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"Cette honte que je porte, est-ce que c'est la mienne ? C'est celle de mon père qui, lui, ne la porte pas."

L'inceste qu'elle a subi, Christine Angot l'a raconté dans plusieurs livres. Face au silence de ses proches, elle a décidé de revenir sur les traces de son passé dans le documentaire "Une famille". Pour Brut, conversation entre Christine Angot et Léonore Chastagner, sa fille.

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Transcription
00:00Quand moi j'ai honte d'avoir vécu l'inceste et de tous ces moments,
00:06quand j'ai honte surtout au moment où je les vis,
00:09quand ils m'embrassent sur la bouche la première fois,
00:11quand je ne peux pas le dire ensuite à ma mère,
00:13quand je mens à ma copine de classe,
00:16quand j'ai peur parce que je vais rencontrer des garçons
00:19et comment ça va se passer et que j'ai la honte
00:22que ce truc-là soit d'une certaine manière perceptible,
00:26etc., etc., etc.
00:30Cette honte que je porte, est-ce que c'est la mienne ?
00:34C'est celle de mon père qui, lui, ne la porte pas.
00:39Parce qu'il faut bien que quelqu'un ait honte
00:42et que donc, d'une certaine manière,
00:44cette honte-là que portent les victimes d'inceste,
00:48elle est pénible,
00:51mais au moins, elle garantit
00:56que quelqu'un dans cette société a honte
01:00de la chose elle-même.
01:02Moi, je n'ai pas le souvenir que ma mère ait eu
01:05une conversation avec moi sur l'inceste.
01:07Je n'ai pas le souvenir d'un moment
01:11presque pédagogique ou didactique
01:14pour me dire, voilà, il faut que tu saches quelque chose,
01:20voilà ce qui s'est passé, etc.
01:21L'inceste, souvent, dans les familles,
01:24se caractérise par le fait que c'est un secret,
01:26c'est un non-dit.
01:27Ça n'a pas du tout été le cas dans ma famille.
01:30De fait, ça a toujours été nommé.
01:33Le mot inceste a gravité autour de moi, etc.
01:37Et même si le mot gravitait autour de moi,
01:40même si ça n'a pas pris la forme d'une conversation,
01:45c'était une énergie ambiante.
01:50Il y avait aussi, par exemple, des moments de souffrance
01:53ressentis par ma mère dans la maison.
01:56Il y avait aussi des moments éruptifs
01:59avec des mots qui filtrent
02:03et où j'en capte un morceau pas clair de quelque chose.
02:07Après, on vient me donner des explications
02:09un peu pour enfant.
02:12Vous dites une phrase à votre mère qui est
02:15« Je suis désolée de ce qui t'est arrivé. »
02:19« Je suis désolée, maman, qu'il te soit arrivé ça. »
02:22Comment est-ce que vous avez réagi quand elle vous a dit ça ?
02:25Un allègement.
02:29Un allègement.
02:30Parce que quand elle dit ça,
02:32et elle le dit aussi en même temps,
02:34je n'avais pas compris que ça aurait aussi bien pu
02:38ne pas t'arriver.
02:41Et en disant ça,
02:44elle me redonne la possibilité
02:49que, en effet, ça ne me soit pas arrivé.
02:51Même moi, qui n'ai pas vécu les actes incestueux,
02:56je me suis rendue compte récemment
03:00que le sentiment de honte
03:03était verrouillé à l'intérieur de moi
03:08et d'autant plus inaccessible
03:11qu'il n'avait a priori même pas de raison d'être.
03:14Finalement, le fait que mon grand-père
03:17se soit permis de faire ça à ma mère,
03:20ça existe pour moi aussi.
03:22Aujourd'hui, quand on nous dit « On te croit. »
03:25Bon, alors, super.
03:27Mais ça, c'est juste une chose.
03:32On te croit, ben oui, c'est normal.
03:35Tu n'as pas même besoin de me le dire
03:37puisque, de toute façon, c'est vrai.
03:40Mais comme si c'était « Écoute, c'est bon, je te crois.
03:44Je te crois tellement
03:47que je n'ai même pas besoin de détails. »
03:50C'est dans tous ces détails
03:53que se trouve la vie vécue
03:59par les gens qui se retrouvent dans cette situation.

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