À 9h05, les débatteurs du jour sont Éric Neuhoff x Thomas Legrand. Débat consacré au cinquantenaire du décès du Président Georges Pompidou, le 2 avril 1974.
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00:00 Débat ce matin sur la nostalgie Pompidou qui semble emporter une partie de la France
00:05 et pas seulement la droite et le Figaro.
00:07 50 ans aujourd'hui après sa mort, une partie du pays semble regarder les 30 glorieuses
00:15 avec douceur et nostalgie.
00:17 Alors, était-ce vraiment mieux sous Pompidou ? Ou sommes-nous victimes d'une idéalisation
00:23 a posteriori ? On va en débattre avec Eric Nehoff du Figaro.
00:28 Et avec Thomas Legrand, chroniqueur à Libération, producteur d'enquêtes de politique sur
00:33 Inter.
00:34 Bonjour à tous les deux.
00:35 Merci d'être là.
00:36 On a reçu la semaine dernière David Lissnard, le maire de Cannes, le président de la MF
00:40 qui vient d'écrire un livre sur Pompidou et sur les leçons qu'il pouvait livrer
00:46 à la France d'aujourd'hui.
00:47 Alors, l'un et l'autre, comprenez-vous cette Pompidou-mania où vous la trouvez
00:51 anachronique, baroque, à côté de la plaque tout simplement ? Thomas Legrand ?
00:56 Je la comprends parce que pour Eric et moi, en tout cas, Eric Nehoff et moi, c'est quand
01:01 on était jeunes.
01:02 On était enfants.
01:03 Enfin, moi j'étais un peu plus jeune que lui.
01:05 Moi j'étais enfant et donc c'est ma jeunesse.
01:07 Et donc, j'ai cette nostalgie.
01:10 Mais elle m'amuse beaucoup et j'ai écouté effectivement David Lissnard qui est le représentant
01:15 de la droite libérale à LR.
01:16 C'est l'aile libérale.
01:17 Et Pompidou qui l'adule.
01:20 Alors, son livre est plus fin que ça quand même à David Lissnard.
01:23 Mais Pompidou qui l'adule quand même, c'était le président d'une France où toutes les
01:28 entreprises d'énergie étaient publiques.
01:30 C'était un capitalisme étatique.
01:33 Il y avait un plan quinquennal qui était beaucoup plus qu'indicatif.
01:36 Si Pompidou, le président, décidait de faire une ligne de chemin de fer entre Paris et
01:42 Toulouse, il prenait une règle, il tirait un trait et puis ça se faisait.
01:45 Pas d'ozone humide, pas de concurrence.
01:48 On mettait un train de la SNCF fabriqué en France et c'était facile.
01:52 Il y avait tout le pouvoir et c'était public.
01:55 C'était une sorte d'étatisme, c'était du dirigisme.
01:59 Et alors aujourd'hui, c'est le parangon de tous les libéraux.
02:03 Donc ça m'amuse beaucoup.
02:04 C'était le bon temps, Eric Neuf ?
02:06 Oui, c'était tellement le bon temps que je crois que si j'avais eu l'âge à l'époque,
02:09 j'aurais pu voter pour un banquier d'affaires à cause de lui.
02:12 C'est pas si courant.
02:14 Et puis c'était une personnalité.
02:16 Il n'y a pas eu beaucoup de présidents qui aient publié une anthologie de la poésie
02:20 française qui était excellente.
02:21 Et ça lui a permis, entre autres, dans la fameuse conférence où on lui a posé une
02:25 question sur Gabriel Russier, cette prof qui s'était suicidée parce qu'elle avait couché
02:30 avec un de ses élèves, il a cité du Paul-Éluard et c'est absolument magnifique.
02:35 Mais c'était aussi un gars capable, quand il était Premier ministre, à l'Assemblée
02:39 nationale, de parler des cactus de Jacques Dutronc.
02:42 Donc c'était un homme cultivé, drôle, une personnalité, toujours la clope au bec.
02:47 Et il représentait tellement bien la France qu'aujourd'hui la nostalgie est patente un
02:54 peu partout.
02:55 Mais est-ce que c'est pas ça justement, on revient toujours à l'anthologie de la poésie
02:58 française et au fait qu'il citait les Verdés-Éluard dans ses conférences de presse, est-ce que
03:01 c'est pas ça au fond dont on est le plus nostalgique aujourd'hui en comparaison avec
03:06 la classe politique actuelle ?
