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00:00 *Jusqu'à 13h30, les midis de culture. Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy*
00:09 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invitée ce midi.
00:14 Elle est écrivaine, journaliste et militante écologiste.
00:17 Mais c'est pour sa plume qu'on la reçoit ce midi.
00:19 Et elle est prolixe. A son compteur, une centaine de livres, dont une majorité destinée à la jeunesse.
00:24 Et comme elle a, je cite, "marqué durablement la littérature jeunesse",
00:27 notre invitée a reçu en 2020 la grande ours du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil,
00:32 dont la 39e édition s'ouvre ce mercredi.
00:35 A cette occasion, elle vient nous présenter son dernier livre, un album jeunesse, intitulé "Pauline Voyage".
00:42 *Bonjour Marie Desplechens* Bonjour.
00:44 *Bienvenue dans les midis de culture* Merci.
00:47 Marie Desplechens, un album jeunesse. Alors, ce n'est pas vraiment votre habitude.
00:50 Les albums, vous écrivez plutôt seul, normalement.
00:54 Et quand on dit "album", évidemment, on pense à un illustrateur. Il s'appelle François Roca.
01:00 Ça veut dire que "Pauline Voyage", c'est d'abord l'histoire d'une collaboration, d'une rencontre avec François Roca ?
01:06 Oui, je connaissais François avant, par son travail et puis après des liens amicaux.
01:10 Mais je n'avais jamais pensé à travailler avec lui, parce qu'il faisait des albums pour les adolescents, plutôt.
01:17 Beaucoup avec Fred Bernard au texte, qui était... Voilà.
01:21 J'admirais ce qu'il faisait, je trouvais ça formidable.
01:24 Il a travaillé aussi avec Charlotte Moundly pour réadapter des contes, mais je ne sais pas, je n'avais jamais pensé qu'on pourrait travailler ensemble.
01:28 Et c'est notre éditrice, enfin mon éditrice, à l'école des loisirs, Véronique Girard, qui a organisé le mariage.
01:34 Et donc, quand elle a proposé, j'ai dit "oui, génial, formidable, François et tout".
01:38 Et là-dessus, je me suis dit "mais qu'est-ce que je vais pouvoir raconter pour François ?"
01:42 Parce que j'avais l'impression qu'on avait des imaginaires très lointains.
01:46 Et j'ai fini par trouver.
01:49 Vous avez trouvé Pauline, donc on va y revenir.
01:52 Mais ça pose des questions, un mariage, avant de dire "oui".
01:55 Ça c'est sûr !
01:57 Un vrai consentement des deux côtés.
01:59 C'est ça, mais c'est surtout... Du coup, il a fallu aussi réadapter peut-être aussi l'âge auquel était destiné ce livre.
02:06 Est-ce qu'il faut écrire pour plus jeune, pour plus âgé, l'adolescence, l'enfance ?
02:12 Est-ce que ça pose aussi beaucoup de questions sur l'histoire ?
02:14 Bien sûr ! Normalement, je suis un petit peu plus âgée.
02:17 Et d'ailleurs, l'album va très bien à des gens qui ont 10, 11 ans.
02:20 Ça, j'ai remarqué qu'ils en ont lu. Ils ne sont pas du tout gênés par le côté enfantin de l'album.
02:24 Ils aiment beaucoup l'histoire, même si c'est une histoire qui n'est pas très longue.
02:27 Mais grâce à Véronique, avec qui je travaille, elle m'a amenée à en rabaisser un petit peu.
02:33 Je ne sais pas si c'est technique, je pense que c'est sentimental et affectif.
02:37 On est assez coincé à un certain âge.
02:39 Et moi, je suis vraiment coincée à 11, 12 ans.
02:42 C'est dingue de faire 7 ans ! C'est super dur !
02:45 Et puis, ça se joue à quoi ?
02:46 Parce que quelle différence quand on écrit 10, 11, 7, 8, 5, 6 ?
02:51 Moi, j'ai testé hier sur ma fille de 5 ans.
02:53 Ça ne marche pas l'histoire !
02:55 Ah bon ?
02:56 Parce qu'il y a les images !
02:57 Ou alors, elle est très maligne !
02:59 Non, non, bah oui, bien sûr, évidemment, elle est exceptionnelle !
03:03 Non, non, mais l'histoire tient le personnage de Pauline, il y a différents niveaux de lecture.
03:08 Après, cette histoire d'âge, c'est compliqué, parce qu'on a tous lu des livres qui n'étaient pas du tout faits pour nous, à des âges abéants.
03:14 On se souvient dans notre histoire de lectrice et lecteur, c'est une convention.
03:19 Mais tant mieux qu'on découvre et qu'on mette des images sur ce qui nous est proposé et du sens.
03:27 Après, il y a quand même une espèce de convention qui fait qu'un certain nombre de textes s'adressent à tel et tel âge.
03:34 Alors, quelle convention, par exemple ?
03:35 Je crois que c'est beaucoup une question d'âge affectif.
03:39 C'est-à-dire que vous n'avez pas les mêmes émotions, les mêmes terreurs, les mêmes désirs, quand vous avez 5 ans, quand vous avez 7 ans, quand vous avez 10 ans.
03:48 Et votre rapport au monde, il change.
03:49 Et quand on écrit un texte, il faut penser à ça.
03:51 Alors, moi, il y a un truc dont je suis certaine, c'est que 4-5 ans, je n'y arriverai jamais.
03:55 Et il y a des gens qui y arrivent génialement, mais ils ne se posent pas la question.
03:59 C'est pas sur Saponty, par exemple.
04:01 Moi, je ne pourrai jamais.
04:02 Lui, il l'a. Il l'a. C'est absolument vivant en lui.
04:05 Et moi, curieusement, j'ai 11 ans.
04:08 Mais ça m'intéresse, pardon, sur le côté des terreurs ou l'âge affectif.
04:14 C'est-à-dire qu'à 10-11 ans, en fait, on pense à quoi ?
04:18 Et à 7-8 ans, c'est quoi pour vous, votre typologie par âge des terreurs ou des affections ?
04:23 Je vais plutôt prendre avant et après.
04:25 Oui, je pense que par exemple, en dessous de 7 ans, ou vers 4-5 ans, il y a toutes les terreurs du cauchemar,
04:30 les terreurs de l'engloutissement, des terreurs...
04:32 Je pense que c'est des âges extrêmement violents.
04:33 Et quand vous regardez d'ailleurs les bons albums pour enfants,
04:36 les émotions qu'ils mettent en jeu, elles sont très violentes.
04:41 C'est beaucoup de perdre ses parents, être dévoré par un monstre, être très, très en colère, déborder par les pulsions.
04:49 Après, quand vous arrivez à 10-11, à ce moment-là, vous allez faire la bascule.
