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Jaleh Bradea reçoit Elise Boghossian, fondatrice de EliseCare. L’ONG apporte une aide médicale et psychologique en zone de conflit. Partout dans le monde, EliseCare intervient auprès des populations civiles. Ses dispositifs Paix&Résilience ont permis de soigner pas moins de 100.000 personnes. Elise Boghossian et son organisation prennent aussi en charge les victimes de trafic d’être humain, d’esclavage sexuel, de torture et les enfants soldats. Actuellement, l’ONG récolte des fonds pour aider les victimes en Arménie.

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Transcription
00:00 [Musique]
00:08 Bonjour et bienvenue dans Envie d'agir où je suis ravie d'accueillir aujourd'hui
00:12 Élise Boghossian pour son ONG Élise Caire.
00:16 Bonjour Élise.
00:17 Bonjour.
00:18 Merci d'être avec nous.
00:19 Donc Élise Caire, depuis 10 ans, intervient dans 6 pays
00:24 au service des femmes et des enfants victimes des guerres et des conflits.
00:29 Pourquoi avoir créé cette association ?
00:33 Alors, c'est arrivé un peu naturellement, ça m'est même, je vais dire, ça m'est tombé dessus
00:40 puisque c'était au moment du conflit syrien où j'assiste depuis mon domicile parisien
00:47 à des scènes d'horreur qui se passent à Alep.
00:51 Et c'est précisément à Alep que mon grand-père a été déporté il y a un siècle
00:55 par les Turcs de l'Empire Ottoman.
00:57 Je vais vous dire, à ce moment-là, je ne pensais pas du tout à ça,
01:01 je ne pensais pas à m'engager, à faire de l'humanitaire.
01:04 J'avais 3 petits-enfants, mon dernier avait 3 ans.
01:07 Et à ce moment-là, je sens comme un appel et ça ne m'a pas arrêtée.
01:12 Au départ, effectivement, je pensais que c'était une fois, aller sur le terrain, aider,
01:18 soutenir ces visages frères qui étaient ceux de mon grand-père il y a 100 ans.
01:23 Et puis très rapidement, c'est devenu une organisation qui s'est construite
01:28 et qui s'est développée.
01:30 Et aujourd'hui, 10 ans plus tard, on continue.
01:33 - Et justement, vous l'avez dit, vous êtes maman de 3 enfants qui ont grandi.
01:38 Vous avez aussi un emploi, donc un quotidien forcément bien chargé.
01:42 Et vous allez, depuis ces 10 ans où votre ONG existe, en mission une à deux fois par mois
01:49 dans les pays où vous êtes présents, comment on fait, comment on revient surtout de ces missions
01:55 où je suppose que vous voyez des choses terribles, certainement des scènes insoutenables,
02:01 des témoignages difficiles, comment on fait pour revenir ?
02:05 - On m'avait déjà dit, pendant mes études de médecine chinoise en Chine,
02:09 le plus dur, c'est la première fois.
02:11 Et c'est vrai que la première fois que vous faites face à une expérience aussi douloureuse,
02:15 vous êtes choquée, traumatisée. Le temps dans l'avion, c'est un temps interminable
02:19 quand vous rentrez chez vous.
02:21 Et en même temps, très vite, je pense qu'il y a aussi des prédispositions,
02:27 des personnalités capables de porter ou de ne pas supporter ce genre de récits.
02:32 Moi, très vite, j'ai vu, j'ai eu la vision de ce que je pouvais faire,
02:36 de ce que je pouvais apporter, peut-être parce qu'inconsciemment,
02:39 je portais dans mes gènes ce traumatisme vécu, cette souffrance vécue.
02:45 - Et qui dit traumatisme dans vos gènes, d'ailleurs, dit sans doute ce désir d'agir,
02:54 cette envie d'agir qu'on a dans cette émission.
02:56 C'est-à-dire, c'est bien les traumatistes, souvent, qui fabriquent aussi des personnes
03:00 qui se sentent d'émission, comme ça, pour faire en sorte que les choses ne soient pas comme avant.
03:04 - Il y a une envie d'agir, il y a aussi une envie de réparer.
03:07 C'est vrai que, par rapport à quand vous me posez la question de comment on fait,
03:11 comment on supporte, comment on fait avec, c'est vrai qu'il y a aussi une forme de lucidité
03:16 qu'on a sur le monde actuel et c'est vrai que, moi, je ne voyais pas les contours de ma vie limitée
03:24 à mon arrondissement, à mon quartier dans Paris, à mes vacances,
03:28 à la satisfaction de mes besoins fondamentaux, j'avais besoin d'agir.
