L'édito de Mathieu Bock-Côté : «Qui en veut à Frédéric Beigbeder ?»
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00:00 Frédéric Beigbeder devait, il y a quelques jours, faire une conférence à la librairie Moula, à Bordeaux,
00:05 à propos de son livre "Confidence d'un hétérosexuel largement dépassé".
00:11 Mais les militantes néo-féministes radicales ne l'entendaient pas ainsi.
00:14 La librairie a été taguée, sa conférence interrompue,
00:17 et il n'a pas pu la tenir que sous la protection des CRS.
00:22 En quoi, Mathieu Bocote, la répétition de ces événements,
00:25 loin d'être des phénomènes isolés, est-elle dangereuse ?
00:29 Alors, c'est assez révélateur, en fait, parce que, vous l'avez dit, ces événements se multiplient.
00:35 Quoi qu'on en dise, d'ailleurs.
00:36 Son livre, je le répète, "Confidence d'un hétérosexuel légèrement dépassé",
00:40 c'est le récit d'un homme... En fait, c'est assez intéressant.
00:43 C'est du big-BD, c'est-à-dire une mise à l'écart de lui-même,
00:47 avec un ton ironique, une distance par rapport à soi,
00:49 et aussi une distance par rapport à l'époque.
00:51 Et j'y reviendrai, de la part d'un homme qui, longtemps, était en accord avec l'époque,
00:55 qui incarnait l'époque, qui incarnait l'avant-garde de l'époque,
00:59 et qui, aujourd'hui, est peut-être légèrement dépassé. J'y reviendrai.
01:03 Alors, vous l'avez mentionné, son livre est accueilli comme un scandale pour quelques déclarations.
01:08 Comme d'habitude, les néo-féministes, qui sont une branche particulière du wokeisme,
01:12 le désignent à la vindicte publique en disant "Cet homme est inacceptable, son propos est inacceptable".
01:18 Donc là, non seulement on dit "L'événement ne doit pas se tenir",
01:21 lorsqu'il se tient, irruption de ces néo-féministes avec des slogans,
01:25 on croit les victimes, et ainsi de suite. On connaît tout le vocabulaire
01:30 qui laisse croire qu'il y a en France une culture du viol,
01:33 telle que, fondamentalement, chaque homme porterait en lui l'ombre du violeur, en quelque sorte.
01:39 Et, conférence sous protection policière.
01:42 J'insiste. Frédéric Bigbenny figure comme du mainstream littéraire.
01:46 C'est pas quelqu'un qui a fait carrière en écrivant dans Minutes, autrefois, et dans Présent,
01:51 et puis trouvant le moyen d'exiter seulement dans les marges.
01:54 On est devant une figure du mainstream.
01:56 Et aujourd'hui, pour peu que des miliciens, wow, tendance néo-féministe,
02:01 mais il y en a d'autres, j'y reviendrai, désignent à la vindicte publique quelqu'un,
02:05 lui collent une sale étiquette, envoient le signal qu'il ne doit pas parler,
02:09 qu'il doit se taire, qu'il doit payer, qu'il ne doit plus avoir accès à l'espace public,
02:13 et bien immédiatement, ces milices se manifestent avec l'idée de tout faire pour l'empêcher de parler.
02:20 Alors, l'idée, c'est d'empêcher ses déplacements,
02:22 l'idée, c'est de faire en sorte de gâcher l'événement,
02:24 mais surtout, l'idée, c'est de faire en sorte que le prochain ait à vouloir l'inviter.
02:28 Et l'après-prochain qui voudrait l'inviter, disent que le prix à payer est trop élevé,
02:32 c'est trop compliqué de faire venir Bec Bédé.
02:34 Regardez-le, il est tellement polémique, il est tellement sulfureux,
02:37 il est tellement nauséabond, il est tellement controversé,
02:40 que faire venir Bec Bédé, ça va être très mauvais pour notre bibliothèque,
02:43 pour notre librairie, pour notre institution.
02:46 Donc, on ne doit pas le faire venir.
02:48 On a créé autour de lui un allot d'infréquentabilité.
02:52 Alors, vous l'avez mentionné, et je crois que c'est important de le dire,
02:55 ils sont nombreux, ces dernières années, à avoir connu un tel sort.
