• il y a 4 mois

Tous les jours de la semaine, invités et chroniqueurs sont autour du micro de Mickaël Dorian pour débattre des actualités du jour.
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Transcription
00:00Et justement, si vous prenez la route, soyez vigilants et attentifs aux véhicules et aux personnels d'intervention.
00:06Pour rappel, une enquête est toujours en cours après la mort, mardi, d'une employée de la SANEF
00:11percutée par une voiture au niveau d'une barrière de péage en Moselle.
00:15Elle était en train de porter assistance à un motard, le chauffard a appris la fuite.
00:20Alors depuis le début de l'année, près d'une trentaine de fourgons de patrouilleurs ont été heurtés.
00:24Et ce sont des métiers dont on parle peu et qui sont particulièrement exposés, Nathan Devers.
00:30Oui, je pense qu'il y a de manière globale en France, aujourd'hui, et le fait que vous mentionnez le prouve,
00:39un sujet sur la sécurité. Et ce sujet-là, il doit être abordé dans sa dimension la plus complète, la plus exhaustive,
00:48et il doit l'être sans idéologie.
00:50J'observe en France une certaine « maladie » consistant à croire qu'il y aurait des questions de gauche et de droite.
00:57Que donc la question des libertés, par exemple, serait à gauche, comme si la droite n'avait rien à dire là-dessus,
01:02comme si dans l'appareil idéologique de la droite, il n'y avait rien à dire qui défend la liberté,
01:07et inversement sur la sécurité. Et je pense que c'est très dangereux, cette logique.
01:12Parce que quand on rentre dans cette logique, on laisse le monopole d'une question, par exemple de la sécurité, à la droite,
01:19et évidemment que la droite, elle a peut-être dans son appareil idéologique des points forts qui permettent d'apporter des choses,
01:25mais elle a aussi des impensées. Et par exemple, il est vrai que ce serait intéressant d'entendre davantage une réponse de gauche
01:32qui prenne en compte véritablement le fait qu'il existe une situation difficile des forces de l'ordre,
01:39un ras-le-bol de plus en plus croissant des Français qui sont confrontés tous les jours à l'insécurité,
01:45soit par des événements, soit par la peur que ces événements arrivent, et que donc il faut prendre en charge cela.
01:51Et je pense qu'il existe des questions, et la question de la sécurité en fait partie,
01:55qui précèdent la différence droite-gauche, dans la mesure où elles sont constitutives de la vie ensemble.
02:01C'est fondamental en philosophie politique le fait que la sécurité est précisément le socle de l'État.
02:08Ce qui fait que moi, en tant que citoyen, j'accepte de renoncer à ma liberté naturelle,
02:13quand je sors dans la rue, de ne pas faire n'importe quoi, de ne pas agresser des gens.
02:17Ce qui fait cela, selon tous les théoriciens du contrat social, les Hobbes, etc.,
02:20c'est précisément que j'attends de l'État qui me protège contre la perspective de me faire agresser, de me faire assassiner, etc.
02:28Quand il arrive que cette transaction soit un peu minée, soit un peu corrodée, soit un peu fragilisée,
02:35évidemment que c'est un problème, et évidemment que les politiques, de droite comme de gauche, doivent s'en saisir.
02:40La sécurité routière, Gilles Boutin, sur ces accidents,
02:45alors les accidents à répétition dont on parle régulièrement dans l'actualité,
02:49mais qui touchent des personnes qui travaillent directement au quotidien auprès de ces automobilistes ?
02:55Pour prolonger ce que vous disiez, Nathan, ce que vous disiez, que cela posait la question in fine de ce qu'on est prêt à accepter collectivement,
03:02ça veut aussi dire que quelques personnes ne sont pas prêtes à l'accepter.
03:06Après, je ne veux pas généraliser, c'est-à-dire que quand il y a des accidents de fourgon,
03:09ça peut être un père de famille qui a trop regardé son GPS et qui n'a pas vu qu'il y avait une camionnette arrêtée.
03:17J'ai vu une vidéo d'ailleurs tout récemment qui a été diffusée avec deux semi-romans qui évitent au dernier moment une de ces camionnettes.
03:23Ils ne l'avaient pas vue parce qu'ils étaient sans doute fatigués.
03:25Donc, on ne va pas faire des procès en moralité à chaque personne qui était à l'origine d'un accident.
03:29Mais ça veut dire qu'il y a peut-être une sensibilisation qui ne fonctionne pas aujourd'hui ?
03:32Bien sûr, mais ce que je voulais dire, c'est que pour un certain nombre de personnes qui sont des délinquants au volant,
03:40typiquement pour le péage, cette femme qui a été tuée alors qu'elle aidait un motard,
03:44elle a été écrasée et la personne a fui.
