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Après l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan pour prendre le contrôle du Haut-Karabakh, l'historien Vincent Duclert et le journaliste envoyé spécial de France Inter, Timour Ozturk, répondent à Ali Baddou et Marion L'hour.

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Transcription
00:00 Et ce matin nous revenons sur le conflit dans le Haut-Karabakh, après l'offensive
00:03 militaire de la Zerbaïdjan contre la communauté arménienne.
00:06 100 000 personnes ont déjà fui en direction de l'Arménie.
00:10 L'invité du Grand Entretien avec Marion Lourdes, nous recevons l'un de nos grands
00:14 historiens, spécialiste des génocides.
00:16 Ses travaux font autorité, il publie un livre important, "Arménie, un génocide sans fin
00:22 et le monde qui s'éteint".
00:23 C'est aux éditions des Belles Lettres.
00:25 Le livre sort mercredi en librairie.
00:28 Chers auditeurs, vos réactions au 01-45-24-7000 ou sur l'application France Inter.
00:34 Bonjour Vincent Duclert.
00:35 Bonjour.
00:36 Et bienvenue, beaucoup de questions à vous poser.
00:38 "Arménie", je le disais, c'est un livre important et c'est un livre qui est à la
00:41 fois un travail d'historien et c'est aussi un livre intime où vous parlez à la première
00:45 personne, où vous vous engagez pour nous expliquer les enjeux de ce qui se joue dans
00:50 cette région du Caucase.
00:52 On va en parler dans un instant mais nous sommes en duplex avec Timo Roos Turk, envoyé
00:56 spécial de France Inter en Arménie.
00:58 Bonjour Timo.
00:59 Bonjour à tous.
01:00 Vous êtes arrivé à Goris, cette ville du sud de l'Arménie où arrivent en masse
01:05 les réfugiés.
01:06 Quelle est la situation sur place ?
01:07 Alors pour arriver à Goris, depuis la capitale Yerevan, il faut prendre une route qui serpente
01:13 dans un relief aride du nord au sud de l'Arménie.
01:16 Une route en mauvais état sur laquelle nous avons croisé un flot ininterrompu de réfugiés
01:21 du Haut-Karabakh qui la remonte en direction de la capitale arménienne.
01:24 On croise parfois de très vieilles voitures produites sous l'URSS, des Ladas qui peinent
01:29 dans les côtes, le toit chargé de ballots, des cartons, des meubles de l'électroménager.
01:34 Tout ce que les Arméniens du Haut-Karabakh ont pu prendre avec eux dans la précipitation
01:38 avant de quitter l'enclave.
01:40 On rencontre aussi des familles dans des restaurants routiers, des stations-services, des nouveau-nés
01:44 aux grands-parents.
01:45 Tout le monde a pris la route de l'exil.
01:47 Une route sur laquelle on croise aussi des bus affrétés pour les exilés, des ambulances,
01:52 des voitures de police, des camions bâchés de l'armée.
01:54 Les autorités arméniennes tentent d'organiser comme elles le peuvent ce véritable exode.
01:58 Gori, c'est en fait le point de transit des réfugiés.
02:01 C'est une petite ville dans une vallée encaissée au sud du pays.
02:04 C'est la ville la plus proche du corridor de la Chine d'où arrivent les Arméniens
02:08 du Haut-Karabakh.
02:09 Ils passent ici quelques heures, quelques jours avant de se rendre à Yerevan ou bien
02:13 de se répartir dans les différentes régions arméniennes.
02:15 Oui, Timur, que vous disent les réfugiés que vous avez rencontrés à la fois sur les
02:19 raisons de leur départ et sur les conditions matérielles ?
02:21 Ils sont encore sous le choc ces réfugiés.
02:24 Ils ne réalisent pas tous vraiment ce qui leur arrive.
02:26 Une jeune Arménienne de Stepanakert me disait hier qu'elle avait l'impression de vivre
02:30 un cauchemar, qu'elle allait bien finir par se réveiller.
02:32 On le voit aussi dans les yeux de nos interlocuteurs qui regardent dans le vide, qui parlent d'une
02:37 voix très faible, qui sont épuisés par l'exil, par la guerre et par le blocus qu'ils ont
02:41 subi pendant presque dix mois avant même l'assaut azerbaïdjanais.
