Chaque jour, découvrez la pépite du jour dans la France Bouge avec Elisabeth Assayag.
Retrouvez "La pépite" sur : http://www.europe1.fr/emissions/la-france-bouge-academie
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00:00 Voilà.
00:01 Europe 1, la France bouge.
00:03 La pépite.
00:04 Vous êtes une pépite ce soir compte tenu de votre parcours.
00:06 Merci beaucoup.
00:07 Vous êtes une pépite, Linsey.
00:08 Aujourd'hui vous êtes cadre dans l'aéronautique.
00:11 Exactement.
00:12 Donc sur le papier c'est super.
00:13 Vous faites quoi ?
00:14 Du coup je suis business manager.
00:16 Business manager, ça se passe bien, ça fait combien de temps ?
00:19 Donc là ça fait un an et demi.
00:20 Donc au début ça a été extrêmement challengeant parce que forcément moi j'ai parlé de mon
00:24 handicap, je l'ai dit ouvertement.
00:26 Donc vous, parcours compliqué et pourtant vous êtes là, vous êtes superbe.
00:32 Quand vous êtes arrivée dans l'entreprise, donc dans l'aéronautique, vous êtes arrivée
00:37 pendant l'entretien de recrutement, vous leur avez fait part de vos handicaps invisibles ?
00:41 Alors en fait ils m'ont recrutée.
00:43 Voilà, ils m'ont recrutée en fait parce que j'avais déposé mon CV justement chez
00:48 eux et cinq ans après ils m'ont rappelée.
00:51 Cinq ans après.
00:52 Cinq ans après.
00:53 Ils m'ont dit, donc quatre ans après.
00:54 Faut pas te passer.
00:55 Quatre ans après ils m'ont rappelée, on a un poste.
00:56 Moi j'étais en reconversion professionnelle pour mon troisième master.
01:00 Je me dis bon pourquoi pas, allons-y.
01:01 Donc ils savaient déjà que j'étais en situation de handicap.
01:03 Donc vous l'aviez écrit sur votre CV quatre ans auparavant.
01:05 Tout à fait, bien sûr, parce que quatre ans auparavant je ne pouvais plus marcher.
01:08 Donc j'ai eu une mauvaise chirurgie.
01:10 Suite à une chirurgie qui s'est mal passée.
01:13 Une chirurgie en 2016, exactement.
01:14 Donc on m'a coupé les nerfs de la jambe pour une chirurgie d'endométriose.
01:16 Je me suis retrouvée avec un handicap moteur visible, avec des béquilles, une canne, ou
01:21 à un moment vraiment avant de me faire réopérer par la suite, l'impossibilité de marcher.
01:25 Donc j'ai été obligée de le dire à ce moment-là, puisque ça se voyait, et que je ne pouvais
01:28 pas travailler comme tout le monde, si je peux dire comme ça.
01:32 Donc ils étaient au courant.
01:33 Moi j'ai vraiment axé sur les besoins.
01:35 Et donc ça avait été un travail qui avait été fait par l'APF sur Toulouse.
01:41 Donc on m'avait beaucoup aidée justement à quantifier mon pourcentage d'handicap,
01:45 le retentissement, avec des ergothérapeutes qui m'ont d'ailleurs beaucoup conseillé
01:49 sur un fabuleux fauteuil que j'utilise à mon domicile et chez Airbus.
01:54 Et les collaborateurs m'ont très bien accueillie.
01:56 Donc ça c'est un point.
01:57 Donc il y a eu vraiment toute une préparation au retour à l'emploi, mais c'était des démarches
02:01 que j'ai faites moi.
02:02 C'est vrai que je suppose que quand on n'est pas forcément en capacité mentale de le faire,
02:07 ça doit être extrêmement compliqué.
02:08 Je pense que si aujourd'hui je m'en suis sortie, c'est vraiment un déterminisme et
02:12 une volonté d'y arriver.
02:13 Mais une volonté, mais vous vous l'avez dit parce que finalement vous ne pouviez pas
02:16 cacher quand vous avez écrit votre lettre de candidature quatre ans auparavant,
02:20 vous ne pouviez pas marcher.
02:21 Donc c'était un handicap visible.
02:23 Exactement.
02:23 Donc en fait, en déposant le CV, moi j'avais juste écrit bénéficiaire d'une RQTH
02:27 parce que voilà, mon caractère c'est aussi d'être quelqu'un de transparente.
02:30 J'étais plus à l'aise bien sûr de dire voilà, je suis comme ça, je fonctionne comme ça.
02:33 Mes qualités sont les suivantes, mais mes empêchements sont les suivants.