03:47C'est-à-dire qu'à un moment donné, cette personne n'a pas eu de cas de conscience.
03:52Lorsque c'est intervenu avec mes collègues à la rédaction, on s'est interrogé.
03:56Est-ce qu'on sera dans un cas atypique où sous l'influence de son environnement, de sa famille,
04:03le chauffard va finalement se manifester ?
04:06Et ça, ça arrive assez régulièrement.
04:08Mais là non, ça veut dire que la personne considère qu'elle peut vivre avec la conscience qu'elle a tué quelqu'un
04:14et que ce n'est pas un problème et qu'elle va s'y soustraire.
04:16Donc ça crée une légère résonance avec le cas dont on parlait tout à l'heure à Marseille
04:20où on dispose des choses qu'on nous propose avec en plus une déconnexion du réel.
04:24C'est-à-dire qu'on a à disposition une route qui est bien entretenue,
04:27on a une voiture qui peut rouler vite et donc on en profite
04:30jusqu'à ce que le réel, on se le prenne en pleine calandre, si j'ose dire.
04:35Et à ce moment-là, vous avez deux comportements.
04:37Vous avez ceux qui ne sont pas prêts à assumer et qui ne voient pas le problème à ne pas assumer.
04:40Et vous avez ceux qui vivront avec ça, avec cette douloureuse culpabilité
04:47et qui deviendront peut-être eux-mêmes les plus grands défenseurs de la cause de la sécurité routière.
04:53En attendant, il est certain qu'il y a sans arrêt un combat inlassable avec des panneaux d'affichage,
04:58avec effectivement des mesures à dépolitiser, vous avez raison.
05:01Et on ne parviendra jamais à un résultat satisfaisant, mais il ne faut pas arrêter.
05:06Et je vous rappelais qu'il y en avait quand même un qui avait considérablement œuvré
05:10à l'amélioration des résultats, c'était Nicolas Sarkozy avec les radars.
05:13C'était un président de droite, un ministre à l'époque de l'intérieur de droite.
05:16Pour aller plus loin que les panneaux d'affichage, il y a justement une campagne en ce moment sur les routes
05:20intitulée « Quand allez-vous percuter ? », c'est l'opération choc du réseau Vinci Autoroute.
05:26Plusieurs fourgons accidentés sont exposés sur la route de vos vacances.
05:31C'est l'objectif, et évidemment vous l'avez compris, de sensibiliser les automobilistes
05:35aux dangers pris par les hommes en jaune pour notre sécurité à nous.
05:38C'est une bonne idée, selon vous, Nathan Devers ?
05:41Oui, c'est sans doute une bonne idée, parce que les comportements au volant,
05:46au-delà de toute question politique, et je trouve que vous l'avez montré de manière extrêmement précise et concrète,
05:53en fait posent une question morale.
05:55Quand vous avez des individus qui peuvent commettre des accidents,
06:00ça peut être fait de manière involontaire, ça peut être fait sous l'effet d'une forme d'inattention,
06:05ça peut être fait sous le fait aussi d'une forme de désinvolture, presque de bras d'honneur lancés à la société,
06:12qu'il puisse y avoir par exemple des gens, en effet, et ça arrive quand même assez régulièrement,
06:17qui prennent la fuite, qui s'en vont, qui n'en ont rien à faire des conséquences.
06:22Rien que de penser à ça, ça semble totalement surréaliste.
06:26Ça veut dire quoi ?
06:27Ça veut dire qu'au moment où vous avez un accident comme ça,
06:30vous ne vous arrêtez même pas pour voir ce qui s'est passé,
06:33c'est-à-dire que ça se trouve que la personne qui a fui n'a même pas constaté le décès de la personne.
06:38Ça veut dire exactement, et ça veut dire que quand vous tuez quelqu'un,
06:43enfin pas vous personnellement, c'est un vous général,
06:45le premier réflexe qui vous vient en tête est un réflexe égoïste de se dire je vais avoir des problèmes,
06:50je vais devoir avoir une enquête, je vais devoir perdre du temps,
06:53je vais avoir une sanction, je vais perdre mon permis.
06:56Être égoïste après le fait d'avoir tué quelqu'un sur la route par irresponsabilité,
07:01ça en dit très très long sur une forme d'immoralité.
07:04Je pense vraiment aussi qu'on devrait reposer en France, à nouveaux frais, la question morale.
07:11Qui parle de morale aujourd'hui dans le débat public ? Personne.
07:14Pour tout un tas de raisons.
07:15On est le quatrième pays le moins religieux du monde.
