Mercredi 18 décembre 2024, SMART BOURSE reçoit Gilles Moëc (Chef économiste, Groupe Axa)
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00:00Le dernier quart d'heure de Smart Bourse chaque soir, c'est le quart d'heure thématique.
00:13Le thème ce soir, c'est celui de l'horizon 2025 et des perspectives macro-économiques
00:17notamment auxquelles on peut réfléchir à ce stade pour 2025 avant l'arrivée de Donald
00:24Trump à la Maison Blanche le 20 janvier prochain.
00:27Gilles Mouak est avec nous en visioconférence, chef économiste du groupe AXA.
00:29Bonsoir et bienvenue Gilles, merci d'être avec nous, j'ai repris assez simplement le
00:34titre de votre présentation macro pour 2025 qui s'intitulait Survivre à Trump 2.0, c'est
00:41une manière de donner le ton évidemment Gilles, avant de détailler peut-être le
00:45guide de survie pour le reste du monde face à Trump 2.0, un mot de cet exceptionnalisme
00:51américain ? Alors essentiellement sur le plan macro-économique, sur le plan de la
00:55performance des actifs financiers et des marchés, c'est un exceptionnalisme effectivement
00:58qu'on constate sur l'année 2023, sur l'année 2024, qu'est-ce qu'ils font de cet exceptionnalisme
01:05américain sur cette période ? J'entends Gilles pour vous, et qu'est-ce qu'on peut
01:09dire de cette dynamique par rapport au reste du monde sur l'horizon 2025 ?
01:13Je pense qu'une bonne partie de cette croissance américaine, de ce surcroît de croissance
01:19est en fait structurelle, c'est de plus en plus une évidence pour moi, on a longtemps
01:24pensé que le taux de croissance tendanciel ou potentiel de l'économie américaine se
01:28situait aux alentours de 1,75%, aujourd'hui j'aurais plutôt tendance à parler de 2%,
01:34et cette élévation de la croissance potentielle, elle est probablement le fruit d'une multitude
01:39de décisions assez décentralisées d'acteurs américains, il y a maintenant une dizaine,
01:44une quinzaine d'années, avec des choix d'investissement des entreprises qui ont été tout simplement
01:50les bons choix, avec une accélération de l'investissement en logiciel qui a été
01:53tout à fait massif à partir des années 2010, on a eu un effort de recherche-développement
01:59également tout aussi significatif, qui contraste d'ailleurs totalement avec la tenue de ce
02:03type d'investissement en Europe pendant la même période, donc ça c'est un élément
02:08d'explication, un autre élément d'explication c'est tout simplement la situation démographique,
02:14pas simplement la situation démographique naturelle, le fait que le vieillissement est
02:18moins avancé, mais aussi lié à des flux d'immigration aux Etats-Unis qui ont permis
02:24en fait de gérer finalement en douceur ce qui aurait pu être un épisode de pression
02:30trop importante sur l'offre, et on a eu un atterrissage finalement, même une absence
02:36d'atterrissage liée au fait que les entrées sur le territoire américain ont permis de
02:42maintenir un dynamisme de la consommation sans se traduire par des équilibres trop
02:48importants en termes en particulier de l'inflation, on a réussi à faire atterrir l'inflation,
02:54elle est encore trop élevée, on y reviendra je pense, mais en tout cas on a réussi à la faire
02:57ralentir de manière significative sans ralentissement de l'économie réelle, et une bonne partie de
03:03l'explication tient aux flux de population qui sont arrivés aux Etats-Unis, donc ce sont
03:08vraiment des facteurs assez structurels, assez durables qui expliquent cette performance américaine.
03:12Et qu'est-ce qu'il faut comprendre Gilles, dans le cadre d'une alternance, y compris d'une
03:18alternance Trump après une présidence Biden, c'est pas le genre d'alternance qui remettra
03:23en cause ce que vous décrivez comme étant des tendances lourdes et profondes ?