02:37 En revanche, c'est vrai que vous l'avez évoqué tout à l'heure, sur le papier,
02:40 il y a beaucoup de volonté.
02:42 Mais par contre, dans l'accomplissement des adaptations, ça peut être vraiment
02:46 compliqué.
02:47 Parce que vous avez des handicaps invisibles aussi.
02:49 Dyslexie, c'est ça ?
02:52 Je ne savais pas que ça faisait partie.
02:54 Tout un paquet de dys.
02:56 Il y a dyslexie, dyspraxie, dysorthographie.
02:59 Pourtant, j'ai fait huit ans d'études, donc ça ne m'a pas empêché.
03:02 Mais il faut beaucoup se battre et ça demande beaucoup de volonté.
03:05 Ensuite, je suis autiste, donc j'ai été diagnostiquée aujourd'hui, j'ai 36 ans.
03:07 Donc j'ai été diagnostiquée il y a quatre ans.
03:09 Des troubles autistiques ?
03:12 Des troubles autistiques.
03:13 Donc forcément, vous pouvez le voir aujourd'hui, ce n'est pas quelque chose
03:15 qui va se voir beaucoup chez moi.
03:17 Parce que j'ai fait des études en communication, parce que ma culture fait
03:20 que je suis grandie en Afrique, donc avec des gens bavards, on sait qu'on fait
03:24 beaucoup de mimétisme et qu'on copie un petit peu.
03:27 J'ai été passionnée par les métiers du social, donc forcément,
03:31 on s'intéresse pour réussir à s'en sortir.
03:34 Et donc, cette endométriose neuropathique...
03:38 Parce que l'endométriose, dans les formes les plus sévères, devient un handicap invisible.
03:42 Dans les formes les plus sévères.
03:44 Alors bien sûr, quand vous avez des niveaux...
03:47 On a plusieurs niveaux d'endométriose aujourd'hui qui ne sont pas forcément
03:49 représentatifs des douleurs.
03:50 Mais disons, dans un stade léger, vous avez mal pendant vos règles.
03:53 Cependant, on sait qu'il y a beaucoup de tabous autour de ça.
03:56 Et je ne suis pas sûre que toutes les entreprises aujourd'hui,
03:58 même si ça vient en Europe à se développer, seraient OK de vous dire
04:01 "Bon, madame, vous avez vos règles, ce n'est pas possible de travailler."
04:04 Alors que moi, dans ma société, aujourd'hui, c'était les travails mobiles.
04:07 Quand j'ai mes règles, je ne me déplace pas.
04:08 - Donc vous leur dites aujourd'hui... - Oui, complètement.
04:11 Et je n'ai absolument aucun tabou à le faire.
04:13 - Mais voilà, vous vous dites que vous n'avez aucun tabou à le faire.
04:15 - Oui, mais par contre, c'est vrai que...
04:18 Je vais juste finir sur ce point.
04:20 Mais que j'ai quand même remarqué, malgré la bonne volonté de mes collègues,
04:23 que j'ai été victime de validisme.
04:25 Donc de remarques qui valorisent le fait que je n'ai pas l'air handicapée.
04:30 Et ça peut être très difficile, à peu près partout.
04:33 Parce que, par exemple, j'ai un exemple chez Tisséo, que je cite,
04:36 qui est le service de transport de Toulouse.
04:40 Quelqu'un, quand vous renouvelez votre carte,
04:41 qui vous dit que vous n'avez pas l'air handicapée,
04:43 et qui insiste, et qui veut savoir ce que vous avez.
04:45 C'est extrêmement intrusif.
04:46 - C'est très violent. - Donc on est souvent face à ce type de situation.
04:49 - Donc c'est la société qui ferait du calme. - Voilà.
04:50 Et dans l'emploi, des personnes qui vous disent
04:52 "Bon, mais on ne va pas prendre quelqu'un pour t'accompagner à la cantine
04:55 parce que tu as peur de te perdre et que tu risques de faire une crise autistique."
04:57 Vous voyez, les démarches peuvent...
04:58 - C'est ce qui peut vous arriver ? - C'est ce qui m'est arrivé.
05:00 - Vous pouvez vous sentir perdue dans un espace ? - Bien sûr.
05:03 - Vous avez parquis les symptômes. - Exactement.
05:05 Serge Wiedewski, vous êtes le patron d'APF France Handicap.
05:07 Oui, alors c'est là que les associations comme les nôtres
05:10 peuvent intervenir et doivent intervenir.