02:45 C'était une sorte de siège et ses conséquences sont visibles sur les corps avec des personnes
02:50 très maigres aux joues creusées.
02:52 Ils sont traumatisés par les bombardements de la guerre de 24 heures qui a définitivement
02:57 rayé de la carte la république séparatiste d'Artsar.
02:59 Ils se sont cachés dans des caves sans électricité, terrifiés à l'idée que les troupes de Bakou
03:04 puissent entrer dans Stepanakert.
03:05 Et quand leur camp a déposé les armes, ils ont décidé de partir parce qu'ils ont peur
03:09 des exactions, ils le disent, parce qu'ils ne s'imaginent pas aussi vivre sous l'autorité
03:13 de l'état azerbaïdjanais.
03:14 Oui, question d'honneur aussi.
03:16 Il y a la peur et l'honneur, Timur.
03:19 On ne peut pas accepter de vivre sous le joug de nos ennemis, me confiait hier l'un de
03:23 ces réfugiés qui admettait toutefois que les soldats azerbaïdjanais ne l'avaient
03:26 pas maltraité au moment de passer la frontière, qu'ils étaient restés cordiaux, lui avaient
03:30 même proposé de l'eau, ce qui l'a pris lui comme une insulte, comme une humiliation.
03:33 Comment peut-on accepter quoi que ce soit de ceux qui viennent de vous expulser par
03:37 les armes de votre patrie, demande-t-il avec colère ?
03:39 Un mot, l'état arménien est débordé, il arrive à assurer malgré tout l'accueil
03:44 de tous ces réfugiés ?
03:46 Forcément débordé parce que selon les derniers chiffres du gouvernement, on compte près
03:51 de 100 000 réfugiés enregistrés.
03:53 Yerevan n'arrive pas à fournir un logement pour tous pour le moment, il n'y a pas assez
03:57 d'hôtels à Goris, la Croix-Rouge a bien monté de grandes tentes sur une place en
04:01 centre-ville, les exilés s'y réchauffent un peu parce que la température avoisine
04:05 les 10 degrés la nuit ici, ils y entassent leur sac, on leur distribue de la nourriture
04:09 mais il n'y a pas de place pour tout le monde, beaucoup dorment dans leur voiture.
04:12 Un homme de 66 ans en mauvaise santé m'a voué hier qu'il ne savait pas où dormir,
04:16 il n'avait pas de voiture, pas d'argent.
04:17 Le gouvernement arménien a promis de verser 100 000 drams à chaque exilé mais ça fait
04:21 250 euros.
04:22 Qu'est-ce que ça veut dire de donner 250 euros à des gens qui ont perdu leur maison
04:26 et leur terre sans porter un réfugié avec qui j'ai discuté hier ?
04:30 Merci infiniment Timo Roos-Turk d'avoir été avec nous en duplex depuis Goris avec
04:35 les moyens techniques d'Alexandre Abergel et merci aussi à votre fixeur Maritar Maritarian.
04:41 On va revenir vers vous Vincent Duclert puisque ce livre "Arménie, un génocide sans fin
04:46 et le monde qui s'éteint" restitue le temps long de cette histoire qui remonte à 1915
04:52 et même avant.
04:53 Vous allez nous la restituer, reprendre le fil rouge.
04:57 Depuis l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan, beaucoup disent que c'était prévisible.
05:03 Prévisible mais inévitable ?
05:06 C'était en tout cas très organisé.
05:09 Je tiens du reste à saluer aussi votre portaire sur le terrain et les chaînes qu'il les
05:12 envoie.
05:13 C'est très important parce que l'information on l'obtient grâce aussi au travail des journalistes.
05:17 C'était prévisible parce que l'Azerbaïdjan a tout mobilisé pour obtenir finalement cette
05:24 épuration ethnique techniquement très réussie parce qu'il n'est même pas besoin effectivement
05:29 de menacer les Arméniens et de les expulser.
05:32 Ils s'en vont d'eux-mêmes, ils brûlent.
05:33 Ils savent que c'est un départ sans retour.
05:36 Et là effectivement il faut voir que ce succès technique effroyable, succès militaire,
05:44 succès aussi de l'utilisation de la terreur, résulte de deux faits très proches de nous.
