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À 9h20, le dramaturge Florian Zeller est l'invité de Léa Salamé. Sa pièce "La vérité” est jouée au Théâtre Edouard VII à partir du 23 janvier, dans une mise en scène de Ladislas Chollat. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-lundi-13-janvier-2025-1110590

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00:00France Inter, le 7-10.
00:07Et Léa Salamé, ce matin, vous recevez un dramaturge et réalisateur.
00:10Bonjour Florian Zeller, merci d'être avec nous ce matin.
00:14Si vous étiez un mensonge, un personnage historique, une ville et une actrice, vous seriez qui ?
00:19Vous seriez quoi ? Un mensonge d'abord ?
00:22Un mensonge, j'essaierais d'avancer masqué, en tout cas de ne pas me faire démasquer
00:25parce que je crois qu'il n'y a rien de pire qu'un menteur qui ne sait pas mentir.
00:29Et vous savez mentir vous ? Oui.
00:33Un personnage historique ?
00:35Je dirais peut-être Haussmann, parce que j'adore Paris.
00:39Paris reste ma ville préférée et je suis toujours frappé en me promenant dans Paris
00:43à quel point il y a une beauté architecturale.
00:47Le baron Haussmann. Une ville ?
00:49Une ville, je dirais Los Angeles, pour les raisons qui sont évidentes d'actualité
00:53mais aussi parce que c'est une ville dans laquelle j'ai vécu deux années.
00:58Vous en revenez, vous êtes parti avec votre famille y habiter en septembre 2022
01:05et vous êtes revenu exactement il y a trois mois.
01:07Vous avez vécu deux ans là-bas, donc évidemment les feux, les incendies dans le quartier où vous viviez.
01:13Oui, je regarde ces images, le cœur serré, évidemment, avec effroi, sidération
01:18et c'est vrai qu'il y a beaucoup de gens que je connais qui sont aujourd'hui dans des situations terribles
01:22ou même tragiques. Et ces images, c'est même difficile de les...
01:28Enfin, il y a quelque chose d'invraisemblable.
01:31Je cherche même mes mots tellement j'ai du mal à adhérer à la réalité de ces images-là.
01:37Mais en même temps, on est convoqué en face d'une évidence, c'est que
01:41il faut acter l'idée qu'on est rentré dans un monde complètement déréglé.
01:44Et c'est notre quotidien d'une dangerosité folle.
01:50Et ce dérèglement climatique dont on parle tout le temps, il a une sorte de traduction dans le monde réel.
01:54Il est temps qu'on en prenne collectivement acte.
01:58Et vous avez vu sur les réseaux sociaux tous les gens qui disent
02:01« Oui, c'est les riches qui perdent leur maison, on s'en fout, ils se referont construire une autre maison. »
02:08Oui, tout d'abord, c'est faux. Une ville, c'est un tissu de populations diverses.
02:15La superficie qui est attaquée est immense.
02:18Donc il y a plein de gens de niveaux différents.
02:21Et ça ne veut pas dire grand-chose.
02:23La réalité humaine qu'il y a derrière.
02:25Quand on perd une maison, on perd beaucoup plus qu'un bien immobilier.
02:28On perd des souvenirs, un sentiment de sécurité.
02:30On perd parfois un projet de vie entier.
02:32C'est des vrais drames humains.
02:35Et puis ça nous interpelle surtout.
02:36Il y a une sorte d'écho, ça nous interpelle tous.
02:38Comme Mayotte nous a interpellés.
02:40Ce monde qui est devant nous, je crois, s'exprime là, à travers ces images tragiques.
02:46Anthony Hopkins, que vous avez fait jouer dans « The Father »,
02:50qui a reçu l'Oscar dans ce film que vous avez réalisé, il a perdu sa maison.
02:56Vous l'avez eue, vous lui avez écrit ?
02:58Oui, et on s'est parlé juste après qu'il ait découvert que sa maison avait brûlé.
03:02Et d'ailleurs, il m'a dit une chose qui m'a marqué.
03:05Au lieu de parler justement de son drame personnel,
03:07il m'a tout de suite dit « c'est pour les générations à venir que je m'inquiète de ce futur qu'on leur laisse ».
