• il y a 2 ans
Transcription
00:00 *Musique*
00:19 Elles agissent dans l'ombre, dans le secret, sous couverture, parfois sous une autre identité.
00:25 En France et dans le monde, les espionnes ne sont pas très nombreuses, c'est vrai,
00:28 mais certaines d'entre elles ont, dans le passé, changé l'histoire.
00:32 L'histoire avec un grand H.
00:34 Alors disons-le clairement, les espionnes existent.
00:37 Elles apparaissent petit à petit dans la littérature, dans les séries aussi,
00:41 grappillant de l'espace dans l'imaginaire collectif, parfois bien loin des James Bond Girl.
00:46 Et ce serait d'ailleurs peut-être une vraie reconnaissance pour le rôle des espionnes
00:51 si le prochain Agent 007 était une femme.
00:54 On verra ce que l'avenir nous dit.
00:56 Les deux livres qui nous intéressent ce midi se lisent comme des romans et pourtant,
01:00 tout est vrai à l'intérieur.
01:01 L'histoire de femmes qui ont donné leur vie au renseignement.
01:05 Le Book Club met en lumière ces figures féminines méconnues de l'espionnage,
01:09 accompagnées comme tous les jours par la communauté du Book Club.
01:13 *Musique*
01:14 France Culture
01:16 Le Book Club
01:20 Nicolas Herbeau
01:21 C'est une femme hors du commun, elle est belle, c'est une vraie bombe,
01:24 elle n'est plus de nasse, elle n'a peur de rien et elle est nymphomane.
01:28 Et puis c'est une espionne qui vit dans le secret pendant des années,
01:31 elle risque même sa vie pour cette mission.
01:33 *Musique*
01:44 Lucie Babette, c'est que membres de la communauté du Book Club
01:47 qui ont lu les livres de nos deux invités.
01:50 Bonjour Chloé Heberhart.
01:52 Bonjour.
01:53 Merci d'être avec nous à distance dans le Book Club.
01:55 Vous êtes journaliste au journal Le Monde, l'autrice du livre Enquête,
01:58 les espionnes racontent que vous aviez publié aux éditions Robert Laffont en 2017
02:03 et dont vous nous proposez aujourd'hui une version dessinée en co-édition
02:07 chez Arte édition Steynquist avec les dessins d'Aurélie Pauley.
02:12 Dans votre livre Chloé Heberhart, vous partez sur les traces des espionnes,
02:16 des principaux services de renseignement engagés durant la guerre froide.
02:20 Qu'est-ce qui d'abord vous a donné envie de vous lancer dans cette enquête,
02:23 pas si évidente que cela puisque vous nous racontez bien
02:27 à quel point il a été difficile de délier les langues.
02:31 Oui, c'est peu de le dire.
02:33 En fait, je suis arrivée à ce sujet complètement par hasard.
02:36 À l'époque, j'étais journaliste indépendante
02:38 et je travaillais pour la presse féminine, entre autres.
02:41 Et c'était en 2010 et à l'époque, les Américains avaient identifié
02:47 10 agents russes sur leur territoire et les avaient expulsés.
02:51 Et ça avait été pas mal médiatisé.
02:53 Et parmi ces 10 agents russes, il y avait une femme, Anna Chapman,
02:57 d'une vingtaine d'années, rousse aux yeux verts, forte poitrine,
03:01 très bien fichue et pour la presse féminine, c'était du pain béni.
03:06 Et tout le monde avait fait des sujets sur cette personne.
03:09 En particulier, c'était l'angle qui avait été choisi.
03:13 Beaucoup de journalistes avaient titré l'Amata Hari du 21e siècle.
03:16 Elle attirait vraiment les regards.
03:18 Et moi-même, j'avais fait un article anglais sur elle.
03:22 Et ça m'avait quand même interpellée.
03:25 Je m'étais dit, mais donc, ça ressemble à ça en vrai, une espionne.
03:29 Ça ressemble vraiment à la James Bond girl.
03:31 Ça ressemble au cliché qu'on a tous en tête.
03:33 Et j'étais assez sceptique.
03:36 J'avais du mal à imaginer que tout était des créatures de rêve.
03:41 Et j'avais donc fait cet article qui était assez court à l'époque
03:45 et à cette occasion, j'ai rencontré des interlocuteurs,
03:49 des anciens des services pour essayer de comprendre
03:51 comment elle avait pu se faire attraper par les Américains, etc.
03:53 Et on s'était fait la remarque les uns les autres
03:56 que c'était un sujet assez peu traité par les journalistes, finalement.
04:01 Les officiers de renseignement en exercice aujourd'hui,
04:04 on a pas mal parlé des espionnes à travers l'histoire,
04:08 mais finalement, rencontrer des espionnes aujourd'hui
04:11 qui vous parlent et qui vous racontent leurs opérations,
04:14 ça avait été assez peu traité.
04:16 Et je m'étais dit, tiens, chiche, je vais tenter l'expérience.
04:18 Je vais voir si j'arrive à en trouver.
04:21 Et puis, si j'y arrive, j'en ferai un livre.
04:22 Ce sera super.
04:23 Mais quand j'ai commencé, c'était pas gagné.
04:26 Donc, voilà, l'idée, c'était de partir de cette Anna Chapman,
04:29 de voir si la réalité correspondait au mythe
04:34 qui a été créé par la fiction, beaucoup.
04:38 De voir si ça existe des professionnels du renseignement
04:42 qui ne sont pas des bombes et qui ne sont pas que des faire-valoir, etc.
04:47 Donc, c'était l'idée de départ.
