La journaliste franco-syrienne Hala Kodmani et le journaliste, rédacteur en chef du quotidien libanais L'Orient-Le Jour, Anthony Samrani, sont les invités du Grand Entretien du vendredi 27 décembre.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00Après la joie, la délivrance, l'inquiétude peut-être, en tout cas les questions, la
00:12Syrie, débarrassée de son autocrate Bachar Al-Assad est tombée il y a trois semaines
00:15le 8 décembre.
00:16Mais à quoi ressemble le pays aujourd'hui ? Comment se dessine son avenir ? Ce matin
00:21avec nous deux invités, deux observateurs, affûté, Anthony Samrani, rédacteur en
00:25chef de l'Orient Le Jour, bonjour ! Bonjour ! Et bonjour à la Côte Manie, journaliste
00:31à Libération franco-syrienne, vous êtes en studio avec nous ce matin, bonjour ! Bonjour !
00:36Et vous revenez de Damas, vous n'aviez pas mis les pieds en Syrie depuis combien de temps ?
00:41Depuis 2011, depuis le début de la guerre, c'était pas la guerre à l'époque, c'était
00:46le début de la révolution, des manifestations, oui, de la répression très vite, et donc
00:53j'y étais allée parce que je suis syrienne et pas journaliste, parce qu'à ce moment-là
00:58aucun journaliste n'avait accès, et puis bon, depuis je ne pouvais plus retourner.
01:04Et à quoi ressemble Damas aujourd'hui ? Fidèle à vos souvenirs ? Alors la première
01:09chose c'est que Damas en tant que Damas n'a pas changé, heureusement, parce que
01:14comme elle était restée sous la domination du régime, il n'y a pas de destruction
01:19au centre de la ville, Damas est magnifique, c'est une ville très très agréable au-delà
01:26de son histoire, donc une belle lumière, et il y avait tout d'un coup une atmosphère,
01:34je dirais pas de fête, c'était très différent d'une fête, c'était une sorte à la fois
01:40de contemplation, de joie diffuse comme ça, qui se voyait sur les visages des gens, tout
01:48le monde se retrouvait marcher dans la rue, on se regarde, on se dit tiens, on pense
01:52à la même chose, on a le même sentiment, et c'est un immense soulagement, une immense
01:58joie qu'on n'a pas beaucoup connue dans le pays.
02:03Sentiment que vous avez partagé, ça a été votre premier sentiment en posant le pied
02:06à Damas ? Complètement, dès que je suis arrivé,
02:09comme je suis arrivé par Beyrouth évidemment, l'aéroport de Damas n'étant pas encore
02:13ouvert, on arrive sur la place des Oméades qui est l'une des places principales de la
02:19ville moderne, et là tout de suite, rien qu'à voir les gens, rien qu'à voir les visages
02:27des femmes, des hommes, on est pris dedans, on a l'émotion partagée.
02:33Damas c'est votre ville natale, et dans votre ville natale, quand vous y étiez il y a encore
02:38quelques jours, vous avez écrit une lettre à votre sœur Basma, Basma Kodmani figure
02:43de l'opposition syrienne, Bashar al-Assad, universitaire, elle est morte l'an dernier,
02:48vous regrettez évidemment qu'elle n'ait pas vu cette délivrance, vous parlez d'une
02:51délivrance et d'un miracle.
02:53C'est tout à fait ça, c'est tout à fait ça, parce que depuis plus de 50 ans que la
02:59famille Assad règne sur la Syrie, son père a répondu depuis 70, et puis surtout la façon
03:09dont Bashar al-Assad a survécu de façon tellement aberrante à ses 13 années de guerre
03:16civile, où il était complètement défait à plusieurs reprises, qu'il a été sauvé
03:24miraculeusement par les Iraniens, puis par les Russes, puis par les circonstances, puis
03:29par l'abandon des Occidentaux, et là on le voyait aller vers une normalisation, c'était
03:36tellement aberrant tout ça, qu'on pensait que cette aberration pouvait durer.
03:40Et c'est là que c'est le miracle, et tout le monde ressent ça, en Syrie, comme un miracle.
03:46Ils disent, vraiment, en Jouba, c'est un miracle, que voilà, en plus, la façon dont
03:55il est tombé, c'est-à-dire aux mains des Syriens, quand même, et sans grande effusion
03:59de sang.