03:12Ça m'a frappé, cette intelligence humaine.
03:15Au lieu d'embrasser tout de suite quelque chose de plus large que lui-même,
03:18mais de déceler au moment même où il perdait.
03:22Il est suffisamment âgé pour qu'on puisse comprendre ce que ça veut dire de perdre une maison.
03:26On peut dire « ah, il a peut-être de l'argent, il va se faire reconstruire ».
03:29Je ne suis même pas sûr que ce soit vrai.
03:31Et puis par ailleurs, quand on a 86 ans, on perd le sentiment de sécurité,
03:35de ce que ça peut vouloir dire de vivre dans un endroit à soi pour ses vieux jours.
03:40Voilà, ce qu'on laisse au monde d'après s'exprime là avec beaucoup d'inquiétude.
03:45Pourquoi vous avez décidé de rentrer finalement il y a trois mois des Etats-Unis ?
03:48En fait, je suis parti il y a deux ans pour des raisons professionnelles.
03:52Et ça a toujours été vécu comme une parenthèse.
03:56J'avais toujours vocation à rentrer et je suis heureux d'être rentré.
03:59Paris vous manquait ?
04:00Paris me manquait, oui.
04:01Alors je revenais de temps en temps.
04:03Et c'est intéressant de réaliser ce qui me manquait.
04:07Par exemple, le théâtre me manquait.
04:08Et je n'imaginais pas que ça allait me manquer autant.
04:10À Los Angeles, il n'y a pas de théâtre.
04:12Le mensonge n'est un vice que lorsqu'il peut faire mal.
04:15C'est une grande vertu quand il fait du bien, écrivait Voltaire.
04:18Êtes-vous d'accord, Florian Zeller ?
04:19Le mensonge est plutôt une vertu finalement qu'un vice.
04:22Je ne sais pas si une vertu, mais en tout cas, la morale, ce n'est pas forcément de toujours dire la vérité.
04:28L'éthique, on pourrait dire, ce serait plutôt de tenter d'épargner les autres.
04:31Pas simplement ceux qu'on aime d'ailleurs, mais d'épargner les autres.
04:34Alors ça passe parfois par le fait de ne pas dire vraiment la vérité.
04:37Le mensonge est au cœur de la vérité.
04:39Cette pièce que vous avez écrite il y a 15 ans et qui fut votre premier gros succès populaire.
04:44Une pièce qui est devenue un classique, un peu culte.
04:46Elle a été jouée dans une quinzaine de pays.
04:48En Italie, en Chine, au Brésil.
04:51Elle a reçu le prix de la meilleure comédie en 2017 au Lawrence Olivier Awards, l'équivalent des Molières en Angleterre.
04:56Et elle revient, cette rentrée théâtrale, très riche, très chargée.
04:59Parce qu'il y a une très belle rentrée théâtrale en ce mois de janvier.
05:02D'ailleurs plus belle que les sorties cinéma.
05:04Il y a De Dienne, Jacques Weber, Ludmila Mikhaël qui ont recevait la Hardity.
05:09Et votre pièce avec Stéphane de Grote, Clotilde Couraud, Stéphane Faco et Sylvie Testu au Théâtre Edouard VII.
05:17Vous avez une tendresse particulière pour cette pièce-là, Florian Zeller.
05:21Et comment vous expliquer son succès aussi mondial, aussi planétaire ?
05:25C'est toujours un malentendu le succès, mais comment vous l'expliquez ?
05:28C'est une pièce que j'ai écrite il y a un certain temps.
05:30En fait, je l'ai écrite avec un acteur en tête.
05:32C'était Pierre Hardity.
05:34Au moment où il jouait une pièce de Guitry qui s'appelait « Faisons un rêve ».
05:38Et je me souviens que Guitry disait « il faudrait pouvoir prendre sur chaque chose, pour chaque chose, le parti d'en rire ».
05:43Et ça a été une phrase qui m'avait marqué.
05:46Je me souviens de Pierre Hardity dans cette pièce.
05:48Il était virtuose, de drôlerie.
05:50Et j'ai eu très envie, moi, dont la propension naturelle c'était plutôt d'écrire des drames ou des tragédies.
