• avant-hier
Le 9 janvier 2015, la vie de Michel Catalano, imprimeur à Dammartin-en-Goel, bascule. Pris en otage par les frères Kouachi, il va tout faire pour sauver son salarié. Dix ans après, il poursuit sa reconstruction.


20 Minutes, avec vous https://www.20minutes.fr
Retrouvez nous sur nos réseaux :
Facebook: https://www.facebook.com/20minutes
Twitter: https://twitter.com/20Minutes
Instagram: https://www.instagram.com/20minutesfrance/
Tiktok : https://www.tiktok.com/@20minutesfrance?lang=fr
Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCD25QI36ly-8hWm9OPOz7aw
Linkedin: https://www.linkedin.com/company/20-minutes

Category

🗞
News
Transcription
00:00Il est environ 17h, des tirs partent de l'imprimerie où sont réfugiés les frères Kouachi.
00:08Ils viennent d'ouvrir le feu sur les hommes du GIGN.
00:12Les troupes d'élite répliquent par des tirs nourris.
00:18L'assaut ne dure que deux minutes.
00:20Très vite, c'est le silence.
00:24On craint qu'un salarié n'ait été pris en otage.
00:28Dix ans après, l'imprimerie de Damartin-en-Gohelle a fait peau neuve.
00:32Son propriétaire Michel Catalano a accepté de revenir sur ce jour où, avec son salarié,
00:37ils ont été pris en otage par les frères Kouachi.
00:40Dix ans après, et un long travail de reconstruction, les cicatrices sont encore à vif.
00:46Ça me rappelle un souvenir douloureux, parce qu'on voit bien les impacts de balles
00:50et ça me rappelle un peu tout ce que j'ai vécu ce jour-là.
00:53J'ai aussi besoin quelque part de me rendre compte que ça a vraiment existé,
00:57parce qu'il y a des moments où on ne sait plus si c'est la réalité,
01:00si ce qu'on vit correspond à une réalité ou que c'est encore quelque chose qui n'est existant.
01:06Et là, ça montre que dans ma tête, j'en ai encore besoin.
01:11C'est un jour qui n'est pas tout à fait comme tous les jours,
01:14parce que le 9 janvier, bien sûr, j'avais toujours en tête,
01:17et je n'étais pas très bien par rapport à ce qui s'était passé en France le 7 janvier,
01:21et notamment le massacre Charlie Hebdo.
01:23C'est un sujet qui nous a marqués, qui nous marquait en fait.
01:27On en parlait effectivement le matin même avec mon collaborateur.
01:32On l'avait un petit peu bizarrement imaginé en disant que...
01:38Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs je ne ferai plus jamais ça,
01:40mais on s'est dit, tiens, se trouve, ils vont venir chez nous.
01:42Évidemment, on n'imaginait pas du tout que ça puisse arriver.
01:44Sauf qu'effectivement, on sonne à la porte et ce n'était pas du tout ce que j'attendais.
01:49Moi, j'imaginais qu'on allait recevoir un fournisseur qu'on avait l'habitude de recevoir,
01:53qui devait me présenter une machine aussi le matin, brièvement.
01:55Quand on est allé à la fenêtre, j'ai remarqué que ce n'était évidemment pas de mon fournisseur,
02:00mais surtout pas des gendarmes, comme je l'ai cru tout de suite en voyant.
02:03Et très vite, j'ai compris que c'était eux qui étaient chez nous.
02:05Sur le moment, j'ai compris qu'ils étaient là, et en fait, je me suis retourné.
02:09J'ai marché calmement, mais d'un pas décisif vers mon salarié.
02:15Et là, j'ai entendu la porte qui claquait,
02:17et j'ai entendu que ça montait dans les escaliers.
02:19J'ai vu mon salarié me regarder en me disant « qu'est-ce que je fais ? »
02:24Je lui ai dit « cache-toi et coupe ton portable ».
02:27Il ne méritait pas, il est jeune.
02:29Ça me paraissait incroyable qu'il puisse finir sa vie ce jour-là.
02:34J'ai décidé effectivement d'aller vers eux pour essayer de les ralentir,
02:38en espérant lui laisser le maximum de temps pour qu'il puisse se cacher.
02:42Mais il monte par les escaliers, des escaliers en collier maçon,
02:45qui étaient assez serrés, et comme ils étaient lourdement armés,
02:48ils avaient un lance-roquette, ça tapait dans l'escalier.
02:52C'est un bruit qui m'a hanté, qui m'entend encore quand je le réentends.
02:57Malheureusement, de temps en temps, ça peut arriver quelque part.
03:00Je l'ai rencontré, et au départ, j'ai été étonné,
03:04parce que je ne m'attendais évidemment pas du tout à ce qu'il me parle.
03:07Et en fait, si ce qui s'est passé, ils m'ont parlé,
03:09ils m'ont dit « est-ce que vous me reconnaissez ? »
03:11Je leur ai dit « oui, je sais qui vous êtes ».
03:13À ce moment-là, je ne pensais pas, je pensais que j'allais mourir.
03:16Je pensais que c'était la fin.
03:18J'ai été étonné, déjà, qu'ils me parlent, qu'ils baissent leurs armes,
03:21parce qu'au départ, ils avaient l'alarme au point, et ils ont baissé leurs armes.
03:24À un moment donné, on est en train d'échanger,
03:28et les gendarmes arrivent, et là, ils sont très excités,
03:31parce qu'ils avaient aussi dit, à ce moment, pendant la période où j'étais avec eux,
03:35qu'ils voulaient tuer un maximum de gens,
03:37et du coup, là, ils étaient surexcités à ce moment-là.
03:40Donc, ils sont sortis, il y a eu des échanges de coups de feu.