03:07 Il ne s'agit pas d'agoniser, c'est une autre époque, etc.
03:13 Mais est-ce que c'est pas ça qui manque le plus ?
03:15 C'est-à-dire les réunitions, la référence à la culture ?
03:18 Oui, une culture très classique et en même temps, il avait une culture très classique
03:23 et très verticale.
03:24 Et en même temps, il était ouvert sur la modernité, le centre Pompidou, son amitié
03:29 avec Soulages ou avec Vasarely, bien sûr.
03:31 Mais moi je pense qu'on regrette surtout une époque, c'était la fin des Transglorieuses,
03:37 on l'a beaucoup dit.
03:38 Juste après sa mort, c'est un peu par hasard et concomitant, juste avant sa mort, il y
03:44 a eu le premier choc pétrolier, le deuxième en 1976 et puis on rentre dans l'époque
03:49 du chômage, 1973 et 1976.
03:53 Enfin bref, c'est la fin d'une époque, la fin des Transglorieuses.
03:58 Mais il y a aussi ce mot qui revient beaucoup parce que Emmanuel Macron est fan de Pompidou,
04:07 il n'emmerdait pas les Français.
04:08 On n'emmerde pas les Français, c'était la bagnole.
04:11 C'était une époque où on ne se rendait pas compte, on disait et il était assez visionnaire
04:18 pour l'industrie, mais en même temps s'il n'était pas mort en 1974, le canal de Lourdes
04:25 qui est le canal de Saint-Martin serait, dans toutes les villes c'était pareil, serait
04:30 des autoroutes urbaines.
04:31 Il a nommé le premier ministre de l'environnement, première fois qu'il y avait un ministre
04:38 de l'environnement, ministre du cadre de vie.
04:40 Donc il avait cette intuition-là, mais en même temps c'était quand même la fin d'une
04:44 époque gloutonne, une époque dont on paye quand même les pots cassés aujourd'hui.
04:49 - Les années Pompidou sont aussi des images et des sons, celles des films de Truffaut,
04:54 Romère, Sauter, Chabrol, Les deux Funès, les radioscopies de Jacques Chancel.
04:59 - La 7ème compagnie, les Charleaux.
05:01 - Ah oui, très important.
05:02 Modiano et Sagan aussi, nous disiez-vous Eric Nehoff en préparant ce débat.
05:08 Époque aussi pendant laquelle vous écoutiez beaucoup France Inter, vous nous l'avez dit.
05:13 - Oui, c'est vrai.
05:14 Je confesse, je vais être viré de mon journal.
05:17 - Mais tout le Figaro écoute France Inter, c'est ça la vérité, on peut le dire.
05:22 - Un peu moins, parce qu'à l'époque à 9h vous aviez une magazine de Pierre Bouteillet,
05:26 à 5h, radioscopie.
05:27 À 8h du soir, Claude Villers et Pat Panique avec ce fameux feuilleton, Adolphe, le petit
05:33 peintre viennois, et une voix gueulait en arrière-plan avec du beurre, la confiture,
05:38 et on entendait des vannes comme "Tu te souviens Benito quand le prof de gym nous disait "A
05:42 la douche, à la douche" ?"
05:43 - Oui, ça j'imagine plus aujourd'hui.
05:46 - Vous aviez le Pop Club à 10h du soir, et le dimanche, en direct, sans podcast, les
05:51 grandes heures du Masque à la Plume.
05:53 - En fait, on parle de notre jeunesse, c'est ça.
05:54 - Oui, et puis c'est surtout les années Pompidou que vous évoquiez le cinéma.
05:58 Au hasard, j'ai pris l'année 72.
06:00 Qu'est-ce qu'il est sorti au cinéma ?
06:02 Côté français, Le Grand Blond, César et Rosalie, L'Aventure c'est l'Aventure,
06:06 L'Attentat, Le Dernier Tango, L'Amour l'après-midi, Nous ne vieillirons pas ensemble,
06:11 Le charme discret de la bourgeoisie, Un flic, Tout le monde il est beau, tout le monde il
06:14 est gentil.
06:15 En étranger, Le Parrain, Frenzy, Délivrance, Aguirre, Guet-apens, Jeremia Johnson, Orange
06:21 Mécanique, Crier chuchotement, Le Limier et La Ferme à Thaï.
