Mercredi 11 octobre 2023, SMART BOURSE reçoit Michael Israël (Co-fondateur, IVO Capital Partners)
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00:00 Le dernier quart d'heure de Smart Bourg chaque soir c'est le quart d'heure thématique.
00:13 Le thème ce soir nous amène à parler de l'univers de la dette d'entreprise au sens
00:18 large avec un focus particulier sur la notion de levier d'endettement.
00:22 Nous en parlons avec Michael Israel, cofondateur d'Ivo Capital Partners à mes côtés en
00:27 plateau.
00:28 Bonsoir Michael.
00:29 Merci beaucoup d'être là et merci de venir faire ou refaire un peu de pédagogie sur
00:34 cette question de levier d'endettement net des entreprises.
00:38 Tout le monde a en tête qu'il y a des murs de refinancement qui arriveront un jour ou
00:42 l'autre.
00:43 On nous dit que ce n'est pas avant 2024 voire 2025 en fonction des univers d'investissement
00:48 et des grandes entreprises cotées.
00:50 Mais on sait que ces entreprises qui reviendront lever de la dette ou se refinancer sur le
00:55 marché à un moment le feront à des coûts de financement très différents de ce qu'elles
00:59 ont pu faire par le passé.
01:00 Et c'est donc un bon moment pour se focaliser à nouveau sur cette question du levier d'endettement
01:07 pour constater déjà, et vous êtes venu avec un graphique pour nous montrer la dispersion
01:11 qu'on peut avoir dans un univers d'investissement de la dette, entre des bien notés, des moins
01:16 bien notés, des zones économiques développées et des zones économiques émergentes.
01:23 Il y a une dispersion quand même en matière de levier d'endettement qu'il faut déjà
01:26 observer.
01:27 Oui, c'est exactement ça.
01:29 Comme les graphiques le montrent de manière assez claire, à gauche vous avez l'univers
01:34 des sociétés bien notées, donc les investment grade, et à droite l'univers des sociétés
01:40 moins bien notées, le high yield.
01:41 Et on voit que la courbe grise tout en haut c'est la courbe européenne, la courbe noire
01:47 c'est les Etats-Unis et la courbe bleue ce sont les émergents.
01:49 Pour le segment qui concerne les émissions internationales, vous savez les émissions
01:53 en hard currency, les émissions en dollars, qui sont faites par les sociétés basées
01:57 dans des pays émergents.
01:58 Et on voit qu'effectivement c'est très disparate, et les chiffres sont assez spectaculaires
02:03 puisqu'on a quasiment trois fois moins de levier, comme on dit, trois fois moins d'endettement
02:09 sur les bilans des sociétés des pays émergents par rapport à celles des pays développés
02:14 pour l'investment grade, et à peu près deux fois moins sur le segment high yield.
02:19 Alors c'est un sujet qui est particulièrement intéressant parce qu'il est quand même
02:23 un peu masqué malgré tout.
02:25 D'abord il n'était pas d'actualité honnêtement pendant 10-15 ans, tout simplement parce
02:30 qu'effectivement d'être plus ou moins endetté ne faisait pas tellement la différence,
02:34 et c'est intéressant de regarder pourquoi, mais ça ne faisait pas vraiment la différence
02:38 sur le dernier cycle, comme on était sur un cycle d'easy money, d'argent facile,
02:43 et d'argent toujours moins cher, et bien ce n'était pas si idiot que ça d'avoir
02:49 plus de dettes et plus et plus de dettes sur le bilan.
02:52 Maintenant les conditions ont changé, le "higher for longer" commence à s'installer
02:57 dans le paysage, et donc ces fameux murs de dettes dont on nous avait expliqué que ce
03:01 n'était pas très grave parce que les sociétés s'étaient refinancées au bon moment et
03:05 que ce n'était pas pour demain, ils masquent le problème, parce qu'effectivement elles
03:11 se sont refinancées, on ne le voit pas dans leurs publications de résultats, que si demain
03:15 elles avaient à se refinancer, ce sera tout à fait différent, si jamais l'assiette,
03:20 c'est-à-dire le leverage, l'assiette sur laquelle on va appliquer les nouveaux taux,
03:24 n'est trop important.
03:25 Je voyais même qu'au cours de cette année 2023, il y a encore des émetteurs qui arrivent
03:28 à abaisser leur structure de coût, leur coût de financement et leur charge d'intérêt.
03:32 Alors ça moi je ne l'ai pas beaucoup vu, justement je regardais un article qui a dû
03:38 paraître il y a 2-3 jours sur Altice, où ils expliquaient qu'ils avaient fait un refinancement
03:43 sur du leverage loan, c'est ça ? Oui, mais enfin les taux ils étaient…
03:47 Oui, oui, non mais au-delà des suspects habituels effectivement, mais je voyais quand même
03:51 qu'avec le jeu des maturités, les émetteurs arrivaient encore à contenir très largement
03:57 leur coût de financement.