05:12 Et je rappellerai aussi, en présence de notre DRH coach favori,
05:19 que quand on regarde un petit peu la cartographie de ce qui se passe en France,
05:25 vous avez à peu près 450 000 personnes en situation de handicap qui sont au chômage.
05:30 Vous regardez un petit peu les CV de ces personnes.
05:33 Fondamentalement, c'est des CV à trous, inemployables,
05:37 des personnes qui ont travaillé, qui se sont arrêtées...
05:39 - Mais il faudrait peut-être regarder les CV alors ? - Non, mais justement,
05:40 par rapport, je dirais, au discours, nous on encourage à ce que les personnes parlent,
05:44 expliquent pourquoi effectivement leur CV se trouve comme il se trouve.
05:50 - Et puis on fait des choses aussi pendant ces années-là,
05:52 moi c'est ce que j'ai expliqué quand j'ai été recrutée,
05:54 justement vous me parlez de l'entretien tout à l'heure,
05:56 pendant six ans, mais moi j'ai créé une association,
05:58 j'ai repris des études, j'ai appris énormément,
06:00 j'ai écrit des articles littéraires, des articles médicaux,
06:03 j'ai fait un site internet et aujourd'hui cette association aide énormément de personnes.
06:07 - C'est quoi comme association ?
06:08 - Donc c'est "Association endométrose et douleurs neuros".
06:10 Donc nous avons un site, c'est endométrose-neuros.com
06:13 - Donc vous, autant de vous entendre parler ainsi,
06:15 vous faites de vos faiblesses une force ?
06:18 - Tout à fait. - Vous les transformez, vous êtes une résiliente.
06:20 - Exactement. - Alors ça c'est relativement rare.
06:22 La plupart du temps les personnes en situation de handicap ont une forme de complexe
06:26 lié au fait que déjà leur éducation a été une éducation à trous aussi, difficile,
06:30 et arrivé dans le monde du travail,
06:33 en fait ces longues périodes de chômage
06:36 font qu'il y a une perte de confiance totale
06:38 et puis également une forme d'incapacité à aller travailler
06:45 parce qu'on a peur d'un côté
06:47 et de l'autre on ne sait même plus comment se comporter,
06:49 même à un entretien d'embauche.
06:50 Donc c'est là que quelque part on a mis en place des dispositifs
06:54 qui accompagnent les entreprises. - Donc là vous les accompagnez et vous les préparez.
06:57 - Tout à fait, au travers de ce qu'on appelle le CDD tremplin,
07:00 le CDD tremplin qui permet par exemple pour nous en tant qu'association
07:05 de recruter la personne dans un premier temps chez nous.
07:07 - Donc c'est vous qui prenez entre guillemets la responsabilité de l'embauche ?
07:10 - Absolument, dans un premier temps on va la recruter en CDD,
07:14 on va la rendre employable la personne,
07:16 soit en développant un métier avec un partenaire,
07:20 je vais citer par exemple deux partenaires avec qui on travaille énormément,
07:22 même si ça ne plaît pas beaucoup, Amazon par exemple.
07:25 Amazon a une politique création d'emploi
07:29 et tournée vers le handicap.
07:31 Donc on va choisir un certain nombre de métiers,
07:34 on va accompagner les personnes et on va les accompagner surtout dans l'employabilité,
07:37 c'est-à-dire comment se comporter,
07:40 comment avoir confiance en soi,
07:42 tout ça dans un premier temps chez nous
07:45 et ensuite dans un deuxième temps, la personne est transférée chez le partenaire.
07:49 - Si on entend Serge Widawski parler comme ça à Benoît,
07:51 il faudrait que toutes les entreprises puissent bénéficier de ça ?
07:54 - Je pense que toutes les entreprises peuvent en bénéficier,
07:57 je pense que beaucoup d'entreprises l'ignorent.
08:00 - Mais c'est ça, on ne sait pas, vous le saviez vous ?
08:02 - Non honnêtement je ne le savais pas.
08:04 - Donc merci Elisabeth.
08:06 - Mais on est là pour ça, pour créer des ponts.
08:08 - Mais si on dit cette technique, je trouve qu'elle est très positive,
08:11 parce que là vous avez raison, il ne faut pas faire preuve de naïveté dans ces affaires-là,
08:14 et vous ne le faites pas tout et vous non plus.
08:16 - Vous parliez de peur tout à l'heure, c'est vrai que ça peut se faire.
08:18 - Je pense que l'entreprise peut dire "attendez, moi j'ai suffisamment de sujets à traiter
08:22 pour ne pas en plus devoir combler les déficits d'employabilité qui sont liés à des choses".
08:28 Donc je pense que vous évoquez.