05:51 D'abord la guerre de septembre 2020 avec la défaite de l'Arménie et du Haut-Karabagh.
05:58 Et là cette guerre, on l'a bien étudiée, c'est une guerre d'agression avec le soutien
06:03 de la Turquie qui envoie des forces spéciales.
06:05 Il y a toute une série de crimes de guerre qui ont été notés.
06:09 Donc déjà il y a eu une forme de terreur qui s'est installée en Arménie et au Haut-Karabagh.
06:13 Et puis, et votre reporter l'a bien dit, le blocus, ce blocus qui a commencé en décembre
06:18 2022, qui a duré quasiment un an, c'était quoi ? Et là on peut en y revenir.
06:23 Mais du point de vue de la Convention sur les génocides de 1948, c'est un acte de
06:28 génocide.
06:29 C'est-à-dire qu'en fait on affame une population.
06:30 Et si la population aujourd'hui du Haut-Karabagh fuit en masse, c'est parce qu'elle a compris
06:35 que les Azerbaïdjanais étaient prêts à tout.
06:38 Alors une question Vincent Duclert, une question qui peut vous sembler naïve mais contrairement
06:44 à Kiev, écrivez-vous, Yerevan ne peut pas attendre de secours des Occidentaux sinon
06:49 des déclarations de solidarité dont celle de la France.
06:52 Comment l'expliquez-vous ?
06:53 D'abord parce qu'effectivement les Occidentaux se sont mobilisés sur le front ukrainien,
06:59 et on voit que finalement l'Arménie c'est au fond un deuxième front.
07:02 Parce qu'il faut rappeler que la Russie a été extrêmement hostile aujourd'hui à
07:10 la République d'Arménie en raison de la révolution démocratique.
07:12 Alors qu'elles sont supposées être alliées.
07:14 Mais sauf qu'en 2018, il y a une révolution démocratique en Arménie.
07:17 Et comme il y a eu aussi en Ukraine cette révolution.
07:20 Donc aujourd'hui la Russie est très heureuse d'infliger à l'Arménie une défaite très
07:26 lourde, qu'elle a finalement un allié, c'est l'Azerbaïdjan, un peu finalement équivalent
07:30 à la Biélorussie si on peut dire.
07:31 Sauf que l'Azerbaïdjan est encore plus offensif.
07:33 Et donc aujourd'hui l'Arménie est totalement isolée parce qu'il est impossible de mobiliser
07:41 les Occidentaux qui sont en plus divisés avec des soutiens quand même accordés à
07:46 l'Azerbaïdjan.
07:47 On le sait, il faut revenir aussi au cadre régional.
07:49 L'Azerbaïdjan est en conflit avec l'Iran.
07:52 Donc tous les pays qui veulent repousser l'Iran s'allient à l'Azerbaïdjan.
07:57 - Exemple Israël.
07:58 C'est très étrange d'ailleurs de le constater.
08:01 - Oui c'est très étrange.
08:02 Mais on ne peut pas non plus reprocher à un pays de se défendre.
08:05 Il y a des éléments géopolitiques régionaux.
08:08 Et puis au-delà de ça, on s'attaque quand même à un peuple de rescapé du génocide.
08:12 Et moi ma thèse, c'est que lourdement j'ai essayé de la valider par les faits historiques,
08:19 c'est qu'on a une continuation effectivement de l'extermination des Arméniens avec le
08:24 Haut-Karabakh.
08:25 - Vous iriez jusqu'à dire, comme cette réfugiée qui a été citée dans la presse
08:27 cette semaine, cette réfugiée du Haut-Karabakh, que le monde entier laisse faire.
08:30 Il y a des enjeux économiques aussi, notamment le fait que Bakou est en train de s'enrichir
08:35 avec la demande de gaz européens et qu'on a du mal à se défaire d'eux en fait.
08:40 - Alors le monde entier, il faut s'entendre.
08:42 D'abord il y a quand même la France, à travers les déclarations d'Emmanuel Macron, à travers
08:50 celles notamment de Nathalie Loiseau au Parlement européen, a montré qu'il y avait une volonté
08:56 de soutenir les Arméniens.
08:57 Il faut quand même se souvenir aussi que c'est la France qui par exemple a panthéonisé
09:00 Manouchian.
