré que la position
22:38de De Gaulle à Londres
22:40était une position qui n'était pas viable
22:42et qui était un pouvoir
22:44absolu
22:46de petit despote.
22:48Il pensait toujours au côté despotique d'Antoine,
22:50de De Gaulle.
22:52Il l'appelait l'apprenti dictateur.
22:54Oui, il l'appelait l'apprenti dictateur.
22:56Donc, il n'aurait jamais voulu
22:58même accepter quelconque chose
23:00de De Gaulle.
23:02En fait, il y avait une rivalité, mais qui était violente
23:04et qui ne pouvait pas passer par là.
23:06Donc, pour lui, c'était
23:08être sur le terrain.
23:10D'ailleurs, il disait à Breton,
23:12vous êtes là, dans vos loges de théâtre,
23:14mais moi, je pars à la guerre.
23:16Je vais vraiment, dans les maquis, me faire descendre
23:18pour la France.
23:20Et alors, il a fait ses missions,
23:22qu'il a acceptées, qui étaient des missions photographiques
23:24pour aller
23:26photographier les bases
23:28allemandes du côté
23:30du sud de la France.
23:32Et en fait, surtout le canal
23:34rhodadien, d'ailleurs,
23:36il est parti, mais
23:38dans un tel état de désespoir,
23:40parce que c'est ça que, d'ailleurs, les héritiers
23:42d'Antoine, actuellement,
23:44même encore aujourd'hui, ne veulent pas raconter.
23:46Parce que, évidemment, ça enlève l'image
23:48du héros mort pour la France, du héros
23:50qui était imparable.
23:52Il était dans un état
23:54de désespoir.
23:56De désespoir absolu, pleurant,
23:58puis malade.
24:00Il parlait des démolitions de son corps.
24:02Il fallait qu'on le mène dans le cockpit
24:04pour entrer. Il ne pouvait même pas
24:06bouger, il ne pouvait pas tourner. Il était comme dans un oeuf.
24:08Et donc,
24:10il est parti, et
24:12en réalité, on n'a jamais su
24:14ce qui s'est vraiment passé.
24:16Mais je pense qu'il y a eu, quand même,
24:18une sorte de défi que
24:20Antoine a exercé.
24:22Il est descendu
24:24beaucoup plus bas, alors qu'on lui disait
24:26d'être maltitude. Il prenait des risques en permanence.
24:28Il prenait des risques de se faire repérer,
24:30de se faire repérer des bas ennemis.
24:32Et puis, il allait vous dire bonjour à sa mère.
24:34Il passait au-dessus de la propriété
24:36familiale, du côté de Cassis,
24:38tout ça. Et donc, il a
24:40vécu une vie de risque, comme toujours,
24:42d'ailleurs, en ce sens-là. C'est encore
24:44un flambeur.
24:46Il est presque suicidaire. Ah, mais complètement.
24:48Parce qu'il avait des difficultés
24:50respiratoires aussi.
24:52Et puis, il fumait de l'opium
24:54aussi, il ne faut pas oublier. Alors,
24:56en avait-il pris juste avant ? On ne sait pas.
24:58Il y a eu un défaut d'oxygène.
25:00En descendant plus bas, il y avait certainement
25:02un défaut d'oxygène. Et donc, il a
25:04toujours
25:06défié. Il ne regardait jamais derrière lui.
25:08Les rétroviseurs n'existaient pas.
25:10Il disait, je suis celui
25:12qui va. Je suis
25:14le chevalier.
25:16Alain Virre, condolé, on va se retrouver
25:18dans un instant sur Sud Radio. Je suis désolé,
25:20on est obligé de faire une petite pause publicitaire.
25:22L'histoire des femmes
25:24d'Antoine de Saint-Exupéry,
25:26c'est un véritable poème. Nous allons en parler
25:28dans un instant sur Sud Radio. Alors, reste avec nous.
25:30Sud Radio,
25:32la culture dans tous ses états.
25:34André Bercoff, Céline Alonso.
25:36Oh, toi de Saint-Exupéry,
25:38dans tes royaumes
25:40des royaumes inconnus.
25:42Où que tu sois,
25:44je te le dis,
25:46le petit prince, je l'ai vu.
25:52Et il cherche partout
25:54ta voix et ton visage.
25:56Il demande partout, l'avez-vous rencontré ?
