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Les Français heureux au travail ? Pour en parler, Julia De Funès, philosophe, spécialiste du monde du travail.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 23 janvier 2024 avec Yves Calvi.

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Transcription
00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 7h, 9h
00:06 RTL matin. Il est 8h22. Bonjour Julia Defunes.
00:09 Vous êtes docteur en philosophie, spécialiste du monde du travail. Merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur RTL. La semaine dernière, notre radio
00:16 révélait cette étude Ipso sur la qualité de la vie et les conditions de travail. Deux Français sur trois vont travailler
00:21 mécaniquement, sans enthousiasme.
00:24 Reculons, mais ce matin nous donnons la parole à ceux qui aiment tout simplement aller au boulot. Julia Defunes, le travail peut-il rendre
00:30 heureux et cultiver une sorte de bien-être ?
00:32 Alors c'est la mode depuis quelques années. Maintenant, en 5-10 ans, on n'arrête pas de parler de bien-être et de bonheur au travail. On mélange les deux
00:38 concepts. Pour moi, c'était une illusion.
00:40 C'était une entreprise un peu veine d'avance parce que
00:43 on n'a jamais autant parlé de bien-être. Il n'y a jamais eu autant de mal-être dans les organisations. L'enquête Ipso le révèle.
00:49 Donc ça veut bien dire qu'il y a une erreur d'aiguillage. Et en effet, on a, comme le bien-être ou le bonheur est une
00:54 affaire philosophique existentielle très compliquée, les entreprises se sont parfois
00:57 engouffrées au nom du bien-être dans la mise en place de gadgets bonheuristes. Donc on fait des rooftops
01:02 végétalisés avec des pots de miel, des tomates cerises, des baby-food, des billards, des smoothies bio, etc.
01:07 Est-ce que franchement ça rend les collaborateurs heureux ? Bien sûr que non. Le bien-être dépend de choses beaucoup plus fondamentales, plus
01:14 existentielles que ça, qui sont très difficiles. Donc là, vous dénoncez en fait des comportements, on va dire,
01:19 artificiels. Alors plus que le bonheur au travail, il faut parler de quoi ? De bonnes conditions de travail, très simplement ? Oui, de meilleures conditions de
01:25 travail et surtout de...
01:26 quand vous regardez les enquêtes de satisfaction des collaborateurs, il y a un problème de reconnaissance, il y a un problème de sens, il y a un
01:31 problème d'autonomie, un problème de rémunération, les agriculteurs viennent de le dire.
01:35 Donc vous voyez, c'est des problématiques comme ça. C'est pas être...
01:38 on va pas mettre des coachs en tout et des CHO, des Chief Happiness Officer pour rendre les gens heureux.
01:43 Je reviens sur un terme, pardonnez-moi, que vous venez d'employer, celui de reconnaissance.
01:46 Moi, ma connaissance, la reconnaissance, je dirais, j'aurais tendance à vous dire que c'est déjà ce qui tombe à la fin du mois.
01:50 Mais je suis peut-être un petit peu... Oui, non, non, c'est le premier pas de la reconnaissance, mais je trouve qu'en France, c'est très intéressant
01:55 d'ailleurs, et ça rejoint un peu la problématique des agriculteurs.
01:57 Il y a un vrai problème de reconnaissance, non pas parce qu'on est méchant, parce qu'on oublie de reconnaître les gens,
02:01 mais je crois qu'il y a une dérive démocratique facile qui fait qu'on passe du principe d'égalité de droit, on est tous égaux en droit,
02:07 à un égalitarisme, une indifférenciation, tout se vaut. Vous savez, dans les radios, dans les télés, alors là, c'est très, très frappant.
02:15 Vous invitez des gens qui se... Si vous m'interrogez sur la problématique des agriculteurs, j'y connais rien, il faut que je la boucle,
02:20 vous voyez ? Mais maintenant, dès qu'on est... Dès qu'il y a un sujet d'électualité, tout le monde a un avis, tout le monde en a un avis,
02:24 tous les jugements se valent. Non, tous les jugements ne se valent pas. Pendant la période Covid, mon Dieu, combien de
02:29 fois on l'a vu, les philosophes qui se prenaient pour des épidémiologistes, les économistes pour des politiques, etc.
02:34 Donc, il y a un mélange des genres qui fait que tout tombe dans le règne de l'équivalence, de l'indifférenciation.
02:40 Mais l'indifférenciation mène directement à l'indifférence, qui est l'opposé de la reconnaissance. Pour reconnaître les gens, il faut avoir le courage de distinguer,
02:47 le courage de hiérarchiser, le courage de dire "vous êtes meilleurs que moi sur ce sujet, donc je la ferme",
02:52 et puis avoir ce courage. Mais en France, dès qu'il y a des différences, on les amalgame avec des injustices, avec des inégalités.
02:59 Alors, en fait, accepter des systèmes de valeurs et ne pas être dans un égalitarisme B.A. où chacun doit trouver sa place avec ses qualités, ses limites.