04:53 Vous sentez que ça arrive, cette bascule, vous êtes encore attaché à l'enfance.
04:56 Donc, vous vous intéressez, vous avez des premières émotions, pas amoureuses,
05:00 parce qu'on en a toute la vie, mais enfin, qui commencent à se socialiser, à se retrouver.
05:04 Vous avez cette nostalgie déjà très prégnante de ce que vous sentez, ce que vous allez abandonner.
05:09 En même temps, vous avez peur de ce qui arrive, vous en avez extrêmement envie.
05:12 Donc, j'aime bien ce truc de la bascule.
05:17 Pauline Voyage, c'est à partir de 6-7 ans, du coup ?
05:20 Ou 5 ans.
05:21 Ou 5 ans, si c'est la fille de Géraldine.
05:23 L'histoire, la voici, c'est une jeune fille, Pauline, qui part faire une croisière.
05:27 On est dans les années 30.
05:28 Elle avait demandé à son père de faire un voyage avec lui.
05:32 Lui n'est pas venu.
05:33 Et elle se retrouve sur ce bateau avec une certaine Nathalie, une amie de son père.
05:38 Et il va lui arriver certaines choses.
05:40 [Musique]
06:09 [Musique]
06:30 « Je crains de lui parler la nuit ».
06:32 C'est l'air que chante la cantatrice Nathalie, ce fameux personnage qui part en croisière avec Pauline.
06:38 Lorsqu'elle se retrouve, Nathalie, face à un ours, lors d'une sortie à terre.
06:43 Et c'est là que Pauline va la sauver de cette confrontation avec l'animal sauvage.
06:48 Ça fait partie de ces aventures qui rythment le voyage de Pauline.
06:51 Toutes ne sont pas aussi impressionnantes.
06:53 C'est la plus impressionnante.
06:54 Vous l'avez spoilée.
06:56 Oui, je l'ai spoilée.
06:57 Mais parce qu'il y a une dimension aventureuse dans cet album jeunesse que vous vouliez.
07:04 Il fallait que ce soit, comment dire, nous emmener ailleurs dans une nature incroyable avec aussi des animaux incroyables.
07:10 Oui, mais ça c'est Roca.
07:11 Parce que les albums présidents de François Roca, pour moi, l'image c'est qu'il adore les grands espaces.
07:15 Il peint, ce sont des peintures qui sont reproduites.
07:18 Et il y a beaucoup de ciel, beaucoup de choses qui se passent en Amérique du Nord, des histoires avec des Amérindiens.
07:22 Donc au début on se rencontre et moi je lui ai dit « les Amérindiens ça ne va pas le faire, pour moi c'est un génocide, j'y arriverai pas, laisse tomber ».
07:27 Donc on était dans cette espèce d'entre deux.
07:29 Mais je réfléchissais à sa grand espace.
07:31 Et je me suis souvenu d'un voyage que j'avais fait au Spitzberg en bateau.
07:34 Et je me suis dit « ah, ciel, glace, espaces déserts, c'est bon pour François ».
07:40 Donc on est parti et comme c'est un voyage, il amène l'aventure.
07:43 Ou alors sinon c'est un autre type de roman qui ne s'adresse pas aux enfants de cette âge-là.
07:48 De 600 ans.
07:49 L'idée de voyage c'est aussi de raconter, de tenir un journal de bord.
07:53 Et c'est donc ce que demande le papa de Pauline.
07:55 Elle le fait puisqu'elle lui a écrit une première lettre pour donner des nouvelles.
07:59 C'est lui qui lui a fait cette commande.
08:02 Le bateau aussi c'est le lieu clos.
08:05 C'est une aventure à lui tout seul ce bateau.
08:07 Que va découvrir d'ailleurs Pauline ?
08:09 C'est ce qu'elle dit, à un moment c'est une cabane qui flotte, ce qui est vrai, c'est pas très original.
08:12 Non, non, c'était très bien cette histoire de bateau.
08:15 Je ne peux pas vous approuver.
08:17 Qu'est-ce qu'il fait dans cette histoire-là ?
08:19 Vous dites que c'est un souvenir d'un voyage que j'ai moi-même fait.
08:21 Parce que sinon c'est pas possible pour vous d'inventer une histoire ?
08:24 Ce qui n'est pas possible c'est de ne pas voir ce que je raconte.
08:26 Et en fait si je décris ce voyage, il faut que ça évoque des images extrêmement précises.
08:32 Et ce bateau pour moi sont des images extrêmement précises.
08:34 Et le type qui a le nom de sa fille tatouée dans le cou, c'est encore une image.
08:40 Il faut que les prénoms ressemblent.
08:42 Par exemple je connais un Ragnard qui n'a rien à voir avec ce bateau.
08:44 Ragnard of Londres qui est un écrivain norvégien.
08:46 Ragnard c'est le capitaine.
08:48 Et donc oui, je pouvais le raconter.
08:52 Si je ne vois pas, je ne peux pas.
08:54 Et puis il y a encore le personnage de Pauline qui est l'héroïne.
08:57 Et qui donc au début s'ennuie.
08:59 Il faut bien le dire.
09:00 Qu'est-ce que peut faire une petite fille dans un bateau où il n'y a que des adultes ?
09:03 Elle s'ennuie.
09:05 En plus elle est malade.
09:06 C'est terrible pour elle.
09:07 Elle n'arrête pas de vomir.
09:08 Mais elle raconte tout cela à son papa.
09:11 Et elle va rencontrer effectivement tous les adultes.
09:14 Parce qu'elle n'a peur de personne Pauline.
09:16 C'est une bonne héroïne.
09:18 Elle aurait peur, je ne sais pas ce que j'en ferais franchement.
09:20 Mais vous pourriez imaginer une héroïne qui a peur ?
09:23 Non.
09:25 Enfin si la peur existe pour être surmontée.
09:28 Mais je ne sais pas si c'est à cause de l'enfance.
09:30 C'est comme l'échec existe pour être aussi surmonté.
09:33 Les terreurs existent pour qu'on les dépasse.
09:36 Le deuil arrive pour qu'on le résolve.
09:38 Mais bon, cette petite fille est quand même étonnante.
09:42 Parce qu'elle se retrouve sur ce bateau.
09:44 Elle s'ennuie.
09:45 Et elle écrit à son père.
09:46 Et elle est très violente avec son père.
09:48 Elle lui dit des choses.
09:50 Elle ne le dit pas aussi clairement que ça d'ailleurs.
09:54 Elle lui reproche de ne pas être avec elle.
09:57 C'est vrai qu'on se demande quand on lit cet album.
09:59 Mais il est où ce père ?
10:00 Comment ça se fait qu'il laisse sa petite fille sur un immense bateau ?
10:03 Avec une reine, avec Nathalie une cantatrice.