04:49 - Vous allez nous expliquer, évidemment,
04:50 comme vous avez fait pour les convaincre de vous raconter leur histoire.
04:54 Mais pour échanger sur les femmes espionnes,
04:55 nous avons aussi convié Stéphanie D'Eor.
04:58 Bonjour. - Bonjour, Nicolas.
04:59 - Vous publiez aux éditions Alba Michel votre récit "Cynthia",
05:02 où vous nous racontez l'histoire d'une espionne Betty Pack.
05:06 Cynthia, c'est son nom de code, bien sûr,
05:08 et son histoire a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale.
05:12 Je le disais en ouverture, ça se lit comme un roman.
05:15 Vous êtes évidemment romancière, donc ça se comprend.
05:17 Mais ce n'est pas totalement un roman,
05:19 puisque vous le précisez dès le début du livre,
05:21 il n'y a rien de fictif en ce qui concerne Betty Pack dans votre livre.
05:24 - Absolument. J'ai fait des recherches, de nombreuses recherches,
05:28 et j'ai pris les faits qui m'intéressaient.
05:32 À partir de là, je me suis approprié le personnage que j'ai réinventé
05:37 et je suis devenue le personnage.
05:39 Et ça, c'est quelque chose qui est assez fascinant pour un auteur,
05:44 si vous voulez, de devenir ce personnage, de vivre sa vie.
05:49 Et en l'occurrence, Betty Pack, je ne la connaissais pas.
05:52 Je suis tombée sur elle totalement par hasard.
05:55 C'est vrai que je cherchais une espionne.
05:57 Et c'est vrai, Chloé parlait d'Anna Chapman.
06:00 J'ai pensé à Anna Chapman,
06:01 mais il y avait eu trop de choses sur Anna Chapman.
06:03 J'ai cherché quelqu'un qu'on ne connaissait pas.
06:06 Et quand je suis tombée sur Betty Pack,
06:08 je me suis dit, mais c'est juste incroyable.
06:11 Sa vie est incroyable.
06:12 Tout ce qui l'entoure est fascinant.
06:15 Mais est-ce que c'est vrai ?
06:17 Et la réalité dépasse la fiction.
06:20 Je n'aurais jamais osé écrire tout ce qu'il y a dans ce livre.
06:24 Je n'aurais jamais osé l'imaginer.
06:26 Et cette fille m'a fascinée, emportée sa vie, son audace,
06:33 son combat contre l'idéologie nazie,
06:38 son patriotisme à une époque où l'Amérique n'est pas encore en guerre.
06:43 Et puis son amour des hommes.
06:45 Cette femme, c'est un James Bond au féminin.
06:47 Mais rendez-vous compte, pour une romancière, c'est extraordinaire.
06:51 - Alors justement, on va écouter Babette.
06:53 Babette, elle a lu votre livre.
06:55 Cynthia donc, et voici ce qu'elle en retient.
06:58 - C'est une biographie de Betty Pack,
07:01 une Américaine qui va être recrutée par les services secrets britanniques
07:04 au début de la Seconde Guerre mondiale.
07:06 - C'est une femme hors du commun.
07:09 Elle est belle.
07:10 C'est une vraie bombe.
07:11 Elle est pugnace.
07:12 Elle n'a peur de rien.
07:12 Et elle est nymphomane.
07:14 Elle va tout faire pour sauver son pays.
07:16 Et elle va vivre à toute allure.
07:18 Dans ce roman, vous allez croiser des personnages historiques,
07:21 mais aussi des écrivains, des espions,
07:23 et notamment Ian Fleming, le père de James Bond.
07:25 Vous verrez d'ailleurs que Cynthia,
07:27 c'est le portrait craché de James Bond, mais au féminin.
07:29 Vous allez voyager d'Amérique en Espagne.
07:32 Vous allez trembler, vivre un rythme effréné des aventures
07:36 qui sont complètement romanesques et pourtant complètement vraies.
07:39 - Le personnage de Betty Pack
07:50 que vous racontez dans votre livre,
07:52 "Cynthia", du nom de son nom de code.
07:56 Stéphanie Désor, qu'est-ce qui vous a séduit d'abord chez ce personnage ?
08:01 Alors, on a raconté son amour des hommes, vous l'avez dit.
08:05 - Oui, son amour des hommes.
08:06 Alors, merci Babette pour ce mot, mais Betty n'est pas une nymphomane.
08:11 - Alors allez-y, dites tout.
08:12 - Betty est une grande amoureuse.
08:15 Une nymphomane s'envoie en l'air parce que ça lui plaît et peu importe.
08:20 Non, Betty tombe amoureuse à chaque fois.
08:23 Elle se sert de ses charmes pour arriver à ses fins.
08:26 Elle utilise la séduction.
08:28 Elle sait qu'elle est belle.
08:29 Elle sait qu'elle peut se jouer des hommes.
08:32 Elle le sait.
08:33 Elle a conscience de tout ce qu'elle peut faire et elle s'en sert.
08:37 Et elle en abuse.
08:38 Mais ce n'est pas de la nymphomanie.
08:39 C'est juste, je veux le renseignement.
08:42 Et si je deviens une femme fatale, si je t'envoie toute ma sensualité,
08:48 tu me donneras ce renseignement.
08:50 Et elle y arrive. Ainsi.
08:51 Donc, ce n'est pas de la nymphomanie.
08:52 C'est juste user de ses charmes.
08:54 Et par ailleurs, elle tombe amoureuse.
08:57 Pas de tous, mais de pas mal.
09:00 Et voilà.
09:02 Et ça, voilà, ça, ça m'a séduit.
09:04 Cette femme amoureuse m'a séduit.