03:28Ça dépend des sujets, c'est-à-dire que sur l'innovation technologique, sur les gains de productivité, on peut
03:36probablement compter sur un nouvel effort de dérégulation, et ça, l'évidence académique vous
03:43dit qu'en général, si on dérégule, ça a plutôt effectivement un impact positif sur l'innovation,
03:49sur la croissance au final, et ça on sent que ça reste quand même une priorité
03:54importante de Donald Trump. En revanche, là où les choses sont plus compliquées, c'est sur l'offre de
03:59travail, parce que Donald Trump s'est quand même fait élire sur un programme très clair
04:05anti-immigration, qui ne parle pas simplement de réduction des flux, mais qui parle de renvoi
04:12vers le territoire d'origine d'une partie de la population aujourd'hui travaillant aux États-Unis,
04:19certes de manière illégale, mais contribuant de manière tout à fait effective à cette croissance
04:24américaine. Et c'est là, c'est probablement l'un des premiers facteurs à surveiller dans
04:29l'année 2025, c'est dans quelle mesure et à quelle vitesse Donald Trump va conduire des politiques
04:37qui vont recréer en fait de la tension sur le marché du travail, en réduisant cet afflux de
04:42population active. On peut s'attendre à ce qu'il y ait des effets stabilisants, je pense que
04:47les grands secteurs industriels américains vont aller expliquer assez vite à la Maison-Blanche
04:52ce qui risque de se passer si on a un arrêt brutal des flux, mais ça c'est quand même un
04:57élément plutôt négatif dont la toxicité pourra se révéler un peu au fur et à mesure. Pour l'instant
05:02on est dans un effet feel-good sur la confiance générale aux États-Unis, voyons comment ça
05:09tient une fois qu'on verra les premiers effets, par exemple sur les entrées sur le territoire
05:13américain. Ce qui est intéressant c'est que sur les derniers mois de la présidence Biden,
05:17Biden a fait passer quand même un décret sur l'immigration qui a déjà limité quand même les
05:23flux migratoires sur quelques mois, j'entends Gilles, pas sur l'ensemble de sa présidence,
05:27mais sur les derniers mois, août, septembre, je crois que c'est assez visible dans les chiffres
05:32de flux qu'on peut avoir. On verra comment est-ce que tout ça tourne effectivement à partir du 20
05:37janvier prochain. Le sujet de la réserve fédérale américaine, alors Jérôme Poel s'exprime bien sûr
05:43ce soir, mais j'allais dire sous Trump 2.0, qu'est-ce qui peut évoluer dans la fonction de
05:50réaction de la réserve fédérale américaine ? Déjà avant ça, dans quelle mesure est-ce que la Fed a
05:54encore des marges de manœuvre, j'allais dire indépendamment des choix politiques qui pourraient
05:58être annoncés dans les prochains jours ou à partir du 20 janvier prochain ? Et puis ensuite, une fois
06:04ces choix politiques annoncés, dans quelle mesure est-ce que ça peut faire bouger ou non d'ailleurs
06:08la réserve fédérale américaine de son chemin ? Je pense que ça c'est un point important, c'est
06:13qu'avec ou sans Trump, c'est-à-dire que la question de Trump nous obnubile un peu tous, mais avec ou
06:19sans changement politique américain, on était dans une situation où le flux de nouvelles sur
06:23l'inflation n'est pas exactement celui qu'on voudrait avoir. On a eu, je l'ai dit, un vrai
06:28ralentissement d'inflation mais on est encore très loin de l'objectif de la Fed. Je rappelle que le
06:33Core CPI est complètement bloqué depuis quatre mois à 3,3% en glissement annuel. Alors on cherche
06:40chaque mois à trouver de nouvelles raisons un peu idiosyncratiques qui pourraient expliquer une
06:44résistance un peu résiduelle, mais voilà, quatre mois ça commence à être un peu long et c'est
06:50peut-être en liaison d'ailleurs avec ce que vous évoquiez sur les premiers effets des blocages
06:55Biden sur les entrées, on commence à retrouver aussi quelques facteurs de tension sur le marché
07:00de l'emploi aux Etats-Unis. On a par exemple des salaires qui ont recommencé à accélérer. Donc de
