Julien : "J'ai appris assez tard que mon père n'était pas mon vrai père"

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Transcript

00:00Bonjour Julien, merci d'être avec nous.

00:03Merci beaucoup, merci de me donner la parole.

00:06Alors vous, c'est particulier parce qu'on vous a menti sur vos origines,

00:11c'est ça, votre père n'est pas votre vrai père ?

00:14Oui tout à fait, j'ai appris assez tard que mon père n'était pas mon vrai père

00:18et en fait, ce qui m'a blessé profondément dans ce cadre là,

00:22c'est que j'ai appris dans les mauvaises conditions,

00:25j'ai appris dans le cadre d'une engueulade déjà entre mes parents,

00:28du coup déjà, ça a commencé mal,

00:31et après j'ai appris que tout le monde, tout le monde,

00:34savait, sauf moi, et tout le monde me mentait, délibérément.

00:38Il s'est passé, je devais avoir une douzaine d'années à peu près quand c'est arrivé,

00:42ce qui s'est passé que derrière, je ne croyais absolument plus rien

00:45de tout ce que mes parents m'ont toujours autorité pour me dire.

00:48Oui, c'est quand vous avez à peu près 12 ans que vous découvrez

00:51que votre père n'est pas votre générateur.

00:55Voilà, et que du coup mes sœurs ne sont pas mes sœurs,

00:58que du coup mes oncles, le côté paternel ne sont pas mes oncles,

01:01ça a été vraiment une cascade en fait, une cascade de déception.

01:04Et vous savez, vous avez su qui est votre vrai père, votre géniteur ?

01:09Je l'ai su par la suite, mes parents se sont démêlés

01:14pour essayer de redresser la situation,

01:18mais malheureusement tout ce qu'ils pouvaient faire à ce moment là,

01:21moi je n'étais pas prêt à accepter quoi que ce soit,

01:24c'était mensonge pour moi. Il a fallu que j'ai l'information

01:27de qui était mon vrai père par une autre personne qui n'a rien à voir

01:30avec la famille, qui était une amie d'une amie d'une amie de ma mère

01:33quand elle avait l'âge où je suis né,

01:36qui m'a confirmé qui était mon vrai père.

01:39Elle-même savait toute l'histoire aussi,

01:42et c'est comme ça que j'ai accepté le fait de connaître mon vrai père,

01:47parce que lui-même n'a jamais voulu le reconnaître,

01:49il n'a jamais voulu me connaître non plus.

01:51C'est une histoire très compliquée, je ne veux pas rentrer dedans,

01:53mais c'est important juste quand même qu'on comprenne,

01:56c'est-à-dire que votre mère vous a eue avec un homme

01:59qui n'a pas voulu vous reconnaître, et elle s'est mariée ensuite avec votre...

02:02En fait, ma mère m'a eue avec un homme qui était marié,

02:06et le deal, elle voulait faire un bébé toute seule,

02:09elle était de ma génération femme libérée en 1968,

02:12et elle voulait faire un bébé toute seule,

02:15et très rapidement elle s'est rendue compte que c'est du boulot un enfant,

02:18que ce n'est pas facile, qu'il faut un cabre,

02:21un père quand même, c'est quelque chose de pas mal.

02:23Et il s'est rendu compte qu'au même moment qu'est devenu mon père par la suite,

02:28sortait d'un divorce un peu compliqué,

02:31et il s'est mis, j'avais même pas deux ans,

02:34il s'est retrouvé en colocation chez ma mère,

02:37des amis d'amis qui se disent, viens à la maison, on t'héberge,

02:40et ma mère a trouvé fort sympathique sa présence,

02:43ils ont fait plus que de la colocation,

02:46et ils se sont mariés quand j'avais 4 ans,

02:49et j'ai porté son nom,

02:52j'avais pas à me souvenir de tout ça,

02:55j'ai pris son nom à lui, alors que c'était pas du tout...

02:58En même temps c'est votre père au sens symbolique ?

03:01Oui, c'est ce que je dis, c'est qu'aujourd'hui j'ai mon père et mon géniteur,

03:04c'est vraiment la distinction entre les deux.

03:07Mais ce qui est terrible, c'est ce secret de famille,

03:10pourquoi on vous le cache, c'est stupide ?