05:55D'explorer ce territoire-là à travers lui, en empruntant quelque chose de ce qu'il était.
05:59Et donc j'ai écrit cette pièce pour lui.
06:01Je me souviens du jour où on a fait la lecture ensemble pour la première fois.
06:04On a été interrompus pendant cette lecture par un faux rire qui ne cessait.
06:08Et puis ensuite, j'ai découvert le plaisir de faire rire et de rire à travers lui.
06:14Et c'était un souvenir très heureux.
06:16Et quand Ladislas Schola m'en a parlé il y a quelques mois en me disant qu'il aimerait reprendre cette pièce,
06:20il n'a pas eu pourquoi me convaincre.
06:22Ne crois-tu pas que c'est ce dont on a besoin aujourd'hui ?
06:24De rire un peu.
06:25Et donc j'étais très heureux qu'il puisse s'entourer de ces merveilleux acteurs pour lui redonner une vie.
06:30Oui, parce que Stéphane de Grote joue le rôle d'Hardity aujourd'hui.
06:33Vous, vous aviez écrit cette pièce pour Hardity en disant qu'il a une virtuosité très française dans la mauvaise foi.
06:38Parce que c'est une pièce sur le mensonge, sur un homme qui trompe.
06:41Stéphane de Grote qui est belge, a-t-il la même virtuosité française pour la mauvaise foi ?
06:46En tout cas, chaque acteur amène ce qu'il est profondément.
06:49C'est ce qu'il y a de beau dans le théâtre et d'ailleurs dans le cinéma.
06:51Mais c'est encore plus saisissant au théâtre.
06:53C'est que le corps, la voix, l'être ou tout ce qu'on l'entrevoit derrière la présence d'un acteur
06:58finalement commandent l'âme presque d'une pièce.
07:01Et donc il ne s'agit pas d'imiter ou de refaire, il s'agit d'incarner.
07:05Et l'incarnation, ça passe par des choses mystérieuses.
07:07Et Stéphane de Grote, il ne peut pas être autre chose que lui-même.
07:10Et c'est ce qu'il y a d'intéressant.
07:12Stéphane de Grote joue Vincent qui trompe sa femme avec la femme de son meilleur ami
07:15et qui est persuadé qu'il faut cacher la vérité.
07:18Surtout ne rien en dire.
07:20C'est parce que pense sa maîtresse qui veut qu'elle avoue.
07:22A son mari qui est son meilleur ami, à sa femme également.
07:26Elle veut officialiser les choses.
07:28Bref, c'est un pitch classique de tromperie d'adultère.
07:32Mais il y a un truc particulier, c'est que tout le long de cette pièce,
07:36on ne sait pas parce que tout le monde ment en fait.
07:38Et donc on se rend compte que ce n'est pas uniquement le mari qui trompe la femme, etc.
07:42Chacun ment. Les quatre mentent.
07:44Le mari, la femme, le meilleur ami, la maîtresse, tout le monde ment.
07:47Oui, mais peut-être parce que tout le monde ment un peu dans la vie.
07:50Mais aussi, c'est vrai que ce sont des équations très conventionnelles,
07:53presque classiques des comédies autour de la vérité.
07:56Et ce qui m'intéressait, moi, c'était justement d'utiliser ces codes
07:59avec lesquels on est familier, mais pour les détourner,
08:02pour en faire quelque chose d'autre en général.
08:04Quand on est spectateur, on s'amuse d'en connaître davantage que les personnages
08:09et de voir comment eux se débrouillent dans des situations qu'ils découvrent petit à petit.
08:12Là, j'ai essayé de mettre les spectateurs dans une situation inversée.
08:16Et soudain, on en sait moins que les personnages.
08:18On ne sait plus où se trouve la vérité.
08:21Et ce qui m'intéressait, c'est que ça laisse un espace pour chacun d'entre nous
08:25ou une responsabilité, presque, c'est-à-dire de devoir chercher activement
08:30à déceler la vérité.
08:32Et je trouve que c'est ce qui est intéressant en théâtre,
08:34quand on a une position active, quand on joue, en fait, avec ce qui joue devant nous.