03:58 Avec le jeu des maturités peut-être, et le fait effectivement que les spreads, mais
04:01 là c'est peut-être un peu trop de détails, mais les spreads ne sont pas au plus haut,
04:05 mais l'un dans l'autre, l'addition de la partie taux plus la partie spreads, c'est
04:10 quand même très difficile pour une société aujourd'hui de venir se refinancer dans le
04:13 marché à des coûts inférieurs à ce qu'elle a pu faire ces dernières années, c'est
04:17 quasi impossible.
04:18 Vous dites le sujet est masqué, pour ça vous êtes venu aussi là avec un cas pratique
04:22 très éclairant, c'est-à-dire deux sociétés, alors dans deux univers différents, puisqu'on
04:28 a une société européenne, une société émergente, dans le segment high yield du marché,
04:35 au rendement, même EBITDA, mais un levier différent.
04:40 Vous disiez jusqu'à présent que ça ne changeait pas grand-chose dans la structure
04:44 et dans le bilan de l'entreprise.
04:46 Voilà, c'est un petit peu l'exercice du cas ici, c'est de remettre un peu des chiffres,
04:49 parce qu'effectivement comme on ne le voit pas, on repousse un peu cette idée derrière
04:53 nous, mais si vous regardez, deux sociétés qui feraient 100 millions d'EBITDA et puis
04:56 on a tout simplement repris les chiffres des levels d'endettement que vous avez vu juste
05:02 avant, et vous dites, une société qui fait 100 millions d'euros d'EBITDA et qui aurait
05:07 pu avoir la possibilité de se leverager jusqu'à 4,5 fois son EBITDA, comme c'était le cas
05:13 dans la zone européenne par exemple, aurait sur son bilan, a priori, de l'ordre de 450
05:17 millions d'euros de dette.
05:18 Si vous regardez les hypothèses, on va descendre tout en bas directement, au début, les deux
05:25 sociétés, vous en avez une qui a deux fois EBITDA de leverage, donc 200 millions, vous
05:29 voyez qu'elles ne font pas tellement de différence en free cash flow.
05:32 Jusqu'à maintenant, ça ne faisait pas la différence pour le même EBITDA, même si
05:37 vous étiez deux fois plus leveragé, vous génériez à peu près le même free cash
05:40 flow.
05:41 Si vous remettez maintenant les nouveaux inputs et vous mettez les nouveaux coûts de la dette
05:45 dans chacune des zones géographiques, on voit que la différence se fait, elle est
05:49 même significative, vous avez dans un cas 56% de baisse du free cash flow et dans un
05:55 autre cas, une baisse de 22%.
05:57 Et ça, c'est juste l'effet de l'assiette, mais encore une fois, jusqu'à maintenant,
06:01 on ne l'a pas vu, d'ailleurs, on ne l'a pas vu non plus sur les taux de défaut.
06:03 Si on regarde le taux de défaut historique des 10 dernières années, enfin, ou 15 dernières
06:09 années sur l'Europe, il est très faible.
06:10 Pour cause, on pouvait s'en déter plus parce que l'assiette pouvait grossir parce que le
06:15 taux baissait.
06:16 Mais là, ce n'est plus le cas et on pense que c'est un sujet vraiment qu'il faudrait
06:21 regarder de plus près.
06:22 - Donc, "debt net" sur EBITDA, c'est ça la définition consensuelle du levier ? Ça
06:27 veut dire que dans cette séquence devant nous de refinancement ou de matérialisation du
06:34 risque du coût de financement pour ces entreprises, il va falloir être très attentif à la marge
06:39 d'EBITDA, c'est ça ?
06:40 - Oui, c'est ça.
06:41 - Ça va être la protection ?
06:43 - Je pense que c'est vraiment un des critères pour se protéger.
06:46 Donc, il y a le premier critère, c'est de regarder où on en est des effets de levier.
06:49 Est-ce qu'on a des sociétés endettées ou pas ?
06:51 D'ailleurs, j'entends beaucoup, il y a des questions sur pourquoi les small cap en equity
06:56 ne remontent pas, etc.
06:58 Si vous regardez, moi je connais plus le marché US, si vous prenez le Russell 2000 par exemple,
07:02 c'est là où il y a du lèvret, ce n'est pas sur le S&P.