03:13En fait c'était de la maladresse, aujourd'hui je l'ai accepté,

03:16c'est la deuxième partie de la question qui m'a beaucoup intéressé,

03:19c'est comment est-ce qu'on s'en remet, comment est-ce qu'on répare

03:22l'enfant qu'on était avant, et c'est cette question-là qui m'a donné envie de réagir,

03:25et en fait je pense qu'il faut déjà accepter que

03:28le mal qu'on peut nous faire n'est pas forcément intentionnel,

03:31les gens qui m'ont fait du mal ne l'ont pas fait dans l'objectif de me faire souffrir,

03:34ils l'ont fait parce qu'ils ont essayé de faire de leur mieux

03:37avec les outils qui étaient de leur, et malheureusement le seul outil qu'ils ont eu

03:40en leur possession à ce moment-là, c'était le mensonge,

03:43de me préserver, de me protéger, parce qu'ils ont dit on va repartir

03:46le moment de lui annoncer et on verra bien quand ça ne verra rien,

03:49mais le problème c'est que tant qu'il n'y a pas quelque chose, un élément qui va forcer

03:52le déclenchement, je n'aurais peut-être jamais su

03:55que cette histoire-là, je n'aurais peut-être jamais su

03:58comme c'était parti, il y avait une telle chape de plomb sur cette histoire-là

04:01que du coup, c'était vraiment ça qui m'a blessé.

04:04Est-ce qu'aujourd'hui vous avez pu en parler

04:07avec votre mère et votre père, on va l'appeler votre père ?

04:11Parce qu'il me semble que votre mère sans doute

04:14se sentait peut-être un petit peu coupable,

04:17quant à votre père, il n'avait pas envie que vous pensiez qu'il n'était pas votre père,

04:20donc je suppose que c'est des mensonges

04:23qui montrent plutôt leur fragilité

04:26qu'autre chose.

04:29Le fond du problème,

04:32c'est que, j'en ai parlé évidemment depuis avec mes parents,

04:35ce que j'ai pensé, c'est qu'à l'âge de 16 ans je suis parti

04:38chez mes parents, j'ai vraiment coupé les ponts avec ma famille,

04:41et je suis parti faire ma vie, et c'est pour ça qu'on parlait

04:44de la souffrance avec Nadjet à l'accueil,

04:47on parlait du fait de se sentir seul

04:50au moment des fêtes, c'est que moi j'ai vécu de 16 ans

04:53à 24 ans à peu près,

04:5628 ans, des Noëls absolument

04:59toujours tout seul, je n'avais pas de famille,

05:02donc je n'avais personne derrière qui me tournait, je faisais tous mes Noëls tout seul.

05:05J'étais encore en colère,

05:08j'ai eu beaucoup de mal à me reconstruire de moi-même

05:11de par la suite.

05:14J'ai 42 ans aujourd'hui.

05:17J'avais 12 ans.

05:20C'est bienvenue dans la génération

05:23de le silence protège les enfants,

05:26soi-disant, et on se retrouve avec les blessures de trahison

05:29comme celles que vous avez vécues,

05:32parce qu'en fait, il vaut mieux dire la vérité

05:35même si elle est difficile à entendre,

05:38que de laisser un enfant dans un secret, d'abord parce que

05:41à tout moment cet enfant peut avoir une révélation du secret

05:44qui sera faite par quelqu'un d'autre, n'importe comment,

05:47par hasard, sans faire exprès, et vous en avez fait l'expérience.

05:50Alors vous, par chance, c'était vos parents, mais il peut y avoir

05:53des scènes...

05:56Il s'était en train de s'engueuler entre eux,

05:59et j'ai eu le fin mot de l'histoire, mais en vrai,

06:02ils n'avaient pas l'intention de me le débrouiller à ce moment-là.

06:05Oui, parce qu'on croyait fermement à cette époque-là, éducativement,

06:08il fallait cacher des choses aux enfants pour les protéger,

06:11et je mets entre mille guillemets pour les protéger.

06:14Ça ne protège évidemment personne, et vous le savez mieux que personne.

06:17Et donc, dans le cadre de la réparation, ce que j'ai aussi appliqué,

06:20c'est de ne pas reproduire les erreurs du passé,

06:23c'est-à-dire que moi, j'ai deux très jeunes enfants de 2 ans et demi,

06:26je dis bien à ma fille, je ne lui dis pas, et c'est le Père Noël qui l'amène,

06:29et voilà, c'est tout un chacun qui amène un cadeau.