08:38Le théâtre, justement. Vous avez commencé par la littérature, vous,
08:41quand vous avez publié très jeune, à 22-23 ans.
08:43Puis assez vite, vous avez écrit pour le théâtre.
08:45Il y a eu l'autre d'abord, puis la vérité, puis la trilogie à succès,
08:48la mère, le père, le fils. En tout, une douzaine de pièces.
08:51Pourquoi aimez-vous le théâtre ?
08:53Florian Zeller, avant de vous laisser répondre, écoutez ce qu'en disait Albert Camus.
08:57Pourquoi je fais du théâtre ?
08:59Eh bien, je me le suis souvent demandé.
09:01Et la seule réponse que j'ai pu me faire jusqu'à présent
09:04vous paraîtra sans doute d'une décourageante banalité.
09:08Tout simplement parce qu'une scène de théâtre est un des lieux du monde
09:11où je suis heureux.
09:14Remarquez que cette réflexion, après tout, est moins banale qu'il y paraît.
09:18Le bonheur, après tout, est une activité originale aujourd'hui.
09:22La preuve est qu'on a tendance à se cacher pour l'exercer,
09:25à y voir une sorte de balai rose dont il faut s'excuser.
09:30Vous aussi, vous écrivez parce que ça vous rend heureux, comme Camus ?
09:33Oui, je crois que je pourrais reprendre ces mots-là.
09:35Ça me rend heureux de partager quelque chose avec d'autres,
09:39de sentir le fait d'appartenir à un groupe, à une communauté aussi dans la salle.
09:44Et parce qu'il y a un mystère qui ne cesse de m'éblouir.
09:47Je ne sais pas bien comment le définir, mais c'est comme...
09:50Vous savez, quand on va dans une salle de théâtre, on sait qu'on est dans une salle de théâtre.
09:53On se souvient qu'on est dans une salle noire.
09:55On ne peut pas l'oublier.
09:56Pourtant, quand on assiste par exemple à un drame
09:58et qu'on voit un personnage s'effondrer devant nous,
10:00on est saisi d'une émotion réelle.
10:03On est réellement ému par ce qui arrive à ce personnage
10:07tout en sachant que c'est faux.
10:08Plus que le cinéma, vous diriez ?
10:10En tout cas, ce qui me touche, c'est que l'artifice par lequel on arrive à cette vérité est plus évident.
10:15C'est peu de choses le théâtre.
10:16C'est un décor, une corde, une présence.
10:19Et on sait que c'est faux.
10:20Mais quelque part, le cerveau accepte d'adhérer à cette illusion-là.
10:25Et cette acceptation-là, étrange quand on y pense,
10:29je trouve qu'elle est poétique, qu'elle est enfantine
10:31et qu'elle nous emmène sur des territoires très profonds en réalité.
10:35Et aussi parce que la beauté du théâtre, c'est que tout ce à quoi on assiste va disparaître.
10:39Par définition, c'est-à-dire à la fin de la représentation, ça disparaîtra.
10:43Et je crois qu'il y a une beauté singulière dans cette fréquentation
10:47de la précarité poétique et de l'éphémérité.
10:50La poésie, vous dites.
10:51Est-ce que c'est vrai que quand vous étiez tout jeune, en troisième,
10:54et qu'on devait mettre, où est-ce qu'on veut faire un stage ?
10:56En troisième, vous aviez écrit, je veux faire un stage en poésie.
10:59Et que votre maîtresse, votre prof de français, c'était moqué de vous en disant
11:02c'est ça, à l'entreprise de poésie.
11:04Oui, alors en tout cas, c'est vrai que c'est ce qui m'intéressait.
11:06Je l'avais peut-être formulé de façon aussi naïve.
11:08Mais je me souviens du regard moqueur.
11:11De la prof.
11:13Dans notre parcours, il y a toujours des gens qui ont souri un peu en disant
11:17bon, et on y ressonge, on y repense souvent.
11:20Après, quand les choses finalement ont réussi à force d'efforts et de rêves
11:23et d'énergie à devenir, on repense à tous les gens qui nous ont un petit peu
11:27humiliés au long du chemin.
