• il y a 7 mois
Thomas Sotto reçoit Élisabeth Badinter, philosophe, dans les 4 vérités.

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00:00Bonjour et bienvenue dans les 4V, Elisabeth Badinter, merci de nous recevoir chez vous,
00:09tout près de ce bureau où vous travaillez, où vous réfléchissez, où vous écrivez.
00:14« Messieurs, encore un effort », c'est donc le titre du livre que vous venez de publier
00:17chez Flammarion Plon.
00:19Qu'est-ce que c'est que cet effort que vous nous demandez à nous les messieurs,
00:23Elisabeth Badinter ?
00:24C'est très simple.
00:25Je demande aux hommes aujourd'hui qui ont fait des efforts déjà depuis 50 ans, je
00:31leur demande de partager les charges familiales, ménagères, au fond les charges du privé
00:39avec leurs compagnes.
00:40Parce que ce que vous dites en gros dans ce bouquin, c'est que dans le monde du travail,
00:44ça progresse, on n'est pas encore à l'égalité homme-femme, mais vraiment il y a des vrais
00:47progrès.
00:48En revanche à la maison, on a encore les vieux schémas en tête et que l'inégalité la
00:51plus criante se joue à l'intérieur des foyers, dans la famille, c'est ça ?
00:54Absolument.
00:55Et pour la raison que l'État ne peut pas vraiment intervenir dans la vie privée des
01:00gens.
01:01C'est quand même mieux que l'État n'intervienne pas dans la vie privée des gens.
01:05Oui, absolument.
01:06Vous imaginez si on faisait des lois pour le partage de la vaisselle ?
01:09Non, mais je pense qu'il y a cet effort à faire qui est un effort de justice.
01:16Et tant que cet effort ne sera pas achevé, je crois que les femmes seront de plus en
01:23plus réticentes à faire plus d'enfants qu'elles n'en font.
01:29Et elles n'en font pas assez aujourd'hui pour le renouvellement de la population, vous
01:32en parlez aussi largement dans ce livre.
01:34Oui, mais je précise, les femmes ont tout pouvoir sur la reproduction, tout pouvoir
01:39sur leur corps et que personne au monde ne doit les forcer à faire des enfants d'aucune
01:45façon.
01:46De nous les hommes, vous dites en sorte que nous sommes des aidants.
01:48On veut bien aider, mais rarement partager.
01:50Vous prenez l'image du travailleur principal et du travailleur secondaire.
01:54En gros, si le principal n'est peu dispo, passe-moi un coup de fil, je vais te filer
01:57un coup de main.
01:58C'est ça l'idée ?
01:59Exactement.
02:00Déjà encore, c'est bien quand ça marche comme ça, quand déjà on accepte le coup
02:03de main.
02:04Ce n'est pas pareil partout.
02:05Mais je voulais juste préciser qu'on a des statistiques nationales sur ce que font
02:10les hommes et ce que font les femmes, mais c'est très inégal d'un foyer à l'autre.
02:14Il y a des hommes qui font beaucoup plus que d'autres et d'autres pas grand-chose.
02:18C'est une moyenne nationale, mais c'est un peu décourageant.
02:22Vous ne déclarez pas la guerre à tous les hommes ?
02:23Pas du tout.
02:24Vous écrivez dans une formule qui est assez rigolote « la capacité d'initiative ménagère
02:30ne semble pas inscrite dans notre ADN », à nous les hommes.
02:33Ce que vous nous dites aussi, Elisabeth Blainterre, c'est que la maternité ne doit pas être
02:37seulement un sujet pour les mères.
02:39Et ça, c'est vrai que moi, en tant qu'homme, ça m'a interpellé.
02:41On est mère, mais on est aussi une autre personne qui est la femme, c'est-à-dire
02:45qu'on a, en tant que femme, des intérêts personnels, des intérêts professionnels,
02:49une volonté d'indépendance financière.
02:51Malheureusement, encore aujourd'hui, non seulement dans des pays qui ont d'autres
02:58cultures, mais ici aussi, quelque part, ça ne choque pas vraiment les hommes que les
03:05femmes fassent la double journée de travail.
03:08C'est tout simplement considéré comme normal.
03:09Il y a quelque chose qui m'a quand même interpellé.
03:12Dans le rapport à l'enfant, vous faites en gros deux colonnes.
03:15Vous faites la colonne des plaisirs et la colonne des peines.