06:32On dit pour faire folklorique, pour un peu lisser, un peu faire festif,

06:35qu'il y a un Père Noël, mais j'explique bien à ma fille que c'est un Père Noël fictif,

06:38j'explique aussi à ma fille qu'il n'existe pas, mais que certains croient qu'il existe,

06:41et que comme pour toutes les religions, il faut respecter les croyances

06:44de tout un chacun, et que si un enfant dit qu'il croit au Père Noël,

06:47laisse-le croire au Père Noël, ce n'est pas grave, n'essaye pas de lui convaincre

06:50qu'il a peut-être raison, mais il n'a pas envie, il n'est pas prêt à savoir qu'il a raison,

06:53donc laisse-le croire ce qu'il croit, c'est son histoire,

06:56c'est son histoire de famille, c'est son histoire à lui, ce n'est pas l'histoire des autres.

06:59On peut, enfin, je veux dire, à des enfants de 2 ans,

07:02on peut leur laisser une part imaginaire,

07:05qui ne sont pas forcément des mensonges.

07:08Mais elle l'aura quand même, même si on lui dit la vérité, elle peut choisir d'y croire.

07:11Oui, bien sûr. Mais au moins, elle a les informations

07:14viables dès le début, c'est ça que je veux dire.

07:17Et puis comme ça, vous construisez de la confiance avec elle.

07:20C'est-à-dire que quand elle aura quelque chose de difficile à vous dire, elle saura qu'elle peut vous le dire

07:23puisque vous-même, vous lui avez dit des choses telles qu'elles sont.

07:26Quand vous dites, Julien, que de 16 ans à 28 ans,

07:29vous n'avez pas passé de Noël,

07:32est-ce que c'est aussi une période durant laquelle

07:35vous ne faisiez confiance à personne, finalement ?

07:38J'ai eu beaucoup de mal à faire confiance aux gens. J'étais très méfiant de tout,

07:41de tout le temps, de toute personne.

07:44Quand je voyais que quelqu'un venait vers moi,

07:47forcément, il comprend un fond de quelque chose

07:50de mal faim, de quelque chose qu'on me voulait.

07:53Donc oui, j'étais extrêmement méfiant de tout le monde. J'ai vraiment eu beaucoup de mal

07:56à accepter que quelqu'un puisse être bienveillant envers moi, juste, gratuitement.

07:59Qu'est-ce qui a un peu réparé cette blessure de trahison,

08:02justement, dans votre vie,

08:05effectivement ?

08:08C'est parce qu'à l'âge de 28 ans, je suis tombé par pur hasard

08:11avec ma grande sœur, une de mes deux sœurs,

08:14qui était dans un magasin, on s'est croisés dans un magasin, on s'est parlé vite fait,

08:17et puis elle m'a dit, passe à la maison, viens voir tes parents,

08:20ça leur fera plaisir, tu leur manques. Et du coup, c'était comme ça que

08:23moi, ça me touche.

08:26Merci de ce moment d'émotion.

08:29Oui, c'est formidable, parce que

08:32c'est là, moi, ce que j'aime dans ce que vous venez de dire, Julien,

08:35c'est comment le destin, le hasard,

08:38on appelle ça comme on veut, quand même, de temps en temps,

08:41nous retend la main.

08:44Et ce qui est beau, c'est que vous avez su la prendre, cette main,

08:47que vous a tendue votre grande sœur.

08:50Vous auriez pu, aussi, continuer votre route

08:53dans le désert, tout seul,

08:56et heureusement que vous l'avez prise, cette main, parce que

08:59malgré tout, vos parents vous ont aimé, et ça, je crois qu'aujourd'hui, vous le savez.

09:02Oui, oui, mais on fait tous des erreurs,

09:05qu'ils soient bienveillants ou malveillants, malheureusement.

09:08Parce que c'est des erreurs, c'est votre chemin.

09:11Vous aviez besoin de ce passage-là,

09:14et c'était super, effectivement, comme dit Brigitte, que vous ayez pu

09:17ressaisir la chance de rejoindre leur chemin à eux,

09:20parce que c'est ce qu'ils veulent depuis le début.

09:23Oui, et puis du coup, aujourd'hui, j'ai fondé ma propre famille,

09:26j'ai ma femme, j'ai mes enfants, et je suis heureux de faire la fête

09:29de famille à la maison, en invitant tout le monde à la maison,

09:32pour faire une vraie fête de famille, comme il faut.

09:35Merci beaucoup de nous avoir raconté votre histoire,

09:38et bravo. On va faire une petite pause.

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