10:06 Il la confie à d'autres adultes.
10:08 Donc elle n'est pas complètement abandonnée.
10:10 C'est une petite fille dont on comprend qu'elle vient d'un milieu extrêmement riche.
10:13 Et d'ailleurs le capitaine lui dit à un moment.
10:16 Horrible fillette.
10:18 Et donc non, elle n'est pas matériellement abandonnée.
10:24 C'est le cas de beaucoup d'enfants.
10:26 Mais elle est affectivement abandonnée.
10:29 Et beaucoup d'enfants qui ne sont pas effectivement abandonnés
10:32 peuvent se sentir abandonnés.
10:34 Je pense que c'est un sentiment qui nous est commun.
10:36 Même si on est très aimé, il y a forcément des moments où
10:38 là aussi on fait l'apprentissage de la solitude, de l'incompréhension.
10:42 Ce sentiment d'abandon.
10:44 Aucun d'entre nous n'y échappe.
10:45 C'est très marquant d'ailleurs de voir cette petite fille
10:48 et de sentir cette solitude dans ses lettres qu'elle écrit,
10:51 dans ses textes qu'elle écrit dans son journal de bord.
10:53 Quand elle dit "j'aurais bien aimé que nous fassions quelque chose ensemble pour une fois".
10:56 Elle parle directement à son père.
10:58 "Vous êtes le seul", parce qu'elle le vous voit,
11:01 "à s'occuper de moi depuis que maman est partie".
11:04 Donc on comprend effectivement qu'il y a un manque terrible pour cette petite fille.
11:09 Mais ça arrive à beaucoup d'enfants non ?
11:11 Et encore une fois, même ceux qui s'entourent
11:13 sont légitimement en situation à certains moments de se sentir abandonnés.
11:16 Parce que la vie c'est une expérience de la solitude.
11:18 Et donc si cet album, ça avait été juste "Les aventures contre l'ours",
11:23 ce n'était pas très intéressant.
11:24 Ça aurait été un catalogue d'aventures.
11:26 Oui.
11:27 Mais à partir du moment où on fait exister un personnage,
11:29 ce qui est joli dans ce personnage, c'est qu'il devienne une vraie personne.
11:32 Une petite personne agie, émue par des sentiments profonds qu'on peut partager.
11:37 Mais ce qui est frappant aussi, c'est qu'en fait à la fois on est très triste pour Pauline
11:41 et en même temps on se dit qu'elle vit une expérience nécessaire.
11:44 Ne soyez pas triste pour Pauline, elle vous mangera la soupe sur la tête un jour.
11:47 Mais ça je m'en doute bien, mais je ne me laisserai pas guider par cette petite terreur de Pauline.
11:52 Mais il y a ces deux choses-là en fait dans cet album "Marie Desplechens".
11:56 C'est que d'un côté on est mal pour elle et en même temps on se dit "oui mais c'est ça en fait".
12:00 "Ben voilà, tu le vis".
12:02 Et on n'arrive pas à être dans le pathos complètement.
12:05 On se retient aussi de trop la plaindre justement.
12:09 Moi je n'y arriverai pas en fait.
12:11 - A la plaindre ? - Non, au pathos.
12:13 Non, je ne la plains pas.
12:15 Ce qui est joli, c'est ce que je disais tout à l'heure, c'est quand les gens dépassent.
12:18 Donc Pauline c'est sûr, elle n'a pas la vie facile, mais en même temps elle vient d'une famille pétée de thunes.
12:22 Elle est sur un bateau avec l'arène Astrid, tout va bien.
12:25 Et à côté de ça, c'est une petite fille toute seule qui vomit et qui n'arrive même pas à aimer Nathalie au départ.
12:30 Et après moi ce que je trouve joli dans l'album, c'est le moment où elle aime Nathalie.
12:33 Elle dit "je voudrais un jour avoir son parfum".
12:35 Comme ça je me souviendrai du moment où elle me dit "bonsoir".
12:39 Et ça c'est des choses qu'on peut partager avec elle.
12:42 Après ce personnage qui a l'air insupportable, qui est créé, c'est une convention aussi.
12:47 Je ne sais pas si vous connaissez un album qui est du génie, qui s'appelle "Héloïse" de Kate Thompson.
12:52 Lisez ça avec votre fille.
12:54 C'est la base et après vous vous direz "ah oui bien sûr c'est Héloïse".
12:57 Héloïse c'est une petite fille, on n'entend pas du tout parler des parents qui sont loin.
13:02 Elle est élevée par sa neurse et elle vit au Plaza.
13:05 Elle est avec sa neurse au Plaza et elle visite.
13:08 C'est un livre qui a été réédité un grand nombre de fois.
13:10 Je pense par l'école des loisirs, je n'en suis pas sûre.
13:12 Moi je l'avais acheté quand j'étais gamine.
13:14 C'est un de mes premiers argent de poche de ma vie.
13:16 Me servait à acheter dans un bac, dans le premier Auchan de France.
13:20 Un album déjà un peu corné d'Héloïse.
13:22 C'est vraiment un souvenir.
13:23 Le dessin est magnifique.
13:25 C'est une petite fille insupportable et extrêmement attachante.
13:29 C'est une véritable petite fille.
13:31 Mais c'est aussi un peu les malheurs de Sophie.
13:33 C'est une petite fille riche, insupportable, qui se sent abandonnée par sa mère.
13:38 Qui vit des moments de solitude.
13:40 Qui aimerait que sa mère soit beaucoup plus...
13:42 Et encore sa mère est sympa.
13:44 Oui, à côté de Madame Fichini qui doit arriver, c'est le paradis.
13:47 Oui, mais pourtant on sent aussi une forme d'abandon des enfants.
13:51 Oui bien sûr.
13:53 Je vais me répéter.
13:54 Il y a les deux choses.
13:55 Il y a l'enfant véritablement abandonné.
13:57 Mais qu'on a dans toute la littérature jeunesse.
13:59 Et après il y a ce sentiment qu'on a tous de devoir faire notre chemin.
14:03 Qui est un bon motif de récit.
14:07 La Nathalie, elle cristallise aussi des relations avec le père de Pauline.
14:15 Puisqu'au début, on l'a dit, elle écrit à son père.
14:18 "Je suis en plus obligée de partager cette cabine avec Nathalie."
14:21 Elle ronfle.
14:22 Elle ne l'aime pas du tout.
14:23 Elle lui écrit en plus.
14:25 Elle cafte en quelque sorte.
14:27 Puisqu'elle raconte que Nathalie parle de son père comme si elle le connaissait à n'importe qui.
14:33 Et c'est vrai que ce moment de bascule apporte une forme de tendresse à laquelle peut-être on ne s'attend pas.