25:58Gilbert Bercoff, Sud Radio. Alain Virre,
26:00condolé, Saint-Exupéry, un personnage
26:02central dans votre existence.
26:04Vous l'avez approché quasi mystiquement
26:06grâce à l'exploration de ses archives
26:08personnelles et ce, depuis 25 ans.
26:10Alors, que vous ont-elles permis
26:12de découvrir sur sa relation aux femmes
26:14et notamment à sa mère. Nous en avons
26:16parlé un petit peu, il y a quelques instants
26:18sur Sud Radio, notamment, de l'Oedipe
26:20mal vécue, en quelque sorte.
26:22Vous savez,
26:24aujourd'hui, dans les mariages,
26:26on dit toujours
26:28quelques poèmes ou des petits mots
26:30d'écrivains, même dans
26:32les cérémonies religieuses.
26:34Et souvent, revient la phrase
26:36de Saint-Exupéry, aimer, c'est vivre
26:38ensemble et regarder dans la même direction.
26:40On n'est même pas sûr qu'il ait vraiment pensé
26:42ou dit ou écrit même cela.
26:44On ne sait pas si c'est apocryphe ou pas.
26:46Si c'est pas, si c'est apocryphe
26:48ou pas, mais dans Citadelle, il y a des choses
26:50qui ressemblent à cette phrase, mais
26:52en réalité, c'était l'idéalité
26:54de Saint-Exupéry.
26:56Il n'a jamais vécu cela.
26:58Il a vécu, au contraire, toujours
27:00une expérience erratique
27:02de l'amour, parce que
27:04l'amour était pour lui tellement
27:06un grand idéal
27:08qu'en réalité,
27:10sa mère a
27:12véritablement, je dirais, occulté.
27:14Sa mère a été
27:16la représentation
27:18de la Vierge,
27:20de Marie, la Vierge.
27:22Et il a toujours vécu dans cette aura-là
27:24cette femme
27:26qui était
27:28qui donnait
27:30son amour, sa tendresse
27:32et surtout qui était la servante
27:34de l'homme. Donc il y a une vision
27:36assez misogyne et aussi une vision
27:38qui est
27:40un peu
27:42démodée aujourd'hui par rapport
27:44au mouvement Me Too qui ne
27:46précirait pas du tout les prises de position
27:48d'Antoine. Antoine a toujours dit
27:50que c'était un homme qui s'est
27:52marié avec Consuelo, qui a été
27:54un mari qui n'a jamais voulu
27:56se séparer d'elle, malgré les querelles
27:58qui s'est...
28:00Consuelo a demandé le divorce.
28:02Il a refusé le divorce au nom des valeurs
28:04qui étaient les siennes, c'est-à-dire
28:06les valeurs chrétiennes qui étaient
28:08pour lui très importantes
28:10mais qui n'étaient pas des valeurs
28:12catholiques. Il n'était pas
28:14du tout dans le dogme, mais il a quand même
28:16vécu toute sa jeunesse dans le dogme.
28:18Et oui, vous dites que l'image de Bethléem,
28:20ça l'a poursuivi toute sa vie, c'est ça ?
28:22Le prêtre,
28:24le père abbé du château
28:26où il habitait,
28:28avait porte ouverte au château et table ouverte
28:30et en même temps disait la messe
28:32tous les matins dans la chapelle
28:34du château de Saint Maurice de Rémus
28:36où il habitait. Et donc
28:38il est probable que
28:40ce père abbé ait donné
28:42ce qui était la représentation
28:44du couple à l'époque dans la vision
28:46chrétienne, c'est-à-dire la sainte famille.
28:48Un homme et une femme,
28:50c'est une famille, d'abord.
28:52Donc c'est Marie, c'est Joseph qui...
28:54On connaît tous l'image de piété,
28:56de Joseph qui rabote,
28:58de Marie qui file la laine
29:00et du petit Jésus au pied
29:02qui ramasse les copeaux et qui joue avec.
29:04Donc c'est l'image de la sainte famille.
29:06Il a gardé ça dans sa tête.
29:08Oui, il l'a conservé comme une mélancolie, on peut dire pathologique.
29:10Absolument. Comme une icône.
29:12Comme une icône.