09:06 Cette femme qui est prête à tout, oui, pour sauver son pays,
09:09 mais qui se laisse aller et qui, quand un homme la quitte,
09:13 parce que les circonstances font qu'elle doit quitter l'Espagne ou elle doit quitter la Pologne.
09:18 Elle en a le cœur brisé, laissé derrière elle.
09:21 Carlos Sartorius ou Michel Loubienski.
09:23 Ça lui brise le cœur.
09:25 Vous me direz, elle se consolera vite, mais ça lui brise le cœur.
09:29 C'est une femme sentimentale.
09:31 - Betty Thorpe, elle est née en 1929.
09:33 À quel moment elle se rend compte qu'elle va avoir un destin hors du commun
09:37 dans ce que vous avez pu lire d'elle et dans la façon dont laquelle vous l'avez raconté ?
09:42 - Alors, elle n'est pas née en 1929 parce qu'elle aurait 10 ans au moment de la guerre.
09:46 Elle est née...
09:50 Non, pardon, oui, c'est en 1929. Vous avez raison.
09:52 C'est en 1929 que vous racontez ce moment du journal intime,
09:56 qu'elle referme en se disant "je suis une femme secrète, désormais je ne raconterai plus rien,
10:00 mais je vais vivre ma vie de femme qui va utiliser la ruse pour obtenir les informations".
10:08 - Voilà. Alors, vous savez, on ne n'est pas espion.
10:12 Je pense que Chloé ne me contredira pas.
10:16 Un jour, on est remarqué.
10:18 Betty n'a pas cherché à faire du renseignement.
10:20 Betty a juste cherché à faire échapper son amant, Carlos Sartorius, des geôles espagnols.
10:28 Et donc, elle a utilisé certains moyens.
10:31 Ensuite, quand elle est en Pologne et qu'elle comprend que Hitler va tout faire pour mettre la main sur l'Europe,
10:40 elle va encore donner de sa personne, son audace, son courage vont lui permettre d'obtenir le renseignement.
10:49 Elle ne veut pas devenir une espionne, elle est repérée.
10:53 Quelque part, elle est un agent, elle est repérée par les grands espions qui disent "celle-ci, on peut l'utiliser, elle est prête,
11:01 on va peut-être pouvoir un peu la former et elle va tout donner pour nous". Et c'est ce qui se passe.
11:09 - Lili, racontez Cynthia comme une femme qui est une espionne qui va coucher pour mieux espionner en quelque sorte.
11:15 Ça met du sel évidemment dans son histoire.
11:17 - Bien sûr. - Mais ce n'est pas tout, vous le dites aussi,
11:19 vous décrivez un personnage avec un caractère très fort, notamment une femme très libre.
11:25 - Une femme libre, oui, pour l'époque certainement.
11:29 Elle ne se pose pas de questions, c'est une patriote.
11:33 On se bat contre l'axe, l'Amérique n'est pas en guerre, Hitler envahit l'Europe.
11:39 C'est elle qui remet les plans d'Hitler pour envahir toute l'Europe, elle les remet au Premier ministre anglais.
11:50 Elle sait ce qu'il y a dedans, personne ne la croit à ce moment-là.
11:54 Et plus tard, elle aura pour mission, effectivement elle ne sera pas toute seule,
11:58 mais de faire basculer certains sénateurs américains de façon à ce que la loi Prébaille,
12:04 qui va permettre de prêter des armes aux Anglais sans qu'ils les payent tout de suite,
12:08 de façon à ce que cette loi soit votée Betty Pack par idéologie, par patriotisme, par amour de son pays,
12:16 va tout faire pour combattre Hitler et le fascisme.
12:21 - Dans les espionnes racontes, Chloé Eberhardt, il n'y a pas vraiment cette dimension sexuelle,
12:26 mais il y a, c'est vrai, cette première idée qui apparaît au début de votre livre sur l'intuition féminine.
12:31 Ça se passe au moment où vous rencontrez le professionnel de renseignement de la guerre froide, Edmond de Béranger,
12:36 qui vous reçoit et qui vous dit, de but en blanc, que dans le renseignement comme dans la vie,
12:40 les femmes ont plus d'intuition que les hommes. Et ça, vous vous dites tout de suite, c'est un cliché.
12:47 - Oui, je me dis ça tout de suite parce que c'est quelque chose que j'ai beaucoup entendu dans la bouche des hommes
12:53 que j'ai rencontrés au début de mon enquête, puisque pour trouver les femmes espionnes,
12:57 il a d'abord fallu que je sympathise avec des hommes, puisqu'ils sont quand même beaucoup plus nombreux dans le milieu.
13:02 Et c'est vrai que tous me disaient, mais quel formidable sujet, vous avez raison,
13:07 les femmes ont plus d'intuition, ont plus de psychologie, on se confie davantage à une femme, etc.
13:11 Et moi, je leur disais, mais alors pourquoi vous n'en avez pas fait travailler davantage ?
13:15 Parce que c'est vrai que la présence des femmes au sein du renseignement reste assez minoritaire aujourd'hui,
13:20 même s'il y a de gros progrès qui sont faits. Et c'est vrai que je l'ai titillé un peu sur ce thème.
13:26 Et une des questions que je me pose dans l'enquête, c'est justement,
13:30 est-ce qu'on peut faire une généralité de genre de ce type ou pas ?
13:36 Et moi, je pense qu'il en existe une, effectivement, que les femmes sont peut-être mieux dotées que les hommes
13:43 dans le renseignement, précisément parce qu'elles sont moins nombreuses.