03:31 Et c'est vrai que d'être confrontée à cette réalité tout de suite très violente, très dure,
03:36 parfois insupportable, parce que vous êtes face à des femmes qui ont votre âge,
03:40 qui vivent des horreurs que vous ne supporteriez probablement pas,
03:43 vous vous dites "mais comment elle fait ?"
03:45 D'abord, ça a été des modèles d'inspiration fort, j'ai eu besoin d'écrire, j'ai eu besoin de témoigner,
03:50 j'ai eu besoin de laisser des traces pour mes enfants, et en même temps,
03:54 j'ai cherché tout le temps à une voie, un chemin pour être utile, pour réparer,
03:58 pour aider ces femmes, ces enfants à se reconstruire.
04:01 - Justement, parlons des enfants, puisque demain, 20 novembre, c'est la journée mondiale de l'enfance,
04:07 et si vous êtes parmi nous, c'est notamment pour parler des enfants victimes de la guerre.
04:13 Depuis 1954, cette journée est consacrée aux droits des enfants et à leur protection,
04:19 bien sûr, difficile de ne pas l'évoquer, notamment aujourd'hui,
04:22 avec l'actualité et le conflit israélo-palestinien.
04:25 Dites-nous, Élise, comment vous définissez un enfant de la guerre ?
04:30 - L'enfant de la guerre, c'est un peu l'effet collatéral de la folie, de la barbarie des adultes.
04:38 Et cet enfant, aujourd'hui, qui subit des guerres prolongées,
04:42 parce que les guerres sont de plus en plus violentes, elles sont de plus en plus longues,
04:46 elles sont ce qu'on appelle des guerres, soit hybrides, soit de haute intensité,
04:49 où parfois, le viol est pratiqué, l'esclavage est pratiqué, la torture est pratiquée, la famine est pratiquée.
04:55 Vous avez des enfants qui subissent, en plus de la perte d'un parent, la perte du domicile, l'exode,
05:02 qui subissent en plus des violences physiques,
05:05 et vous avez une espèce de désensibilisation à la douleur qui se met en place,
05:13 qui n'est rien d'autre qu'un mécanisme de survie.
05:16 Et lorsque vous récupérez, après le bruit des armes, ces enfants,
05:21 ce sont des espèces de morts vivants, des enfants qui sont complètement détachés, dissociés de leur corps,
05:27 parce que, pour pouvoir faire face à l'insurmontable, à l'insupportable,
05:32 ils ont toute une série de barrières, de filtres,
05:35 qui ont physiologiquement et physiquement et biologiquement des séquelles,
05:43 on les reconnaît, des neuroscientifiques ont vraiment mesuré l'impact de ces traumatismes
05:50 sur le développement de l'enfant, qui n'est plus capable d'apprendre,
05:53 qui n'est pas capable de mémoriser, qui n'est pas capable d'aller à l'école,
05:56 qui n'est pas capable d'aimer, de s'attacher, parce qu'il a peur,
05:59 parce qu'il est figé dans un comportement et un mécanisme de survie.
06:03 - Et c'est bien ça le stress post-traumatique, je pense, dont tu parles.
06:07 Et comment, qu'est-ce que vous faites quand vous les prenez en charge ?
06:10 Comment vous les aidez ?
06:11 - Les enfants de la guerre, il y a plusieurs catégories d'enfants de la guerre,
06:14 selon les types de pays, selon les lieux d'intervention,
06:18 vous pouvez avoir ce qu'on appelle des enfants soldats,
06:21 ce sont des enfants qui sont recrutés, enrôlés et manipulés,
06:25 parfois drogués aussi, pour devenir ce qu'on appelle des machines à tuer,
06:30 de la chair à canon, des soldats, des espions, des vigiles, des choses comme ça.
06:34 Vous avez d'autres types d'enfants qui sont des enfants objets et victimes de mafia,
06:40 de maltraitance, de prostitution infantile, des enfants qu'on envoie au travail forcé,
06:45 qu'on va mutiler, donc ça on en a aussi beaucoup en Irak, notamment à Mossoul.
06:49 Vous avez d'autres catégories d'enfants qui sont les enfants apatrides,
06:52 ce sont des enfants qu'on retrouve à la fin de la guerre, dans les ruines,
06:56 seuls, sans famille, et comme on ne sait pas précisément s'ils ont un lien ou pas
07:01 avec des combattants ou toute forme de milice, qu'elle soit armée, terroriste, paramilitaire,
07:06 peu importe, ces enfants deviennent automatiquement exclus de la société
07:10 et deviennent ce qu'on appelle des enfants sans collier.