07:05toute manière, avec ou sans Trump, je pense que la Fed devrait ralentir le rythme de baisse de ses
07:13taux. Le dotplot, les fameuses prévisions médianes du FOMC du mois de septembre étaient cohérentes
07:20avec quatre baisses de taux en 2025, ce que tout le monde a traduit par une baisse de taux par
07:26trimestre. Je pense qu'encore une fois, avant même la prise en compte de ce qui pourrait nous
07:30venir de l'administration américaine, la Fed serait amenée à revoir le nombre de baisses en 2025,
07:37probablement aux alentours de trois. Et pour ma part, si en plus de ça, cette situation de départ
07:43un tout petit peu problématique sur l'inflation, on ajoute ce qui est probable en termes d'annonce
07:49de la part du gouvernement américain, à ce moment-là, c'est pas deux ou trois baisses qu'on
07:53aura en 2025, ce serait simplement une. La question tarifaire notamment, ça nous amène à regarder
07:59la question des tarifs douaniers. Alors peut-être de la perspective du reste du monde, de l'Europe
08:04en premier lieu, Gilles, si effectivement ces tarifs annoncés, préannoncés deviennent le marqueur
08:13Ford du mandat de Trump 2.0, quels sont les différents scénarios auxquels on peut se
08:18préparer et quels types de réponses les plus pertinentes, espérons-le, est-ce que l'Europe
08:23pourrait apporter ? Alors moi en la matière, je suis un libre-échangeiste de stricte obédience,
08:29je crois qu'il y a assez peu de vérités révélées en matière de sources économiques, mais le fait
08:32qu'en général le libre-échange c'est pas mal, ça j'y crois, ça j'y crois assez et je sais
08:37que Christine Lagarde s'est pris beaucoup de commentaires très acerbes lorsqu'elle a dit
08:41dans un discours que peut-être que la bonne réponse européenne serait de ne pas répondre
08:46à des droits d'ouine américains, c'est peut-être pas la bonne posture à avoir en termes de
08:51négociations vis-à-vis de Washington d'ici, mais sur le fond elle a raison, c'est-à-dire que si tout
08:56ce à quoi les producteurs européens ont à faire face en 2025, ce sont des droits d'ouine de 10%
09:04sur ce qu'on vend aux Etats-Unis, honnêtement c'est gérable, c'est gérable parce que ce serait
09:0910% pour nos produits, ce serait 10% sur les produits des autres, probablement plus sur les
09:14produits chinois, donc on ne perdrait pas de compétitivité relative par rapport à nos
09:19compétiteurs sur un marché américain, on perdrait de la compétitivité simplement par rapport à des
09:22producteurs américains qui souvent sont assez peu nombreux, qui parfois peuvent être un peu
09:27médiocres, et par ailleurs 10% de droits d'ouine, ça vale en quelques semaines de dépréciation du
09:34taux de change et notre taux de change a déjà déprécié de manière assez significative par
09:38rapport à dollars, donc sur cet aspect-là de la politique de Trump, ma réponse naturelle serait de
09:45dire peut-être ne faut-il pas répondre, je sais que politiquement c'est différent, mais sur le fond
09:50je pense qu'il ne faut pas répondre, la vraie difficulté pour moi elle ne passe pas par là,
09:54elle passe par l'effet indirect de droit d'ouine qui serait là pour le coup prohibitif, levé par
10:01les américains sur des produits chinois, qui pourrait se traduire par un dévissage du yuan et
10:07donc par un surcroît de compétitivité des produits chinois sur notre propre marché et vis-à-vis
10:12de compétiteurs sur des pays tiers, et là la réponse devient assez complexe, et dans le
10:19cas chinois, surtout s'il y a entre guillemets manipulation du change, là effectivement on peut
10:24mettre en place des mesures de mitigation, mais le choc américain lui-même, je pense que ce serait
10:29une erreur que de courir immédiatement à la question des rétorsions. Je l'entends, ne pas répondre,
10:35effectivement ne pas répliquer ce que disait Christine Lagarde, ça ça concerne la sphère
10:39politique, pour la sphère de la politique monétaire, ce serait perçu comment par la
10:43Banque Centrale Européenne, Gilles ? Pour moi en revanche, alors je sais que les faucons de la