06:25 Et bien si vous jouez à ça avec 2023, vous allez trouver des résultats beaucoup moins
06:29 bien.
06:30 - Dans tous ces films, on avait Piccoli qui fumait une clope assise sur un lit d'hôpital
06:35 par exemple, où on avait ça fonçait en bagnole, sans ceinture.
06:39 - Et on roulait à moto sans casque.
06:43 - Voilà, donc on disait, il n'emmerdait pas les français, il faut se souvenir qu'il
06:45 y avait deux fois moins de voitures, mais il y avait 15 000 morts par an en voiture.
06:48 - Donc ce n'était pas forcément mieux avant, même s'il vient de nous sortir la liste
06:53 des aux sorties en 72.
06:54 - On est très content d'avoir tous ces films.
06:57 Et souvent, ce sont des films qui racontent une société dure, ce sont des films contestataires,
07:03 ce ne sont pas des films qui montrent une société toute rose.
07:07 Ce n'est pas des films forcément optimistes, alors que l'époque était plutôt optimiste.
07:10 Il y a beaucoup de films sur la bourgeoisie, pas simplement de la nouvelle vague d'ailleurs.
07:14 - Les chabrols.
07:15 - Les chabrols sont très durs.
07:17 Donc c'est plus nuancé.
07:19 - Alors il était moderne ou conservateur ?
07:21 - Conservateur, éclairé, on pourrait dire.
07:23 - Vous êtes d'accord ?
07:24 - Un honnête homme, comme on disait.
07:26 Sa culture lui permettait.
07:27 Et puis en plus, il y avait quelque chose de vachement bien, c'est qu'on se sentait
07:31 protégé par ces gouvernants.
07:34 - Enfin oui.
07:35 - Ah si, si, parce qu'ils avaient tous cela.
07:36 - Ils se sentaient bloqués aussi.
07:37 - Plus ou moins.
07:38 Donc on se disait, on peut foutre le bordel, on peut manifester, si ça va devenir trop
07:42 grave.
07:43 - Un sentiment de sécurité.
07:44 - Oui.
07:45 Alors qu'aujourd'hui, le moindre gilet jaune peut mettre la France à feu et à sang.
07:47 Et ce qui permettait aussi à Pompidou de nommer Druan ministre de la culture, qui osait
07:52 dire aux artistes, va falloir choisir entre la sébille et le cocktail molotov.
07:55 Alors qu'aujourd'hui, tous les ministres sont terrorisés par tout ce qui peut leur
07:59 tomber dessus.
08:00 C'était formidable ça.
08:02 Et les émissions de télévision étaient pour la plupart en direct.
08:05 Alors qu'aujourd'hui, il y en a 4%.
08:07 Ce qui a permis de voir Maurice Clavell quitter le plateau d'Armes Égales en disant "Messieurs
08:12 les censeurs, bonsoir".
08:14 Même les émissions de variété du samedi soir, Mariti et Gilbert Carpentier, c'était
08:19 en direct.
08:20 On a du mal à croire ça.
08:21 - Oui, et ça ne l'est plus.
08:22 - C'est vrai.
08:23 C'est aussi lui qui disait que les journalistes du service public devaient être la voix
08:27 de la France.
08:28 Et puis, il n'a pas libéralisé les ondes.
08:32 - Il ne pouvait pas tout faire.
08:33 - Il ne pouvait pas tout faire.
08:34 Et c'était un conservateur.
08:35 - Il a inventé le quinquennat.
08:36 - Il avait les idées ouvertes, mais il pensait que ce n'était pas à l'État de faire
08:43 les pas.
08:44 C'est en ça que c'était un conservateur.
08:45 C'est la société qui devait avancer, mais pas à l'État et aux législateurs de faire
08:51 avancer la société.
08:52 C'est pour ça qu'il n'y a pas eu l'avortement.
08:54 Il a fallu attendre la mort de Pompidou pour le droit à l'avortement.
09:00 - Qu'est-ce qui reste de Pompidou aujourd'hui ?
09:02 Qu'est-ce que vous retenez ?
09:03 Qu'est-ce qui reste dans la France de 2024 de Pompidou ?
09:05 - Une France qui parlait un français merveilleux.
09:08 - Qu'est-ce qui reste aujourd'hui ?
09:09 Ne me rappelez pas ce qu'il y avait avant.