29:14Donc cette idée-là, il l'a toujours portée
29:16et il a toujours demandé aux femmes
29:18qui évidemment n'ont jamais pu
29:20lui apporter cela,
29:22il a toujours demandé aux femmes d'être la servante du Seigneur.
29:24Comme le cantique.
29:26Je suis la servante du Seigneur,
29:28dit Marie.
29:30Donc il voulait une femme qui soit cela.
29:32Evidemment, ça ne pouvait pas être Consuelo
29:34qui était une femme libérée,
29:36qui était une femme qui était artiste,
29:38qui était amie des surréalistes,
29:40qui avait été mariée deux fois déjà,
29:42veuve deux fois,
29:44qui s'était un peu éloignée de la religion catholique
29:46tout en étant originaire
29:48de l'Amérique du Sud,
29:50donc extrêmement...
29:52très populaire, très exubérante.
29:54Ce n'était pas du tout la position de Consuelo.
29:56Et Antoine lui a toujours
29:58réclamé ça.
30:00Il a toujours réclamé la fidélité aux femmes
30:02et pas la fidélité pour lui-même.
30:04Donc ce n'est pas un don juant,
30:06parce que j'ai répertorié dans mon livre
30:08toutes les maîtresses qu'il a eues,
30:10il en a eu beaucoup,
30:12mais ce n'était pas comme un don juant.
30:14Le don juant, il a la liste.
30:16Une femme de plus, il a le calepin,
30:18il écrit celle-ci, celle-ci,
30:20ça c'est crosse, ça c'est fusil.
30:22Il ne faisait pas de crosse.
30:24Mais c'est vrai, tout à l'heure vous disiez
30:26il était misogyne, effectivement.
30:28Quand il parle à sa mère,
30:30il parle de ses fameuses poulettes.
30:32Ses aventures d'un jour ou à peine plus,
30:34il lui dit ceci, je fais une cour monotone à des colettes.
30:36Paulette, Suzy, Daisy, Gabi
30:38qui sont faites en série et ennuies au bout de deux heures,
30:40ce sont des salles d'attente.
30:42Le propos est dur quand même.
30:44C'est énorme, aujourd'hui il se ferait tuer.
30:46Donc voilà, moi j'ai toujours
30:48beaucoup apprécié,
30:50sur le plan analytique, cette phrase.
30:52Les Gabi, les Suzy,
30:54les Daisy, c'est-à-dire toutes ces minettes
30:56qu'il rencontrait,
30:58il dit des salles d'attente.
31:00Et je me suis toujours dit, mais attendre quoi finalement ?
31:02Qu'est-ce qu'il attend ?
31:04Qu'est-ce qu'il attend d'elle ?
31:06Il attend justement une fidélité,
31:08que la femme
31:10soit la mère, qu'elle soit l'infirmière,
31:12qu'elle soit celle qui pense
31:14les blessures, mais surtout
31:16celle qui le laisse agir
31:18en toutes circonstances, et surtout qu'il ne soit
31:20pas du tout brisé.
31:22Qu'il soit l'homme, le maître,
31:24et un côté mâle dominant.
31:26Totalement.
31:28Et en même temps, quelque chose de très enfantin.
31:30Par exemple, quand Consuelo,
31:32qui en a assez, qui est invitée,
31:34et Breton fait exprès
31:36de l'inviter dans les soirées,
31:38et elle délaisse Antoine à New York,
31:40il attend son retour
31:42et il pleure, il pleure véritablement.
31:44J'ai trouvé dans les archives
31:46des lettres qui n'ont pas été publiées,
31:48mais qui sont des lettres de
31:5030 pages, et il écrit
31:52toute la nuit à Consuelo.
31:54Et il l'attend derrière la porte.
31:56Et il dit
31:58« Où es-tu ? Que fais-tu ? Et tu m'abandonnes ?
32:00Et je suis seul ? »
32:02Et il pleure, il pleure véritablement.
32:04Donc très enfantin.
32:06Certains ont dit que Consuelo n'était pas la rose du petit prince,
32:08d'autres ont affirmé
32:10que la rose était un mélange de toutes les femmes
32:12qu'il avait aimées.
32:14Quelle est la vérité ?