09:01 Et puis ce qu'a fait Macron sur le génocide des Tutsis, ce que personne d'autre n'avait
09:10 fait auparavant.
09:11 - C'est le génocide sur lequel vous avez travaillé, le Rwanda.
09:14 - Tout à fait.
09:15 Donc il y a effectivement des déclarations.
09:17 Mais on l'a vu, il y a des intérêts économiques, des intérêts géopolitiques qui font que
09:25 la mobilisation pour l'Arménie est difficile.
09:27 Et puis d'un point de vue, les relations internationales, c'est aussi du réalisme cru.
09:34 Aujourd'hui l'Arménie c'est une cause perdue.
09:36 Il n'y a aucun moyen matériel d'aider l'Arménie.
09:40 C'est un pays totalement enclavé.
09:43 Entre frontières avec la Russie, avec l'Iran, avec la Turquie, avec l'Azerbaïdjan.
09:47 Mais ceci dit, il faut bien voir aussi deux choses.
09:51 Premièrement, les relations internationales changent.
09:55 Pour agir en tant que dirigeant, il y a un momentum.
09:58 Aujourd'hui, effectivement, la France d'une certaine manière, si elle s'avance trop
10:03 dans ce soutien à l'Arménie, qu'est-ce qui va se passer ? Elle va se retrouver seule
10:06 et elle va perdre aussi du crédit international.
10:09 Donc il faut attendre le bon moment.
10:10 Et la deuxième chose qu'il faut ajouter, c'est que le monde, ce n'est pas seulement
10:13 les dirigeants internationaux.
10:14 Il y a une conscience publique.
10:16 Et c'est effectivement aussi ce qu'on essaye de faire, si vous me recevez aujourd'hui,
10:21 c'est parce que vous avez conscience de ça.
10:22 Et effectivement, il faut mobiliser, il faut qu'il y ait un choc de conscience en Europe,
10:26 en France, pour les Arméniens.
10:27 Je vous cite Vincent Duclert, "Ce qui se joue dans ces confins lointains du Caucase est
10:32 ni plus ni moins que le sort d'une certaine idée de l'humanité auquel les Arméniens
10:38 ont lié leur nom.
10:39 Parce que leur histoire révèle ce qu'un peuple peut subir de violence jusqu'au bout
10:44 de la nuit."
10:45 D'un mot avant de prendre les questions des auditeurs, et ils sont nombreux à vouloir
10:49 vous interroger, comment qualifier ce conflit ? Est-ce que c'est un conflit religieux,
10:54 comme on le présente parfois ? Est-ce que c'est un affrontement de nationalisme ? Quelle
10:58 est la clé de lecture la plus pertinente pour essayer de comprendre ce qui se joue
11:01 pour les Arméniens ?
11:02 Il faut revenir effectivement sur les états agresseurs.
11:06 L'Azerbaïdjan et la Turquie.
11:09 Ce sont deux états qui sont héritiers des jeunes turcs qui ont perpétré le génocide
11:15 des Arméniens en 1915.
11:17 Et qui ne le reconnaissent pas d'ailleurs.
11:19 Qui fondent leur identité sur le refus de reconnaître ce génocide.
11:22 Absolument.
11:23 Vous avez absolument raison.
11:24 Moi je l'ai bien connu parce que j'ai étudié, travaillé en Turquie dans les années 80.
11:31 Et j'ai travaillé sur l'histoire de la Turquie.
11:33 Et bien il y a une obsession anti-arménienne en Turquie.
11:35 Comme en Azerbaïdjan.
11:36 C'est-à-dire que l'ennemi intérieur, l'ennemi extérieur, c'est en permanence l'Arménien.
11:41 Donc il faut s'intéresser aux deux états agresseurs.
11:46 Et puis, effectivement, si je l'ai dit, si les Arméniens portent avec eux une histoire
11:51 de l'humanité, c'est qu'ils ont subi le premier génocide.
11:53 Donc les génocides c'est une réalité historique.
11:56 Abandonner les Arméniens, c'est abandonner cette connaissance que l'on a des génocides
12:02 et aussi de la manière dont on survit.
12:05 Les Arméniens ont développé une résilience, une résistance impressionnante à leur destin.
12:12 Et enfin, je terminerai sur ce point qui me paraît très important, c'est que la France
12:17 et les Arméniens ont une relation extrêmement étroite.