07:04 Donc, effectivement, quand vous avez des sociétés qui rentrent dans ce cycle avec
07:08 de la dette sur leur bilan en assiette, vous remettez ce qu'on vient de faire, les taux
07:12 dessus et vous allez voir qu'elles vont travailler quand même plus pour les créanciers que
07:16 pour les actionnaires si on compare avec le cycle qui vient de s'écouler.
07:19 Et donc, il y a deux choses à regarder, l'assiette, très important, et deuxième
07:23 chose, c'est effectivement ces notions de marge et bidet.
07:26 Parce que ce n'est pas du tout pareil d'être une société qui est endettée certes, mais
07:31 qui a des marges et bidets très importantes et qui peut encaisser un ralentissement,
07:35 voire un retournement de cycle, et une société qui est notamment endettée et en plus travaille
07:41 avec des marges et bidets très faibles.
07:43 Parce que là, les problèmes peuvent arriver très vite, très fort.
07:45 Là aussi, vous avez fait l'exercice, on n'a pas le graphique je crois, mais pour
07:51 une baisse de 10 millions de revenus, l'impact financier avec des coûts de financement plus
07:57 élevés est très différent pour une entreprise qui fait une marge de 10% et une qui fait
08:00 60 ou 50% de marge.
08:02 Oui, et surtout si on regarde comment est constituée sa marge, cette fameuse marge
08:06 qu'elle fasse 10% ou 60%, ce qui est important aussi c'est est-ce qu'elle fait sa marge
08:11 avec des coûts fixes ou elle fait sa marge avec des coûts variables.
08:14 Mais ce que je peux vous dire c'est que de toute façon, si vous avez peu de marge,
08:17 une baisse de 5% des revenus ou de 10% des revenus peut représenter 50% de baisse de
08:21 votre EBITDA.
08:22 Évidemment, quand vous avez des sociétés qui font des marges et bidets importantes,
08:26 vous êtes protégé contre ce retournement de cycle.
08:29 C'est des sujets très micros qui, d'après nous, ne sont vraiment pas tellement regardés
08:35 parce qu'ils n'étaient pas un problème jusqu'à aujourd'hui.
08:38 Et ce qu'on voit, c'est que depuis que ce "hire for longer" est en train de s'installer
08:42 un peu dans les esprits, je rappelle encore qu'il y a quelques mois, on n'y était pas
08:45 encore dans le "hire for longer".
08:47 On espérait le pivot de la Fed.
08:49 La sortie de l'été, que ça s'est matérialisé.
08:50 Vous vous souvenez ?
08:51 Bien sûr.
08:52 Le pivot de la Fed, etc.
08:53 Là, il commence à y avoir des annonces de résultats.
08:55 Les publications, il n'y avait pas non plus de problème parce que tout le monde avait
08:58 pu augmenter ses ventes, passer ses coûts d'inflation, etc.
09:03 Bon, il y a un petit peu plus de tension sur les revenus.
09:06 On ne vend pas finalement autant que...
09:08 Et derrière, les coûts de financement, c'est peut-être pas si loin que ça.
09:13 Le moment où il va falloir se poser la question, d'autant que les sociétés ne se refinancent
09:17 pas, ce n'est pas vrai non plus de dire que si elles ont des dettes en 2025, elles vont
09:20 commencer à s'en inquiéter en 2025.
09:22 Oui, très clair.
09:23 Ça se fait un petit peu avant.
09:26 Ce risque sur les coûts de financement, est-ce que c'est un argument en faveur de votre
09:32 univers d'investissement et de votre univers de spécialité, Michel, à savoir la dette
09:36 des entreprises émergentes ? Et on parle souvent dans ce cas-là de dette high yield, haut
09:41 rendement en l'occurrence.
09:42 Oui, oui.
09:43 De toute façon, c'est vraiment l'argument phare de cette classe d'actifs.
09:46 Encore une fois, je dis pendant 10 ans, il a apporté du plus, mais ça n'a pas été
09:53 si game changer que ça.
09:56 Mais là, le contexte nous signale en tout cas qu'il y a tout pour que ça devienne un
10:01 vrai sujet de différenciation.
10:03 Rentrer dans ce cycle avec des taux d'intérêt plus élevés, peut-être pour plus longtemps,
10:08 et moins de levier, et les plus hautes marges EBITDA, parce que c'est souvent dans cet
10:13 univers d'investissement qu'il y a des hautes marges EBITDA.
10:15 Parce que c'est des secteurs différents qui sont représentés notamment dans les
10:18 indices et par les émetteurs.
10:19 Oui, d'abord, vous avez raison.
10:20 Les infrastructures, les choses comme ça, ce sont des secteurs qu'on retrouve peu,
10:23 qu'on retrouve énormément dans les émergents et peu dans les développés.
