Anne Fulda reçoit Emma Becker pour son livre «Le Mal joli» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'heure des livres, Emma Becker.
00:02Bonjour.
00:03Alors, on vous connaît, vous avez déjà publié plusieurs romans, celui-ci est votre sixième.
00:07Vous avez écrit « La maison, l'inconduite » et là, vous venez de publier « Le mal je lis »,
00:11un livre qui est paru chez Albain Michel et un livre qui, sous des apparences trompeuses,
00:16est en fait peut-être un livre romantique, finalement.
00:19Enfin, vous me direz ce que vous en pensez.
00:21En tout cas, c'est le livre d'une passion, d'une passion charnelle, d'une passion empêchée au début,
00:27ce qui se passe souvent avec les passions,
00:29entre Antonin, un écrivain, et vous.
00:33On a l'impression que vous l'avez écrit quasiment en temps réel.
00:36Pourquoi, comme s'il y avait un sentiment d'urgence ?
00:40En fait, quand j'ai commencé à écrire ce livre, j'étais tout à fait sur un autre projet
00:44et puis cette rencontre et cette passion naissante m'a complètement désarçonné.
00:50Et la raison pour laquelle j'ai commencé à écrire ce livre, c'était vraiment parce que je me disais
00:54que si je parviens à décortiquer un peu les processus de ce qui est en train de s'installer en moi,
00:59il y a des chances pour que, d'un seul coup, l'histoire m'apparaisse plate et tout à fait domesticable.
01:07Donc ce livre a commencé par être une sorte d'instinct de survie.
01:12Et effectivement, je voulais décortiquer ça au jour le jour,
01:17en n'épargnant aucune mièvrerie, aucun serment d'éternité, aucune illusion.
01:22C'est le but, voilà, décortiquer la passion.
01:24Alors, de mièvrerie, il n'y en a pas.
01:26Certains diront, est-ce que c'est votre patte, d'ailleurs ?
01:29On dit qu'il faut qu'il y ait dans vos romans ce côté un peu cru,
01:33notamment sur les relations sexuelles.
01:37Enfin, ce n'est pas que ça, mais c'est aussi ça.
01:39Vous parlez surtout des déchirements des deux côtés,
01:42de cet homme et de cette femme qui, l'un et l'autre, ont des compagnons.
01:47Vous décrivez la difficulté de faire bonne figure
01:51et la difficulté, notamment pour l'héroïne,
01:54de faire les actes de tous les jours,
01:57de s'occuper des enfants, d'être une mère de famille.
02:00Oui, parce que la passion, lorsqu'elle s'installe,
02:03elle s'installe comme une maladie,
02:05elle s'installe comme un empoisonnement du cerveau
02:07qui fait que vous n'avez soudain plus que cette autre personne en tête
02:11et plus que l'autre personne que vous devenez à son contact.
02:14Et toutes les petites exigences de la vie quotidienne,
02:17qui évidemment sont hypertrophiées quand on a des enfants et qu'on est marié,
02:20deviennent plus que des contraintes,
02:22deviennent un empêchement, deviennent un étouffement complet.
02:26Et écrire ce livre, c'était aussi sans doute une tentative
02:29de remettre chaque chose à sa place,
02:31c'est-à-dire de poser clairement sur papier
02:33qu'il existe en une femme plusieurs femmes.
02:35Il existe une épouse, il existe une mère,
02:37il existe une femme qui n'a jamais vraiment fini de vivre,
02:40qui n'a jamais fini d'aimer, de tomber amoureuse
02:43et qui essaye de réconcilier ça.
02:45Et je crois en ça que c'est une problématique assez universelle.
02:48Je suis persuadée que le monde est fait d'hommes et de femmes
02:51qui transportent en eux comme ça des passions
02:53qu'ils sont obligés de taire par nécessité, par responsabilité,
02:57mais avec laquelle il faut qu'ils vivent comme une croix.
02:59Et comment est-ce qu'on fait pour s'en débarrasser ?
03:01Comment est-ce qu'on fait pour l'alléger ?
03:03Moi, j'écris.
03:04Et je n'ai pas de volonté d'être crue, c'est pas ma patte.
