• il y a 11 mois
Dominique Seux et Thomas Porcher se retrouvent autour de la thématique de l'agriculture et ses enjeux aujourd'hui en France. La mobilisation et la colère des agriculteurs continuent de se faire entendre. Analyse de cette crise et de l'urgence qu'elle démontre.

Le débat économique dans le 7/10 par Dominique Seux et Thomas Porcher (7h45 - 26 Janvier 2024)
Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique

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Transcription
00:00 7h47, le débat éco du vendredi. Bonjour Thomas Porchet, Dominique Seux.
00:04 Bonjour.
00:05 Gabriel Attal ira aujourd'hui sur le terrain au plus près des agriculteurs pour répondre à leur colère.
00:10 Il n'arrivera pas a priori les mains vides. La mobilisation continue et notamment en Haute-Garonne,
00:16 les sections franciliennes de la FNSEA et des jeunes agriculteurs, elles, comptent bloquer les axes principaux qui mènent à Paris.
00:23 Ce qui est frappant, c'est que les analyses sur cette crise et l'urgence qu'elle démontre varient selon les interlocuteurs.
00:30 On va donc commencer par là. Alors je vous demanderai des réponses courtes pour que la parole circule entre vous.
00:35 Quelles sont les raisons de la colère ? A vous de commencer Thomas Porchet.
00:38 Pour moi, les raisons de la colère ce sont les mêmes que pour le mouvement des Gilets jaunes.
00:43 La première des choses, c'est le sentiment de ne pas pouvoir vivre dignement de son travail.
00:48 Ça c'est la première des choses. Et la deuxième, c'est un sentiment d'injustice.
00:52 Au moment des Gilets jaunes, c'était l'injustice fiscale parce qu'il y avait une taxe qui était mise sur les carburants
00:56 à un moment où on avait baissé la fiscalité sur les plus riches. Et là, il y a un sentiment d'injustice sur tout ce qui est normes et réglementations
01:02 avec cette idée qu'on impose des normes en Europe ou en France alors même que nous signons des traités de libre-échange
01:07 avec des pays qui ont des normes sociales et environnementales plus faibles.
01:10 Dominique Seux.
01:11 Je pense que la tentation est facile et Thomas n'y a pas cédé tant mieux.
01:15 Ce qu'on entend beaucoup, c'est à droite on entend c'est la faute des écolos, à gauche on entend c'est la faute des libéraux.
01:21 Thomas Pichard.
01:22 Mais comparaison et paraisons avec les Gilets jaunes ?
01:24 Dominique Seux.
01:25 Non, je pense que c'est, et vous l'avez dit Thomas, c'est presque plus simple que ça.
01:29 C'est l'absurdie, hubus, l'empilement des normes. C'est ça qu'on entend en fait dès qu'on ouvre la télévision, qu'on écoute la radio, qu'on écoute France Inter.
01:37 C'est ça qu'on entend. Et c'est vrai qu'on a quand même un exemple le plus frappant, c'est tout ce qu'on a entendu cette semaine sur les haies.
01:44 Là ils ont trouvé un bon exemple, les 12 ou 14 normes qui s'appliquent à l'installation de haies le long des champs, c'est absurde.
01:52 Quand vous lisez par ailleurs l'interview qu'a donnée Pascal Canfin, le président de la commission environnement du Parlement européen, à l'opinion cette semaine,
01:59 il a une phrase absolument hallucinante, mais qui est la vérité. Il dit "quand je regarde un dossier PAC, politique agricole commune, à remplir, c'est clair, c'est l'enfer".
02:09 Donc les choses sont vraies. Et quand vous entendez, dernier point, quand vous avez appris au mois de décembre qu'il y avait la Cour de cassation qui avait considéré
02:18 qu'au cœur d'un village vous installez un hangar et que vous avez des bovins qui font un peu de bruit, la Cour de cassation considère que c'est un inconvénient anormal
02:30 de voisinage au cœur d'un village des Hauts-de-France. C'est l'absurdité. Et c'est là que les agriculteurs n'en peuvent plus.
02:38 - C'est absurdi ou contradiction entre d'un côté un modèle productiviste agricole et de l'autre la nécessité d'engager une transition écologique ?
02:45 - Je pense que les normes c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. C'est-à-dire que les agriculteurs sont soumis à une instabilité structurelle depuis au moins 30 ans.