14:40 Avec ce personnage qu'on aime bien détester en quelque sorte.
14:43 Le personnage de Nathalie ?
14:44 Oui.
14:45 Oui, bien sûr.
14:46 Mais bon, c'est plus marrant comme ça, ne le trouvez-vous pas ?
14:49 C'est ce qui se passe dans n'importe quelle fiction.
14:52 C'est qu'à un moment vous n'aimez pas.
14:53 À un moment vous aimez.
14:54 Et dans la vie.
14:55 Surtout avec les belles-mères.
14:57 C'est vrai.
14:58 Oui.
14:59 C'est vrai.
15:00 Un personnage important quand même dans la construction.
15:02 Les parents séparés.
15:03 Oui.
15:04 Mais justement sur la construction des personnages, vous dites qu'il y a des conventions.
15:08 Il y a la convention, la figure type de la petite fille insupportable.
15:12 Ou alors de l'enfant abandonné qui a le sentiment de l'abandon.
15:16 Il y a aussi la personne qu'on déteste.
15:18 Il y a le capitaine qui est un peu dur et qui en même temps fait attention.
15:22 Il se dit "tu lui perds".
15:24 Vous fonctionnez aussi par convention.
15:26 Mais comment vous dites "bon là en fait je ne suis pas non plus que dans la pure convention,
15:30 j'ai quelque chose en plus à dire sur ce personnage".
15:32 Ce n'est pas juste une recette que vous appliquez quand vous créez un personnage.
15:35 Moi je ne me dis rien.
15:37 Je vous assure que c'est vrai.
15:39 Je réfléchissais à ça.
15:40 Il y a un tas de gens qui savent en fait.
15:42 Mais quand vous écrivez l'histoire, vous n'êtes pas dans une position de sachant.
15:46 Alors moi je trouve Pauline, je me dis "elle parle Spitzberg sur ce bateau".
15:50 Et après les gens se mettent à arriver.
15:52 C'est absurde, tout le monde dit la même chose.
15:54 Je suis désolée.
15:56 Mais non.
15:58 Et ils existent les uns par rapport aux autres.
16:00 Donc c'est une espèce de petit cirque qui se met en place.
16:03 Et vous voyez en fait après coup, sur le moment vous avez juste le plaisir à les imaginer.
16:08 Et à voir le machin se mettre en place.
16:11 Parce que c'est agréable.
16:13 Et après vous savez d'où ils viennent.
16:16 Parce que vous avez un peu d'expérience.
16:18 Vous êtes vieux, ce n'est pas la première fois qu'on vous pose la question.
16:21 Et vous vous dites "ça vient de telle époque de ma vie, ça vient de ces choses-là que j'ai lues,
16:25 ça vient de telle convention, ça vient d'un film".
16:28 Et donc c'est une espèce d'agglomérat de moins de pensées que d'émotions
16:33 qui se trouve agi parce que vous en faites une histoire.
16:38 Et les personnages se mettent à exister comme ça.
16:40 Et vous avez une forme d'attachement pour eux.
16:42 Et effectivement Nathalie, dont on se dit qu'elle va être insupportable au début,
16:47 vous êtes content quand vous vous rendez compte que la petite fille s'attache à elle et que le regard change.
16:53 Pour les personnages, la construction, vous dites "je ne réfléchis pas".
16:59 Et on le voit dans ce que vous venez de nous dire.
17:03 Pourquoi la reine Astrid ? Pourquoi la reine des Belges et son petit Baudouin ?
17:07 Comment ça vient dans votre esprit ?
17:09 C'est vraiment quelque chose qui vous parlait depuis longtemps.
17:14 Il y a deux choses. Je pense toujours à François.
17:17 J'aime bien travailler avec les gens.
17:20 François Rocca, pardon.
17:22 Et donc j'ai des grands espaces.
17:24 Et après François s'est toujours déplacé dans le temps. C'est 19ème.
17:27 Et moi 19ème.
17:29 Et à ce moment-là je me dis "voyage au Spitzberg".
17:32 Le bateau. Et je me dis "ah bah non plutôt début du 20ème".
17:35 Parce qu'il y a les costumes. Il y a cette joie.
17:38 Je ne pense pas que ce soit pathéiste.
17:40 C'est peut-être une idée de refuge aussi. Le refuge du passé.
17:43 Et donc je me dis début 20ème.
17:46 Et là, boum, je me souviens.
17:48 Ma mère est née en 1931.
17:50 On est une famille du nord, près de la Belgique.
17:52 Avec une partie qui vient de la Belgique.
17:54 Et quand j'étais petite, j'avais entendu parler de la reine Astrid.
17:57 Qui est une sorte de Lady Di en fait.
17:59 Qui est morte tragiquement peu après ce voyage au Spitzberg.
18:03 Elle n'a jamais fait.
18:04 Elle est morte comment ?
18:05 Un accident de voiture. Dans une voiture conduite par son mari.
18:07 Et ça a été un deuil terrible.
18:09 Parce que c'était un couple.
18:11 Ils étaient très beaux. Ils étaient très jeunes.
18:13 Il s'aimait énormément. Et les gens l'adoraient.
18:15 Après, c'est quand même des colonialistes épouvantables.
18:21 Tout ce qu'on veut.
18:23 Et puis le petit Baudouin va devenir un roi épouvantablement réactionnaire.
18:26 Il va abdiquer pendant deux jours pour ne pas avoir à voter la législation sur l'avortement.
18:30 Mais peu importe.
18:33 C'était l'image d'Astrid qui était tellement belle.
18:36 Qui était tellement aimée.
18:37 Ses petits enfants.
18:38 Et Baudouin, c'est un nom tellement marrant.
18:40 Il me dit "Ah ben voilà un bateau. Et la reine Astrid. Et on va partir de Belgique."
18:44 J'ai un lien avec la Belgique depuis l'enfance.
18:47 Parce que nous on n'allait pas à Paris. On allait souvent à Bruxelles ou en Belgique.
18:50 Le fait qu'on puisse partir de l'avenue Louise par exemple,
18:54 c'était un immense plaisir.
18:56 Donc c'est ajouté à l'agrément de l'histoire.
18:59 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
19:03 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
19:07 Oh ! Je vole !
19:10 Qu'est-ce que c'est excitant !
19:12 Oh ! C'est merveilleux !
19:14 Regarde-moi !
19:15 Oh c'est bien !
19:16 Regarde-moi !
19:17 Monsieur Barry.
19:22 Madame Snow.
19:23 Merci.
19:24 C'est vraiment la meilleure soirée que j'ai jamais passée au thé.
19:28 Merci. C'est très gentil de me dire ça. Merci.
19:30 Où est M. Snow ce soir ?
19:32 M. Snow nous a quittés.
19:35 Mais je suis sûre qu'il aurait adoré ce spectacle.