11:30Il y en a beaucoup qui vous ont humiliés, vous ?
11:32En tout cas, ça arrive. Il faut écrire sa propre trajectoire.
11:36Je vous pose la question parce que c'est vrai que c'est étonnant quand on relit
11:39les portraits de vous et quand on regarde ce parcours.
11:41Vous êtes aujourd'hui l'auteur français vivant à être avec Yasmina Reza
11:44le plus joué dans le monde.
11:45Le Guardian avait écrit, Florian Zeller est l'un des auteurs les plus passionnants
11:48de notre époque.
11:49Le Time avait écrit, The Father est une des pièces les plus importantes du siècle.
11:52Vous n'aviez pas 25, 26 ans, Florian Zeller.
11:55Et vous connaissiez déjà le succès.
11:57Est-ce que parfois vous vous êtes dit c'est arrivé trop tôt, trop vite
12:00et ça a cramé mes rêves ensuite ?
12:02Non, mais ça m'a conduit peut-être à tout de suite avancer vers d'autres territoires.
12:08C'est-à-dire que mon rêve initial s'était cristallisé autour de l'écriture romanesque
12:11et puis j'ai découvert le théâtre sans vraiment l'avoir prévu et ça a occupé
12:14une place centrale dans ma vie.
12:16J'ai aimé ça passionnément, j'ai été très heureux, comme le disait Camus,
12:19d'assister à ces moments de répétition, de partager ma vie avec des comédiens.
12:22C'est quelque chose honnêtement de très beau à vivre.
12:26Et puis assez vite, quand j'ai eu l'impression encore une fois d'appartenir à un milieu
12:32où d'en comprendre un peu les règles, j'ai tout de suite eu envie de partir ailleurs
12:35et c'est là où le cinéma est apparu.
12:37Et de devenir réalisateur et vous avez été oscarisé pour l'adaptation de The Father
12:41et puis vous avez fait Le Fils récemment.
12:43En 20 ans de carrière, vous avez déjà connu un échec ?
12:47Oui, vous voulez dire commercial ?
12:50Oui, parce que c'est vrai que je me suis posé la question.
12:55Et comment vous vivez les échecs ?
12:59J'essaie de les vivre en apprenant quelque chose de ces échecs.
13:05La singularité du théâtre, c'est que quand ça ne marche pas,
13:08quand ce qu'on essaie d'offrir n'est pas reçu, c'est très concret.
13:10On le voit, on est dans une salle, on ne peut pas se mentir puisqu'on parlait du mensonge.
13:14Et ça a une vertu, là, de ne pas pouvoir se mentir,
13:16c'est qu'on est obligé d'essayer de comprendre ce qui s'est passé
13:18ou ce qui ne s'est pas passé, par exemple.
13:20D'autres formes d'art, on n'assiste pas à la réception de son propre travail.
13:23On peut s'inventer des excuses ou des rendez-vous secrets.
13:25Là, on est obligé de voir ce qui s'est passé ou ce qui ne s'est pas passé.
13:28Donc, il y a une sorte de réflexion sur...
13:30Qu'est-ce que j'ai raté ?
13:32Voilà, ou qu'est-ce qui n'a pas été compris ?
13:34Qu'est-ce qui n'a pas marché ?
13:35Ou qu'est-ce que j'ai mal fait aussi ?
13:37À l'inverse, la contrepartie de ça, c'est que quand c'est reçu,
13:39c'est une joie particulière.
13:40Tout à l'heure, vous me demandiez si j'étais une actrice et je n'ai pas répondu.
13:44Ah oui, j'ai oublié, dis donc !
13:45Et soudain, j'y repense en vous parlant et j'aurais dit
13:53que j'aimais passionnément travailler avec elle.
13:55C'était à New York et c'était peu commun pour une actrice française d'être à New York.
13:58Avant elle, je crois qu'il y avait juste Juliette Binoche qui l'avait fait
14:01après son Oscar pour Le Patient Anglais.
14:04Et de voir Isabelle Huppert, qui est pour moi vraiment la plus grande actrice,
14:08chercher ce chemin d'acteur sur une scène à New York,
14:12c'était passionnant.