32:16En vérité, justement,
32:18ceux qui ont été en charge de l'image
32:20officielle d'Antoine
32:22avaient tout intérêt à montrer
32:24que la rose, c'était une sorte
32:26de rose syncrétique
32:28de toutes les maîtresses qu'il a connues,
32:30et peut-être même, pourquoi pas,
32:32moi je l'ai lue par exemple, officiellement,
32:34dans des calendriers de
32:36Jour de l'An, on voit les petits princes
32:38et il y a écrit « La mère,
32:40c'est la rose ».
32:42Donc on a limité
32:44l'image de la rose à celle
32:46de la mère. Or, moi,
32:48dans les archives auxquelles j'ai pu avoir accès,
32:50il était évident
32:52que la rose, c'est Consuelo,
32:54et qu'il a écrit ce conte pour elle.
32:56Et alors il le dit.
32:58Et qu'est-ce qu'il a puisé dans l'histoire de Consuelo ?
33:00Beaucoup de choses. Elle est coquette,
33:02comme elle-même, elle était très coquette.
33:04Elle est dépensière,
33:06comme Consuelo l'a été.
33:08Elle était pulmonaire.
33:10Elle est morte de ça, d'ailleurs.
33:12Et d'asthme. Et donc,
33:14la rose tousse
33:16dans le petit prince.
33:18Il y a des volcans. Or, le Salvador,
33:20d'où est originaire Consuelo,
33:22les volcans
33:24au Salvador sont extrêmement nombreux.
33:26Les volcans et les baobabs.
33:28Donc il y a tout cet univers
33:30qui est l'univers de Consuelo.
33:32Et le côté délicieux,
33:34fantasque, exubérant, bavard.
33:36Elle est bavarde, énormément.
33:38C'est pour ça qu'il la met sous cloche,
33:40dans Le Petit Prince. Elle est bavarde,
33:42comme Consuelo l'était. Et aussi,
33:44alors on a des choses encore plus précises,
33:46c'est qu'Antoine, dans les lettres
33:48auxquelles j'ai pu avoir accès,
33:50il dit dedans,
33:52le petit prince est né
33:54de votre grand feu,
33:56dit-il. Il le dit.
33:58À un moment donné,
34:00Consuelo devait être
34:02la dédicataire du récit.
34:04Et il l'a dédié à Léon Verthe,
34:06qui est un écrivain ami juif.
34:08Et Consuelo,
34:10elle-même s'est désistée.
34:12Elle a dit à Antoine,
34:14tu dédieras Le Petit Prince, non pas à moi,
34:16mais tu le dédieras à Léon Verthe
34:18parce que ton récit
34:20prendra ainsi une dimension
34:22plus universelle dans ces temps troublés
34:24où les juifs étaient persécutés.
34:26La rose et les épines.
34:28Et ce récit, vous le racontez
34:30dans votre livre, est né d'un refus
34:32initial de sa part.
34:34Il ne voulait absolument pas écrire
34:36à l'origine, au départ, un conte pour enfants.
34:38Qu'est-ce qui fait que ses éditeurs lui avaient proposé cela ?
34:40À l'époque, c'était à la mode.
34:42C'était le désespoir, d'abord, de voir Antoine
34:44et aussi
34:46le côté dépressif d'Antoine
34:48qu'il voyait, éditeur américain
34:50Harold Hitchcock,
34:52qui s'appelait ainsi, et qui voyait
34:54vraiment leur auteur, Besseler en plus,
34:56avec Pilote de guerre. Il disait, mon Dieu,
34:58c'est un peu embêtant parce qu'il ne va plus m'en faire
35:00Besseler, de le voir aussi désespéré.
35:02Et un jour, il était à table, dans la
35:04brasserie à la mode, que de la cantine
35:06des exilés de New York, chez Arnold,
35:08et là,
35:10cet exubérie s'ennuie toujours autant.
35:12Les nappes sont en papier, il a un stylo,
35:14il écoute ses éditeurs lui dire
35:16« Alors, qu'est-ce que vous allez écrire maintenant ? »
35:18Et Antoine écrit. Et il dessine un petit prince.
35:20Il dessine un petit bonhomme. Et tout d'un coup,
35:22l'éditeur lui dit, Reynolds lui dit
35:24« Mais, pourquoi ne feriez-vous
35:26pas un conte pour enfants, puisque vous
35:28dessinez si bien les enfants ? » Et il dit
35:30« Mais pourquoi pas ? Pourquoi pas ?
35:32Mais, peut-être pas les dessins. J'écrirais
35:34peut-être un texte, mais pas les dessins.