19:38 Les pirates et les indiens.
19:41 Il était resté un véritable enfant, vous savez.
19:44 Je suppose qu'il faut voir la l'œuvre du crocodile Tic-Tac, n'est-ce pas ?
19:49 Toutes mes condoléances encore.
19:51 C'était M. Barry ?
19:53 C'était M. Barry.
19:55 Psst ! Qu'est-ce que tu en penses ?
19:58 Ça parle de notre été ensemble, c'est ça ?
20:01 Oui.
20:02 Ça parle de nous tous.
20:03 C'est vrai ? Tu as aimé ?
20:05 C'est magique. Merci.
20:08 Merci à toi.
20:10 Merci, Peter.
20:12 Mais c'est Peter Pan ! C'est merveilleux !
20:15 Tu es Peter Pan.
20:17 Mais je ne suis pas Peter Pan. C'est lui.
20:21 Mes compliments, M. Barry. Bravo.
20:23 Peter Pan, c'est lui.
20:25 Le dramaturge James Matthew Barry, incarné dans ce film Neverland de Mark Foster en 2005,
20:31 dont on vient d'entendre un extrait, incarné par Johnny Depp.
20:34 L'œuvre de Barry, la plus populaire, c'est sans doute Peter Pan.
20:38 Justement, Marie Desplechins.
20:40 Peter Pan ou le petit garçon qui ne voulait pas grandir.
20:42 Alors, est-ce que quand on est auteur ou autrice, jeunesse,
20:45 on est une autrice, un écrivain qui ne veut pas grandir aussi ?
20:49 Ça, ce serait affreux d'être comme Barry.
20:51 Franchement, ce serait même un cauchemar.
20:53 L'histoire est vraiment spectaculaire.
20:55 Est-ce qu'on ne veut pas grandir ? J'en sais rien.
20:58 Parce que moi, je suis une très grande personne à côté de ça.
21:00 C'est extrêmement responsable.
21:02 Mais il y a une partie de nous qui n'a pas grandi, c'est sûr.
21:04 Il y a une partie de nous qui est restée là.
21:06 Et cette partie-là, elle est active.
21:09 Ça veut dire que le lien avec l'enfance, vous, vous ne l'avez jamais rompu ?
21:14 Je ne sais pas si je me vante ou si je me déconsidère en vous répondant oui.
21:18 Pourquoi ?
21:20 Je ne sais pas, parce que pour un tas de gens, garder une partie d'enfance,
21:23 c'est revenir en état de crétinerie.
21:25 Je ne sais pas quoi vous dire.
21:28 J'ai la sensation que cette partie-là est très vivante,
21:30 que j'ai une empathie très facile, que je peux comprendre très bien,
21:34 que ça me plaît, que ça m'amuse, que j'aime la compagnie des enfants.
21:39 Et pas pour être moi-même enfant, mais même pour faire l'adulte par rapport à l'enfant.
21:45 On parlait tout à l'heure de Ponty.
21:47 Moi, je pense que Ponty s'est arrêté en partie à 4-5 ans.
21:50 Et vous parliez de Barry.
21:52 Barry, exactement la même chose.
21:54 Quoi qu'on pense de Barry, c'est sûr que tout est dans l'enfance.
21:59 Enfin, tout, pas tout, mais la part créative.
22:02 Parce que quand je dis tout, ça entraîne une forme de confusion
22:05 et on va tomber dans l'idée d'un infantilisme qui, effectivement, n'est pas là.
22:09 Mais la part créative, de ce moment-là, est restée extrêmement vivante.
22:14 Certains adultes ont coupé ce lien avec l'enfance.
22:17 On peut très bien le dire.
22:20 Ou alors, ils ne savent pas qu'ils l'ont gardé.
22:23 C'est ça la différence.
22:24 Parce que j'ai l'impression, souvent, en regardant les gens qui sont adultes autour de moi,
22:28 de les voir enfants et de voir l'âge qu'ils ont.
22:30 C'est vrai ? Vous nous voyez comment alors ?
22:32 Vous êtes trop 8 ans.
22:34 Oui, j'ai 8 ans.
22:35 Et moi, j'ai combien ?
22:36 Vous êtes un petit peu pareil.
22:38 On a 8 ans.
22:40 Quand je dis ça, c'est une blague.
22:44 Je ne peux pas vous juger comme ça.
22:45 Mais vous voyez bien, par exemple, dans le rapport que les gens ont avec leur ego,
22:49 il y a des gens qui sont très 4 ans.
22:51 Parce qu'ils pensent qu'ils sont les seuls au monde ?
22:54 Par exemple.
22:55 Donc, 8 ans, on a un tout petit peu déplacé ça.
22:57 Vous voyez Agopteutie, elle fait des spectacles tout le temps.
23:00 Eh bien, il y a des gens, dans la vie, une bonne part de leur activité consiste,
23:03 d'une manière ou d'une autre, à faire un pestacle.
23:05 Ce sont des gens qui jamais ne reconnaîtront, ne l'admettront,
23:08 ou ce ne sera pas reconnu.
23:10 Mais vous, vous pouvez le voir.
23:11 Si vous aiguisez cette manière de voir, vous allez voir les âges les plus vivants
23:15 dans les adultes que vous rencontrez.
23:17 Mais c'est aussi une sorte de rêve de vouloir renouer avec la part d'enfance qui est en nous,
23:23 en tout cas de la redécouvrir.
23:24 Et souvent, c'est une construction qu'on fait après.
23:28 On se dit "j'étais comme ça, je vais retrouver ça".
23:30 Vous voyez, il y a une part de fantasme.
23:32 Je vois très bien ce que vous voulez dire.
23:33 Bien sûr, la reconstruction, c'est celle qui est de l'ordre de la mémoire.
23:36 C'est que votre mémoire ne cesse de reconstruire ce que vous avez vécu.
23:38 Tout à fait d'accord.
23:39 Mais la part de l'énergie créative, c'est l'enfance.
23:42 Elle vous vient de l'enfance.
23:44 Vous prenez les enfants, avant 10 ans,
23:46 je dirais que 10 ans c'est assez vieux,
23:48 mais avant 8 ans, ils sont pour la plupart géniaux.
23:50 Vous faites un atelier de poésie avec des 6 ans,
23:52 vous allez avoir des choses extraordinaires.
23:53 Vous faites-le avec des 10 ans, c'est mort.
23:55 Vous êtes durs avec les petites 10 ans.
23:58 C'est vrai, mais parce qu'il n'y a pas cette inhibition,
24:02 ce désir de correspondre, de répondre à la censure.
24:04 Il y a le surmoi et le regard des autres qui a pris le dessus, c'est ça ?
24:08 Oui, c'est ça.
24:09 Vous avez une espèce de capacité à être ému,
24:11 de désir réalisateur.