04:00Vous écrivez à votre sœur dans cette lettre très émouvante qui est parue dans Libération,
04:04dans le journal dans lequel vous écrivez à la Côte Manée, « Ni intervention d'une
04:08armée étrangère, ni coup d'état militaire, ni assassinat, et encore moins le résultat
04:12d'une négociation politique, aucun de ces scénarios que tu avais envisagés ne s'est
04:16déroulé ». On n'avait pas imaginé ça ?
04:18Bah non.
04:19Mais pourtant, vous disiez que le régime était déjà presque à terre avant qu'il
04:24ne soit pas.
04:25Ah oui, complètement.
04:26Les témoignages que j'avais de l'intérieur, des gens qui connaissent un petit peu le régime,
04:33depuis deux, trois ans, il est vraiment effondré.
04:37Il y a quelqu'un, l'image, on souffle dessus, il tombe.
04:42Mais il fallait quelqu'un qui souffle dessus, et personne ne soufflait, tout le monde était
04:47en train de normaliser, de l'arranger.
04:49Et c'est vrai que c'est le scénario inattendu, inespéré, j'allais dire, et que même ses
04:59propres auteurs n'avaient pas imaginé.
05:02Et ceux qui ont soufflé sur ce régime, qui l'ont renversé, ce sont les djihadistes.
05:05Là encore, vous écrivez à Bassema « Il s'agit des djihadistes qui nous avaient volé la
05:09révolution du printemps 2011 ». C'est étonnant le sentiment que vous avez vis-à-vis de ces
05:15djihadistes.
05:16C'est pas étonnant, parce qu'il faut vraiment replacer les choses dans leur contexte.
05:24Vous parlez de leur fourberie, leur misogynie à l'époque.
05:28Non mais ça c'est vrai, parce que Bassema a beaucoup souffert à cause d'eux, ils ont
05:35beaucoup maltraité dans l'opposition syrienne, et ils sont comme ça.
05:40Il y a un côté hypocrite, il y a un côté misogyne évidemment, c'est complètement
05:47dans les gènes des islamistes, mais bon là c'est vrai.
05:53Et aujourd'hui on sent presque une reconnaissance de votre part vis-à-vis des djihadistes.
05:57Complètement.
05:58Je crois que tous les syriens, même les plus opposés, qui n'ont rien à voir avec l'islam,
06:07on ne peut pas ne pas être reconnaissant à ces gens-là, de nous avoir débarrassés
06:13d'une dictature qui restera, et on le voit aujourd'hui avec tout ce qui sort, mais qui
06:19restera comme dans l'histoire de cruauté, de tyrannie, de corruption, d'horreur.
06:26Donc, bien sûr, et finalement, pour le moment, ils ne feront pas des horreurs qu'on pouvait attendre.
06:33Il montre un visage très raisonnable.
06:35Anthony Samrani, est-ce que vous avez partagé à Beyrouth ce sentiment de soulagement, cette
06:40reconnaissance envers les rebelles djihadistes qui ont fait tomber le régime de Bachar Al-Assad ?
06:46Est-ce que vous avez senti ça vous aussi à Beyrouth, au Liban ?
06:51En tout cas, une joie de voir Bachar Al-Assad et tout ce régime tomber.
06:57C'est un régime avec lequel le Liban entretient des relations très, très difficiles depuis
07:03des décennies.
07:04C'est un régime qui a occupé le Liban, qui a assassiné des personnages, l'ancien
07:08premier ministre Rafi Hariri, des intellectuels comme Samir Assir.
07:13Donc, bien sûr, ça ouvre beaucoup de portes au Liban, d'autant plus que ça intervient
07:20après une période où le Hezbollah a été affaibli et où ce qu'on appelle l'axe
07:26de la résistance qui est mené par l'Iran est aujourd'hui en état de délitement dans la région.
07:33On va parler effectivement de ces grands équilibres dans la région qui sont bouleversés.
07:37Mais sur ces islamistes, quel regard il faut porter sur eux ? Est-ce qu'on peut être
07:42tout à fait rassuré des garanties qu'ils donnent aujourd'hui ? Garanties qu'ils donnent
07:47aux Libanais aussi, ils ont reçu Walid Joumblat.