07:15 C'est une expression pour expliquer, exprimer et décrire ces enfants
07:20 qui sont les enfants de personnes.
07:22 Après vous avez d'autres catégories d'enfants qui sont les enfants de familles,
07:25 de civils qui ont vécu l'exode, et ces enfants qui sont dans les catégories
07:30 les moins impactées, mais en réalité, quand vous mettez tous ces enfants ensemble
07:34 qui sont rien d'autre que la future génération qui va reconstruire la société
07:41 qui a vécu la guerre, vous faites plutôt d'abord le constat des dégâts, des blessures,
07:46 des séquelles sur le psychisme, ces enfants qui parfois ne sont pas allés à l'école
07:50 pendant plusieurs années, qui n'ont pas de projection possible.
07:56 En fait, il faut commencer le travail à la base, redevenir un parent pour cette enfance,
08:01 des parents de substitution, ça peut être un foyer, ça peut être le thérapeute,
08:04 le psychologue, l'éducateur, et puis recréer des cadres de sécurité.
08:08 L'enfant, pour se développer, a besoin de protection et d'amour.
08:12 Donc recréer ce cadre-là et le plus vite possible l'intégrer à l'école.
08:16 - Très bien. Effectivement, se le mettre dans la vraie vie
08:20 qu'il aurait dû avoir, l'aider à y aller.
08:22 Il y a plusieurs méthodes de thérapie, notamment la musique en est une
08:27 qui marche, paraît-il, très bien.
08:30 Je vous propose à ce propos de regarder le message engagé d'une de nos grandes musiciennes,
08:36 Astrig Cyranocian. On regarde et on se retrouve après.
08:40 - C'est une photo prise par mon amie Antoine Agudjan,
08:44 qui est un photographe incroyable, photographe de guerre notamment,
08:49 qui est sur le terrain. C'était un moment avec des enfants partagés,
08:52 des enfants pour la plupart déplacés du Carabach à Yerevan,
08:56 autour de la musique. C'était vraiment un moment où il y avait une légèreté
09:01 dans une situation très grave. Et ça a été très émouvant pour moi,
09:05 parce que moi qui voyage de scène en scène à travers le monde
09:09 pour des scènes de musique classique et autres,
09:12 ce rapport à la musique essentielle m'a fait beaucoup de bien.
09:17 Ce qui m'a vraiment le plus émue, c'est que déjà j'ai eu l'impression
09:21 de voir des enfants qui n'avaient presque pas d'habits,
09:24 des images que je pensais ne jamais voir réellement.
09:27 J'avais l'impression que c'était des images colorisées,
09:30 que j'avais vues des orphelins en Syrie du génocide arménien.
09:33 Je trouvais qu'ils avaient une tendresse, une douceur sur leur visage
09:38 qui était inexplicable face à la situation qu'ils étaient en train de vivre.
09:41 La musique a des vertus magiques, quelque part,
09:45 le fait d'avoir un sourire, d'avoir l'envie aussi de faire,
09:51 de participer, de jouer du violoncelle.
09:54 Il y en avait un qui s'appelait, qui s'appelle toujours d'ailleurs Achote,
09:58 et qui s'était assis sur mes genoux et on partageait un moment
10:01 et je trouvais que c'était incroyable parce que finalement,
10:04 la situation qu'ils vivaient eux de guerre, ils avaient tout perdu,
10:07 ils ne s'en rendaient peut-être pas compte.
10:09 Je sais que dans les foyers arméniens, les enfants ont une place très particulière
10:13 parce qu'ils représentent l'avenir et représentent surtout,
10:16 quelque part, une bataille gagnée pour une génération en plus
10:20 qui n'a pas, elle, été tuée.
10:22 Donc ce besoin de rire, ce besoin de se sentir vivant,
10:26 ce besoin est vraiment essentiel.
10:29 En tant que musicienne, mon rôle n'est absolument pas de véhiculer de la tristesse
10:34 mais au contraire de véhiculer, quelque part, une forme d'amour.
10:38 Merci beaucoup Astrig.
10:40 Élise, vous aussi, vous utilisez l'art et notamment, je crois,
10:43 la peinture comme thérapie pour les enfants.
10:46 Est-ce que vous avez un exemple d'une histoire depuis les dix ans que vous existez,
10:51 d'un enfant traumatisé qui aurait grandi et bien grandi grâce à votre ONG ?