03:17J'ai trouvé ce regard un peu clinique, voire un peu cynique.
03:21Je trouve que c'est presque une approche comptable du vivre ensemble à la maison.
03:24Mais ce n'est pas moi qui dis ça.
03:25Ce sont les femmes d'aujourd'hui qui font ce calcul des plaisirs et des peines.
03:30Pourquoi ? Parce que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, depuis
03:35les années 70, les femmes ont la maîtrise absolue de faire un enfant.
03:40Il y a ce problème, c'est qu'en même temps, les femmes, comme les hommes d'ailleurs,
03:48veulent absolument une vie différente, une vie d'épanouissement personnel où on n'est
03:54pas stressé, où on n'a pas toutes ces petites tâches qui vous gâchent la vie.
03:57On a un principe éducatif dominant en ce moment, surtout dans les classes plus favorisées,
04:06d'une éducation absolument bienveillante, où il n'est pas question ni de se fâcher,
04:15ni de punir, même si l'enfant se comporte avec très capricieux, et c'est insupportable
04:21pour les mères.
04:22Comment voulez-vous faire ? Vous rentrez du travail à 8h ou à 6h, et vous devez pendant
04:27des heures qui suivent être là expliquer à un petit qui braille qu'il a tout à fait
04:32raison.
04:34Le petit, vous lui en voulez très tôt, puisque vous dites que pendant la grossesse, l'embryon
04:40devient le patron.
04:41Vous remettez en cause les injonctions à ne pas boire, à ne pas fumer, à ne pas faire
04:44n'importe quoi pendant la grossesse, en même temps, aujourd'hui, avec tout ce qu'on sait,
04:48tout ce que la médecine sait, ce serait criminel, Elisabeth Badinter, de fumer ou de picoler
04:53pendant qu'on est enceinte.
04:54Ça, c'est vous qui le dites, les médecins, je suis d'accord, je trouve que c'est un peu
04:57excessif.
04:58Aussitôt qu'on est déclaré enceinte, plus un verre de vin de temps en temps, plus une
05:05cigarette de temps en temps, on est vraiment, d'une certaine façon, esclaves de cette condition.
05:13Et de mon temps, c'est-à-dire dans les années 70, ça n'existait pas tout ça, et ça s'est
05:20pas si mal passé.
05:21Vous, si vous étiez enceinte aujourd'hui, vous pensiez que vous ne… Vous prendriez
05:24un petit verre de vin et une petite cigarette de temps en temps ?
05:26Je confesse, oui.
05:27Vous pourriez résister à cette injonction médicale ?
05:30Oui.
05:31Oui.
05:32Vous parlez aussi des femmes qui n'hésitent plus à dire leurs regrets d'avoir eu des
05:36enfants.
05:37Vous êtes mère.
05:38Est-ce que vous, vous avez déjà eu des regrets d'avoir des enfants ?
05:40Non.
05:41Mais j'ai aussi été mère dans des conditions quand même assez favorisées.
05:46Non, au contraire, je voulais des enfants, mais en même temps, je ne me posais pas la
05:52question de ne pas en avoir.
05:54C'était naturel, c'était comme ça, et ça s'est très bien passé.
05:59Et vous les comprenez aujourd'hui ces femmes qui ne veulent pas être mère ?
06:02Absolument.
06:03Absolument.
06:04Dans les conditions où nous sommes aujourd'hui, en tant que femmes qui travaillent, voilà.
06:10Oui, je les comprends très bien.
06:12Je préfère mille fois qu'on ne fasse pas d'enfants que de faire des enfants qu'on
06:18ne peut pas assumer.
06:19On ne sait pas d'avance le poids que ça va représenter, mais deux minutes de réflexion
06:25ou plutôt deux heures, c'est facile de voir tout ce qu'une femme a à faire pour
06:29être une bonne mère, et il n'y a pas de bonne mère.
06:32Et qu'est-ce que vous dites à celles et à ceux d'ailleurs, parce que c'est aussi
06:35des questions d'hommes ça, je ne veux pas d'enfant parce que le monde qu'on va leur
06:39laisser ne va pas, parce qu'il est trop compliqué, parce qu'on ne peut pas les laisser dans
06:42cet univers-là.
06:43Mais je respecte.
06:45Les personnes qui pensent ça n'ont pas tout à fait tort d'être méfiants à l'égard
06:49du futur.
06:50Je comprends.
06:51Je ne juge pas.