14:13Et de voir le public américain très déboussolé
14:16par la folie créatrice de cette grande actrice,
14:19c'était là aussi merveilleux de sentir la réception.
14:22Je note que si vous êtes une actrice, vous ne choisissez pas votre femme.
14:24Vous choisissez Isabelle Huppert.
14:26Votre femme, c'est Marindel Therme.
14:28Oui, mais je l'ai choisie comme femme.
14:30Bien entendu.
14:31Vous dites qu'on n'oublie jamais ceux qui nous ont humiliés dans notre parcours.
14:34On n'oublie jamais non plus ceux qui nous ont aidés.
14:36Vous, il y a une figure qui vous a aidé,
14:38qui a été très importante dans votre vie,
14:40qui s'appelle Philippe Tesson.
14:42Philippe Tesson qui parlait à Théo Café de vous,
14:45de tout vous.
14:46C'était au début, quand vous commencez à cartonner
14:49et que vous commencez à agacer les gens,
14:51ce côté romanesque, avec les cheveux en bataille,
14:54il parle de vous.
14:55Beaucoup de gens lui reprochent d'être constamment devant son miroir
14:59pour donner de lui l'image la plus flatteuse.
15:02Voyez comme je suis beau, voyez comme je suis jeune,
15:04voyez comme je suis mal coiffé.
15:06Et cette façon tourmentée qu'il a de chercher sa propre vérité,
15:11elle est de caractère romantique.
15:13Mais il n'est pas romantique comme figure Hugo.
15:15Un héros de Truffaut peut-être.
15:18Il a à la fois besoin de fuir la réalité,
15:20ça c'est évident, comme tous les poètes d'ailleurs,
15:23et puis en même temps de s'accrocher à cette réalité.
15:25Parce que quand vous ne vous accrochez pas à la réalité
15:27et que vous ne pensez qu'à la fuir, c'est suicidaire.
15:30Un héros de Truffaut ?
15:32Oui, je n'aurais pas dit ça,
15:34mais c'est vrai que j'ai beaucoup aimé Philippe Tesson.
15:37On partageait l'amour du théâtre.
15:39Mais il y avait quelque chose chez lui aussi,
15:41au-delà de son intelligence, de sa séduction,
15:43qui m'a toujours séduit.
15:45C'était cette façon qu'il avait d'embrasser l'existence en riant.
15:48Cette légèreté, ce talent pour la légèreté.
15:50Vous l'avez, vous, ce talent pour la légèreté ?
15:52Alors, je viens parler d'une comédie, donc je serais...
15:55Vous êtes malvenu de dire non.
15:57Mais dans la vie, vous ne l'avez pas, vous êtes moi, l'éjecté Tesson.
15:59La réalité, c'est que non.
16:01Moi, je fais partie de ces gens qui sont moins bien fabriqués pour vivre,
16:04moins bien armés pour traverser la vie comme ça, joyeusement.
16:07Et donc, j'ai remarqué que justement,
16:09j'aimais m'entourer de gens qui ont ça.
16:11Parce que la relation humaine ou l'amitié, c'est toujours aussi ça.
16:14On échange des choses de soi pour essayer de se compléter.
16:17Et d'ailleurs, le fait de vivre beaucoup avec les acteurs vient de là aussi.
16:20Les acteurs ne sont pas toujours heureux.
16:22Mais il y a quelque chose d'enfantin dans le fait même de jouer
16:25qui, moi, me nourrit.
16:27Qui vous repose, vous nourrit.
16:29Malgré tous vos succès, Florent Zeller, vous êtes assez inconnu.
16:31Les gens n'en savent pas beaucoup sur vous.
16:33D'ailleurs, ça énerve tous ceux qui font des portraits de vous,
16:35en disant mais ils lâchent rien, Zeller.
16:37Ils donnent rien.
16:39Enfance en Bretagne, figure de votre grand-mère très importante
16:42qui vous a éduquée.
16:44Père absent, on n'en sait pas plus.
16:46Mère entre psy et cartement sienne.
16:48C'est vrai ?
16:50Oui, c'est vrai.
16:52C'est une femme dont l'histoire c'était d'aider,
16:56de travailler sur le soin, on va dire.