12:20 Les premiers, les grands massacres de 1794, donc il y a 30 ans, il y a 130 ans, qu'effectivement
12:25 les Arméniens sont victimes de massacres organisés absolument terribles.
12:28 Et bien qui s'est mobilisé ? Jaurès, Proust, Péguy.
12:32 Et ils ont dit du reste, voilà, on n'a pas pu sauver les Arméniens, donc on va sauver
12:35 le capitalisme.
12:36 Et Jaurès dès 1897, ce qui est assez extraordinaire, avant même que le génocide le premier soit
12:41 commis.
12:42 Beaucoup de questions, et notamment sur Israël.
12:44 Bonjour Pierre.
12:45 Oui bonjour, merci de prendre ma question.
12:46 Merci d'être participé au grand entretien.
12:49 J'ai cru comprendre qu'Israël ne reconnaissait pas le génocide arménien.
12:54 J'en suis effidéré.
12:55 Vincent Duclert.
12:56 Alors, je veux dire, effectivement, alors ça veut dire quoi reconnaissance ? C'est-à-dire
13:04 que tous les grands romanciers juifs, Elie Wiesel par exemple, préface le grand livre
13:13 de Franz Werfel sur le génocide des Arméniens, qui est apparu en 1933, il s'appelle "Les
13:21 40 jours de Moussada", qui est publié chez Albain Michel, qui est un roman extraordinaire.
13:24 Donc, moi je serais effectivement, il y a encore une fois des intérêts politiques,
13:30 il y a des reconnaissances qui ne viennent pas, mais je veux dire, la solidarité du
13:36 peuple juif avec le peuple arménien est absolument attestée.
13:41 Et de l'état d'Israël, non.
13:43 Oui, alors il faut…
13:44 C'est là qu'il faut distinguer.
13:45 Oui, voilà.
13:46 Mais bon.
13:48 Vincent Duclert, écoutons peut-être le président d'Azerbaïdjan, il est malief, il estime
13:52 qu'il s'agit de retrouver la souveraineté de son pays, il parle de positions illégales,
13:56 il parle de mesures antiterroristes qu'il aurait prises contre le Haut-Karabakh.
14:00 Vous comprenez ce point de vue ? Parce qu'aucune chancellerie n'a reconnu la légitimité
14:04 de cette république du Haut-Karabakh, y compris pas celle de l'Arménie.
14:08 Alors, merci pour votre question, elle est très importante parce que moi je trouve
14:12 qu'on assiste là, au fond, à la soumission au narratif azerbaïdjanais.
14:21 Moi j'ai été froid.
14:22 Il faut entendre leur parole en tout cas.
14:24 On parle tout d'un coup des séparatistes.
14:26 Ah oui ?
14:27 Alors, quand on entend séparatistes…
14:28 Pour parler du Haut-Karabakh.
14:29 Voilà, les séparatistes.
14:30 Mais séparatistes de quoi ? C'est-à-dire que ces frontières ont été décédées par
14:34 Staline en 1922.
14:36 Donc, ce qui s'est passé c'est quand même que les Arméniens du Haut-Karabakh ont
14:43 été en 1988 victimes de terribles pogroms en Azerbaïdjan et Haut-Karabakh, se sont
14:50 défendus et ont gagné la guerre.
14:52 Et donc, cette région du Haut-Karabakh qui avait été volontairement installée par
14:56 Staline dans l'Azerbaïdjan pour créer du conflit, eh bien, on crée une république
15:02 autonome qui certes n'a pas été reconnue par personne mais en même temps, l'autonomie
15:08 des peuples peut être considérée quand même.
15:10 Mais pourquoi pas par Yerevan par exemple ? Ça serait logique que l'Arménie reconnaisse
15:14 l'autonomie de cette république.
15:15 Oui mais Yerevan, ce qui se passe c'est qu'en fait, jusqu'en 2018 avec la révolution
15:21 de Pachinian, l'Arménie était quand même très liée aux Russes avec aussi des mafias
15:27 politiques, des mafias économiques.
15:28 L'Arménie n'était pas un modèle d'État.
15:32 Donc il y a eu plein de...
15:34 Alors effectivement, l'Arménie aussi se protégeait.