06:52Quand on a un couple qui n'a pas d'enfant, c'est le modèle le plus égalitaire, qui
06:57est le plus proche de l'égalité du couple.
06:59Le Point faisait il y a quelques jours sa une avec ce titre, « Femmes, hommes, la défiance
07:04». Vous y étiez interviewé et vous y disiez que les néo-féministes n'ont pas fait
07:08progresser l'égalité.
07:09Est-ce que vous êtes encore féministe au sens 2024 du terme, dans tout ce que ce terme
07:13peut comporter de radicalité aujourd'hui ?
07:15Pas du tout.
07:16Pas du tout.
07:17Je trouve que c'est effectivement important qu'on combatte les violences sexuelles.
07:24Très important.
07:25Et que ça a quand même été un sujet tabou pendant très longtemps.
07:27Pour autant, ça ne change pas le quotidien des femmes.
07:32L'immense majorité des femmes se trouve dans des conditions quotidiennes qui sont
07:37difficiles.
07:38Et on ne s'en occupe pas.
07:39Voilà.
07:40C'est comme si ça n'intéressait personne.
07:42Face au problème de natalité qui nous touche, et qui touche encore de manière plus dramatique,
07:46vous en parlez, l'Italie, la Corée du Sud où le taux de natalité est catastrophique,
07:50Emmanuel Macron a appelé à un réarmement démographique.
07:53Comment faire pour freiner les effets de la dénatalité tout en respectant les droits
07:57des femmes, les droits légitimes des femmes ? Est-ce que ce n'est pas là la quadrature
07:59du cercle ?
08:00C'est pour ça que je dis que c'est à vous, les hommes, de faire un effort.
08:04Ce n'est plus aux femmes.
08:06C'est à nous de faire un effort ?
08:07Oui.
08:08C'est à nous de faire la vaisselle ?
08:09Non, de partager.
08:10De partager.
08:12Ce n'est pas toujours elle qui va penser aux vaccins du petit, aux chaussures qui sont
08:17trop petites, etc.
08:18C'est le fait de la répétition quotidienne, de ces centaines de petites obligations importantes.
08:25C'est la charge mentale.
08:26C'est la charge mentale.
08:27Et moi, ça ne me fait pas rire, la charge mentale, alors que je vois que ça fait beaucoup
08:30rire certains hommes.
08:31Pourquoi ?
08:32Parce qu'ils trouvent que c'est chichi, que c'est vraiment féministe, idiot.
08:37La charge mentale, ça suscite trop souvent le ricanement.
08:41C'est des gens qui n'ont pas d'enfants qui doivent penser ça, j'imagine.
08:43À peu près.
08:44J'ai une dernière question qui concerne le rappeur iranien Toumach Salehi.
08:48C'est un jeune artiste de 33 ans qui est engagé courageusement contre le pouvoir en
08:51place et qui soutient le mouvement de révolte des femmes en Iran.
08:54Ça lui vaut aujourd'hui d'être condamné à mort.
08:57Vous avez co-signé, il y a quelques jours, une tribune dans Le Monde pour nous éveiller,
09:01nous réveiller sur son sort.
09:02Quel est le message que vous voulez faire passer ? Vous en appelez à qui ce matin ?
09:06Aux démocrates, aux démocraties qui ne bougent pas.
09:09Je suis très surprise que certaines guerres suscitent une vraie militance, je dirais,
09:17et que là, personne ne bouge.
09:19Vous pensez à qui ? À Emmanuel Macron, au chef d'État, aux artistes qui doivent se mobiliser ?
09:22Non, non, aux populations, aux militants, aux universitaires.
09:26Je n'entends rien.
09:27Et en particulier, des néo-féministes.
09:30Les nouvelles féministes étant prises dans l'intersectionnalité des luttes, comme on dit,
09:35elles ne bougent pas.
09:36Jamais un mot, jamais une manifestation, parce que ce sont des femmes d'origine musulmane
09:41et qu'on ne touche pas aux régimes qui sont musulmans.
09:45S'il y avait une manifestation demain pour essayer de sauver ce jeune homme,
09:47vous seriez dans la rue ?
09:48Ah oui.
09:49Merci beaucoup, Elisabeth Beninter, de nous avoir reçus chez vous.
09:51Messieurs, encore un effort promis.
09:53On va essayer de le faire, je vous promets.
09:55Votre dernier livre qui est publié chez Flammarion et chez Pélon.
09:57Merci infiniment.
09:58Merci.