09:11 - La nostalgie.
09:12 - Qu'est-ce qui reste de Pompidou ?
09:13 - La nostalgie.
09:14 - A part la nostalgie, il reste quoi ?
09:16 - C'était une France où le parvis de Notre-Dame était un parking aussi.
09:20 - Oui, mais il n'y avait pas Burène non plus.
09:22 - Burène, il vient un peu pour quelque chose.
09:27 - Je sais, parce qu'il avait des goûts en art contemporain qui étaient un peu spéciaux.
09:31 On lui doit Beaubourg.
09:33 Mais c'était un type inclassable.
09:35 C'était un copain de sa grande.
09:36 Il roulait en Porsche.
09:38 Il faisait un tas de trucs.
09:40 - Qu'est-ce qui reste ?
09:41 Je pense qu'il y a une nécessité de planification qui revient.
09:46 On se dit, pour d'autres raisons maintenant, pour l'écologie.
09:50 Mais lui, il maintenait dans son livre "Les Neugordiens", paru en 1974,
09:58 il a une vision économique.
10:01 C'était un autodidacte de l'économie.
10:03 Ce n'est pas sa formation.
10:04 C'était un littéraire, un normalien.
10:06 Mais il théorisait l'économie mixte entre le privé.
10:11 Il était d'une certaine façon libéral.
10:14 Mais c'était un libéral prêt-hatcherien.
10:16 Pas du tout pour retirer l'État de partout.
10:19 Pour lui, l'État n'était pas le problème.
10:21 C'était la solution aussi.
10:22 Mais un État ouvert et attentif à l'avenir.
10:25 C'est peut-être dans l'idée d'une planification de l'avenir,
10:28 avec l'idée du moyen terme,
10:31 qu'on peut aller chercher les bons côtés de Pompidou.
10:33 - Emmanuel Macron l'avait qualifié en 2019, dans ce très bon journal qu'est le Figaro,
10:38 de "président le plus accompli de la Ve République".
10:42 De Gaulle mis à part.
10:44 Il s'est réapproprié les mots qu'on a cités,
10:47 "arrêtez d'emmerder les Français" ou "les Français adorent la bagnole".
10:50 Outre le fait qu'ils ont été tous les deux banquiers d'affaires,
10:54 est-ce que vous voyez, Éric Nehoff, une comparaison, une filiation,
10:58 un lien entre Pompidou et Macron ?
11:00 L'opinion titre ce matin "Macron et les fantômes des anciens présidents".
11:04 - Pas vraiment, non.
11:06 Parce que Pompidou était voisin de sa gare à Cajar.
11:09 Et Macron est suivi par Philippe Besson.
11:12 Donc vous me permettez de dire qu'on a un peu baissé de niveau.
11:15 - Ah bah il va être content Besson.
11:17 - Non, il y a un reproche à lui faire Pompidou,
11:20 c'est que c'est quand même le moment où la France a basculé
11:23 dans la société de consommation.
11:25 Et ça c'est quand même un truc qu'on peut...
11:28 - Ah bah il voulait le bonheur des Français.
11:30 On dit que De Gaulle c'était le président de la France.
11:34 Et lui le président des Français.
11:36 De Gaulle a été mis en bas d'otage en 65
11:38 parce qu'il parlait que de la France, il parlait pas les Français.
11:41 Pompidou s'est mis à parler des Français.
11:43 Et il pensait que le bonheur, puisque c'était la croissance,
11:46 on avait 5% de croissance.
11:47 - C'était la machine à laver.
11:48 - C'était la machine à laver.
11:49 C'est vrai que c'était une période où la France s'est équipée.
11:54 Mais bon, c'était une période de plastique orange et de Tergal.
11:58 - Oui, il y avait pas de Thomas F. Gall.
11:59 Aucun lycéen ne sera allé manifester pour sa retraite future.
12:02 Tout le monde s'en foutait.
12:04 - Merci à tous les deux en tout cas.
12:06 Éric Neuf, journaliste au Figaro,
12:08 Thomas Legrand, chroniqueur à Libération,
12:10 enquête de politique sur Inter.
12:13 Je renvoie au Dictionnaire Pompidou
12:15 que publie les éditions Robert Laffont
12:18 avec l'Institut Georges Pompidou.
12:20 Énorme pavé sous la direction de Christine Manigan et d'Olivier Sibre.
12:26 Merci encore.