10:57 On a développé l'art-thérapie chez des enfants et des petites filles
11:00 qui revenaient des trafics sexuels organisés par Daech.
11:04 Complètement mutiques, des jeunes filles qui avaient été arrachées à leur famille,
11:09 qui avaient assisté à des scènes de crime.
11:11 Toute la famille était massacrée, les enfants, les filles, les jeunes femmes
11:14 étaient emmenées dans les marchés au bestiaux et vendues comme récompense
11:18 aux combattants de l'État islamique.
11:21 Et c'est vrai que ces filles, qui ne sont pas capables de parler
11:24 ni d'exprimer ce qu'elles ont vécu, d'autant que des crimes d'honneur
11:27 sont pratiqués dans ces sociétés lorsqu'une fille est souillée dans sa famille
11:31 quand elle rentre, elles n'avaient pas les moyens d'exprimer
11:35 et elles étaient enfermées dans une souffrance extrême et elles avaient besoin,
11:39 et ça c'est nos psychologues spécialisés en art-thérapie
11:42 qui ont développé cet atelier-là, on leur a permis d'exprimer,
11:47 pareil pour les enfants soldats, d'exprimer leur souffrance à travers une création.
11:52 Donc on a effectivement beaucoup de scènes avec du sang, avec du feu,
11:56 avec des incendies, des têtes coupées, beaucoup de créations de ce type
11:59 qui vous saisissent quand c'est un enfant de 10 ans, 11 ans, 12 ans qui dessine ça.
12:04 Et puis le travail, qui est un travail de réparation en même temps
12:08 du stress post-traumatique, on l'aide à amorcer
12:13 à une transformation positive de ces traumatismes
12:17 et on l'amène, on l'accompagne via des projections positives,
12:21 notamment l'arbre de vie par exemple, où l'enfant à travers les racines,
12:25 le corps, les branches et les fruits se projettent dans l'avenir.
12:28 On a aussi des filles qui se mettent à dessiner des jardins, des soleils, des fleurs.
12:32 Ça met du temps, mais quand la couleur commence à rentrer dans les créations,
12:37 quand la couleur arrive, qu'il n'y a plus le rouge du sang, le noir du feu et de la mort,
12:42 quand le jaune, le vert, le bleu, l'orange arrive,
12:46 il y a quelque chose qui se passe à l'intérieur de l'enfant.
12:49 Et après il faut l'accompagner, l'accompagner, l'accompagner.
12:52 Et puis ils font des créations assez incroyables, d'ailleurs, qu'on va bientôt exposer.
12:55 - On viendra voir cette exposition, il faudra nous prévenir, je l'annoncerai dans l'agenda,
12:59 très vite, parce que malheureusement le temps file.
13:03 Votre envie d'agir dans les cinq prochaines années ?
13:06 - Alors dans les cinq prochaines années, on espère déjà dans les pays où nous sommes,
13:11 qu'on n'aura plus besoin et qu'ils n'auront plus besoin de nous.
13:13 Mais l'idée, c'est vraiment d'aider, l'étape d'après, c'est vraiment d'aider à travers l'éducation,
13:19 à travers l'accès à l'école, l'accès aux formations,
13:22 d'aider toutes ces personnes à s'autonomiser et à créer leur propre emploi.
13:27 Donc ça fait partie des projets futurs d'Éliscaire que de stimuler,
13:32 à travers la résilience, l'accès à l'emploi.
13:35 - Très bien, merci infiniment Élise, merci pour cet engagement magnifique.
13:40 Donc je rappelle dans le point agenda que le 20 novembre,
13:44 donc demain, c'est la journée mondiale de l'enfance.
13:47 Pour cela, je ne saurais que vous recommander le livre d'Élise Boghossian,
13:52 que vous voyez aussi sur l'écran, "Au royaume de l'espoir, il n'y a pas d'hiver".
13:57 Et ça, j'ai envie d'y croire, vraiment.
13:59 Sans relation avec cela, demain commence aussi la semaine européenne
14:05 pour l'emploi des personnes handicapées.
14:07 Je vous propose de rester avec nous, le spot de sensibilisation sera diffusé
14:11 juste après notre Envie d'agir d'aujourd'hui.
14:14 Et je vous rappelle bien sûr nos podcasts Envie d'agir,
14:17 l'histoire continue écrit par Audrey Dana,
14:20 toujours disponibles sur Apple, Deezer, Spotify et bien sûr MyKanal.
14:26 Et on se dit à très vite sur C8 pour plus d'Envie d'agir.
14:30 Merci.
14:31 ♪ ♪ ♪

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