15:36 C'est-à-dire que ne pas reconnaître le Haut-Karabakh, c'était éviter trop de provoquer les Azerbaïdjans.
15:42 Ils n'étaient pas libres.
15:43 Mais je suis désolé, la république autonome du Haut-Karabakh a été fondée par ses habitants
15:50 après une guerre de défense.
15:52 Et il y a eu légitimité effectivement de cette république même si elle n'est pas
15:56 reconnue.
15:57 Et aujourd'hui, considérer que font tous ces habitants du Haut-Karabakh comme des séparatistes
16:04 et donc des terroristes, parce que comme ils ne sont pas reconnus, tous ceux qui ont pris
16:07 les armes, tous ceux qui ont défendu notamment le Haut-Karabakh lors de l'offensive de septembre
16:12 2020, aujourd'hui ils sont des terroristes puisqu'ils ne sont pas des combattants.
16:17 Et là c'est quand même assez effrayant.
16:18 Vincent Nuclère, expliquez-nous cette notion de génocide.
16:21 C'est vrai qu'elle est employée souvent à tort et à travers.
16:25 Mais vous insistez en précisant que c'est une erreur de penser qu'un génocide est
16:29 limité dans le temps.
16:30 Qu'est-ce que ça veut dire ?
16:31 C'est vrai que moi je vois très bien aussi la réaction de certains de dire "ben voilà,
16:37 c'est un militant des génocides et il fait de la surenchère".
16:41 Mais non, en fait, moi je travaille depuis 20 ans sur ces faits.
16:45 Le premier article c'était en 2004 dans "20e siècle de l'histoire".
16:51 En fait, on a tendance à identifier un génocide avec sa face paroxysmique, c'est-à-dire
16:58 1915, 1941, 1944 ou 1994 pour les Tutsis.
17:03 Mais en fait, un génocide ne s'explique que par une longue préparation, je vous rappelle
17:07 le processus génocidaire.
17:09 Et les grands massacres dont je faisais référence, j'y reste à la Chambre des députés, en
17:13 1896, il dit "une guerre d'extermination a commencé".
17:17 Une guerre d'extermination, l'expression est très forte.
17:20 Simplement parce qu'il étudie la manière dont les Arméniens sont mis à mort par les
17:25 troupes du sultan, les régiments hémidiers.
17:27 Et ensuite, il y a cette phase paroxysmique de 1915, mais après, Raymond Kervokian vient
17:32 de sortir un très important livre chez Odile Jacob pour expliquer que, au moment où les
17:38 alliés qui sont...
17:39 Qui est un très grand historien lui aussi de l'Arménie, avec qui vous avez travaillé,
17:44 avec qui vous avez même voyagé et participé à des conférences et à des collèges d'affaires.
17:47 En même temps, je le reconnais aussi d'abord comme un historien.
17:51 Et qu'est-ce qu'il a étudié ? Il a montré qu'à partir de 1919, les kémalistes, c'est-à-dire
17:57 Moustapha Kémal, qui théoriquement sont à distance de ceux qui ont fait le génocide,
18:03 parachèvent le génocide.
18:04 Donc le génocide va continuer sur 1923.
18:06 En fait, il n'y a plus aucun Arménien, sauf quelques dizaines de milliers à Istanbul,
18:10 en 1923, à la création de la République.
18:12 Et ensuite, il y a le négationnisme qui va structurer l'identité de la Turquie et de
18:19 l'Azerbaïdjan.
18:20 Et au fond, aujourd'hui, l'utilisation du blocus, comme on l'a vu, rentre dans le cas
18:27 de l'article 2 B et C de la Convention de 1948.
18:30 Et Sarah vous demande sur l'application France Inter, est-ce que tous les génocides ont
18:34 les mêmes fonctionnements ? Ça se pose justement parce que vous avez travaillé sur d'autres
18:36 génocides comme celui du Rwanda.
18:38 Oui.
18:39 Et justement, pour identifier un génocide, il faut identifier le processus génocidaire
18:43 et la négation.
18:44 En fait, il y a trois temps dans un génocide.
18:45 Et on a tendance à voir uniquement la phase paroxysmique.
18:48 Mais pour que la phase paroxysmique, excusez-moi, je suis très technique, soit réussie, pour
18:52 que, je veux dire notamment pour le génocide des Tutsis, qu'en 100 jours, on élimine
18:56 un million de personnes, il faut que tout soit préparé.