24:13 Un enfant n'est jamais dans le "c'est pas possible,
24:15 ça va être compliqué, je ne vais pas y arriver".
24:17 Moins d'avoir été inhibé très tôt,
24:19 mais sinon il y va, il le fait.
24:21 Et une liberté sur les formes aussi.
24:24 Il ne dira pas "c'est pas le dessin que je dois faire".
24:26 Il ne va pas faire des mangas.
24:28 Il va faire des espèces de formes.
24:30 Quand on regarde les dessins, c'est très bien aussi.
24:33 Et en fait, à l'âge adulte,
24:35 ce qui est important, ce qui peut être utile,
24:37 ce que je souhaite à tout le monde,
24:39 c'est garder cette capacité.
24:41 Ce serait plutôt ce genre d'énergie,
24:43 ce n'est pas notre propre histoire qui nous occupe.
24:46 La différence, c'est que quand on est adulte,
24:48 c'est qu'on ne sait pas où la mettre, cette énergie-là.
24:51 Souvent, on l'investit dans des mauvais endroits.
24:53 On investit l'énergie dans le travail,
24:56 dans s'occuper d'autres que soi,
24:58 dans faire à manger, les courses, etc.
25:00 Mais tout ça est compatible.
25:02 J'ai l'impression que vous racontez ma vie.
25:04 Oui, allez-y !
25:05 Non, c'est ça !
25:06 Gagner des sous, s'occuper d'autres que soi,
25:08 faire à manger, les courses, avoir 45 dans la tête...
25:11 Mais tout le monde ne peut pas devenir auteur ou autrice jeunesse.
25:15 Il y a mille façons.
25:16 Vous n'êtes pas obligé d'écrire des textes,
25:18 mais après, vous pouvez réaliser.
25:20 Et même dans ce qu'on appelle l'artisanat,
25:22 qui est une forme d'art, puisque ça, c'est que des distinctions.
25:25 Tout ce que vous pouvez créer, fabriquer,
25:27 tout ça est le même élan.
25:29 Et si ça ne devient pas un métier,
25:31 c'est une chose que vous allez pouvoir partager
25:33 et qui va vous rendre heureux.
25:34 Surtout, ça va vous permettre de vivre.
25:36 Souvent, on me demande comment font les gens pour vivre.
25:38 Je me dis que ce n'est pas possible.
25:40 La vie, c'est quand même super dur, super triste.
25:43 Et quel est le moyen pour vivre avec ça ?
25:46 Vous pouvez choisir de vous étourdir,
25:48 mais ça dure un moment,
25:49 et puis après, vous trouvez des solutions
25:51 qui ne sont pas forcément les bonnes.
25:53 Mais le fait de créer, de chanter, de peindre,
25:57 de construire une maison,
25:59 de ne sais pas, même de planter une forêt.
26:01 Vous faites quelque chose.
26:03 Vous faites une chose qui est bonne,
26:04 et vous faites une chose qui est bonne pour vous.
26:06 Pour moi, l'écriture, c'est cette partie-là.
26:08 C'est la partie de moi qui permet
26:10 tout le reste de moi de vivre.
26:12 - Puisqu'on parle de la littérature jeunesse,
26:14 Marie Desplichens, comment est-ce qu'on pense,
26:16 comment est-ce qu'on décrit un bon livre jeunesse ?
26:20 Est-ce qu'il y a pour vous des critères
26:22 qui ne sont pas obligatoires ?
26:25 En tout cas, ceux qui vous meuvent
26:27 quand vous écrivez un livre ?
26:28 - Surtout quand je lis un livre.
26:30 - Ou quand vous le lisez.
26:32 - C'est comme en adulte, à un moment,
26:33 vous ne vous trompez pas beaucoup.
26:34 Quand vous avez une culture qui est relativement établie,
26:36 vous savez s'il est bon ou pas.
26:39 Je ne sais pas, c'est comme on s'est écrit.
26:41 Vous ne pouvez pas l'écrire n'importe comment.
26:43 Ça ne peut pas être moche,
26:44 ou pas du tout mélodieux.
26:46 Après, il faut que ce soit un minimum construit.
26:49 Mais c'est pareil, les critères sont les mêmes.
26:51 Et après, je pense qu'il doit être investi
26:53 par cette énergie qui dépasse celui qui l'écrit.
26:56 Il faut qu'il y ait des choses très profondes
26:58 qui soient mises en jeu.
26:59 Vous parliez de Peter Pan,
27:01 ou de la Comtesse de Ségur,
27:03 ce qui est mis en jeu dans ces livres
27:05 est une chose qui dépasse la volonté de leur auteur.
27:08 Donc il faut que le lecteur,
27:10 et quel que soit l'âge du lecteur,
27:12 soit touché exactement là où le livre se joue.
27:15 C'est-à-dire dans la douleur
27:17 des petits personnages de Sophie, par exemple,
27:20 ou dans la fascination morbide et irréductible
27:25 qui règne sur Peter Pan.
27:27 Et en même temps assez fantaisiste.
27:29 Et ça, c'est des choses très pensées, adultes.
27:32 Mais c'est ça qui se joue chez l'enfant petit.
27:35 Regardez votre petite fille qui voit tout de suite
27:37 de quoi il retourne avec le père.
27:39 - Qui laisse son absence sur le bateau.
27:41 - Elle ne s'est pas trompée.
27:42 - Mais du coup, c'est une mission de la littérature,
27:44 pour vous, d'aborder des thèmes qui sont parfois difficiles.
27:48 Vous parliez de souffrance, il y a un instant, de douleur.
27:51 Vous ne vous empêchez pas de parler de deuil, d'absence.
27:54 Vous parliez de l'absence du père, mais aussi de violence,
27:56 parfois de raconter des histoires de méchants aussi.
27:59 Tout ça, ça peut très facilement être raconté, expliqué à un public jeune.
28:05 - Les enfants, ils ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre.
28:11 - Mais est-ce qu'ils peuvent tout entendre ?
28:14 - Il y en a qui entendent tout, bien malgré eux.
28:18 Après, le problème, c'est qu'ils ne peuvent pas tout assimiler
28:21 ou tout métaboliser, parce qu'ils n'ont pas forcément tous les éléments.
28:26 Pour Pauline, à la fin, je pensais qu'elle ne retrouvait pas son père.
28:30 C'était Jeff, le chauffeur flamand, qui venait la chercher,
28:32 comme il l'avait conduit au bateau.
28:34 Et en discutant avec Véronique, mon éditrice,
28:36 elle me dit "non, non, c'est pas possible".
28:38 - C'est trop cruel ?
28:39 - En fait, vous ne seriez pas content en terminant le livre.
28:42 Il ne faut pas désespérer Billancourt.