35:36Je préfère que ce soit mon ami Bernard Lamotte
35:38qui a illustré déjà Pilote de guerre
35:40le fasse, lui qui était un vrai dessinateur. »
35:42Et tous ses amis se sont ligués,
35:44y compris Consuelo, pour acheter les boîtes
35:46d'aquarelles, etc. Tous ces objets,
35:48d'ailleurs, boîtes d'aquarelles et tout, se retrouvent
35:50aujourd'hui dans les archives de Consuelo,
35:52qui n'ont pas été montrées. C'est ainsi
35:54qu'est né le petit prince. Et oui, aujourd'hui,
35:56le petit prince, c'est, avec la Bible,
35:58le livre le plus publié, le plus traduit
36:00et le plus vendu dans le monde.
36:02Est-ce qu'il est lu, ce petit ?
36:04Alors, c'est un peu le problème.
36:06Je doute que les enfants
36:08ne le lisent jusqu'au bout, parce que c'est quand même
36:10un texte assez compliqué, un texte très complexe,
36:12qui peut être lu au premier
36:14degré, mais qui a véritablement
36:16des ressorts philosophiques
36:18extrêmement intéressants.
36:20Donc, il est devenu un objet de collection.
36:22C'est surtout ça.
36:24C'est une fable.
36:26C'est une extraordinaire fable.
36:28Honnêtement, aujourd'hui, demain et après-demain,
36:30je crois qu'on le lira comme hier.
36:32Comme une espèce de fable
36:34métaphorique
36:36qui reste assez extraordinaire.
36:38Et chaque épisode peut être lu séparément.
36:40Comme, d'ailleurs,
36:42les paraboles de la Bible.
36:44Oui, exactement. Antoine de Saint-Exupéry,
36:46le héros aux multiples facettes.
36:48Eh bien, on va continuer d'en parler
36:50dans un instant sur Sud Radio, avec Alain
36:52Vircondelet.
37:22...
37:26Et oui, Calogéro qui rend hommage
37:28à Antoine de Saint-Exupéry,
37:30Alain Vircondelet.
37:32Volé de nuit.
37:34Oui, volé de nuit, effectivement.
37:36Aujourd'hui, Alain Vircondelet, qu'est-ce qu'apporte
37:38la lecture de son oeuvre ? Beaucoup disent
37:40qu'elle est ennuyeuse, moraliste.
37:42Vous, qu'en dites-vous ?
37:44Je crois que Calogéro a dit un mot juste.
37:46Facteur du ciel. Tu es le facteur du ciel.
37:48C'est-à-dire vraiment celui qui envoie
37:50le courrier qui relie, donc,
37:52d'un continent à un autre, les hommes.
37:54Et, je dirais, facteur du ciel,
37:56et aussi, c'est l'homme
37:58qui, de son avion,
38:00a les mêmes ailes que celles d'un ange.
38:02Et ces ailes de l'avion
38:04sont là pour protéger ce qu'il appelait
38:06la terre des hommes. Et donc, Antoine
38:08de Saint-Exupéry, si aujourd'hui,
38:10il a encore cette aura
38:12qui est presque,
38:14je dirais, divine,
38:16au-dessus de nous,
38:18de nos têtes, c'est parce
38:20que, je crois, que ce qu'il donne à voir,
38:22ce qu'il donne à lire, c'est des leçons
38:24de courage, c'est des leçons d'audace,
38:26c'est des leçons aussi
38:28de sagesse, et aussi que
38:30tout ne se passe pas dans le
38:32dit des choses, mais tout est aussi dans
38:34l'invisible du monde. Et donc, c'est toute une
38:36vision spirituelle du monde.
38:38Et dans un monde qui est dans une
38:40matérialité terrible, de robots
38:42et de termites. Donc, il y a
38:44chez lui cet appel
38:46du ciel, finalement,
38:48qui n'a rien à voir avec la religion,
38:50mais qui est un appel à se
38:52dépasser, finalement. Et donc, cette
38:54force-là, ce courage,
38:56cette énergie intérieure,
38:58on parle beaucoup d'énergie aujourd'hui,
39:00eh bien, cette énergie, on la sent,
39:02cette vibration, on la sent dans l'écriture.
39:04Car c'est une œuvre qui vibre.
