Wilson Fache, reporter belge indépendant et lauréat du prix Albert Londres dans la section presse écrite, est ce matin l'invité de Mathilde Serrell. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-jeudi-30-novembre-2023-9959692
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00:00 place aux nouvelles têtes avec vous Mathilde Serrel, ce matin jeune reporter de guerre
00:05 qui est désormais le premier belge à recevoir le prix Albert Londres de la presse écrite
00:10 Wilson Fasch et dans notre studio on en est très heureux, Portrait Sonore !
00:15 Au départ, il s'imaginait plutôt réalisateur ou critique de cinéma avec un graal, le
00:28 festival de Cannes. C'est son entrée dans une école de journalisme à 17 ans qui déclenche
00:33 sa véritable vocation, reporter.
00:35 Ce sont des images de propagande. Daesh, l'organisation de l'état islamique, proclame avoir pris
00:41 le contrôle total de la ville de Ramadi.
00:43 Le chaos, la violence et la terreur se propagent dans les rues. Les maisons et les immeubles
00:48 sont bombardées au hasard. Beaucoup de familles entières ont été tuées.
00:51 Il a 22 ans quand il décide de partir en Irak couvrir la guerre contre Daesh, après
00:58 avoir suivi les fondamentalistes qui transitent de Belgique vers la Syrie. Devenu correspondant
01:03 en Irak pendant deux ans et demi, il vit en colocation avec d'autres jeunes reporters
01:07 et suit l'offensive contre les djihadistes de l'état islamique jusqu'à la fin de la
01:11 bataille de Mossoul en 2017.
01:13 Après l'Irak, ce sera l'Afghanistan, la Palestine à Ramallah, Israël, Athélavive,
01:23 puis l'Ukraine et partout. Il s'intéresse aux civils. Il est à Kiev quand il apprend
01:27 qu'on lui desserne la plus prestigieuse récompense du journalisme francophone.
01:31 "Événement littéraire. On desserne à Paris le prix Albert Londres, destiné à
01:38 un journaliste de métier, puis fondé en souvenir du grand reporter disparu."
01:42 "Le Berlin faisait du reportage sur le terrain. Il y avait de la couleur, de l'émotion,
01:46 des bruits, des odeurs et de faire parler les gens."
01:50 Pierre Asseline. Lui, c'est une plume rare et une capacité à emmener son public dans
01:55 des atmosphères. Ses reportages dans la presse écrite sont salués par le jury du 85ème
02:00 prix Albert Londres, le père du reportage moderne.
02:02 Wilson Fash, bonjour.
02:04 Wilson Fash. Bonjour.
02:05 Et félicitations.
02:06 Merci beaucoup.
02:07 Vous étiez à Vichy, ville native d'Albert Londres, pour recevoir ce prix lundi. Vous
02:11 avez remercié vos parents sur scène pour les 1000 euros qu'ils vous ont donnés pour
02:15 partir en Irak à 22 ans. Ce n'est pas une décision facile pour des parents.
02:19 Ah non, c'est sûr. On était à Beyrouth à ce moment-là.
02:22 Ils ont essayé de vous en dissuader ?
02:23 Oui. Ma mère a beaucoup pleuré. Ils ont essayé de me dissuader. Ce n'était pas très
02:29 chaud que j'y aille. Et puis, ils m'ont quand même prêté cet argent pour que je
02:32 puisse y aller, tout en espérant que je n'y aille pas.
02:34 Oui, c'est ça. Vous dire oui et puis vous laisser quand même la nuit, porter en conseil,
02:39 changer d'avis. Mais vous, vous étiez déterminé. Rien ni personne n'aurait pu vous empêcher
02:43 de partir en Irak à ce moment-là.
02:44 Non, rien ni personne.
02:45 Sans ça, vous ne seriez pas là. Dites-vous, qu'est-ce qui se passe là-bas pendant deux
02:49 ans et demi ? Qu'est-ce que ça déclenche en vous et dans votre métier ?
02:52 Ça confirme que c'est exactement ce que je veux faire du reportage de terrain. Et
02:57 plutôt au Moyen-Orient, plutôt auprès des civils et plutôt sur des thématiques qui
02:59 sont liées à la guerre.
03:00 Mais peut-être aussi, qu'est-ce que vous voyez et qu'est-ce que vous vous dites que
03:04 vous pouvez raconter différemment de ce qu'est l'actualité chaude de la couverture d'un
03:10 conflit ? Parce que ce n'est pas exactement la même chose que vous proposez.
03:12 Bien sûr, le gros avantage quand on est correspondant, on est sur le terrain. Et donc, on est un
03:16 peu épargné de l'actualité chaude que finalement les rédactions peuvent couvrir depuis Paris,
03:21 Bruxelles avec les DPH AFP. Et nous, on peut vraiment se consacrer au reportage. On peut
03:25 prendre du temps, on va sur le terrain à la rencontre des civils, des soldats pour
03:29 raconter mille et une histoires. Et on ne fait que ça. C'est vraiment le saint graal
03:32 du journalisme. C'est vraiment ça qu'on a tous envie de faire.
03:35 Et vous êtes une bande de journalistes. À ce moment-là, vous vivez en colocation.
03:39 On vous appelle la génération Mossoul. Elle a quoi en commun cette génération ?
03:43 Il y a eu plein de générations dans le journalisme. Il y a une génération des Printemps Arabes,
03:47 de la place Tahrir en Égypte. Il y a une génération Sahara-Yévo. Nous, on est la
03:51 génération Mossoul. C'est une génération de jeunes journalistes qui se sont formés
03:55 à travers cette bataille et cette guerre-là. Effectivement, on était en colocation. C'était
03:59 un peu l'auberge espagnole avec des journalistes belges, français, irakiens, kurds, arabes.