07:49Il ne faut pas, je pense, avoir un regard univoque, c'est-à-dire qu'on doit rester
07:56sceptique, on doit rester prudent, on ne doit pas oublier qui est Aboumraham Madjoulani,
08:03qui il a été, qu'est-ce qu'il a fait jusqu'à maintenant.
08:05Et en même temps, je pense qu'il y a le chef de ce groupe.
08:10On peut aussi craindre que tout ça ne soit qu'une stratégie qui vise à se faire accepter
08:15par la population et à penser le djihad sur un temps plus long.
08:20Mais je pense qu'il faut quand même avoir plusieurs choses en tête.
08:23La première, et comme Hala le disait très bien à mon avis, c'est que rien ne peut
08:28être pire que le régime syrien, à la fois pour les Syriens, mais aussi pour la région.
08:33On a beaucoup de régimes autoritaires dans la région, mais aucun n'a systématisé
08:39la terreur, la violence, l'utilisation des prisons comme l'a fait le régime de Bachar
08:45al-Assad.
08:46Ensuite, si on le juge dans les actes, que ce soit dans ce qu'il a fait dans la province
08:52d'Aïd-el-Aïd, qui était la province qui était contrôlée par ce groupe depuis 2016
08:57maintenant, donc on a un peu de recul, et ce qu'il fait depuis qu'il est arrivé au pouvoir,
09:03c'est plutôt des signes rassurants.
09:04On pourrait même parler de sans-faute jusqu'à maintenant, ça en est même quelque part
09:10impressionnant.
09:11Il y a une question plus générale qu'on doit se poser sur ce que veut dire la radicalité.
09:16Est-ce que le pouvoir aujourd'hui est plus radical que celui du régime syrien ? Est-ce
09:25qu'un groupe islamiste qui a une identité multiple n'est pas amené à évoluer en
09:31fonction des contextes ? Est-ce qu'on pouvait imaginer que le Hamas allait perpétrer le
09:357 octobre ? Est-ce que le Hezbollah d'aujourd'hui est le même qui perpétrait des attentats
09:42terroristes dans les années 80 ? Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a un contexte politique
09:47qui va diriger ce groupe aujourd'hui dans une direction ou dans une autre, et c'est
09:53ça qui est très important à mon avis à comprendre, c'est que l'enjeu clé n'est
09:56pas tant l'identité du groupe, mais ce que va être le terrain syrien.
10:01Plus le terrain syrien est stable et prospère, plus il y a un espoir, moins HTS sera dangereux.
10:09Justement, je crois que c'est la question que se pose notre auditeur Aurélien, on va
10:12au standard tout de suite.
10:14Bonjour Aurélien.
10:15Oui, bonjour messieurs-dames.
10:16Moi, la question que je me pose c'est justement de savoir si ce groupe HTS est un groupe crédible
10:23pour la transition démocratique en Syrie d'une part, et d'autre part sont-ils respectueux
10:30du droit des minorités, du droit des femmes ?
10:33À la Côte-Magnie, vous qui rentrez de Damas.
10:35Oui, je vais faire juste le constat.
10:39Oui, ce que vous avez vu ces premiers jours à Damas.
10:41Et pas parler des intentions ou d'idéologie.
10:46Pour le moment, on voit que la transition est gérée plutôt bien, c'est-à-dire qu'il
10:57y a une vraie volonté affichée, d'inclusivité, de pacification, etc.
11:06Vis-à-vis des minorités, encore plus, je trouve même qu'ils font presque du zèle,
11:12là en période de Noël et tout.
11:14Oui, justement, les chrétiens ont fêté Noël, ils ont pu l'afficher.
11:17J'étais allé les voir, justement.
11:19Vous avez signé un article en libération sur ce Noël particulier.
11:23Et c'est vrai que Damas n'a jamais été aussi décoré pour Noël.
11:28Autant de sapins, autant de chants de Noël partout, y compris hors des quartiers chrétiens traditionnels.
11:35Il y a un immense marché de Noël, en plein, juste à côté de la place des Omeyad,
11:42où tout le monde va maintenant.
11:44Et ils ont décrété Noël comme fête officielle, comme congé officiel.
11:49Oui, c'est un signe fort.
11:51C'était le cadeau de Noël, justement, de l'autorité de transition.
11:55Et vous dites aussi que les Syriennes sont sous le charme de leur chef, Abou Mahmoud al-Joulani,
12:01l'ancien d'Al-Qaïda, d'Al-Nostra, qui se balade en ville au grand jour.