39:06C'est une œuvre qui, quand on la lit, n'est pas
39:08du tout dans l'ennui. C'est une œuvre qui,
39:10au contraire, est dans une sorte d'exaltation
39:12de la vie, du vivant,
39:14comme disait Marcel Proust. Et donc,
39:16il y a le vivant chez lui. C'est ce que,
39:18certainement, on aimera aujourd'hui
39:20encore chez lui.
39:22Mais comment vous expliquez qu'elle ne soit plus
39:24enseignée, cette œuvre ?
39:26Oui, dans les écoles, on ne l'enseigne plus.
39:28On ne l'enseigne plus depuis longtemps.
39:30Il était dans la génération
39:32des seniors, aujourd'hui.
39:34Il était dans les
39:36ouvrages scolaires,
39:38dans la gare des Michards, par exemple.
39:40Parce que, moi, de mon temps, comme on dit,
39:42on étudiait cette exupérance.
39:44Déjà dans les années 50, déjà dans les années 60,
39:46il ne bénéficiait que de deux pages.
39:50C'est son étiquette pétenniste, en fait,
39:52qui lui a fait ce tord ?
39:54C'est cette rumeur qu'il y a autour de lui, cette ombre-là,
39:56qui plane. Il ne faut pas oublier que
39:58De Gaulle a donné la culture aux communistes,
40:00en remerciement des services
40:02rendus pendant la Résistance.
40:04Et donc, les communistes se sont emparés
40:06à la fois de l'éducation nationale
40:08et de la culture, et ont fait le tri
40:10dans leurs auteurs.
40:12Et donc, l'éducation nationale
40:14a un peu à négliger.
40:16Alors, on a donné, pendant
40:18les années 50, vols de nuit
40:20et pilotes de guerre
40:22aux garçons, pour forger
40:24leur virilité,
40:26et aux écoles, aux enfants,
40:28le petit prince. Mais après, au fur et à mesure,
40:30tout ça s'est amenuisé, tout ça s'est délité.
40:32Et aujourd'hui, aucun
40:34manuel scolaire n'évoque...
40:36On évoque encore, dans un manuel que j'ai vu
40:38récemment, on l'évoque comme
40:40reporter de guerre.
40:42On l'évoque comme étant quelqu'un
40:44qui a témoigné sur la guerre d'Espadie, etc.
40:46Mais pas comme écrivain.
40:48Et or, c'est un écrivain à la langue
40:50sublime.
40:52Et lui, il le disait
40:54à Consuelo,
40:56je ne suis pas un écrivain, je ne suis pas
40:58un romancier. En fait, c'était tout
41:00ce qu'il a écrit, c'était quoi ? De la pure autofiction ?
41:02Oui, c'était des
41:04relations, il racontait,
41:06il relatait son histoire.
41:08Donc, c'est une forme d'autofiction, effectivement.
41:10Oui, il disait à Consuelo, toi, tu es un écrivain parce que
41:12tu inventes des histoires. Moi, je n'en invente pas.
41:14Alors, ce n'est pas ça, le critère
41:16de l'écriture chacassée.
41:18Depuis Michel Léry, c'est depuis très, très,
41:20très longtemps.
41:22Au-delà du Petit Prince, Alain Vircondelet,
41:24qu'est-ce que vous conseillez aux auditeurs de Sud Radio ?
41:26Que faut-il lire de son texte ?
41:28Écoutez, manifestement, en tout cas pour moi,
41:30c'est Terre des Hommes. Terre des Hommes, c'est
41:32vraiment un texte qui donne la force.
41:34C'est un texte qui, dans
41:36nos temps troublés, dans nos temps
41:38d'anti-héros,
41:40eh bien, on a besoin
41:42d'une image forte, d'une image
41:44de quelqu'un qui nous donne
41:46de l'énergie. Terre des Hommes est là pour ça.
41:48Eh oui, un livre qui est fait
41:50pour se reconstruire
41:52et se reconstruire, dites-vous.
41:54Alain Vircondelet, merci d'être venu
41:56sur Sud Radio. Je rappelle que votre livre
41:58Alain Vircondelet raconte
42:00Saint-Exupéry est paru
42:02aux éditions Alizio dans la collection
42:04Les amours de sa vie.
42:06Tout de suite sur Sud Radio, vous retrouvez Brigitte Lahaie.

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