04:03 Très jeunes. Et on partait ensemble sur le terrain. On s'entraidait. Maintenant, il
04:08 y avait Alain Caval dans la colocation qui a été récompensé du Priel Berlondes en
04:12 2021, je crois, ou 2022. Samuel Fauret qui n'était jamais très loin. Priel Berlondes
04:17 2017. Donc, c'était une génération Priel Berlondes.
04:19 En parlant des promotions à l'ENA, mais pas assez des générations de Priel Berlondes.
04:26 Donc, la vocation de reporter de guerre, elle va se faire sur le terrain et au fil des
04:31 terrains. Avant l'Irak, c'était la Jordanie et le Liban. Après, c'est l'Afghanistan,
04:35 puis l'Ukraine. Vous allez auprès des civils. Et il y a un des reportages que vous avez
04:39 lu, ce Priel Berlondes qui est publié dans Libération en août 2022. Vous êtes en Afghanistan,
04:45 dans un village de Burani Hel. On se félicite là-bas de la victoire des talibans sur la
04:49 république et vous rencontrez un jeune combattant de 19 ans qui vous dit "mais maintenant que
04:53 nous avons gagné, comment vais-je faire pour mourir ?".
04:55 Oui, parce qu'il espérait mourir au combat en fait, et accéder au paradis. Il n'avait
04:59 pas d'autre but que ça. Pendant la guerre, il était adolescent et il s'est battu dans
05:04 ces villages où la république n'avait pas accès, où ils étaient tenus par les talibans.
05:09 Et il dit "mais maintenant on a gagné, et quoi ? Je fais quoi maintenant de ma vie ?"
05:13 C'était assez surprenant comme témoignage.
05:15 C'était surprenant. Vous avez aussi enquêté auprès des civils de Boucha après les massacres
05:21 et ce désespoir de l'impossible retour. Trop de traumatismes présents, trop de fantômes.
05:26 Plus personne ne veut revenir, même si on rouvre les crèches, on rouvre les écoles.
05:30 Plus personne ne veut remettre les pieds à Boucha. C'est cette nuance qu'il y a dans
05:36 le reportage de terrain, que vous appelez le reportage de narration, qu'on ne va pas
05:39 retrouver ailleurs.
05:40 Mais je pense que maintenant, comme les gens lisent les articles en ligne, on voit où
05:48 est-ce qu'ils s'arrêtent de lire. Et en fait, on se rend compte que la majorité
05:51 des lecteurs lisent les trois premiers paragraphes et puis arrêtent de lire.
05:53 Parce que ça devient payant.
05:55 Même quand on a accès à l'autorité des articles, ils ne vont pas jusqu'au bout.
06:02 Vous voyez où on s'arrête une fois qu'on a accès à tout. Et ils s'arrêtent où ?
06:06 Ils s'arrêtent après quatre paragraphes en général.
06:08 Donc on se dit, comment est-ce que je convainc le lecteur d'aller jusqu'au bout ?
06:11 Je pense que c'est des angles originaux, des reportages de terrain et puis une écriture
06:18 la plus agréable possible pour les encourager à continuer.
06:21 La plus surprenante.
06:23 En tout cas, vous allez retourner en Ukraine.
06:25 Vous souhaitez également aller en Cisjordanie.
06:26 C'est votre temps d'antenne libre.
06:29 Je voudrais, Wilson Fash, que vous prononciez ce que vous avez prévu, c'est-à-dire une
06:34 lettre à vos confrères de Gaza.
06:35 Lettre aux journalistes de Gaza.
06:44 C'est déjà votre cinquième guerre.
06:46 On pourrait presque vous soupçonner d'avoir l'habitude.
06:49 Pourtant, vous avez compris très rapidement, dès les premiers bombardements, que ce ne
06:52 serait pas une guerre comme les autres.
06:53 Quand vous partez en reportage le matin, vous n'êtes pas certain que vous rentrerez
06:59 chez vous.
07:00 Et si vous survivez et parvenez à rentrer chez vous, c'est peut-être votre famille
07:04 qui ne sera plus là.
07:05 Vos collègues tombent les uns après les autres et vous commencez à croire que ce
07:11 n'est pas une coïncidence.
07:12 Vous vous demandez si vous êtes visé.
07:13 Quand vous filmez des blessés à l'hôpital, ou les fils devant les boulangeries, ou les
07:18 corps ensevelis dans un charnier, vous reconnaissez des visages.
07:21 Nous, derrière nos écrans, nous voyons des corps.
07:24 Vous, vous voyez un ami, une cousine, un voisin.
07:27 Nous, derrière nos écrans, nous voyons des ruines et de la poussière.
07:31 Vous, vous voyez l'école où vous avez étudié et l'hôpital où vous enfants
07:36 son nez.
07:37 Chaque jour, vous documentez le crépuscule de votre propre existence.
07:42 Et parce que vous êtes palestinien, arabe, musulman, on dit de vous que vous êtes des
07:47 propagandistes, peut-être même des terroristes.
07:49 Les gens qui n'ont aucune éthique doutent de la vôtre.
07:53 Mais nous, on vous voit telle que vous êtes, des journalistes qui font un travail inestimable
07:58 dans des circonstances impossibles.
07:59 - Saskia de Ville : merci.
08:01 - Willem Van Hoeken : et merci à eux de survivre.
08:03 - Saskia de Ville : merci Wilson Fash.
08:05 Eh bien, je sais que vous avez pleuré ce jour-là quand vous avez rendu hommage aux
08:10 journalistes de Gaza et nous aussi.