02:53 Ça a commencé par la mondialisation. La mondialisation qui a profité aux agriculteurs français au départ, parce qu'ils ont trouvé des débouchés en Europe de l'Est, en Afrique
03:01 et dans les pays du Golfe, a joué contre eux avec l'arrivée de pays comme le Brésil. Et la Commission européenne, et même la France, a continué dans ce modèle exportateur
03:10 et de mise en concurrence avec d'autres pays. Ça c'est la première des choses qui les a rendus en partie plus pauvres. La deuxième des choses c'est la financiarisation des matières premières.
03:18 Pendant très longtemps, une matière première dépendait des fondamentaux, d'un risque géopolitique, de la météo. Mais aujourd'hui, les matières premières sont un produit financier.
03:28 Vous regardez le Goldman Sachs Commodity Index, c'est un produit financier avec 24 produits du pétrole, du gaz, des métaux précieux, mais aussi des matières premières.
03:35 - Agricole. - Agricole. Et donc nous avons aujourd'hui des variations, une volatilité extrêmement forte sur les marchés financiers.
03:41 - Mais il y a malgré tout des subventions avec la politique agricole commune. - Et je finis. Et ce qui augmente l'instabilité, et la dernière instabilité, c'est l'instabilité réglementaire.
03:47 Effectivement, il y a une technostructure qui fait un certain nombre de normes comme ça, qui les empilent les unes aux autres, et qui est la goutte d'eau qui fait déborder le vase pour moi.
03:55 - Non mais c'est vrai qu'il y a la question française, qui est la question des revenus. Et là, ça va être toute la réponse qui va être donnée, ou pas aujourd'hui, sur le fameux gazole non routier.
04:06 Selon les informations qui sont données par Le Quotidien, les échos ce matin, il devrait y avoir des avances de trésorerie qui seront données.
04:14 Aujourd'hui, c'est un système assez complexe. Il y a un avantage fiscal pour payer le gazole, qui doit diminuer d'un tiers d'ici 2030.
04:21 Mais c'est un système tellement complexe que l'avantage fiscal est remboursé à n+1 ou n+2, un ou deux ans après.
04:28 Donc évidemment, c'est un petit peu compliqué. Et donc l'idée, ce serait, si j'ai bien compris et bien lu, de faire des avances de trésorerie.
04:37 Ça, ça va changer. La deuxième chose qui va être faite pour les normes, semble-t-il, ça c'est des informations qu'on peut donner ce matin,
04:42 c'est qu'il va y avoir une grande autonomie des préfets, redonnées aux préfets, dans chaque département, qui pourront, sur les normes, s'adapter plus au terrain local,
04:50 aux situations locales. Aujourd'hui, ça n'est pas tout à fait le cas. Ça, c'est l'aspect des coûts et du revenu.
04:56 Sur, accuser l'Europe de A à Z, c'est, vous savez, l'Europe, 9 milliards d'euros, la politique agricole commune.
05:04 Oui, c'est considérable.
05:05 Il y a 400 000 agriculteurs. Ça fait 22 500 de tête, 22 500 euros envoyés par l'Europe en moyenne aux agriculteurs.
05:13 Même si la moyenne ne compte pas, puisque c'est distribué très inégalement.
05:16 Alors, sur le commerce international et sur la libre-échange, c'est vrai qu'il y a une vraie interrogation, qui est,
05:22 est-ce qu'on peut avoir une agriculture durable et compétitive dans un marché ouvert ?
05:27 Ça n'est pas certain. En réalité, l'Europe a sans doute été naïve ou elle a cru qu'elle allait échanger une agriculture ouverte contre des Airbus,
05:37 contre des voitures Daimler, contre des produits luxe Gucci. C'est tout à fait possible, ça. Et on est allé trop loin de ce point de vue-là.
05:43 Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain, parce qu'il y a beaucoup d'exportations.
05:47 Oui, mais en fait, le modèle productif, c'est quoi ? On mécanise, on utilise des produits phytosanitaires, on produit de plus en plus à un prix beaucoup plus faible.
05:57 Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que l'agriculture, ce n'est pas un produit comme un autre.
06:00 Ce n'est pas parce que les pommes coûtent deux fois moins cher qu'on va en consommer deux fois plus.
06:03 Donc, en fait, les agriculteurs ont été amenés à être de plus en plus compétitifs, les prix ont baissé, mais ils sont devenus aussi de plus en plus pauvres.
