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00:00 Elle est la seule à prononcer le mot "connard".
00:02 Précédemment, ce qui lui a été dit, c'est qu'il était tellement intelligent, tellement cultivé.
00:07 C'est ça qui est dit tout le temps.
00:10 Tout le temps, tout le temps, tout le temps.
00:12 Léonor dit à un moment "mais c'est qui ce type ?"
00:15 Inceste, c'est un mot et un sujet que Christine Angot tente de faire entendre depuis 30 ans.
00:19 Après des décennies de moqueries sur les plateaux, de critiques dans les journaux
00:23 et surtout de silence et de rejet par ses proches,
00:26 avec son film "Une famille", elle n'hésite pas à forcer le passage et à faire ce qui est nécessaire,
00:30 avoir une discussion et reconnaître l'impact de l'inceste en France.
00:34 Je dis que c'est moi.
00:36 Je dis que c'est moi ou tu sois.
00:38 Oui bonjour, c'est Christine.
00:41 Au départ, je me retrouve sur un lieu qui est Strasbourg,
00:46 qui n'est pas un lieu du tout anodin ni facile pour moi,
00:50 puisque c'est la ville de mon père qui est mort maintenant et qui m'a fait subir un inceste.
00:57 Et cette ville où sa femme et ses enfants vivent toujours,
01:02 qui font partie de l'histoire, nécessairement.
01:06 Ce n'est pas juste une personne, victime, un qui est mort et s'est classé et retourne la page.
01:13 Non, ce n'est pas ça.
01:14 Il y a aussi une famille et une société autour.
01:18 Sans quoi on ne peut rien comprendre à ce qu'est l'inceste.
01:21 À partir de certains grands traumatismes,
01:23 on considère que la seule personne qui est sommée de parler,
01:28 c'est la victime.
01:29 Toujours, toujours, toujours.
01:31 Alors oui, bien sûr, elle ne se défile pas la victime en général.
01:35 Quant à l'auteur des faits, que les qualifications juridiques permettent de l'interroger,
01:40 on va voir ce qui peut se passer, et c'est quand même rarissime.
01:43 Mais et tous les autres ?
01:45 C'est comme s'ils étaient des gens extérieurs, qu'ils ne sont pas.
01:50 Les gens ne peuvent pas s'exonérer indéfiniment de ne pas se sentir concerné,
01:54 alors qu'ils le sont intimement.
01:57 Il y a des gens qui ont su, ça c'est clair et net,
02:00 et qui n'ont jamais éprouvé la nécessité de m'en dire quelque chose.
02:07 Jamais.
02:07 Pourquoi ils ne disent rien ? Pourquoi ils ne posent jamais de questions ?
02:11 Il faut être contraint pour s'y confronter, pour y réfléchir, et donc pour en parler.
02:16 J'ai toujours entendu parler d'inceste.
02:19 Il y avait une tension, il y avait des impossibilités.
02:23 En revanche, le moment où on commence à en parler, ma mère et moi, différemment,
02:27 je pense que ça remonte à peut-être il y a 5 ans, 6 ans.
02:31 Ça ne sert à rien d'avoir de l'empathie.
02:33 À partir du moment où on ne ressent pas très profondément à l'intérieur de soi,
02:37 pour soi-même, que c'est injuste.
02:40 Que c'est injuste.
02:42 Et ce n'est même pas par rapport au fait que je sois une femme aussi.
02:46 Je pense que ça a facilité le fait que je puisse te rejoindre.
02:51 Et ce n'est même pas non plus le fait que je sois ta fille.
02:56 Mais c'est juste un truc, en tant qu'humain, c'est insupportable.
03:02 Ne pas laisser faire quelque chose comme ça sans rien faire.
03:05 Ou alors on est quoi ?
03:06 Ça représente 3 élèves par classe et c'est classé.
03:10 Une fois qu'on a dit ça, on n'a encore rien dit.
03:13 On n'a encore rien regardé.
03:15 On n'a pas été à la recherche de ce que ça veut dire.
03:21 De comment ça fonctionne.
03:23 De comment ça s'infiltre.
03:25 Et de ce que ça dit de notre société elle-même.
03:30 Comment dire, d'espèce de fascination pour celui qui est le plus cultivé,
03:39 le plus savant, le plus au fiche, le plus respecté dans une société,
03:45 mais aussi dans une famille bien entendu.
03:48 Et du pouvoir qu'on lui accorde.
03:49 J'ai l'impression que tu n'as pas du tout compris ce qui m'est arrivé à 13 ans.
03:55 Il y a eu une forme de changement entre nous très profond quand même.
04:03 Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre ?
04:04 Ah bah si, moi j'en ai à foutre.
04:06 Qu'est-ce que j'en ai à foutre ?
04:08 Oui, bah peut-être.
04:09 Du changement de relation avec toi au moment où je suis en train d'être tuée ?
04:12 Ta mère elle ne le savait pas.
04:15 Et ce qu'elle a constaté c'est...
04:16 Mais maintenant tu le sais !
04:18 Et tu le sais !
04:19 Et tu as beau le savoir, tu continues à parler de cette cassure.
04:21 Tu ne parles pas de ce qui m'est arrivé, bon sang !
04:23 Violence, c'est un mot qui commence comme viol.
04:27 C'est un mot qu'on attribue à la personne qui en parle,
04:32 pas nécessairement en s'excusant d'en parler.
04:35 Pas forcément en étant désolée d'embêter les gens avec ça.
04:40 Et comme la chose elle-même est d'une violence incroyable,
04:44 le viol incestueux est d'une violence.
04:47 Le sentiment d'injustice qui est lié emporte une telle souffrance
04:52 et une telle passion.
04:54 Tout d'un coup, c'est comme si dire le vrai était une violence.
04:59 En tout cas le dire comme ça, sans la médiation du juge.
05:05 Et un déclic, un moment où j'ai ressenti, c'était insupportable.
05:11 Vous lui avez dit cette phrase "je suis désolée que ça te soit arrivé".
05:16 Oui voilà.
05:17 "Je suis désolée maman qu'il te soit arrivé ça".
05:19 Mais cette phrase-là a surgi au milieu d'un torrent de larmes
05:24 que je ne pouvais plus contrôler.
05:27 C'était une phrase qui surgissait, ce n'était pas une phrase que j'avais réfléchie.
05:30 La pulsion de vie c'est violent.
05:32 Il faut au moins ça pour soulever, pour espérer un tout petit peu soulever,
05:37 écorner une pulsion mortifère comme ça.
05:40 Mais heureusement qu'il faut une pulsion de vie qui puisse y répondre.
05:43 Ce n'est pas de la violence, c'est de la colère.
05:45 La colère c'est important.
05:47 C'est vital.
05:48 [SILENCE]