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Anne Fulda reçoit Jean-Paul Enthoven pour son livre «Si le soleil s’en souvient» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 - Bienvenue à l'Heure des livres, Jean-Paul Enthoven.
00:02 Alors, vous êtes éditeur, vous êtes écrivain.
00:05 Vous venez d'écrire un très beau livre,
00:06 "Si le soleil s'en souvient", un livre qui est paru chez Grasset.
00:09 Un livre qui s'approche de ce qu'on nomme un peu pompeusant,
00:12 mais c'est vrai, "La vérité d'un homme",
00:14 écriture enflammée, brutale, parfois solaire,
00:18 entre le roman et l'autobiographie.
00:20 Vous en venez, en effet, dans ce livre, à évoquer
00:23 ce que Camus appelait le premier homme.
00:25 Camus qui venait en Algérie, comme vous.
00:28 Pourquoi vous avez mis tant de temps à évoquer vos origines ?
00:32 - Oh, c'est compliqué, ce genre d'affaires, vous savez.
00:37 Le fond du problème, c'est que je n'ai pas aimé mon enfance,
00:44 bien qu'elle ait été pleine de sensualité, de lumière et d'amour.
00:48 Mais le destin m'avait jeté sur une terre,
00:53 l'Algérie, qui était alors française.
00:56 Et entre la bêtise des uns et la bêtise des autres,
01:02 la violence de chaque partie de la société,
01:06 je suis fauquée.
01:07 Et il fallait que je naisse une seconde fois.
01:10 On va dire que le général de Gaulle a été ma seconde nourrice,
01:15 puisqu'il m'a permis de fuir ce pays maudit.
01:20 Donc, je n'ai pas du tout écrit par nostalgie.
01:23 Je n'aime pas la littérature de l'enfance.
01:26 À part quand c'est proust.
01:27 Mais sinon, j'avais besoin de naître une seconde fois.
01:32 Et ça prend du temps de naître une seconde fois, vous savez.
01:36 - Vous le disiez, vous évoquez un petit monde qui est en voie de finition,
01:43 entre guillemets.
01:44 - L'agonie.
01:45 - L'agonie.
01:46 Et symboliquement, vous parlez de votre père, de votre mère.
01:50 Et il y a votre père qui a une salle de cinéma.
01:54 Il doit faire l'inauguration d'une salle de cinéma à Mascara.
01:57 Et c'est une inauguration qui se termine dans le sang,
02:00 qui est symbolique de ce qu'est l'Algérie française.
02:04 - Symbolique et réelle.
02:05 - Et réelle.
02:06 - Oui, c'est une histoire folle.
02:10 Le film d'inauguration, c'était "Moby Dick",
02:15 le film de John Huston, d'après le roman de Melville.
02:20 Et évidemment, dans la bêtise coloniale,
02:24 ce "Moby Dick" est devenu "Mody Bic".
02:27 Vous voyez le jeu de mots sordide.
02:30 Et de la violence s'en est suivi.
02:33 Il y a eu des morts.
02:34 Il y a eu mon petit Bataclan, si j'ai pu dire.
02:38 Et voilà.
02:41 Et tout ça m'a amené à Herman Melville, finalement.
02:44 Et Herman Melville m'a amené à la littérature.
02:47 Donc, de ce malheur est née ma passion pour la littérature.
02:55 - Alors, vous évoquez aussi, en fait,
02:59 cette espèce de honte que vous aviez de vos origines.
03:04 Il y a un article de l'Express qui a titré "Antoven sans mascara".
03:08 "Mascara, c'est la ville où vous êtes né".
03:09 Et c'est une manière de...
03:10 Aussi, une façon de dire sans maquillage, sans les phares.
03:14 Les masques tombent.
03:15 - Oui, mais c'est dans la tête des gens.
03:17 Ça, je n'ai jamais eu honte.
03:18 C'est dans la tête des gens.
03:19 Comme les gens me prenaient pour qui je n'étais pas,
03:22 c'est-à-dire un bourgeois dandille né dans les bons arrondissements,
03:28 ayant fait les bonnes études.
03:30 C'est eux qui fantasmaient mon existence.
03:32 Mais je n'ai jamais cherché à dissimuler quoi que ce soit.
03:36 Au contraire, je n'en étais pas fier, mais je n'en étais pas honteux.
03:39 Je déteste ce mot "honteux".
03:41 Je crois que je n'ai eu honte de rien dans ma vie.
03:44 Donc, je n'aime pas qu'on me prête ce sentiment.
03:48 - Non, mais vous dites quand même dans le livre vous-même
03:50 que parfois vous vous êtes fait passer pour qui vous n'étiez pas.
03:52 - Ah, mais attendez, non, non.
03:54 C'est-à-dire que je n'avais pas un étendard.
03:57 Il y a des gens, par rapport à cette question de l'Algérie française,
04:00 qui se complaisent dans la revendication.
04:03 Il y a des films, il y a des chansons, il y a toute une littérature.
04:08 C'était pas la mienne, bien sûr, mais je ne m'en cachais pas.
04:14 Je ne m'en cachais pas.
04:15 On sait très bien que je travaillais avec Jean Daniel,
04:17 qui était camusien par excellence.
04:20 Donc, pas de honte, non, mais une colère,
04:26 colère contre cette erreur de destination.
04:31 - Et une drôle de relation au réel, ce que vous dites vous-même, d'ailleurs.
04:36 Vous décrivez notamment votre père, Edmond, la figure de votre père.
04:39 Puis il y a un dialogue assez amusant,
04:41 parce que vous dites un homme puissant qui ne s'en laissait pas compter,
04:43 un sudiste sensuel, un sosie de Grégory Peck.
04:47 Et votre autre mémoire dit non, ce n'était pas exactement comme ça.
04:52 Parce que vous avez deux mémoires.
04:53 - Oui, parce que d'abord, je dis à un moment donné que j'ai deux mémoires
04:57 comme tout le monde.
04:58 Et j'ai voulu jouer sur l'autofiction, bien sûr.
05:02 Et je suis pour que les fils, quand ils écrivent sur leur père,
05:08 je suis pour qu'ils surclassent leur père.
05:11 C'est ce à quoi je me suis employé.
05:14 Mais rassurez-vous, mon père n'avait pas besoin d'être surclassé.
05:17 Il était magnifique.
05:18 Et même si je l'embellis dans des coins de pages ou de paragraphes,
05:23 croyez-moi, il était assez impressionnant.
05:27 - Alors, vous dites néanmoins que vous êtes un adepte du mentir vrai.
05:32 Et finalement, est-ce que ce n'est pas le propre du remonté ?
05:34 - Ah, c'est totalement, c'est la définition même de la littérature.
05:38 Comment dire ? La littérature, c'est quand la réalité vous semble insuffisante.
05:43 Et très souvent, je ne vois pas comment on peut faire de la littérature
05:49 sans se faire mentir vrai, qu'Aragon a un peu théorisé.
05:55 Mais c'est un exercice qui vous met en paix avec vous-même.
06:01 - En tout cas, vous le réussissez très bien.
06:04 Je vous conseille vraiment de lire "Si le soleil s'en souvient".
06:07 C'est donc paru chez Grasset.
06:08 Merci beaucoup, Jean-Paul Enthoven.
06:09 - Merci, Anne.
06:11 [Musique]
06:14 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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