03:09Ma patte, c'est de décrire les relations humaines
03:11de la façon la plus précise possible.
03:14Alors bien sûr, la sexualité en fait partie.
03:16Et lorsqu'on parle de passion,
03:18il est évident que l'alchimie entre deux êtres
03:20et puis cette chose très sexuelle crée ce crépitement.
03:25Et on se dit, qu'est-ce qui restera après ce crépitement ?
03:27Parce que bien sûr que ce crépitement finit par s'éteindre.
03:30Et ma question, c'est,
03:33qu'est-ce qui se passe au moment de ce crépitement ?
03:35Pas ce qui se passe après, ce moment-là précis,
03:38où on perd la tête.
03:40Ce qui est intéressant, c'est que la passion,
03:42elle est avec un écrivain.
03:43Vous êtes deux écrivains, mais néanmoins,
03:46un monde vous sépare.
03:47En tout cas, Emma, dans le livre,
03:49le décrit, lui, c'est un écrivain aristo,
03:53de droite, qui aime Brasillac,
03:55qui connaît tout Paris.
03:57Vous, vous habitez loin de Paris,
03:59vous êtes mère de famille.
04:01L'écriture est quand même quelque chose qui vous rapproche ?
04:05Oui, je crois que, en fait, je pense que l'aristocratie,
04:08la seule aristocratie, c'est effectivement la littérature.
04:11Et j'ai cru longtemps que le fait d'être écrivain
04:14me suffirait à transcender, comme ça,
04:16les mondes et les classes.
04:18Et puis, je me suis aperçue,
04:20à cause des livres que j'écris, ou grâce à eux,
04:22que j'étais, en fait, bien installée dans cette case
04:25et qu'il était très difficile pour moi d'en sortir.
04:27Et que si même moi, j'en sortais,
04:29il y avait toujours autour de moi et autour de nous
04:31des gens pour rappeler qui je suis,
04:34ce que j'écris, ce que j'ai fait comme métier.
04:36C'est quelque chose qui me colle beaucoup à la peau.
04:38Et au moment où je suis follement tombée amoureuse
04:41de cet homme-là, j'avais autour de moi
04:43tout un tas de gens relativement bien intentionnés
04:45qui me rappelaient qu'au fond, on pouvait très bien s'aimer
04:48pendant un temps, mais qu'il y aurait deux choses irréconciliables
04:50et c'était les mondes dont nous venions et qui n'étaient pas les mêmes.
04:53Et ça, longtemps, était ajouté à la somme
04:56de tous les effrois que j'avais en pensant à cette histoire.
04:59Le divorce, les enfants, comment faire pour survivre
05:03et comment faire pour appartenir à un monde
05:05dont je ne viens pas et dont je ne serai jamais ?
05:08Juste dernière question, c'est une autofiction.
05:10Est-ce que de temps en temps, on retient sa plume
05:12lorsqu'on écrit une autofiction, puisqu'il y a des êtres vrais
05:14qui sont en jeu ?
05:16Bien sûr, je retiens ma plume.
05:18Disons, non, je ne retiens pas ma plume,
05:20mais j'essaie de la tempérer et j'essaie de l'influencer
05:23lorsqu'il s'agit notamment d'écrire sur mes enfants,
05:25qui sont les êtres les plus précieux que j'ai au monde,
05:29mais qui ont souvent réveillé en moi
05:32des frustrations, des empêchements.
05:34Mais ce sont des empêchements sans lesquels
05:36je n'aurais jamais écrit ces livres.
05:38Donc voilà, il est important de ne pas faire de mal
05:40tout en essayant de rester le plus précis
05:42et le plus vrai possible.
05:44Très bien, en tout cas, merci Emma Baker.
05:46C'est un beau livre et il faut effectivement
05:48passer outre cette image qui vous colle à la peau.
05:50Ça s'appelle Le Mal, je lis.
05:52On découvrira aussi dans le livre
05:54ce que signifie cette expression
05:56qui vient de l'obstétrique.
05:58En tout cas, merci.
06:00C'est donc un livre paru chez Albin Michel.
06:02Merci Emma Baker.
06:04Merci beaucoup.