13:46 Et qu'à partir de là, quand un espion ou un officier de renseignement ou un agent vous suit dans la rue,
13:54 si c'est une femme, vous allez peut-être moins le soupçonner d'être un espion que si c'est un homme.
14:00 Parce que dans les mentalités, ça commence à changer, mais quand même, l'image qu'on a de l'espion est masculine.
14:09 Et je pense que ça, c'est quelque chose que les services ont compris peut-être un peu sur le tard,
14:14 puisque souvent, les services sont des émanations de l'armée, c'est des milieux très virils.
14:22 Et les femmes ont longtemps été simples secrétaires dans ces milieux-là.
14:26 Et ils ont commencé à comprendre petit à petit qu'elles pouvaient représenter un atout,
14:31 parce que justement, elles passent beaucoup plus incognito.
14:35 Moi, j'ai l'impression, à l'issue de mon enquête, que c'est plus finalement ce côté-là qui permet une généralisation.
14:41 On peut s'autoriser une généralisation de genre sur ce thème-là,
14:44 plus que sur une prétendue intuition que toutes les femmes auraient.
14:48 Même si, voilà, il n'y a pas de statistiques globales qui existent.
14:51 Peut-être que les femmes ont plus d'intuition que les hommes,
14:53 mais je pense qu'il y a aussi des femmes qui n'en ont pas et des hommes qui en ont beaucoup.
14:56 Donc voilà, j'étais pas forcément à l'aise au départ avec cette idée que tous les hommes nous servaient.
15:03 - Edmond de Bérenger, qui vous dit aussi que les services secrets sont le reflet de notre culture.
15:07 Et là, il nous explique en quelque sorte ce qu'il fait dans la culture de chaque pays.
15:11 Qu'on a donné plus de place aux femmes dans le renseignement ou pas.
15:17 Et il cite notamment la tradition protestante des Britanniques et des Américains,
15:20 qui ont toujours réservé une place particulière aux espionnes.
15:24 Il cite aussi l'égalitarisme des communistes russes qui ont formé des femmes très rapidement.
15:29 Il dit que les Français, eux, sont catholiques, donc sont conservateurs.
15:32 Donc il y a moins de femmes dans le renseignement français.
15:36 - Oui, alors ça, c'est son point de vue assez personnel.
15:39 Au final, j'ai rencontré des Britanniques, des Américaines, même des Israéliennes,
15:44 et une Israélienne, et toutes ont eu beaucoup de mal à se faire une place.
15:49 Parce que moi, j'ai rencontré des femmes, donc pour qu'elles soient d'accord,
15:52 pour me raconter des opérations, des dossiers, il fallait qu'elles soient à la retraite.
15:56 Parce qu'en exercice, vraiment, elles n'ont pas le droit de parler.
15:59 Donc elles ont toutes travaillé pendant la guerre froide, dans les années 60, 70 ou 80.
16:04 Et donc toutes ont été pionnières, finalement.
16:07 Et donc même la Britannique, que j'ai rencontrée,
16:12 qui est dans l'enquête parue en 2017 chez Robert Laffont,
16:15 mais qu'on n'a pas gardée dans la bande dessinée.
16:17 Même la Britannique qui est devenue directrice générale du MI5,
16:21 au début, on l'a vraiment prise de haut.
16:24 Donc bon, je ne sais pas si son analyse culturelle fonctionne tant que ça.
16:33 Parce que je pensais qu'en Israël, par exemple, où vraiment ils sont en état de guerre permanente
16:40 et où vraiment le renseignement joue une place vraiment très importante.
16:44 Je pensais que l'égalité serait davantage acquise.
16:48 Et il y a eu là l'héspionne que j'ai rencontrée.
16:50 Au début, on l'a refusée pour la mission, au prétexte que c'était trop dangereux pour une femme.
16:54 Donc j'ai l'impression quand même que l'obstacle était assez global.
16:59 - Sur vos deux démarches, Stéphanie Désor, d'abord, vous m'avez dit tout à l'heure
17:04 qu'en tant que romancière, vous vous immergez dans la vie de vos personnages.
17:07 Vous travaillez en les lisant des ouvrages qu'on a écrits sur ces personnages
17:11 et presque vous devenez ce personnage-là.
17:14 Ça veut dire qu'en tant que femme, vous vous êtes imaginée héspionne ?
17:18 - Tout à fait.
17:20 Mais en fait, pour n'importe quel livre, c'est très étonnant.
17:24 Moi, je me lève très tôt.
17:25 Chacun sa méthode.
17:26 Je me lève à 4h30, j'écris à 5h.
17:28 J'ai l'impression d'être sous hypnose.
17:29 Vous savez, c'est ma thérapie à moi.
17:32 Et en l'occurrence, quand j'étais Betty Pack, de 5h du matin à 9h du matin,
17:40 je ne suis dérangée par rien.
17:41 Donc je suis elle, totalement.
17:44 Je deviens elle.
17:45 - Vous déplacez le cliché qui dit que les espions sont des hommes.
17:50 Vous arrivez à vous imaginer en tant qu'espionne ?
17:52 - Tout à fait.
17:54 Mais moi, je n'ai pas d'analyse sociologique ou culturelle,
17:58 parce que je suis romancière.
18:00 Donc j'ai un personnage.
18:01 Je m'immisce dans ce personnage.
18:03 Je deviens ce personnage et je vis ses aventures.
18:05 Et je les écris.
18:06 Et je les écris presque automatiquement.
18:08 J'ai effectué toutes mes recherches précédemment.
18:10 Donc tout est là, écrit sur des grands cahiers.
18:13 Et à 5h du matin, la vie surgit au bout de mes doigts.