10:49BCE aiment à dire qu'une guerre commerciale ce serait inflationniste parce que ça se traduirait
10:54par une disruption des chaînes de production, à mon sens l'impact le plus évident si on est
11:03à faire face à une guerre commerciale américaine, c'est plutôt quand même, en tout cas en première
11:08analyse, un effet supplémentaire de réduction de l'activité en Europe, et la réponse normale
11:15dans ce cas-là c'est d'avoir une politique monétaire qui devient de plus en plus accommodante
11:19et qui ce faisant crée les conditions d'une dépréciation de l'euro qui permet de répondre,
11:24et là d'une manière à mon avis assez juste, à la mise en place de droits de l'Homme plus
11:29importants aux Etats-Unis, j'ai l'impression que tout le débat à la BCE en fait c'est complètement
11:34déplacé, c'est à dire que dans ce qui a été dit par la BCE aujourd'hui, si vous êtes un faucon,
11:41vous entendez, on va jusqu'au taux neutre, le taux neutre c'est peut-être simplement 2 même peut-être
11:47un peu plus que 2 et on s'arrête là, si vous êtes une colombe vous entendez, peut-être qu'on peut
11:52aller même plus loin et qu'on peut aller en territoire véritablement accommodant, et je
11:56pense que c'est ce qu'ils finiront par faire et que l'une des raisons de ce passage en territoire
12:00accommodant c'est précisément de prendre en compte le fait qu'on rentrera dans une guerre commerciale
12:05non pas simplement vis-à-vis des Etats-Unis mais aussi via les effets indirects sur les produits chinois.
12:10Avec l'idée que ces baisses de taux pourraient s'accélérer ou en tout cas que le rythme
12:13des pas pourrait peut-être à un moment changer sur la fin de ce cycle de baisse de taux. Un mot
12:18pour conclure de l'Allemagne, ce sera la prochaine élection la plus importante du monde le 23 février
12:23prochain en Allemagne, Gilles, je ne sais pas à quel niveau d'espoir, l'espoir fait vivre mais en même
12:30temps l'espoir ne fait pas une stratégie à ton coutume de dire, Gilles, j'ai regardé un peu rapidement
12:35les plateformes proposées depuis le vote effectivement qui déclenchent les élections, je vois que
12:42CDU, CSU emmenées par Friedrich Merz, on commence par 100 milliards d'euros d'économie dans les
12:47dépenses sociales, tout bon budget allemand commence par quelques dizaines de milliards d'euros
12:52d'économie quoi. Oui je pense que ça doit appeler à réviser un tout petit peu d'enthousiasme sur ce
12:58fameux bouger de la part de Merz, c'est vrai qu'il y a une ouverture de la part de Merz sur cette
13:04question du frein de dette, il l'a dit, il l'a dit d'ailleurs à plusieurs reprises, il est ouvert à ce
13:11qu'on révise un peu le système en tout cas pour financer un surcroît d'investissement mais la
13:16CDU ne s'est pas transformée en 48 heures en parti néo-kinésien favorable à une inflation
13:23des dépenses sociales, on est un peu dans le jeu politique pré-électoral, je pense que la CDU joue
13:29sa partition de centre droit et c'est une partition finalement assez classique, on verra ce qui sort
13:34des négociations mais ce qui pour moi est important c'est la temporalité, dire que pour moi de voir
13:41le marché qui s'est un tout petit peu enthousiasmé dès le mois de novembre parce qu'on a eu ses
13:46premières déclarations de Merz, ça me paraît ne pas intégrer le fait que les élections auront lieu
13:51en février, que la négociation d'une coalition ça prend toujours assez longtemps en Allemagne et que
13:58la réforme institutionnelle du frein de dette ça prendrait encore plus longtemps donc on va sans
14:03doute vers un bouger, ça semble de plus en plus consensuel en Allemagne mais pour moi c'est plus
14:07un bouger dont les effets se feraient sentir en tout cas mécaniquement en 2026 et pas en 2025.
14:13Bon, les séquences vont être importantes en 2025, la séquence Trump, la séquence allemande et on suivra
14:20ça évidemment avec grand plaisir avec vous Gilles, merci beaucoup Gilles, moi avec chef
14:24économiste du groupe AXA qui était avec nous l'invité de ce dernier quart d'heure de Smart Bourse ce soir.