12:04Il dit qu'il n'imposera pas la charia.
12:08A priori, non.
12:10A priori, tel que maintenant, il se présente, tel qu'il donne des gages à tout et tout le monde,
12:19aussi bien à l'international qu'aux Syriens dans toute leur diversité.
12:24Et puis, je dirais que ce n'est pas seulement lui.
12:26Il est sous pression, et s'il doit.
12:29Sous pression, je veux dire, de la société syrienne.
12:32Moi, dès le lendemain de mon arrivée, le jour même,
12:36où il y avait un rassemblement en place des Omeyad,
12:39il y avait déjà des panneaux, des jeunes femmes ou des jeunes gens même,
12:44qui portaient des panneaux en disant « attention, on veut un État laïque ».
12:48Ce n'est pas nécessairement la majorité.
12:51Mais il y a ça.
12:53Il y a eu une petite manifestation de femmes disant « attention, on est là ».
12:57Il y a une vigilance, bien sûr.
12:59Mais ces groupes ont du pouvoir aujourd'hui.
13:01La Syrie est tellement morcelée entre tellement de confessions différentes,
13:04des minorités.
13:06Est-ce qu'elles peuvent peser aujourd'hui ?
13:10La Syrie a toujours été comme ça.
13:13La pluralité, c'est une mosaïque depuis l'histoire.
13:18Donc, ce n'est pas une nouveauté.
13:20On ne va pas découvrir que la Syrie a des minorités et des majorités.
13:24Je n'aime pas beaucoup.
13:26J'aime la pluralité syrienne.
13:28Oui, elle est là.
13:30Et hors conflit, hors situation conflictuelle,
13:36il n'y a pas de raison qu'on ne trouve pas des solutions.
13:40Aujourd'hui, ce qui est problématique,
13:42c'est comme on le voit dans l'actualité récente,
13:45enfin dans ces deux derniers jours,
13:47le problème de, non pas la communauté alaouite,
13:50qui faisait partie de Bachar al-Assad
13:54et qui a été très privilégiée depuis le pouvoir,
13:58mais c'est surtout, je dirais, la communauté assadiste.
14:01Ceux qui restent des assadistes
14:03et qui se retrouvent aujourd'hui complètement démunis
14:06et donc qui cherchent vengeance.
14:08Effectivement, il y a eu des manifestations
14:10de la communauté alaouite dans l'ouest du pays, à Tartus.
14:13Il y a eu l'arrestation d'un haut responsable hier,
14:15Mohamed Kanjo Hassan,
14:17responsable de condamnation à mort à Cednaya.
14:19Vous craignez des actes de vengeance
14:22contre la communauté alaouite
14:25et contre les anciens du pouvoir d'Assad ?
14:28Oui, il y a un danger clair et net.
14:31Il y a un danger, il ne faut pas oublier
14:33que les gens de HTS, là, ça veut dire
14:35c'est ceux qui étaient à Alep ou dans la Routa, etc.
14:39enfants et qui ont pris des barils de TNT
14:41pendant des années, lancés par ces gens-là.
14:44Donc, le fond des raisons de la vengeance existe.
14:48Plus les Assadistes qui se retrouvent
14:50complètement démunis alors qu'ils étaient puissants.
14:53Bon, c'est des gros bras, c'est des nervistes,
14:56c'est de la grosse racaille.
14:59Des trafiquants, des mafieux.
15:03Mais, bon, ils avaient tous les pouvoirs
15:06et tout d'un coup, ils se retrouvent avec rien.
15:09Donc, forcément, ils sont armés,
15:11ils savent faire.
15:13Là, le danger est là.
15:15Il va falloir faire preuve de beaucoup
15:19de savoir-faire de la part des forces de HTS
15:23pour gérer ce conflit.
15:25L'autre front, l'autre zone
15:27qui paraît assez délicate,
15:29c'est le Golan.
15:31Et pour l'instant, le groupe HTS
15:33ne semble pas trop s'y pencher.
15:35Israël a placé ses forces sur le Golan.
15:40Le Golan, c'est un plateau annexé
15:42par Israël depuis des décennies.
15:44Là, Israël avance encore ses pions
15:46dans cette zone sans que
15:48le nouveau pouvoir syrien réagisse.
15:50Oui, c'est très inquiétant.