18:17 Cette vie-là.
18:18 Et c'est celle que j'écris.
18:20 Et c'est juste formidable.
18:22 Sauf qu'à 9h du matin, quand le quotidien arrive,
18:25 que mon compassion se lève et me demande où est son petit déjeuner.
18:28 Alors je peux vous dire que ça, c'est épouvantable.
18:30 Et que je préfère retourner à l'oreille contre mon coffre fort que je dois ouvrir.
18:35 - Il faut le laisser préparer son petit déjeuner tout seul.
18:38 Chloé Héberard, c'est amusant aussi, parce que dans la bande dessinée,
18:42 vous vous mettez en scène.
18:43 Vous nous soumettez vos doutes, vos questions.
18:46 Et vous l'aviez dit, vous n'étiez pas spécialiste, journaliste spécialiste
18:49 du renseignement ou de la sécurité.
18:51 Et donc, vous nous montrez en tout cas,
18:56 peut-être cette idée de comment faire pour rentrer dans ce milieu,
19:00 on l'a dit, très masculin, mais aussi très fermé.
19:03 Un milieu qui n'accueille pas à bras ouverts les journalistes non plus.
19:07 - Non. Et la question de la présence du jeu dans le récit
19:12 a été assez problématique pour moi au départ,
19:14 parce que je trouvais que c'était un peu un gimmick de journaliste
19:17 qui aime bien se mettre en scène pour se faire un peu pousser l'ego.
19:20 Et je ne voulais pas y céder.
19:22 Et puis, finalement, je me suis rendu compte que c'était le seul moyen d'une,
19:26 d'avoir un fil rouge narratif, en fait,
19:28 pour ne pas avoir des portraits juxtaposés sans lien entre eux.
19:31 Et puis que c'était assez intéressant, je pense,
19:33 de raconter un peu le making of, les coulisses,
19:38 tout ce qu'il a fallu mettre en œuvre pour approcher ces femmes.
19:43 Et j'ai rencontré des personnages assez hauts en couleur.
19:45 Là, vous citez Edmond Béranger, qui est un ancien de la DGSE,
19:48 qui est un vieux monsieur assez délicieux et assez amusant,
19:52 qui m'a beaucoup aidée.
19:54 Mais il y en a d'autres.
19:56 Et donc, je trouvais ça intéressant de montrer tous les obstacles,
20:01 toutes les vestes que j'ai reçues,
20:05 tous les revers que je me suis prises.
20:06 Franchement, ça vous apprend l'humilité.
20:09 - Il vous dit d'ailleurs, Edmond Béranger, il vous a prévenu,
20:11 je ne voudrais pas vous décourager,
20:12 mais vous risquez de rencontrer un certain nombre de difficultés.
20:15 C'est peu de le dire.
20:16 Ce qui m'a amusé, c'est que lors d'une première rencontre avec lui,
20:20 c'est dans un hôtel à Paris, près de la gare Saint-Lazare.
20:22 Il vous a donné rendez-vous à 17h.
20:25 D'ailleurs, c'est la même heure que dans le début du livre de Stéphanie Désor.
20:29 Il y a, je pense, un moment où les espions se rencontrent, c'est vers 17h.
20:34 À mon avis, il y a quelque chose dedans.
20:36 Moins deux, plus trois, ça veut dire que si votre contact n'apparaît pas
20:40 deux minutes avant 17h ou avant trois minutes après 17h,
20:43 l'entrevue est reportée.
20:44 Ça, c'est assez amusant.
20:46 On va écouter Lucie, si vous voulez bien.
20:48 Lucie, elle a lu votre livre, Chloé Héberard, et voici ce qu'elle en retient.
20:51 J'ai adoré cette lecture et j'ai trouvé que tous les témoignages des espions
20:58 étaient très intéressants.
20:59 Je dirais que ma préférée, c'est Yola du Mossad,
21:02 qui a aidé dans l'exfiltration de Juifs éthiopiens en Israël.
21:06 D'abord parce qu'on en apprend sur ces faits historiques,
21:09 auxquels j'avoue personnellement n'avoir jamais vraiment entendu parler auparavant.
21:13 Et puis, c'est une espionne qui vit dans le secret pendant des années.
21:17 Elle risque même sa vie pour cette mission,
21:19 dont elle ne sait d'ailleurs pas quand est-ce qu'elle se terminera.
21:22 C'est pourquoi je trouve que c'est cette espionne-là qui est vraiment à l'image du livre,
21:27 puisqu'on voit au niveau de sa personnalité que c'est une femme indépendante et dévouée,
21:31 et que ça s'inscrit justement dans cette démarche féministe du livre
21:34 de mettre en avant la place des femmes dans le renseignement.
21:38 * Extrait de « La vie de Yola » de Chloé Eberhardt *
21:45 Remettre donc la place des femmes dans le renseignement,
21:49 est-ce qu'il y a véritablement une démarche féministe comme le dit Lucie, Chloé Eberhardt,
21:53 quand vous nous racontez ce qu'a fait Yola ?
21:55 C'est vrai que Yola, c'est assez surprenant.
21:58 On imagine les espions dans des missions ponctuelles,
22:01 et là elle nous raconte à quel point toute sa vie est devenue presque sa mission.
22:06 C'est ce qu'elle dit assez fièrement.
22:09 Son chef de l'époque lui a dit qu'elle avait accompli la mission la plus dangereuse
22:14 jamais réalisée par une femme pour Israël,
22:17 puisqu'elle était sous couverture au Soudan,
22:20 qui était un pays musulman qui appliquait la charia déjà dans les années 80,
22:25 pendant trois ans.