10:27 A contrario, vous allez retrouver beaucoup de retail qui sont des marges EBITDA beaucoup
10:31 plus serrées.
10:32 Donc voilà, il y a la constitution même de l'univers qui fait qu'on retrouve plus
10:37 ces sociétés-là.
10:38 Alors, ça ne veut pas dire qu'elles n'ont pas d'autres risques, il y a tous les risques
10:41 géopolitiques, etc.
10:42 Mais c'est vraiment sur le risque micro.
10:44 On peut travailler de manière plus à l'aise sur ces émetteurs-là parce qu'elles n'ont
10:50 pas tout simplement ces contraintes de levier au moment de rentrer dans ce changement de
10:54 cycle.
10:55 Est-ce que vous avez une idée ou une perception du moment où ce sujet pourrait à nouveau
11:01 se révéler dans un calendrier devant nous ?
11:04 On a quand même l'impression qu'il est en train.
11:06 Il est en train.
11:08 Vous voyez, l'histoire d'Altice, je trouve que c'est… juste pour redonner des chiffres,
11:13 il paraît que la ligne de financement, elle coûtait 2,25 et elle leur coûte 10.
11:18 Donc, c'est même beaucoup plus que l'exemple qu'on vous a montré.
11:21 C'est cinq fois plus.
11:22 Donc, je pense que le sujet est en train de venir.
11:25 Si les publications de résultats, je vous ai entendu parler sur l'émission précédente
11:29 d'LVMH et tout ça, si des publications de résultats montrent aussi que finalement,
11:34 les arbres ne montent pas au ciel sur les ventes, sur la capacité à augmenter ses
11:38 prix, etc.
11:39 On pourrait tout de suite avoir un sujet et se rendre compte.
11:44 Je ne dis pas que c'est le massacre.
11:46 Je dis juste qu'en tout cas, il y a de la détérioration qui n'est pas forcément
11:50 anticipée, qui est possible sur les sociétés qui sont endettées dans ce changement de
11:57 cycle.
11:58 Est-ce que vous bénéficiez encore aujourd'hui de primes ou d'absence de décote, notamment
12:02 à travers les spreads, par rapport à cette situation qui pourrait devenir gênante ?
12:06 Je dirais que sur les spreads européens, sur le high yield, les choses ont repricé.
12:11 Mais ajuster du levier, est-ce que ça price assez bien ?
12:15 Je ne sais pas.
12:17 Ce sont des niveaux de spread inférieurs à ceux des émergents et avec des niveaux
12:23 d'endettement qui n'ont rien à voir.
12:24 A ce stade, quelle est la logique ? Quels sont les principaux facteurs qui guident
12:32 votre logique d'investissement chez Evo Capital Partners ?
12:35 Essayer de faire le focus, toujours, d'aller chercher des sociétés qui ont des leviers
12:41 les moins importants.
12:42 Parce que nous, ça reste un univers d'investissement.
12:43 Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas aussi des mauvais élèves.
12:45 Il y en a.
12:46 C'est vraiment porter de l'attention sur ce qui se passe sur les bilans avec les nouveaux
12:51 coûts de financement, donc peu de leverage, des bonnes marges et bid'a.
12:54 On privilégie beaucoup les infrastructures.
12:55 Niveau géographique, on fait attention aussi.
12:57 Il y a des sujets géopolitiques.
12:59 Il y en a encore plus maintenant.
13:00 On est très surpondérés Amérique latine, très sous-pondérés Asie.
13:06 L'autre chose qu'on va chercher, c'est cette histoire de valeur embarquée.
13:13 L'idée, c'est de dire que même sur les taux, on n'est pas tout à fait stabilisé.
13:18 On ne sait pas si les taux vont encore monter.
13:20 Je parle notamment de la courbe américaine.
13:22 C'est d'avoir un coussin de sécurité assez important, chercher à le fabriquer.
13:28 Dans notre univers d'investissement, ce qui est bien, c'est qu'on n'a pas besoin d'aller
13:31 chercher des sociétés trop endettées pour aller chercher de l'extra rendement.
13:35 On essaye justement de partir avec des coussins entre 8 et 10 %.
13:38 Ça nous laisse de la marge par rapport aux taux sans risque si les taux continuent à
13:42 monter encore.
13:43 Merci beaucoup, Mickaël.
13:44 Merci pour cette pédagogie autour de l'aspect bilanciel et du levier d'endettement des
13:51 entreprises et cette comparaison entre les différents univers d'investissement.
13:54 Mickaël Israel, qui était à nos côtés en plateau, cofondateur d'IVEO Capital Partners.
13:59 Merci, Guérard.
14:00 Merci.
14:01 Merci.
14:02 ♪ ♪ ♪