07:18On est un pays, et je pense que c'est heureux, qui a été en grande partie déserté par les idéologies
07:24à la fin du XXe siècle avec la chute du mur.
07:26On est un pays qui est gouverné comme tout l'Occident par la dictature du présent, des réseaux sociaux, etc.
07:33On est un pays, chez les juristes, où on est dans une logique où on a abandonné le juste naturalisme,
07:39l'idée que le droit devait être fondé sur la morale pour que le droit soit constitué en soi.
07:43Et finalement personne ne nous parle de morale, à part peut-être les moralistes.
07:46La nécessité de fonder une nouvelle morale, et je pense que le cas des automobilistes et des comportements sur la route
07:53et des comportements de la socialité primaire l'illustrent particulièrement, des incivilités, ce qu'on appelle comme ça,
07:58cette nécessité-là existe.
08:00Et il faudrait que quelqu'un la prenne à bras le corps et qu'il essaye de s'en saisir.
08:05La question de la morale, Gilles Boutin, c'est un sujet sur lequel on devrait s'attarder davantage ?
08:09On va sans doute me traiter de réac, mais j'aurais tendance à dire qu'effectivement la morale est morte.
08:14Et pour la réintroduire, il serait bon de changer ne serait-ce que les mots qu'on utilise.
08:20On a eu des cours de civisme, d'éducation civique, qui sont des mots qui ont un sens mais qui sont relativement creux,
08:28je pense, quand on est un jeune enfant ou adolescent.
08:32Le retour de la morale n'a rien de problématique, c'est un programme en soi, c'est ce qui donne une structure à tout le monde
08:41et c'est ce qui amène celui qui la reçoit à respecter celui qui la lui délivre.
08:45Et donc si on remet la morale au centre de tout, dans le discours politique, peut-être qu'on amorcera déjà un rebond.
08:51Et ça, ça va chercher très loin, c'est-à-dire également dans le cadre scolaire et puis avec tous les sujets sociétés dont on parle,
08:56ça aura peut-être des répercussions dans 5-10 ans à condition d'y mettre des moyens également.
09:00Est-ce qu'il n'y a pas aussi un problème, vous parlez de civisme,
09:03est-ce qu'il n'y a pas un problème avec la route dans sa globalité lorsqu'on constate le nombre d'incivilités répétées au volant ?
09:09On a l'impression que certaines personnes ne sont pas les mêmes lorsqu'elles sont au volant.
09:13Le mois dernier, un sondage Ipsos révélait que plus d'un français sur quatre jetait ses déchets par la fenêtre de la voiture.
09:20Non mais vous vous rendez compte ? C'est-à-dire qu'un français sur quatre, ces gens-là ne feraient pas ça dans la rue.
09:25On ne jette pas ses déchets dans la rue, mais parce qu'ils sont en voiture,
09:28et il n'y a qu'à regarder les bords d'autoroutes quand vous roulez, quand vous partez en vacances, c'est rempli de déchets.
09:32Ça paraît totalement dingue.
09:34Vous avez tout à fait raison, c'est très intéressant.
09:36Et c'est d'autant plus intéressant que l'automobile est la métaphore de la vision qu'on a longtemps eue en Occident de la liberté.
09:42Après, au moment des Trente Glorieuses, être libre quand on est citoyen, c'est avoir sa voiture et pouvoir filer n'importe où.
09:49Alors on comprend très bien ce que ça veut dire l'autonomie du mouvement, le fait de pouvoir aller dans n'importe quelle direction.
09:54Il y avait véritablement une représentation de la liberté qui est illustrée dans toute la culture, dans tout le cinéma aussi.
10:00Par exemple, vous le trouvez dans le film Playtime de Tati, cette représentation de l'automobile comme liberté.
10:06Et en effet, je pense qu'aujourd'hui...
10:08Jusqu'à dans les années 80 d'ailleurs.
10:09Exactement.
10:10Et il me semble qu'aujourd'hui, on prend conscience de deux choses qui sont séparées mais qui vont ensemble.
10:14L'une, c'est que la politique routière et que la vision de ces autoroutes ou du transport individuel qui était pensé dans les Trente Glorieuses
10:21est sans doute désuète parce que dangereuse pour l'environnement.
10:24Et l'autre, c'est que la représentation qu'on avait de la liberté dans les années 60, 70, 80 était sans doute une représentation un peu égoïste.
10:31Et peut-être que finalement, les deux vont de pair, l'égoïsme social et l'égoïsme de l'être humain qui dans une sorte d'hubris ne pense plus aux problèmes environnementaux.
10:40Merci Nathan Devers et merci Gilles Boutin.

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