22:27 Donc elle m'expliquait que souvent les missions sont ponctuelles en fait,
22:30 on t'envoie dans un pays accomplir quelque chose,
22:33 et puis tu rentres quand tu fais partie d'un service opérationnel
22:38 comme celui pour lequel elle est partie.
22:40 Or là c'était une opération vraiment longue,
22:42 donc c'est un peu ça qui l'a distinguée.
22:45 Et Yola est quelqu'un de très féministe,
22:46 effectivement, qui assume vraiment un statut de femme libre,
22:50 qui a divorcé trois fois, c'est toujours elle qui est partie,
22:52 elle tient à le faire savoir.
22:56 Et moi mon parti pris, honnêtement, il n'était pas forcément féministe au départ,
23:02 c'était comme je l'ai dit plus tôt, de voir quelle était la réalité derrière le fantasme.
23:07 Et le fait est que j'ai trouvé des femmes,
23:11 enfin je ne savais pas qui j'allais trouver au départ,
23:13 et j'ai trouvé des femmes qui ont accompli de grandes choses.
23:16 Elles ont été d'autant plus méritantes
23:19 qu'elles partaient vraiment avec des bâtons dans les roues, étant des femmes.
23:23 Donc au final, c'est sûr que les gens me disent beaucoup que c'est un livre féministe,
23:27 et je pense qu'il l'est dans la mesure où il donne la parole
23:30 à des femmes qui, pour la plupart, ne l'avaient jamais prise,
23:35 et qui se sont révélées assez heureuses d'avoir participé au livre.
23:41 Parce qu'évidemment, au début, je me suis dit pourquoi elles acceptent de me parler ?
23:44 Est-ce que je ne me fais pas manipuler par les Russes notamment,
23:46 qui veulent me vendre de belles histoires à la gloire du KGB ?
23:51 J'essayais toujours de savoir d'où elles parlaient, quelle était leur motivation.
23:55 Et je pense, quand on me demande le point commun entre toutes,
23:59 je pense vraiment que même Geneviève, la Française,
24:02 qui avait regardé "Mai 68" de haut en se disant
24:04 qu'est-ce que c'est que ces femmes énervées dans la rue,
24:08 elle qui est très comme il faut, plutôt conservatrice, etc.
24:11 Elle a un discours assez féministe de dire "oui, j'ai dû m'imposer,
24:16 les hommes me voulaient que je fasse la vaisselle après les apéros au bureau".
24:19 - Ce qui est intéressant avec Geneviève, c'est qu'elle entre à la DST,
24:24 la Direction de la surveillance du territoire, par le biais de son mari.
24:28 Et donc, presque il y a un double challenge, double défi pour elle,
24:31 c'est-à-dire s'imposer dans un milieu d'hommes, c'est vrai,
24:34 et s'imposer en étant la femme d'eux.
24:36 - Oui, bien sûr. Et à l'époque d'ailleurs, elle c'était les années 70,
24:42 mais c'était souvent comme ça, c'était souvent par cooptation,
24:44 parce qu'il n'y avait pas de concours d'entrée à l'époque.
24:47 Et puis, on n'allait pas forcément,
24:50 c'était pas systématique d'aller chercher une femme pour une mission particulière.
24:54 Le réflexe n'était pas encore rentré dans la tête des dirigeants des services.
24:59 Et donc souvent, c'était le mari dont la femme cherchait du travail.
25:03 Et puis, il se disait "Tiens, t'as qu'à venir dans la maison avec moi".
25:07 Et ça arrangeait assez les directeurs des services secrets,
25:09 puisque l'enquête de sécurité de pré-embauche est plus facile.
25:15 Et puis, ils disaient souvent "Comme ça, au moins, elle comprendra
25:17 pourquoi tu rentres tard, elle arrêtera de te..."
25:20 Parce que c'était vraiment ça.
25:21 Moi, je me disais "Mais Geneviève, vous exagérez,
25:26 ils n'étaient quand même pas machos à ce point".
25:27 Elle me dit "Mais vous n'imaginez pas".
25:29 - "Tu pourras laver les verres après les apéros".
25:31 Il y en a un qui le disait quand elle est arrivée pour le service.
25:34 - C'était vraiment ça. Et chez les Anglais, c'était pareil.
25:36 En tout cas, c'est ce que me dit Stellar Hamington, qui n'est pas une rigolote.
25:40 Donc, je ne pense pas qu'elle ait forcé le trait.
25:42 Stellar Hamington, l'ancienne patronne du MI5, qui a gravi les échelons.
25:47 Donc oui, c'était souvent par cooptation.
25:49 Et parce qu'aussi, ce que me disait d'ailleurs Jonah Mendez de la CIA,
25:53 c'est qu'elle, par exemple, ne savait même pas que la CIA existait.
25:57 Il n'y avait pas du tout, à l'époque, de films encore...
26:02 Enfin, en tout cas, elle n'en avait pas vu, de films d'espionnage.
26:05 Les services ne communiquaient pas.
26:07 Il n'y avait pas de campagne de recrutement.
26:09 Donc, elle, quand son conjoint, son fiancé, lui a dit qu'il travaillait là,
26:14 elle ne savait pas de quoi il parlait.
26:16 Donc, évidemment qu'elle ne rêvait pas d'entrer dans le service.
26:19 - Elle est affectée à la prestigieuse division antisoviétique.
26:22 Elle doit, en quelque sorte, trier les agents, savoir s'ils sont des espions,
26:27 s'ils sont en lien avec des agents russes.
26:31 Et puis surtout, elle va contribuer à l'histoire.