28:43 Et quand vous écrivez un livre pour enfants,
28:45 vous êtes un adulte qui s'adresse à un enfant.
28:47 Est-ce que vous avez envie de casser l'enfant ? Non, vous n'avez pas envie.
28:49 Vous avez envie de lui taper dans le dos et de lui dire
28:51 "Allez, tu vas voir, mon vieux et ma vieille, ça va aller.
28:53 On va y arriver, ça va être chouette, on va le faire ensemble".
28:55 Et ce sentiment-là, il est au fond.
28:57 Donc en fait, on ne raconte pas des choses...
28:59 Moi, j'aurais horreur de raconter des choses inutilement cruelles ou dures.
29:02 Et d'ailleurs, aux adultes aussi, ça ne m'intéresse pas.
29:05 Et pour les enfants, c'est facile, parce que le pacte,
29:08 il est agréable à passer dans ce sens-là.
29:10 Et je n'irais pas chercher volontairement les choses difficiles.
29:14 Ça ne m'intéresse pas.
29:17 D'autres gens le feront très bien, disons.
29:19 Mais si des choses dures arrivent, je ne vais pas les éluder.
29:23 Est-ce que j'ai bien répondu ?
29:25 Oui ?
29:26 Oui.
29:27 Je crois que j'ai compris.
29:28 C'est formidable.
29:29 Vous écrivez depuis le début des années 90
29:33 votre premier ouvrage, ça s'appelle "Le sac à dos d'Alphonse" en 1993.
29:37 Ça a été un énorme succès, tous vos livres.
29:40 Si j'ai bien lu le chiffre de l'école des loisirs, qui est votre maison d'édition,
29:44 ils ont vendu plus de 2,3 millions de livres que vous avez signés, Marie Desplechens.
29:49 C'est vertigineux ?
29:50 Je n'ai pas le compte entier.
29:52 Je sais qu'il y en a un ou deux qui sont très bien vendus, mais je n'ai jamais…
29:55 "Verte", notamment, paru en 1996, traduit en douze langues,
29:58 ou encore le journal d'horreur.
30:00 Comment on fait pour continuer à écrire et à parler aux jeunes qui changent,
30:07 qui évoluent, qui ne vivent pas dans le même monde ?
30:10 Est-ce que vous vous posez ces questions-là ?
30:12 Est-ce que vous vous dites "Est-ce que je dois mettre à jour mon vocabulaire ?
30:15 Est-ce que je dois changer certains mots, certaines façons de raconter des choses ?"
30:19 Ou est-ce que vous continuez à faire ce que vous savez faire ?
30:22 Je continue à faire ce que je sais faire.
30:25 De toute façon, si vous vous efforcez d'adopter le vocabulaire qui en court actuellement,
30:29 moi, mes gosses, chaque fois que j'utilisais un mot que je voyais arriver dans le vocabulaire,
30:32 je savais que ce mot était mort.
30:34 Parce qu'ils le voyaient arriver dans ma manière de parler,
30:37 et ils ne pouvaient plus l'utiliser, évidemment,
30:39 puisque ce sont des mots qui fonctionnent comme un langage de communauté.
30:41 Donc si vous avez un daron ou une daronne qui commence à faire le malin,
30:44 déjà, ils se couvrent de ridicule.
30:45 Et deuxièmement, ça veut dire qu'il faut que vous changiez de lexique.
30:48 J'adore ce lexique, ça m'amuse énormément.
30:50 On va arriver les mots ou les trucs de syntaxe, ça m'enchante.
30:54 Mais je ne peux pas les utiliser.
30:56 Mais non, parce que ça va se démoder.
30:58 Vous le mettez dans un livre.
30:59 "Verte", c'est un livre qui a, mon Dieu, plus de 20 ans.
31:04 Il a largement plus de 20 ans.
31:06 Mais si j'avais mis des mots qui étaient à la mode à ce moment-là,
31:08 il serait perdu, il faudrait le réactualiser.
31:10 Ça n'aurait pas de sens.
31:12 Donc si j'utilise un vocabulaire commun, je sais qu'il va durer.
31:16 Et en plus, je n'ai pas le souhait de me coller.
31:20 Je pense que ce qui nous agit toujours,
31:22 je verrai bien ce que donneront les changements anthropomorphiques auxquels on se prépare,
31:27 mais c'est toujours les mêmes.
31:28 On a peur des mêmes choses, on aime les mêmes choses, on désire les mêmes choses.
31:31 Et c'est de ça que parle la littérature, en général, et particulièrement pour les enfants.
31:36 Donc le langage, ça doit être le plus intemporel qui soit.
31:40 C'est tenter qu'un langage intemporel existe, d'ailleurs.
31:43 Je pense que ça doit être un langage, d'abord, ça doit être joli.
31:46 C'est-à-dire la phrase, si c'est possible qu'elle soit construite de manière mélodieuse.
31:50 Elle ne doit pas être inutilement compliquée.
31:52 Quelquefois, quand vous écrivez pour les adultes, vous n'hésitez pas à mettre des virgules, des incises.
31:56 Vous faites le malin.
31:57 Alors, en général, c'est tombé, vous avez perdu tout le monde, les gens sont partis ailleurs, ça ne les intéresse pas.
32:00 On ne peut pas faire le malin avec les enfants.
32:02 Pas trop, parce que vous aurez perdu.
32:04 Après, ce qui serait dommage, ce serait se refuser du lexique précis, par exemple.
32:08 Ça, ce serait super dommage.
32:09 D'autant qu'on adore apprendre des mots nouveaux.
32:11 Donc, les enfants aussi, mais il ne faut pas en mettre trop.
32:14 C'est-à-dire, si vous blindez la page avec des mots que personne n'utilise depuis 60 ans,
32:18 mais c'est pareil.
32:20 Pourquoi ?
32:21 Donc, je pense que ça doit être très joli et accessible.
32:27 Il ne faut pas perdre les gens volontairement.
32:29 - Un mot sur... Parce que je vous ai présenté en ouverture d'émission comme militante écologiste.
32:33 - La militante, c'est tout ce que je devrais faire et que je ne fais pas.
32:37 - Oui, c'est-à-dire ?
32:39 - Non, on continue.
32:41 - D'accord.
32:42 Vous avez notamment été suppléante à un candidat écologique à la députation.
32:49 Est-ce que, par exemple, ce thème-là, parce que vous en parliez il y a un instant, il infuse doucement aussi.
32:54 Aujourd'hui, vous vous dites "ça, c'est un thème que je dois aborder, l'écologie, l'environnement, l'état de la planète",
33:00 aux enfants qui en entendent parler tous les jours ?
33:03 - Alors, non.
33:04 Parce qu'en fait, quand j'écris une histoire, j'écris une histoire.