02:59 D'une manière ou de l'autre, j'en nomme quelques-uns.
03:01 Caroline Eliachef, donc, qui s'est fait attaquer par la mouvance trans,
03:06 parce qu'elle s'oppose notamment, la trans radicale,
03:09 elle s'oppose aux opérations de changement de sexe,
03:12 aux bloqueurs d'hormones et tout ça, chez les mineurs et chez les enfants.
03:16 Les trans radicaux ont dit « cette personne est transphobe »
03:19 et ont tout fait pour empêcher la tenue de l'événement auquel elle était associée.
03:24 Encore une fois, l'idée est la suivante,
03:26 on va y repenser deux fois la prochaine fois avant de l'inviter.
03:29 Mme Agacinski, il ne faut pas l'oublier,
03:31 il y a quelque temps, Sylvia Agacinski, la philosophe, sur la question de la GPA.
03:36 Là, les féministes radicales disaient « non, votre propos est transphobe,
03:39 est inacceptable, est discriminatoire, on connaît les insultes, on les connaît par cœur.
03:42 L'objectif de ces gens, d'ailleurs, c'est de coller à ce point une étiquette
03:46 au proscrit du moment, qu'on ne prend même plus la peine de savoir
03:50 qu'est-ce qu'ils pensent, Big BD, qu'est-ce qu'ils pensent à Agacinski.
03:53 Il faut que l'étiquette réactionnaire ou l'étiquette transphobe,
03:56 ou l'étiquette sexiste, ou l'étiquette conspirationniste, quand c'est,
04:00 nous viennent tout de suite à l'esprit.
04:01 Donc, ça nous épingle d'avoir à nous demander
04:03 « mais que pense cette personne ? »
04:04 puisque l'étiquette a fait le travail à notre place.
04:08 Marcel Gauchet, rappelez-vous, au Festival d'Histoire,
04:10 Marcel Gauchet, c'est quand même particulier,
04:12 un des grands, grands, grands philosophes en France aujourd'hui,
04:15 au Festival d'Histoire de Blois, il y avait une pétition
04:17 pour l'empêcher de s'exprimer.
04:20 Alain Finkielkraut, qui a dû faire sa conférence à Sciences Po
04:22 il y a quelques temps sous protection policière, lui aussi.
04:25 Ma petite personne, la Bruxelles et à Montréal, ça m'est arrivé aussi.
04:28 Alors, devant ces événements, comment réagissent,
04:30 appelons ça, les spécialistes de la dédramatisation ?
04:33 Ce qui nous explique que c'est peut-être vrai, mais c'est pas grave.
04:36 Première méthode, oui, mais ces espèces de cabales diffamatrices
04:40 se passent essentiellement sur Internet.
04:42 Internet, ça serait pas le monde réel.
04:43 Je vais vous expliquer quelque chose, les gars.
04:45 En 2023, Internet, c'est le monde réel aujourd'hui.
04:47 Internet, là, c'est le monde très réel aujourd'hui.
04:50 Et quand vous avez une cabale pour détruire votre réputation sur Internet,
04:52 ça touche votre vie hors Internet.
04:55 On nous dira que ça demeure marginal.
04:57 Oui, mais les cas marginaux s'accumulent.
04:59 Et à travers ça, qu'est-ce qu'on voit ?
05:01 Les interdits d'apparition dans les universités,
05:04 dans les bibliothèques, dans les librairies se multiplient.
05:06 On nous dit quelquefois que ça existe depuis toujours.
05:08 C'est vrai, effectivement.
05:10 Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale,
05:12 le fanatisme du marxisme universitaire organisé
05:15 a fait en sorte qu'il était impossible d'avoir une vie intellectuelle
05:17 dans l'université pendant un temps.
05:19 Donc oui, ça existe depuis toujours, mais c'est renaissant aujourd'hui.
05:23 Et il y a l'argument que certains l'ont bien cherché.
05:26 Au fond, le big BD, là, OK, il faudrait peut-être pas le censurer,
05:30 mais est-ce qu'il l'a pas cherché d'une manière ou de l'autre ?