26:33 Et c'est ça qui est formidable dans les deux histoires que vous nous racontez, mesdames.
26:35 Il y a évidemment Geneviève qui va ficher Vietthov, alias Farwell,
26:40 spécialiste des renseignements scientifiques et techniques du KGB.
26:44 Et puis, dans votre livre, Stéphanie Désor, il y a Betty Pack qui va donc risquer sa vie.
26:49 On est évidemment un peu plus tôt dans l'histoire,
26:51 puisqu'on est en plein milieu de la Seconde Guerre mondiale,
26:54 qui risque sa vie pour Enigma.
26:56 Elle est ainsi devenue l'espionne dont l'Angleterre avait besoin.
27:00 - Oui, c'est elle qui fait passer les plans d'Enigma à Bletchley Park,
27:04 parce que Alan Turing a imaginé la machine, l'ancêtre de l'ordinateur.
27:10 Mais pour arriver au décryptage d'Enigma,
27:12 il fallait avoir les plans.
27:15 Et en fait, cette machine Enigma était passée des années avant,
27:18 entre les mains des Américains, des Anglais, des Français, personne n'en voulait.
27:22 Et elle a terminé en Pologne.
27:24 Et en fait, Betty, à l'origine, est femme de diplomate.
27:27 On a oublié d'en parler.
27:29 Donc, elle est femme de...
27:31 C'est son statut.
27:33 Elle est là pour être belle et briller pendant les réceptions.
27:38 Et ça lui permet aussi d'aller dans divers pays.
27:42 Et en Pologne, lors d'un dîner,
27:44 elle comprend qu'elle a le renseignement qui dit que
27:48 Enigma est en train d'être décryptée quelque part en Pologne.
27:51 Et c'est là où elle va s'immiscer et récupérer les plans et les faire passer à l'Angleterre.
27:56 Et il y a d'autres aventures comme ça qui vont lui permettre de changer le cours de la guerre
28:02 grâce à un renseignement qui sera obtenu de façon plus ou moins douteuse.
28:10 Ce qui est intéressant aussi, c'est son recrutement, évidemment,
28:12 puisqu'elle est américaine et elle est recrutée par les britanniques.
28:17 Et vous écrivez "Qu'est-ce qui pousse une américaine à vouloir aider les britanniques ?"
28:20 On lui a posé cette question. Qu'est-ce qu'elle répond ?
28:23 - Eh bien, effectivement, c'est très intéressant parce que l'Amérique n'est pas en guerre.
28:27 Donc, quelque part, elle est passible de hautes trahisons.
28:31 D'accord ?
28:32 Elle fricote avec les Anglais.
28:34 Mais c'est sa haine d'Hitler.
28:38 C'est sa haine du fascisme.
28:40 Et c'est vouloir participer à l'histoire.
28:42 Et puis, je vais vous dire, je crois que le rôle de femme 2, ça ne l'amuse pas du tout.
28:47 Elle s'ennuie profondément.
28:49 Betty Pack n'est pas une mère.
28:50 Betty Pack n'est pas une épouse.
28:53 Betty Pack n'est pas la fille que sa mère souhaitait qu'elle soit.
28:56 Betty Pack a besoin de vivre.
28:57 Elle a de l'audace.
28:58 Elle a du courage à revendre.
29:01 Et elle se lance dans cette aventure.
29:03 Alors, certes, l'appel de l'adrénaline engendre toujours quelque chose de supérieur.
29:08 Mais il y a du courage et il y a une véritable idéologie.
29:11 Ça, c'est très important.
29:13 Moi, ce que j'aimerais qu'on dise d'abord, Betty Pack est une patriote.
29:17 Elle est à l'origine du succès de l'opération Torch.
29:19 Elle est à l'origine du succès de l'opération de Cap Matapan.
29:23 C'est une patriote.
29:24 Elle s'est battue avec ses tripes pour des pays qui, finalement, au début, n'étaient pas le sien.
29:30 C'est ça qui est intéressant.
29:31 Et ça renvoie évidemment en écho aussi au récit que vous nous proposez, Chloé Héberard.
29:36 C'est la question du patriotisme, de la trahison aussi.
29:39 Alors, racontez-nous, Gabrielle Gaste, que vous rêviez de rencontrer.
29:44 Et d'ailleurs, vous dites que vous n'avez jamais compris pourquoi elle avait finalement accepté de vous parler.
29:50 - Oui, Gabrielle Gaste fait partie des espionnes qui étaient connues.
29:56 Je disais tout à l'heure que j'ai dû trouver les espionnes et les convaincre.
30:00 Donc, certaines d'entre elles étaient des personnages publics,
30:03 comme dans l'ancienne directrice générale du MI5, évidemment.
30:06 Et d'autres étaient inconnues.
30:07 Et il a fallu que je les identifie, que je les convainque, etc.
30:09 Et parmi les connues, il y a Gabrielle Gaste, qui est une Allemande
30:13 et qui est vraiment, pour le coup, très connue dans le monde du renseignement,
30:17 puisque ça a été une des meilleures taupes des services extérieurs de la Stasi.
30:23 - La police politique de l'Allemagne de l'Est.
30:25 - Voilà, d'Allemagne de l'Est.
30:26 - Donc, elle, pendant 17 ans, elle a travaillé pour les services secrets de l'Allemagne de l'Ouest.
30:33 Elle a fait une très belle carrière.
30:35 C'est quelqu'un de très brillant, polyglotte, thésarde en sciences politiques.
30:40 Et pendant ses 17 ans, elle était en fait une taupe pour la Stasi, donc pour l'Allemagne de l'Est.