33:07 Mais je suis une personne qui a 64 ans, donc j'écris une histoire avec mes souvenirs, mon vécu, mon...
33:11 Voilà, c'est cette part-là.
33:12 Après, certes, j'ai envie d'en parler.
33:14 Donc, à ce moment-là, il n'y a pas un message.
33:17 Je ne vais pas faire un roman à un message.
33:18 Après, il y en a d'autres qui existent, c'est très bien, mais moi, je ne saurais pas.
33:21 Mais j'ai fait un livre là-dessus, qui s'appelle "Ne change jamais",
33:24 et qui est un livre qui aborde la question de l'écologie.
33:26 J'avais fait un texte avant, c'est extrêmement difficile de parler d'écologie avec les enfants,
33:30 parce que c'est tellement panique, que vous ne savez plus comment le partager.
33:33 Et en plus, vous n'êtes pas dans une position d'autorité et de savoir...
33:36 Vous êtes incapable de dire ce qui va arriver.
33:38 Vous avez utilisé un système qui nous conduit de plus en plus clairement,
33:42 chaque jour, chaque fois après chaque jour, à la perte.
33:45 Donc, comment en parler avec les gens qui débutent dans l'existence ?
33:48 Donc, ça a été vraiment un sujet de réflexion,
33:50 pour arriver à "Ne change jamais", qui est...
33:53 On va le vivre, et en fait, ce sera une aventure.
33:56 - Mais ce livre-là, il s'adresse aux plus grands, non ?
33:59 - Il s'adresse aux plus grands.
34:00 Après, il y a d'autres livres qui s'adressent aux petits.
34:03 Le vent se lève, il faut tenter de vivre, quand même.
34:08 J'ai pensé à "Votre petite fille de 5 ans", par exemple.
34:11 On peut apprendre des gestes, ou des choses, ou des manières d'être, et tout ça.
34:14 Après, on ne va pas faire peser sur des psychés qui sont en construction,
34:18 des poids qui sont, pour nous-mêmes, inassimilables.
34:21 - En plus, c'est difficile de trouver une fin heureuse,
34:23 quand on parle de fin du monde.
34:25 Ça, c'est...
34:26 - Oui, après... Oui, oui, oui, oui.
34:28 Après, les deux façons dont je me disais qu'on pouvait aborder,
34:31 c'est l'angle combatif.
34:32 C'est-à-dire, c'est une aventure, c'est-à-dire ce qu'on vit.
34:34 Et il y a toujours eu des aventures.
34:35 Après, que l'histoire de l'humanité n'a jamais été une oasis de miel,
34:40 et voilà, ça a toujours été pourri.
34:42 Et qu'après, on peut faire plein de choses.
34:46 Voilà, on peut s'engager, on peut le faire.
34:48 Je crois vraiment dans l'action.
34:50 Pour moi aussi, en fait.
34:51 Tout ce que je peux appliquer aux enfants,
34:53 ce sont des choses qu'il faut que je m'applique à moi-même,
34:55 sinon ce n'est pas valide.
34:56 - Tout à l'heure, on s'interrogeait sur la place de l'enfance dans la vie des adultes.
35:00 Est-ce qu'aujourd'hui, Marie Despechers,
35:02 puisque vous venez aussi à l'occasion du 39e Salon de la littérature
35:05 et de la presse jeunesse qui s'ouvre demain à Montreuil,
35:07 est-ce que vous diriez aujourd'hui encore que la littérature jeunesse
35:10 n'est pas considérée comme de la littérature,
35:12 ou est toujours mal considérée ?
35:14 Ou est-ce que depuis toutes ces années, ça a quand même bougé, évolué ?
35:19 - Je ne sais pas, je pense que ça a évolué,
35:21 parce qu'il y a des gens très bien, je pense aux gens de Montreuil par exemple,
35:24 tous ces gens qui ont fait naître et vivre le Salon de Montreuil.
35:27 Il y a vraiment des militants qui sont formidables.
35:30 Après, je pense que globalement, non.
35:32 On pense qu'on fait toujours un petit peu des conneries
35:34 quand on écrit pour la jeunesse.
35:35 Ce n'est pas très intéressant.
35:36 Quand est-ce que tu écris pour les adultes ?
35:38 C'est une des phrases que j'ai le plus entendue.
35:40 - Qui c'est qui vous dit ça ?
35:42 - Après, je vais vous dire.
35:43 - Qui c'est qui vous dit ça ?
35:45 - Mais après, il y a un truc, je m'en fiche.
35:48 C'est une question qui ne m'intéresse pas.
35:51 Voilà, ça ne m'intéresse pas.
35:53 Ce n'est pas socialiser de la même façon.
35:55 Pensez dans ce que vous voulez.
35:56 C'est ça que je fais.
35:58 J'aime ça, d'autres gens aiment ça.
36:00 Je suis dans ce que j'aime.
36:02 Je suis dans la langue et je ne tiens pas à avoir le label AOC de la littérature.
36:07 - Vous aimez ça et donc merci Marie Desblechons.
36:09 - C'est moi qui vous en remercie.
36:10 - Vous êtes venue nous en parler.
36:11 - Vous êtes bien patient.
36:12 - On peut découvrir votre dernier livre, Pauline Voyage,
36:14 album jeunesse réalisé avec l'illustrateur François Roca,
36:18 publié par l'École des loisirs.
36:20 Et on vous retrouvera ce samedi en dédicace à Montreuil
36:23 pour le 39e Salon du Livre et de la Presse Jeunesse
36:25 qui ouvre demain et qui se tient jusqu'au 4 décembre prochain.
36:28 - Et pour finir Marie Desblechons, nous avons choisi deux chansons en rapport avec un mot.
36:32 On a lu que vous essayez de le bannir un maximum de votre écriture.
36:35 C'est l'adjectif "petit".
36:37 On ne se trompe pas.
36:39 Mais nous, on ne le bannit pas.
36:41 Vous avez donc le choix entre écouter une chanson avec le mot "petit"
36:44 ou une chanson avec le mot "petite".
36:46 Féminin ou masculin ?
36:48 - Féminin.
36:50 * Extrait de "Petite chanson" de Marie Desblechons *
36:58 Quand la nuit tombe sur la ville
37:02 Je cherche par-dessus les toits
37:06 Un petit clou d'or qui s'insire
37:10 Pour lui parler un peu de toi
37:15 C'est une petite étoile
37:21 Qui s'allume à l'horizon
37:25 Et cette petite étoile
37:28 Brille aussi sur ta maison
37:33 - Jeanne Aubert, "C'est une petite étoile".
37:36 Merci beaucoup Marie Desblechons d'être venue dans les Midis de Culture.
37:39 - A bientôt !
37:41 * Extrait de "C'est une petite étoile" de Marie Desblechons *

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