15:52Non, là où il a réagi,
15:54d'abord, ce qu'Israël a fait
15:56avant même,
15:58c'est de faire des raids au lendemain
16:00du renversement du régime,
16:02d'aller fracasser tous les moyens militaires
16:07de l'armée syrienne.
16:09C'est-à-dire avions, bateaux,
16:11hélicoptères, etc.
16:13En d'autres termes,
16:15ils étaient dans des mains sûres
16:17tant qu'Assad était là
16:19parce qu'il n'entreprenait rien contre Israël.
16:21Alors que là,
16:23Israël a paniqué.
16:25Et puis bon,
16:27ils en profitent de ce moment
16:29où c'est sûr
16:31que le nouveau pouvoir syrien
16:33vient d'installer
16:35et ne peut pas réagir.
16:37Cela dit,
16:39ce qui est plus étonnant,
16:41c'est qu'à l'international,
16:43on n'est pas réagi.
16:45C'est quand même, encore une fois,
16:47la violation d'un territoire national
16:49par une armée.
16:51Et encore une fois,
16:53les débordements israéliens,
16:55c'est considéré comme normal.
16:57Est-ce qu'il faut s'inquiéter
16:59de cette situation sur le plateau du Golan
17:01et de l'avancée d'Israël sur le territoire syrien ?
17:03Oui, il y a quelque chose
17:05qui se dessine en Syrie
17:07et plus généralement à l'échelle de la région.
17:09C'est une forme de naissance
17:11d'une hégémonie israélo-turque,
17:13je dirais,
17:15dans toute la région.
17:17C'est eux qui seraient les gagnants
17:19de ce qui s'est passé ces derniers jours,
17:21ces dernières semaines, ces derniers mois ?
17:23La Turquie est la grande gagnante
17:25de l'évolution du changement de pouvoir
17:27en Syrie et Israël
17:29est le grand gagnant de l'évolution régionale
17:31depuis un an, c'est sûr.
17:33Pourquoi ? Expliquez-nous pour la Turquie.
17:35La Turquie qui est dans le nord de la Syrie,
17:37qui combat les groupes
17:39rebelles kurdes.
17:41Pourquoi ? Parce que
17:43c'est un pays qui a toujours
17:45soutenu la révolution syrienne,
17:47c'est un pays
17:49qui a refusé, enfin,
17:51qui a tenté des négociations avec Bachar al-Assad,
17:53ce que Bachar al-Assad a toujours
17:55refusé de son côté,
17:57qui a soutenu l'opposition
17:59dans le Redouid d'Idleb,
18:02où avaient été jetés
18:04tous les membres
18:06de l'opposition syrienne,
18:08qui a entretenu longtemps des relations
18:10compliquées avec
18:12HTC ou HTS,
18:14mais qui
18:16a vu une opportunité
18:18dans l'affaiblissement
18:20des Iraniens,
18:22dans l'affaiblissement des Russes occupés
18:24en Ukraine, et qui a joué un rôle
18:26de quelle importance, ce n'est pas encore
18:28clair, mais qui a joué un rôle très clairement
18:30dans l'offensive des rebelles
18:32jusqu'à Damas.
18:34Vous avez écrit un tract
18:36chez Gallimard, une collection
18:38de cours d'essais, le vôtre s'intitule
18:40« Vu du Liban, la fin d'un pays, la fin d'un monde ».
18:42Vous décrivez un monde arabe en miettes.
18:44Vous l'avez écrit avant la chute de Bachar al-Assad.
18:46Est-ce que vous changez
18:48un peu votre discours
18:50après, ou est-ce que vous
18:52maintenez cette idée-là
18:54d'un Proche-Orient à terre, en miettes ?
18:56La Syrie, c'est le retour
18:58de l'espoir.
19:00C'était vraiment quelque chose
19:02tellement inattendu
19:04et c'était une sorte
19:06de cadeau de Noël
19:08avant l'heure.
19:10Mais on a vécu
19:12une année qui est
19:14charnière dans l'histoire de la région,
19:16une année qui marque la fin
19:18d'une ère, et qui marque aussi l'entrée
19:20d'une nouvelle ère, probablement
19:22pour le meilleur et pour le pire.
19:24Qu'est-ce qu'on doit en retenir à la fin ?
19:26C'est très difficile, c'est presque un exercice
19:28qui pousse à la schizophrénie.