18:59 Et le génocide des Arméniens a été préparé par, disons, ces grands massacres, ceux de
19:04 1996, ceux d'Adana, etc.
19:09 Donc, effectivement, pour identifier un génocide, il faut voir le processus et la négation.
19:14 Et effectivement, il y a des processus qui ne vont pas à son terme.
19:17 Vincent Duclert, dans votre livre, vous avez ces mots qui laissaient présager la suite
19:23 des événements.
19:24 Vous écriviez qu'après le haut carabar, dont l'avenir paraît écrit, perte de sa
19:29 souveraineté et soumission de sa population, quels que soient les moyens employés, destruction
19:33 de toute trace du peuplement arménien, on a l'impression de lire le journal d'aujourd'hui,
19:38 l'Arménie pourrait elle-même subir le même sort.
19:41 C'est-à-dire qu'une disparition de l'Arménie, pour vous, est dans l'ordre du possible.
19:45 Alors, de deux manières.
19:46 Déjà, il y a une enclave azerbaïdjanaise, donc, le long de la frontière entre l'Arménie
19:52 et l'Iran.
19:53 Et là, effectivement, il y a certainement une revendication de l'Azerbaïdjan, qui
19:57 fait que le territoire arménien, vraisemblablement, va être encore amputé par ce couloir.
20:03 Et la deuxième chose, et ça c'est extrêmement important, c'est ce qui vient de se passer
20:08 avec l'Oukaraba.
20:09 Au fond, la dissolution de la République autonome.
20:13 Normalement, même si on perd territorialement, on garde quand même son identité.
20:17 Mais là, on voit bien l'état de désespoir des Arméniens de l'Oukaraba, la fuite, tout
20:23 ça effectivement, et c'est très important au cadre des génocides, de la préparation,
20:27 ça détruit l'horizon d'avenir.
20:29 C'est-à-dire que les Arméniens, on l'a entendu, je veux dire, à votre reportage,
20:34 les Arméniens n'ont plus d'avenir.
20:36 Donc, c'est ça, effectivement, c'est-à-dire que c'est de briser toutes les capacités
20:39 de résistance d'un peuple.
20:40 - Vincent Duclert, il y a une mission des Nations Unies qui va arriver, en principe,
20:44 ce week-end, qui a été accordée, enfin, il y a eu un accord avec Bakou sur ce sujet-là.
20:47 Qu'est-ce qu'on peut en attendre ?
20:49 - On peut en attendre simplement que cette mission des Nations Unies va constater qu'il
20:52 n'y a plus aucun Arménien au Oukaraba, et qu'effectivement, les frontières décidées
20:57 par Staline reprennent leur souveraineté.
21:01 Enfin, là, j'ironise un peu, mais le problème des Nations Unies, ce n'est pas du tout,
21:06 je veux dire, d'accabler cette organisation, c'est que c'est le Conseil de sécurité
21:10 qui décide, effectivement, des grands points.
21:12 Donc, le Conseil de sécurité, c'est le véto russe.
21:15 - Et l'Azerbaïdjan a gagné.
21:16 - Voilà, c'est ça.
21:17 - Et le pays est prospère.
21:18 Et il y aura un grand prix de Formule 1 dans quelques mois.
21:21 - Mais, moi, je pense vraiment, et merci de votre invitation, il y a une conscience publique.
21:26 Mes premiers travaux, c'est sur l'affaire Dreyfus, je sais ce que ça représente.
21:29 Je sais, par exemple, que si j'ai écrit ce livre, c'est parce que la présidente des
21:33 Belles-Lettres m'a attrapé un jour en me disant "Vincent, tu dois défendre les Arméniens".
21:36 - Et elle a bien fait.
21:37 - Et elle a bien fait.
21:38 Et je précise que tous les droits sont reversés au Conseil scientifique qui étudie l'histoire
21:42 des génocides.
21:43 - Merci infiniment, en tout cas, Vincent Duclerc, d'avoir été l'invité de France Inter ce
21:46 matin.
21:47 "Arménie, un génocide sans fin et le monde qui s'éteint", c'est donc publié aux Belles-Lettres.
21:51 Merci infiniment d'avoir été notre invité.

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