03:43Quand ils sont rentrés, j'ai vu qu'ils avaient du sang,
03:45et je leur ai proposé de les soigner.
03:47Je l'ai refait trois fois, le pansement.
03:49J'ai demandé, donc, au frère, qui était le plus vieux,
03:52qui était à côté de moi, et qui était proche de moi,
03:55qui me menaçait avec son âme, je lui ai demandé si je pouvais sortir.
03:59Le plus jeune que je soignais a dit « non, non, il reste là, il reste ici ».
04:02J'ai refait le pansement une deuxième fois, j'ai reposé la question,
04:05et il m'a dit « non, il faut refaire le pansement, parce qu'il est trop serré ».
04:08Je l'ai refait une troisième fois, et la troisième fois, je lui ai dit
04:11« est-ce que je peux partir maintenant, mais d'une façon un peu plus énergique ? »
04:14et il m'a dit « allez-y ».
04:15J'ai effectivement pris la décision de partir,
04:18et au moment où je marchais, derrière moi, j'ai entendu le bruit,
04:21comme quoi il se relevait, et j'ai pensé évidemment à mon collaborateur,
04:24mais j'ai dit « il faut qu'on sorte, voilà ».
04:28Et du coup, je suis sorti, on est sortis du bâtiment.
04:33Ce jour-là, je n'ai cessé de les regarder dans les yeux.
04:39J'avais leur ressenti en direct.
04:42Ça me permettait de pouvoir voir leurs réactions,
04:45voir au moment où ils s'énervaient, les yeux noirs, la crispation.
04:50J'ai tout vu chez eux, la peur, la crispation.
04:53Je n'ai cessé de les regarder dans les yeux,
04:56et de voir évidemment leur ressenti, parce qu'on voit tout sur le visage.
05:00La journée a été très très forte en émotion, très dure physiquement,
05:04mais une fois qu'elle était terminée, dans ma tête, au départ,
05:07pour moi, ça pouvait se terminer là,
05:10bien que j'ai vu très vite que les dégâts psychologiques
05:13ont surgi le soir même, dans la nuit,
05:16et tout ce qui allait suivre après.
05:19Et donc j'y suis retourné le lendemain, c'est-à-dire le samedi.
05:21Et quand je suis venu, je suis venu avec ma femme,
05:23et c'est vrai que là, on a pu voir les dégâts engendrer.
05:26À ce moment-là, je savais que je n'avais plus de bâtiment,
05:29plus d'outils de travail,
05:31tout ce que j'avais construit avait été parti en fumée.
05:34Donc ça a été aussi un deuxième choc profond.
05:38Je ne savais pas ce que j'allais devenir.
05:40À ce moment-là, je ne savais pas du tout.
05:42Pour moi, je me voyais ruiné au fond du trou.
05:44Et très rapidement, j'ai reçu un appel du président,
05:47qui m'a dit « qu'est-ce que vous comptez faire ? »
05:49Et sans en avoir vraiment échangé avec ma famille,
05:52j'ai pris la décision de dire « je vais reconstruire »,
05:54parce que je pensais que c'était la solution.
05:56J'étais bien dans mon petit bâtiment,
05:57j'avais une petite vie qui me plaisait bien, j'étais heureux.
06:02Et d'un seul coup, il aurait fallu que je fuie tout ça,
06:05que je m'en aille ailleurs.
06:06Et j'avais envie de reconstruire,
06:09me relever là où j'étais tombé.
06:11J'ai appris à vivre avec.
06:13J'ai des phobies que je n'avais pas avant.
06:15Je ne peux plus passer un IRM du cerveau,
06:17parce que je ne peux pas faire plus de 20 minutes.
06:20Je stresse énormément.
06:22Quand je suis dans un café, je suis hyper vigilant.
06:25Je ne peux plus me concentrer sur quelqu'un.
06:27Je suis obligé de regarder ce qu'il se passe autour.
06:29Et moi, ma femme, elle a supporté.
06:31Elle m'a supporté indirectement nuit et jour.
06:34C'est-à-dire que mes cauchemars, c'est elle qui les vivait.
06:36Elle était près de moi.
06:38Elle a vécu ça de façon un peu cachée derrière moi.
06:41C'est-à-dire que moi, j'étais la victime reconnue.
06:44Donc tout le monde, quelque part, est empathique vis-à-vis de moi.
06:47Et elle, elle était un peu mise de côté.
06:49On appelle ça des victimes indirectes ou pas ricochées.
06:52Ce que je déteste comme terme, parce qu'en fait, c'est des victimes tout simplement.
06:55Le procès, c'était très difficile.
06:57Ma femme a eu un énorme moment difficile,
07:00après une grosse dépression derrière le procès,
07:02parce qu'on a replongé complètement dedans et c'était compliqué.
07:05Moi, je m'attendais à savoir pourquoi ils étaient arrivés ici,
07:08comment ils ont pu faire ci,
07:10qu'on réponde à un certain nombre de questions,
07:12que je n'ai pas eu de réponse.
07:14Ça m'a permis quand même d'avancer,
07:16de comprendre un peu le processus qui a pu mener,
07:19à un moment donné ou autre,
07:21des jeunes à devenir des assassins, en fait.
07:25Et je vais essayer d'intégrer ce drame,
07:28qui est une épreuve importante de ma vie,
07:32mais je voulais l'intégrer dans ma vie en disant,
07:35voilà, ça fait partie de ma vie.
07:37Et je ne veux pas que ce soit le clou de ma vie.
07:39Parce qu'à un moment, effectivement, tout retombait sur ce moment-là.
07:43Et aujourd'hui, je voulais réexister en tant que tel.
07:46Donc je me sens plus fort aujourd'hui que je n'étais il y a quelques années.
07:50J'ai l'impression que je vais pouvoir de nouveau aller mieux.

Recommandations