05:32 Le problème, c'est que là, on s'indigne.
05:34 On s'indigne pour tous les noms que je viens de mentionner.
05:36 Mais on s'indigne parce que c'est le centre qui est attaqué en ce moment.
05:38 Ce sont de grandes figures du centre.
05:40 Mais quand c'était des figures hier ou avant-hier,
05:42 ou peut-être aujourd'hui ou demain,
05:44 qui se sont associées à la « droite »,
05:46 alors là, soudainement, nos centristes qui s'indignent
05:48 étaient bien discrets.
05:50 Ceux qui, aujourd'hui, se font canceller,
05:52 ceux qui se font annuler, étaient bien discrets il y a quelque temps.
05:55 Je donne quelques noms.
05:57 Quand la nouvelle librairie est attaquée à Paris...
06:00 Allez faire un tour.
06:02 Les vitres sont défoncées.
06:04 Vous savez, ils vendent des drôles de livres.
06:06 Quand on vend des livres comme ça dans cette librairie-là,
06:08 il faut l'attaquer.
06:10 La librairie des deux cités, attaquée aussi à Nancy.
06:12 François Bousquet, le directeur d'Eléments,
06:14 faisait une conférence à Toulouse
06:16 qui était sous protection du service d'ordre
06:18 parce que les antifas voulaient empêcher
06:20 l'attelure de la conférence.
06:22 Geoffroy Lejeune, que nous connaissons bien,
06:24 qui voulait faire une conférence de mémoire à Sciences Po-Lille.
06:26 Et on a dit « Ah, mais les risques de sécurité sont trop élevés,
06:28 on ne peut pas l'accueillir ».
06:30 Stanislas Rigaud, à Nice, récemment.
06:32 Alors là, dans ce cas-là,
06:34 où sont nos amis centristes qui, eux,
06:36 en ce moment, ils se font canceller.
06:38 Et ils sont très en colère de se faire,
06:40 justement, expulser de la vie publique et censurer.
06:42 Mais est-ce qu'il n'aurait pas été nécessaire,
06:44 et j'y reviendrai, de protéger aussi des gens
06:46 qui en citaient un peu sur leur droite.
06:48 Éric Zemmour, on peut le mentionner parmi d'autres.
06:50 Quand les antifas faisaient tout pour gâcher sa campagne,
06:52 que faisaient nos amis centristes?
06:54 Ils se disaient « Ah, ça ne tombera pas sur moi,
06:56 donc je n'ai pas à m'en préoccuper ».
06:58 Puis on pourrait faire une longue histoire.
07:00 Dans l'histoire des intellectuels français,
07:02 Paul Lyonnet, Jules Monroe, Olivier Petri-Grenouillot,
07:04 c'est des cabages diffamatrices.
07:06 Aujourd'hui, comme je le dis, puisque le centre est attaqué,
07:08 on s'indigne. Tant mieux.
07:10 Mais on aurait peut-être dû s'inquiéter
07:12 de ce qui se passait depuis un certain temps déjà.
07:14 - Je vais vous demander tout à l'heure
07:16 que faire par rapport à tout ça,
07:18 parce que, pardon, Mathieu Bocote,
07:20 mais il y en a un peu marre.
07:22 - Il n'y a pas de doute là-dessus.
07:24 - Non, mais vous permettez?
07:26 - Oui, je vous permets.
07:28 - Vous me permettez? Vous permettez, quand même,
07:30 Mathieu Bocote, qu'on a un peu marre
07:32 de vous parler. Pardon, je sors.
07:34 Tristan Bannon s'est porté à la défense
07:36 de Frédéric Bette-Bédé
07:38 dans un texte partiellement reproduit
07:40 dans Le Figaro. S'agissait-il
07:42 d'un texte qui a convaincu?
07:44 - Oui, c'est un très beau texte, franchement,
07:46 de Tristan Bannon, qui est un texte d'abord
07:48 la défense d'un ami.
07:50 Et c'est vraiment moi qui place l'amitié
07:52 au sommet de toutes les relations humaines.
07:54 La défense d'un ami, quand un ami est attaqué,
07:56 c'est fondamental. Vous savez, quand nos amis sont attaqués,
07:58 c'est le moment où on doit se rappeler qu'on est leurs amis.