06:10 On va parler du revenu mécanique. Quand vous entendez le président de la FNSEA considérer que la diminution des pesticides, des insecticides, de moitié d'ici 2030, c'est absolument impossible.
06:22 Impossible, c'est le mot qu'il emploie. Qu'est-ce que vous lui répondez à cette vraie question ?
06:26 C'est impossible dans le contexte de mondialisation. Parce que nous allons imposer des normes en France, et nous allons importer des biens qui n'ont pas les mêmes normes environnementales.
06:34 C'est ça le vrai problème. Mais pendant très longtemps...
06:36 Donc c'est le meuble agricole qui a mis par terre cette diminution progressive des insecticides et des pesticides.
06:41 Pendant très longtemps, vous saviez, il y avait des prix garantis en Europe. C'est-à-dire qu'il y avait des prix qui permettaient aux agriculteurs d'investir.
06:47 Aujourd'hui, la volatilité fait que parfois ils investissent, ça met du temps, et les prix vont chuter, ce qui fait que ça ne va pas être rentable.
06:53 Pendant très longtemps, il y a eu des quotas aussi en Europe. Et donc c'est pour ça qu'il faudrait repenser.
06:58 Parce qu'effectivement, il est très difficile d'avoir une agriculture qui soit au top du niveau écologique, si vous la confrontez à une autre agriculture qui n'a pas les mêmes normes sociales et environnementales.
07:06 Et ce petit jeu se joue aussi en Europe. Vous savez, le coût de la main-d'œuvre est 30% moins cher en Allemagne, parce qu'elle utilise la main-d'œuvre d'Europe de l'Est et beaucoup de travailleurs détachés dans l'agriculture.
07:14 Est-ce que c'est bien ça pour notre agriculture ? Je ne suis pas sûr.
07:16 Je laisse le point d'interrogation en tout cas, et Dominique Seux, en l'occurrence, il a aussi le point de vue du consommateur.
07:20 Puisque ce que vient de dire Thomas Porcher, c'est défendre les agriculteurs. Le consommateur, lui, n'est-il pas prêt ou n'est-il pas favorable à une diminution des coûts ?
07:28 Que ce soit sur les normes environnementales ou les autres, l'Europe veut laver plus blanc que blanc. Le continent qui veut laver plus blanc que blanc.
07:35 La France, en Europe, veut être le pays qui lave plus blanc que blanc. La question c'est d'accord, mais il faut dans ce cas-là accepter de payer beaucoup plus cher les produits.
07:45 Or, les consommateurs, manifestement, on a passé deux années à dire matin, midi et soir, 24h sur 24, les prix alimentaires sont trop élevés.
07:53 Donc on ne peut pas avoir une chose et son contraire. Il faut choisir.
07:58 Par ailleurs, il n'est pas anormal que les importations ne soient pas anormales par principe. J'allais dire bien au contraire.
08:05 La question c'est qu'il faut que ce soit équilibré et qu'on ne se fasse pas avoir, qu'on ne soit pas naïf, que l'Europe ne soit pas un herbivore au milieu des carbivores.
08:13 Qu'on ne soit pas... Qu'il y ait de la réciprocité.
08:18 Selon le journal Les Echos...
08:21 Vous commencez très bien.
08:23 On commence très bien. Les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour la rémunération des producteurs et leur santé.
08:30 Il est vrai qu'aujourd'hui, il y a tout un débat autour, notamment, il y a eu ça du glyphosate, que les gens veulent faire attention, ils veulent avoir une espèce de traçabilité sur leurs produits.
08:40 Et c'est vrai qu'il faudrait à un moment créer des labels pour mieux différencier, ça a déjà été le cas, mais pour mieux différencier une agriculture qui serait produite chez nous d'une agriculture qui serait importée.
08:54 Sinon, si pour le consommateur on ne voit pas la différence et qu'il ne sait pas ce qu'il consomme...
08:58 Quitte à ce que cette agriculture soit sur un modèle productiviste industriel, comme je le disais.
09:03 Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne solution.
09:05 Vous savez, il y a un certain nombre d'exploitations qui ont disparu parce que ce modèle a fait en sorte, encore une fois, qu'il fallait être plus productif, investir plus, plus utiliser de produits phytosanitaires.
09:15 Et en même temps, les revenus des agriculteurs ont fortement diminué.