30:46 Elle a même réussi à adopter son neveu handicapé pendant ses 17 années, alors qu'elle vivait seule.
30:51 Enfin, elle a un parcours assez incroyable.
30:54 Mais son histoire finit mal, puisqu'elle se fait dénoncer après la chute du mur et termine en prison.
31:00 Et elle est très amère par rapport à ces années-là,
31:04 puisqu'il y a tout un récit assez fantasmé qui s'est construit autour de sa carrière,
31:09 qui prétend qu'elle a espionné par amour, qu'elle a été séduite par un agent de la Stasi
31:14 et que c'est par amour qu'elle a fait tout ça.
31:16 Alors que l'histoire est beaucoup plus complexe et qu'elle a surtout espionné par idéologie,
31:22 puisqu'elle était très soucieuse de l'égalité entre les hommes et les femmes
31:26 à une époque où en Allemagne de l'Ouest, ce n'était pas vraiment un souci.
31:29 Et cette égalité homme-femme était davantage respectée en Allemagne de l'Est.
31:34 Et elle avait une image assez positive de la société est-allemande.
31:40 Et puis elle était soucieuse de l'équilibre des forces entre le bloc de l'Ouest et le bloc de l'Est
31:44 pendant la guerre froide et pensait que pour éviter la catastrophe nucléaire,
31:47 il fallait que les armements, les informations, qu'on soit d'équerre, des deux côtés.
31:53 Donc elle a travaillé pour la Stasi, persuadée d'œuvrer pour la paix.
31:58 Et j'ai eu beaucoup de mal, j'ai mis deux ans à la convaincre de me parler.
32:02 J'ai même fini par...
32:03 - Parce qu'on avait déjà beaucoup écrit sur elle dans la presse,
32:06 qu'elle était, vous l'avez dit, ce personnage un peu connu et mal décrit en quelque sorte.
32:09 Et elle avait peur que les clichés sur cette espionne par amour, si on peut dire, se répètent, c'est ça ?
32:16 - Voilà. Parce qu'en fait, l'Allemagne de l'Est était très connue à l'époque pour ses services de renseignement.
32:23 C'était Marcus Wolf qui était à la tête des services extérieurs de la Stasi.
32:27 Et il avait mis en place une stratégie diabolique, mais quand même assez géniale,
32:31 qui était que pour avoir accès aux informations détenues par les hommes politiques d'Allemagne de l'Ouest,
32:37 plutôt que d'essayer de les convaincre eux, il suffisait de convaincre leurs secrétaires.
32:42 Puisque les secrétaires, elles ont accès à toutes les informations de leur patron.
32:47 Et donc pour ça, il envoyait des flottes de Roméo, on les appelait,
32:51 qui étaient des jeunes hommes séduisants, chargés de séduire les secrétaires.
32:56 Il y avait même des mariages, des vrais faux mariages, puisque les femmes étaient persuadées que leurs fiancés les aimaient,
33:03 alors qu'en fait, c'était des mariages fictifs opérationnels, comme on les appelait en Allemagne de l'Est.
33:08 Et ça a remporté un franc succès, puisqu'il y avait beaucoup de secrétaires après-guerre célibataires,
33:13 puisqu'il y avait moins d'hommes que de femmes à l'époque.
33:16 Et donc ça marchait très bien. Et donc on a raconté que Gabrielle Gaspes était une victime de Roméo.
33:22 Et sachant que c'était vraiment une intellectuelle, vraiment une pièce maîtresse des services secrets Est allemands à l'époque,
33:29 elle a vécu très mal de se faire reléguer au rang de Godich.
33:35 Et donc elle m'a dit "moi j'arrête maintenant".
33:38 En plus, elle avait écrit son autobiographie dans les années 90 pour défendre sa position.
33:44 Et elle dit "j'ai aucun intérêt à vous parler".
33:46 Et j'entendais très bien, simplement ça ne m'arrangeait pas.
33:49 Donc je revenais à la fin.
33:50 - Il fallait bien la convaincre de vous raconter, évidemment.
33:53 Ce qui est intéressant dans vos deux livres, et on va terminer là-dessus, Stéphanie Désorques,
33:59 c'est cette force de ces femmes, cette possibilité de tout faire pour arriver à ses fins,
34:06 c'est-à-dire obtenir ce renseignement, c'est une forme de quête absolue.
34:10 - Oui, de quête absolue. Mais attention, ça ne dure pas longtemps.
34:13 Ça ne dure pas longtemps parce que c'est comme les grands sportifs, c'est comme les champions.
34:17 Il y a une espèce d'adrénaline qui les pousse à repousser tous les obstacles et rien ne les arrête.
34:24 Et Betty, qui est très jeune finalement, qui a une trentaine d'années, passe partout.
34:30 Sauf qu'il y a un moment où ça s'arrête.
34:34 Et quand ça s'arrête, là c'est une autre histoire.
34:37 Et celle-là, on n'a pas spécialement envie de la raconter.
34:40 Moi, ce qui m'a passionnée, c'est ces années de guerre, ces années fascinantes d'aventure.
34:48 - Et on le retrouve dans votre livre chez Albain Michel.
34:50 Stéphanie Désorques, merci beaucoup d'être venue nous parler de Betty Pack,
34:54 alias Cynthia, c'est son note-code.
34:56 Merci beaucoup à vous, Chloé Héberard, d'avoir été avec nous à distance.
35:00 Les Espionnes racontent grâce aux dessins d'Aurélie Poellet,
35:04 c'est aux éditions Coédition, Arte Édition et Stein Kies.
35:07 Merci d'avoir toutes les deux été dans le Book Club ce midi.

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