03:07 Il n'y a pas de place quand tout tombe dans un relativisme et une indifférenciation totale. Comment voulez-vous reconnaître, distinguer et trouver une juste place ?
03:15 Donc, non, il y a toute une cartographie, une philosophie du travail à refaire en distinguant vraiment les métiers utiles et immédiatement nécessaires à la survie de la population.
03:22 Les agriculteurs tombent dedans. Les métiers utiles et non immédiatement nécessaires, et puis les métiers non utiles et non nécessaires.
03:28 Vous pouvez mettre les philosophes dedans, il n'y a aucun problème, mais en tout cas, il faut redistinguer tous ces métiers.
03:33 Ne vous flagelez pas. Un salarié sur quatre estime que sa santé mentale se dégrade. C'est inquiétant ?
03:39 Ah bah oui, c'est toujours inquiétant. Alors, là, on parle beaucoup de "burnout", de santé mentale. Ce sont des mots un peu valides, surtout.
03:46 Moi, je crois que c'est très lié, je ne suis pas psychiatre, là, encore, mais je crois que c'est très lié à la problématique du sens et de la reconnaissance.
03:53 Parce que je crois que l'humain est capable d'accomplir un nombre de tâches colossales. Donc, souvent, on a expliqué le "burnout", les problèmes de santé mentale,
03:59 par une accumulation ou une perversité du management. Franchement, c'est rare, maintenant, de tomber sur des managers très pervers.
04:05 Et on est capable d'accomplir une somme de tâches considérable. Donc, moi, je ne crois pas au quantitatif pour expliquer le problème de la santé mentale.
04:12 C'est plutôt un problème qualitatif de reconnaissance, de problèmes de sens, etc.
04:15 En préparant cette interview, je me suis dit que le travail restait, enfin, me paraissait rester central dans la vie des Français.
04:22 Est-ce que c'est encore le cas ? Il faut se poser la question.
04:25 - Ah oui, il faut se poser la question, parce que souvent, on entend, d'ailleurs, il y a une rumeur, un bruit qui court, les jeunes ne veulent plus rien faire,
04:31 ils n'ont pas le sens de l'effort, ils sont flémards. Écoutez, franchement, la flemme existe depuis que l'homme existe, ce n'est pas un problème générationnel,
04:37 c'est un problème anthropologique. Donc, ça, je n'y crois pas du tout. En plus, ils sont très investis sur les problématiques écologiques, par exemple,
04:43 ils sont très investis. Mais c'est surtout ne rien comprendre, juger moralement les jeunes, c'est ne rien comprendre au changement de place dans la vie des gens
04:49 qu'occupe désormais le travail. Et pour aller très vite, je sais que c'est la radio, on est super speed le matin, mais pour donner les deux grandes tendances,
04:55 en général, pour ma génération, notre génération et les précédentes, le travail était une finalité en tant que telle.
05:01 On avait un beau boulot, on avait réussi sa vie, c'était presque aussi simple que ça. Aujourd'hui, pour les plus jeunes, le travail n'est plus du tout une finalité,
05:07 c'est un moyen pour gagner de l'argent, s'épanouir dans l'existence, etc. Mais ce n'est pas du tout que le travail devient moins essentiel,
05:14 c'est comme la santé, si vous voulez. On est obligé d'être en bonne santé pour bien vivre, on est obligé d'avoir un très bon travail pour bien vivre,
05:21 mais ce sont des moyens. On le déplace au niveau du moyen, ce ne sont plus des finalités. Si on pense encore aujourd'hui, notamment pour les plus jeunes,
05:28 le travail comme un sens, comme une finalité en tant que telle, on lui fait perdre tout son sens. Les gens ne veulent pas perdre, comme dit l'adage un peu facilement,
05:35 perdre leur vie à vouloir la gagner.
05:36 - Le télétravail en vogue depuis la période Covid, est-ce que ça a vraiment bousculé les choses ? Est-ce que c'est une bonne chose ?
05:43 - Il y a des inconvénients, évidemment, au télétravail, mais souvent on ressort le contre-argument du collectif. Parce que les gens télétravaillent,
05:50 ils sont atomisés, il n'y a plus du tout travail collectif. Je crois exactement l'inverse. Je crois que le télétravail renforce le collectif et que c'est un faux argument.
05:56 Pourquoi ? Parce que je parle du télétravail hybride, pas 5 jours sur 5 en période de confinement, mais quand on télétravaille une journée ou deux par semaine,
06:04 le fait de ne pas avoir ses collaborateurs à côté en permanence, on sait qu'on les voit une fois ou deux par semaine, donc les réunions sont en général
06:12 autrement plus efficacement menées, autrement plus efficacement pensées. Et quand on n'est pas tout le temps les uns à côté des autres, c'est malheureux,
06:19 mais c'est comme en amour, comme en amitié, et bien parfois on a un peu plus désir à se retrouver. Donc je crois au contraire que le fait de distancer,
06:25 de virtualiser les relations les rend d'autant plus attendus quand elles sont réelles.
06:29 !

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