16:58Donc elle a pris pas mal de formes différentes.
17:01Mais beaucoup dans l'ésotérisme, la spiritualité.
17:04Et à un moment, c'était le tarot, en effet.
17:06Elle vous a lu dans les cartes le destin que vous auriez ?
17:08Oui, c'était son métier.
17:10Donc elle lisait surtout la trajectoire des autres.
17:12Mais c'était, comment dire, je pense que
17:14mon éducation littéraire, entre guillemets, vient de là.
17:17C'est-à-dire, il n'y a pas vraiment de livres chez moi,
17:20mais j'étais près auprès d'une femme qui racontait des histoires
17:23aux autres, à elle-même parfois, avec un grand talent.
17:26Et je crois que c'est ça qui m'a éduqué
17:28par rapport à ce goût de raconter des histoires.
17:30Et aussi, quelque chose de propre au théâtre,
17:32c'est le fait de travailler avec des fantômes.
17:34Au théâtre, il y a beaucoup de fantômes.
17:36Il y a un mystère un peu invisible.
17:38Et je crois que c'est le prolongement de cette éducation
17:40qui était un peu en dehors du monde
17:42mais que j'ai beaucoup aimé.
17:44Les Impromptus, pour terminer, vous répondez rapidement,
17:46sans trop réfléchir. Le théâtre ou le cinéma ?
17:48Le cinéma.
17:49Molière ou Shakespeare ?
17:50Molière.
17:51Anthony Hopkins ou Pierre Arditi ?
17:53Difficile.
17:54C'est méchant en plus.
17:56David Lynch ou David Cronenberg ?
17:58David Lynch.
17:59Quel père êtes-vous ? Vous avez un fils.
18:02J'en ai deux et j'essaie d'être un père attentif.
18:06Quel fils êtes-vous ?
18:12J'essaie d'être...
18:14Et je ne sais pas répondre. C'est déjà une réponse.
18:16Modiano ou Kundera ?
18:18Kundera.
18:19Flaubert ou Balzac ?
18:20Flaubert.
18:21L'océan Atlantique ou la Méditerranée ?
18:23La Méditerranée.
18:24L'argent fait-il le bonheur ?
18:26Non.
18:27Alcool, drogue, sexe, avez-vous des vices ?
18:30Des vices... L'alcool fait un peu partie de ma vie, oui.
18:34Vous votez ?
18:36Pas toujours.
18:37Qu'est-ce qui vous indigne ?
18:39Cette incapacité grandissante à se parler les uns aux autres.
18:44La dernière fois que vous avez pleuré ?
18:47En regardant un film.
18:49A quand votre prochain film, justement ?
18:51Votre troisième film après The Father...
18:53Je viens juste de finir le scénario.
18:56Je viens juste de le soumettre aux acteurs pour lesquels je l'ai écrit.
18:59Et ils viennent juste de me dire qu'ils allaient le faire.
19:02Et on n'en saura rien de plus ?
19:05Non, mais j'espère le tourner dans l'année qui vient.
19:07Ce sera en anglais ?
19:08Ce sera un film européen avec plusieurs langues, notamment en anglais.
19:12Et Dieu dans tout ça, pour finir ?
19:15C'est difficile de répondre à ça.
19:17C'est une phrase de Chancel.
19:19Ceci dit, Chancel m'avait dit qu'il est connu pour cette phrase-là,
19:22mais qu'il ne l'a jamais prononcée.
19:24Donc il restera peut-être dans l'histoire pour une phrase qu'il n'a jamais dite.
19:28Je suis en hommage sur cette phrase qu'il n'a jamais dite !
19:31Non, c'est vous finalement.
19:32Non, c'est lui.
19:34Et donc vous ne pouvez pas répondre en dix secondes sur ça.
19:36On va passer La Vérité.
19:38C'est votre pièce culte, Florian Zeller, mise en scène de Lattice Lacholla.
19:41C'est à partir du 23 janvier au Théâtre Édouard VII,
19:43avec Stéphane De Grote, Sylvie Testu, Clotilde Couraud et Stéphane Faco.
19:47Merci et belle journée à vous.
19:48Merci beaucoup à vous.

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