19:30Est-ce qu'on doit retenir la destruction
19:32systématique de Gaza et d'une grande
19:34partie du Liban, ou la chute
19:36du régime syrien ? Est-ce qu'on doit
19:38retenir la naissance
19:40de cette nouvelle hégémonie
19:42israélo-turque, ou le
19:44délitement de l'axe iranien ?
19:46Est-ce qu'on doit retenir ce
19:48sentiment de tunnel sans fin
19:50qu'on a eu pendant des mois, ou bien
19:52au contraire, le retour de l'espoir ?
19:54Quelque part, les deux.
19:56On ne peut pas oublier tout ce qu'on a vécu,
19:58on ne peut pas oublier à quel point cette année
20:00a été longue, a été compliquée.
20:02Même en Syrie,
20:04votre auditeur demandait
20:06est-ce qu'on peut espérer une Syrie démocratique ?
20:08Bien sûr qu'on espère une Syrie démocratique,
20:10tout le monde l'espère. Mais il y a des enjeux
20:12déjà tellement immenses.
20:14Il y a l'enjeu, vous l'avez rappelé,
20:16avec les Alaouites, dans le Golan avec Israël,
20:18à l'est du pays, vis-à-vis
20:20des milices kurdes,
20:23alors que la Turquie ne demande qu'une chose,
20:25c'est de les éradiquer.
20:27Le pays lui-même est ruiné,
20:29il va falloir une aide internationale immense.
20:31Tout ça, c'est des choses
20:33qu'on ne peut pas oublier
20:35des années, que ce soit en Syrie,
20:37ou même à l'échelle de la région.
20:39On ne peut pas oublier des années de violence,
20:41on ne peut pas oublier tout ce qu'il y a aujourd'hui
20:43dans les têtes.
20:45Il y a un feu dans les têtes
20:47des gens de la région, des générations,
20:49des jeunes qui n'ont connu que ça,
20:52et pour l'apaiser,
20:54il va falloir des périodes
20:56de transition lente,
20:58inclusive, avec beaucoup d'aide
21:00de la communauté internationale,
21:02et une capacité
21:04aussi à restreindre
21:06à la fois les projets israéliens
21:08et les projets turcs.
21:10On ne peut pas, à mon avis,
21:12stabiliser à long terme
21:14la région sans
21:16qu'il y ait un minimum
21:18de justice à l'échelle régionale
21:20et un minimum de justice
21:22après la chute du régime syrien,
21:24après ce qui s'est passé
21:26avec les iraniens,
21:28c'est nécessairement la création d'un Etat palestinien.
21:30Et à la Côte d'Ivoire, la justice, c'est aussi
21:32un enjeu très fort. En quelques secondes,
21:34en Syrie, il faut juger
21:36les anciens dignitaires
21:38du régime de Bachar al-Assad.
21:40C'est évident, si on peut
21:42surtout mettre la main dessus,
21:44à commencer par Bachar al-Assad lui-même,
21:46il faudra bien
21:48qu'il réponde de leurs crimes.
21:50Ils ont mené,
21:52eu des horreurs,
21:54ils ont commis des horreurs, des exactions
21:56absolument...
21:58Oui, qu'il faut juger.
22:00Par la justice syrienne, par une justice internationale ?
22:02De préférence par la justice syrienne,
22:04bien sûr, puisque maintenant,
22:06s'il y a, il reste,
22:08une Syrie souveraine avec un pouvoir
22:10en place et une justice, l'idéal serait
22:12évidemment une justice syrienne.
22:14Mais je voulais partager complètement
22:16les hésitations
22:18d'Anthony Sabrani
22:20sur tout ce qui se passe
22:22dans la région.
22:24Pour vous dire que je suis plutôt optimiste.
22:26Je voudrais vraiment
22:28me dire, après les miracles syriens,
22:30et pourquoi pas croire au miracle.
22:32Merci Alakhodmani,
22:34ce sera le mot de la fin. Merci à vous.
22:36On lit vos reportages et vos analyses dans les pages
22:38de Libération. Merci aussi à vous
22:40Anthony Sabrani, journaliste libanais, rédacteur
22:42en chef de l'Orient le jour à Beyrouth.
22:44Je rappelle le titre de votre tract,
22:46paru chez Gallimard, Vue du Liban,
22:48La fin d'un pays, la fin d'un monde.
22:50Bonne journée à tous les deux.