09:18 Aujourd'hui, certes, il y a une aide, c'est subventionné majoritairement, mais il y a de très fortes inégalités entre les viticulteurs qui gagnent très bien et ceux qui sont des éleveurs qui gagnent beaucoup moins bien.
09:27 Et vous savez, il y a une étude de Santé publique France qui a bien montré que quand les prix chutent, les prix chutent, les suicides augmentent.
09:34 Donc on voit très bien qu'exposer les agriculteurs à la volatilité, c'est une chose extrêmement négative.
09:39 Vous avez le jeu de citer les échos, je vais citer Alternatives économiques qui dit que les revenus des agriculteurs ont augmenté de 47% en moyenne depuis 2000, depuis 20 ans.
09:51 Alors évidemment, entre les secteurs, il y a des grandes différences.
09:53 Donc il faut regarder les choses de près.
09:55 Sur la question du commerce international, et on y revient, des frontières, évidemment, il y a la question de la traçabilité.
10:03 On essaie de faire un parallèle avec un autre secteur qui est celui des voitures.
10:06 La France a essayé et a réussi pour l'instant à imposer de réserver le bonus automobile, vous allez voir le lien, le bonus automobile aux voitures qui, sur le plan climatique, font un certain nombre d'efforts,
10:19 la fabrication, et pour éliminer en gros les voitures chinoises fabriquées avec du charbon.
10:23 Est-ce qu'on peut faire la même chose sur les cerises turques ou les poulets brésiliens ?
10:28 La traçabilité, ce qu'on appelle les clauses miroirs, est-ce que la traçabilité est possible ?
10:32 Manifestement, c'est beaucoup plus compliqué.
10:34 Mais on doit quand même aller dans ce genre de direction.
10:37 Mais une question simple en l'occurrence, est-ce que l'inflation, par exemple, n'a pas fait beaucoup de mal au bio, puisque ça a rendu les produits plus chers, encore plus chers qu'ils n'étaient ?
10:45 Et là, en l'occurrence, on est face à la contradiction que vous dénoncez Dominique tout à l'heure.
10:49 Quand on regarde le pourcentage de revenus que les Français consacrent à l'alimentation, c'était il y a 30% dans les années 60, on est passé à 15%.
10:58 Le logement a fait exactement le trajet inverse.
11:00 Les Français manifestement ne souhaitent pas passer de 15% à 20% ou 25%.
11:04 On préfère tous acheter un téléphone portable qui aura telle ou telle fonctionnalité, qui ne sert strictement à rien, plutôt que d'acheter du bio un peu meilleur.
11:13 Mais l'inflation a fait aussi du mal aux agriculteurs, parce que tous les agroéquipements ont augmenté très fortement, il y a eu plus de 17%.
11:18 Et donc finalement, nos agriculteurs, ils sont aussi un peu coincés entre les coûts à la base, mais aussi les négociations qu'ils ont avec les distributeurs.
11:24 Pourquoi ? Alors justement, merci d'enfin prononcer ce mot, c'est-à-dire que les agriculteurs manifestent leur colère contre le gouvernement, contre l'Europe.
11:31 Mais pourquoi pas tout simplement contre les distributeurs et ceux qui les étranglent du côté privé ?
11:35 Je pense que c'était le but de la loi EGalim, mais elle n'a rien changé à ça, c'est ce que dit un rapport du Sénat, d'ailleurs qu'elle ne protège pas plus les agriculteurs.
11:44 Et puis c'est vrai que ces derniers temps, on a très peu entendu les distributeurs, et pourtant ils aiment beaucoup aller dans les médias, et là on les entend moins.
11:49 Alors je suis totalement d'accord, la loi EGalim a fait faire des avancées, d'ailleurs la hausse du revenu agricole, il a baissé en 23, mais il avait pas mal augmenté en 21-22.
12:00 La loi EGalim a fait bouger les choses, par exemple sur le prix du lait.
12:05 Enfin la concentration de quelques centrales d'achat pour des distributeurs qui s'adaptent.
12:10 Vous comprenez le prix du lait, de tête, il devait être acheté aux producteurs à 3 centimes le litre il y a 5 ans, aujourd'hui on est plus proche de 50 centimes.
12:21 Donc les choses ont évolué, c'est vrai que la grande distribution a des manœuvres de contournement par les centrales d'achat européennes qui sont devant les tribunaux en ce moment.
12:29 Merci Thomas Porcher, merci Dominique Seux, c'était le débat éco.

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