08:00 On doit leur dire, leur chuchoter.
08:02 Je suis d'accord avec toi, mais répète-le pas trop,
08:04 j'ai des soucis. C'est publiquement qu'on doit défendre
08:06 ses amis quand ses amis sont attaqués. Premier élément.
08:08 Deuxièmement, il nous fait le portrait d'un homme
08:10 beaucoup plus blessé qu'on ne le dit.
08:12 C'est l'homme de... Il y a une superbe chez Bette-Bédé.
08:14 C'est un homme beaucoup plus blessé, puis elle nous fait
08:16 le portrait, justement, de ses mécanismes psychologiques.
08:18 Il y a un seul problème dans ce texte-là,
08:20 puis je reviens à ce que je disais plus tôt.
08:22 Elle nous dit que Bette-Bédé n'aurait pas dû
08:24 connaître ce sort. Et je pense que l'erreur de ce texte,
08:26 qui est par ailleurs un très beau texte, je tiens à le redire,
08:28 c'est qu'il faut sortir de cette logique qui dit
08:30 "lui ne devrait pas être dénoncé, puis lui non plus
08:32 ne devrait pas être dénoncé, puis celui-là non plus
08:34 ne devrait pas être censuré." Non!
08:36 On doit toujours fonctionner en disant, en espérant
08:38 se soustraire soi-même aux lois de la censure.
08:40 Il faut défendre la liberté d'expression, surtout,
08:42 surtout pour ceux avec lesquels on est en désaccord.
08:44 C'est parce que je suis en désaccord, par exemple,
08:46 avec quelqu'un de très à gauche, que je suis en désaccord
08:48 avec quelqu'un de très à droite, que je suis en désaccord
08:50 avec quelqu'un de très à gauche, que je suis en désaccord.
08:52 C'est parce que je suis en désaccord, par exemple,
08:54 avec quelqu'un de très à gauche, et si je me porte
08:56 à sa défense, là, ça veut dire quelque chose.
08:58 Mais c'est pas rare, si je peux me permettre.
09:00 - Pardon, je suis à fond. - Je comprends,
09:02 mais ça me rend fou. Aux États-Unis, au milieu des années,
09:04 en 2020, rappelez-vous quand la vague woke
09:06 commence à monter aux États-Unis.
09:08 Il y a beaucoup d'intellectuels centristes qui commencent
09:10 à se dire "mais c'est mauvais, là, ils sentent le coup près
09:12 de la guillotine morale et sociale."
09:14 Alors, ils s'immobilisent! C'est inacceptable!
09:16 On nous fait passer pour des racistes,
09:18 on nous diffuse le débat, on nous diabolise!
09:20 Mais qu'est-ce qu'ils prennent la peine de faire
09:22 dans leurs textes? Ils publient dans Harper's Magazine,
09:24 un grand magazine américain. Ils disent "certes, certes,
09:26 le plus grand danger est Donald Trump,
09:28 et l'extrême droite, et l'ultra-droite,
09:30 et la xénophobie, et le racisme." Et après avoir
09:32 fait leur petite prière sur le mot de la pénitence,
09:34 "oui, oui, oui, nous partageons les mêmes ennemis",
09:36 alors ils se permettent de dénoncer
09:38 les milices woke d'ultra-gauche.
09:40 En France, quelques fois, nos amis
09:42 de la gauche républicaine, qui dénoncent
09:44 la fameuse tenaille identitaire, disent que pour se donner
09:46 le droit de critiquer l'extrême gauche,
09:48 ils sentent le besoin de fabriquer une extrême droite
09:50 imaginaire à dénoncer à temps plein.
09:52 Comme ça, ça leur donne le droit de s'en prendre
09:54 à l'extrême gauche, qui est violente
09:56 et qui, elle, pratique la censure.
09:58 Alors quand on a tout cela à l'esprit,
10:00 je dirais, la défense de la liberté d'expression,
10:02 j'y reviens, c'est pas simplement au cas par cas,
10:04 c'est un principe, surtout quand on est en désaccord.
10:06 (musique)
10:08 ♪ ♪ ♪
10:10 [SILENCE]