08:30 Après il y a un autre point que vous avez évoqué qui est vraiment intéressant,
08:33 et je sais que, moi j'ai toujours beaucoup tenu,
08:35 puisque je connais pas mal de mes confrères ou conseillers qui t'aiment beaucoup,
08:37 c'est que pendant les périodes où on doit gérer son handicap,
08:40 ou par les différentes phases que vous avez évoquées,
08:42 les gens font quelque chose.
08:44 D'abord ils luttent, ils luttent.
08:47 Ça joue sur leur caractère, ça joue sur leur personnalité.
08:50 - Oui parce qu'on a un handicap qui arrive en cours de vie, on sait pas comment faire.
08:53 - C'est des éléments que l'entreprise doit pouvoir, et quand ça arrive en cours de carrière,
08:56 doit pouvoir intégrer parce que ça change les gens.
08:58 Moi j'ai toujours été frappé par le fait qu'on ne tenait pas compte du fait que
09:01 ces événements de la vie, ce qu'on appelle en assurance les accidents de la vie,
09:04 donc la fameuse garantie des accidents de la vie,
09:06 en fait elle crée quelque chose chez les gens,
09:08 elle crée un caractère, elle crée la résilience.
09:10 - Il faut du temps pour le transformer.
09:12 - Voilà, mais en revanche je trouve que la logique de partenariat que vous avez évoqué
09:16 elle est importante parce qu'on ne peut pas, et c'est pas du tout me réfugier à quoi que ce soit,
09:20 c'est pas mon genre, on ne peut pas demander à l'entreprise de couvrir tout, tout le temps
09:24 parce qu'elle ne peut pas le faire.
09:26 Quand c'est une grosse boîte on peut dire "ils ont de l'argent, ils font ce qu'ils veulent",
09:28 mais non bon c'est pas le cas.
09:29 Et puis en plus il y a un autre aspect, et je termine là-dessus,
09:31 j'évoquais de la peur, c'est vrai que, c'est pour ça que moi je souhaite
09:35 la normalisation des sujets de handicap dans les organisations.
09:38 Tout simplement pour arrêter d'avoir des gens qui ont peur de recruter
09:42 et je saurais pas le gérer, c'est pas forcément méchamment,
09:44 c'est pas la discrimination, ils disent "moi je saurais pas le gérer, je saurais pas faire".
09:48 Au tout début de l'émission vous avez dit un mot très important,
09:50 que j'ai pas réentendu depuis, c'est pour ça que je le mets,
09:52 c'est "il y a la question des aidants".
09:54 Or j'ai toujours observé dans les organisations, petites ou grandes,
09:58 que les salariés eux-mêmes ont une espèce de générosité naturelle
10:01 qui leur permet de dominer leur peur.
10:03 Autrement dit qu'ils viennent aider de manière assez naturelle,
10:05 et je trouve qu'il y a des entreprises qui font ça.
10:07 Il y a des dynamiques de solidarité avec des salariés handicapés
10:11 - Qui s'enclenchent naturellement.
10:13 - Exactement.
10:14 - Mais c'est un peu comme à l'école finalement.
10:16 Et si on avait un peu plus d'enfants ou d'étudiants en situation de handicap,
10:20 on apprendrait, parce que avant de rentrer dans le monde du travail,
10:24 à s'en occuper, à tendre cette main, à faire du O.D. quoi.
10:27 Mais à l'école aussi.
10:29 - Je vous parlais de la culture, c'est pour ça que j'évoquais mes origines,
10:32 mais c'est justement en étant dans des cultures où l'entraide est plus naturelle,
10:35 qu'on va avoir tendance à aller vers ce chemin-là.
10:38 Et c'est aussi ça qui m'a donné envie après ce parcours-là,
10:41 je vous parlais tout à l'heure du fait que j'ai eu une mauvaise chirurgie,
10:44 mais du moment où j'ai eu ma mauvaise chirurgie, je me suis fait réopérer pendant 3 ans,
10:47 c'était des discours "non madame, c'est dans votre tête, vous êtes un peu stressée, etc."
10:50 Donc pour trouver ces informations, ça a été très dur.
10:53 Et une fois que je les ai eues, je me dis "mais mon dieu, personne n'en a parlé".
10:56 - Surtout qu'on a fait une triose 10 ans en moyenne pour la détecter.
10:59 - Bien sûr, et les conséquences moteurs, ça existe, on n'en parle pas.
11:05 Et aujourd'hui, c'est pour ça aussi que j'ai eu envie de ce parcours-là,
11:08 d'aider d'autres personnes à comprendre ce qui leur est arrivé.